Brochure Actes 2010 - Centre d`études francoprovençales
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Brochure Actes 2010 - Centre d`études francoprovençales
CERLOGNE ET LES AUTRES voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne ACTES DE LA CONFÉRENCE ANNUELLE SUR L’ACTIVITÉ SCIENTIFIQUE DU CENTRE D’ÉTUDES FRANCOPROVENÇALES C E R L O G N E ET LES AUTRES voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne S A I N T - N I C O L A S 18-19 DÉCEMBRE 2010 Région Autonome de la Vallée d’Aoste A s s e s s o rat d e l ’ é d u c at i o n e t d e l a c u lt u r e Assessorat de l’éducation et de la culture de la Région autonome Vallée d’Aoste Assesseur à l’éducation et à la culture Laurent Viérin Présidente du Centre d’études francoprovençales René Willien Christiane Dunoyer Textes et révision Les auteurs Préparation et mise en page de l’ouvrage Rosito Champrétavy Manuscrits Archives du Musée Cerlogne (Saint-Nicolas) Photos Diego Pallu - Châtillon (Aoste) Impression Tipografia Testolin (Sarre) © 2011 ACTES DE LA CONFÉRENCE ANNUELLE SUR L’ACTIVITÉ SCIENTIFIQUE DU CENTRE D’ÉTUDES FRANCOPROVENÇALES C E R L O G N E ET LES AUTRES voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne S A I N T - N I C O L A S © 2011 Région Autonome Vallée d’Aoste 1, place Albert Deffeyes 11100 Aoste www.regione.vda.it Copie hors commerce Hommage de la Région Autonome Vallée d’Aoste Assessorat de l’éducation et de la culture ISBN: 978-88-940156-0-7 18-19 DÉCEMBRE 2010 Région Autonome de la Vallée d’Aoste A s s e s s o rat d e l ’ é d u c at i o n e t d e l a c u lt u r e Allocution de bienvenue Laurent Viérin Assesseur à l’éducation et à la culture de la Région autonome Vallée d’Aoste Bonjour à vous toutes et à vous tous, C’est avec plaisir que je souhaite la bienvenue à tous les participants à la Conférence annuelle 2010 organisée par l’Assessorat de l’éducation et de la culture de la Région autonome Vallée d’Aoste, en collaboration avec le Centre d’Études francoprovençales René Willien. Ces journées, auxquelles participent des spécialistes de formation différente provenant de plusieurs pays de l’arc alpin, rentrent dans le cadre des événements conçus de l’Assessorat pour marquer le centenaire de la mort de l’abbé Jean-Baptiste Cerlogne (1826-1910), premier poète patoisant valdôtain. Cerlogne est une figure fondamentale pour le peuple valdôtain : il est considéré comme le père de la littérature valdôtaine et il représente un exemple pour tous ceux qui travaillent et soutiennent la noble cause du patois, notre langue du cœur. L’Assessorat a, pour sa part, mis en œuvre toute une séries d’initiatives pour la promotion du patois, telles que le Concours Cerlogne, l’École populaire de patois et les bains de langue, la Rencontre des petits patoisants, la célébration de la messe en patois et en langue walser, la relance de la civilisation valdôtaine à l’école, la réalisation d’une collection d’audiolivres en francoprovençal et de CD de musique traditionnelle, ainsi que la diffusion auprès des jeunes élèves du Dichonnéro di petsou patoésan, la réalisation du portail du francoprovençal valdôtain, l’exposition « Les lieux du patois », la conception d’une comédie musicale en patois – qui figurera au programme de la prochaine Saison culturelle – ainsi que le Projè Popón, conçu pour promouvoir l’emploi du patois dès la plus tendre enfance et Dapertotte, teatre dapertotte, premier roman-photo en patois. Ajoutons que, dans la perspective de mettre en valeur notre patrimoine immatériel, nous avons pris contact avec l’UNESCO en vue de la reconnaissance du patois francoprovençal comme patrimoine de l’humanité. 5 LA FÊTE EN MOUVEMENT DANS L’ARC ALPIN OCCIDENTAL Cerlogne était un personnage très connu, et pas seulement en Vallée d’Aoste. Il avait découvert le monde au fil des nombreux voyages qu’il avait fait dans sa vie et son caractère ouvert lui avait permis de connaître plusieurs personnalités de son époque. Le voilà le thème de cette Conférence qui lui est dédiée, l’échange d’idées et d’informations relatives aux personnalités régionales et internationales – des domaines de la linguistique et de la dialectologie, notamment – avec lesquelles le poète entretenait des contacts. D’éminents orateurs, venus de France, de Belgique, d’Italie et de Vallée d’Aoste, aborderont le sujet de plusieurs points de vue, en le situant dans différents contextes. La Conférence annuelle sur le thème « Cerlogne et les autres » conclut cette année de célébrations dédiées au père de la littérature valdôtaine. L’Assessorat a en effet mis sur pied de nombreuses initiatives, dont la pièce de théâtre « Cerlogne, les étapes de la vie », mise en scène par la Fédérachón valdoténa di téatro populéro, à l’occasion de la viie Fête valdôtaine et internationale des patois. J’aimerais rappeler également la publication de « Jean-Baptiste Cerlogne, le ramoneur qui devint poète », livre dédié aux petits lecteurs, de même que la 48e édition du Concours Cerlogne, à La Thuile, qui a réservé un espace particulier à cette personnalité dont le concours porte le nom, en présentant « Cerlogne le ramoneur rimeur », une exposition expressément pensée pour les écoles. Par ailleurs, une plaque commémorative a été placée sur la façade de la maison natale du poète à l’occasion de la messe du 4 octobre, anniversaire de sa mort, et certains de ses textes inédits seront prochainement publiés. Cette conférence, qui ajoute en quelque sorte un cachet essentiellement scientifique à l’ensemble de notre démarche, constitue donc un nouvel hommage que nous rendons à ce grand Valdôtain, dont la renommée a largement dépassé les confins de notre région pour prendre une dimension européenne. Aujourd’hui, nous rappelons Cerlogne et son rôle fondamental dans la valorisation de notre langue maternelle. Qu’il soit un exemple pour nous tous, dans notre vie quotidienne d’amour et de défense du patois. Je souhaite à tous une bonne Conférence, en remerciant surtout tous les conférenciers et les participants. Continuons à parler patois. Merci. 6 Allocution de bienvenue Davide Sapinet Syndic de la commune de Saint-Nicolas Les meilleures salutations de la part de l’Administration Communale de Saint-Nicolas et la bienvenue à vous tous, je remercie de l’invitation madame Christiane Dunoyer, Présidente du Centre d’Études francoprovençales. Cette conférence arrive à la fin d’une année très importante pour tous les patoisants : en effet, les célébrations du centenaire de la mort de l’Abbé Jean-Baptiste Cerlogne ont caractérisé l’année 2010. À ce propos, je tiens à remercier l’Assesseur de l’éducation et de la culture, le Brel, Christiane et tout le staff du Centre pour toutes les manifestations organisées à la mémoire de notre célèbre citoyen Jean-Baptiste Cerlogne. L’administration communale de Saint-Nicolas, dans son petit et proportionnellement avec son budget, a célébré cet anniversaire pendant toute l’année. Des soirées avec les amis du Centre Culturel, les travaux des enfants des écoles et enfin, le 4 octobre, le dépôt d’une plaque au hameau de Cerlogne à l’emplacement de la maison paternelle de notre cher Abbé, qui a été valorisée par une structure en métal. Enfin, l’Assessorat à la culture nous a offert une sculpture très appréciée qui nous fait maintenant compagnie dans la Salle du Conseil. Donc, une année importante qui a souligné, encore une fois, les liens entre Saint-Nicolas et le Centre. Vous avez pu constater que le hameau de FossazDessus est maintenant l’objet de travaux importants : si pour le moment ils nous causent quelques problèmes, une fois terminés ils valoriseront ce petit village et ce lieu prestigieux. Je vous salue en souhaitant un bon travail à tous les présents et une bonne permanence à Saint-Nicolas. Merci. 7 Allocution de bienvenue Christiane Dunoyer Présidente du Centre d’études francoprovençales “René Willien” Mesdames, Messieurs, C’est un honneur pour moi d’être là aujourd’hui pour vous souhaiter la bienvenue dans le cadre de la conférence annuelle sur l’activité scientifique du Centre, qui coïncide cette année avec un anniversaire exceptionnel, à savoir le centenaire de la mort de l’abbé JeanBaptiste Cerlogne. Cet été nous vous avons proposé une exposition au Musée Cerlogne qui annonçait la richesse des travaux de ces deux journées, car l’abbé Cerlogne a été en contact, au cours de sa vie, avec de nombreuses personnalités valdôtaines, notamment l’abbé Henry, le curé Bionaz, le chanoine Bérard, Thomasset, bien sûr, mais également italiennes et internationales : l’ensemble de sa correspondance est très riche et va de 1867 à 1910. À titre d’exemple, nous pouvons rappeler l’abbé Rousselot, phonéticien et dialectologue français, Paul Marieton, président de la société des Félibres de Paris, Paul Meyer, philologue directeur de l’École des Chartes de Paris, deux écrivains comme Louis Zuccaro et Cesare Pomba, les professeurs Joseph Cassano et Leone Luzzatto, enfin le linguiste et dialectologue Carlo Salvioni. Cerlogne a aussi entretenu une correspondance remarquable avec la Maison royale, notamment avec la reine Marguerite, à laquelle il a adressé de nombreux poèmes, ainsi qu’avec le comte Constantino Nigra. De l’étude de cette correspondance il ressort un personnage très typé, encore une fois, comme la lecture de son œuvre littéraire le prouvait déjà, aussi bien que l’étude de son Dictionnaire ou de sa Grammaire du patois valdôtain, ou encore le récit surprenant des aventures de sa vie. Un personnage très éloigné du cliché du petit curé de campagne replié sur lui-même, écrivant en patois parce que peu instruit : en réalité un esprit curieux, une intelligence remarquable, une sensibilité peu ordinaire qui a su immortaliser des topos de la civilisation valdôtaine, des éléments fondateurs de notre identité. L’abbé Cerlogne a été fortement apprécié 9 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne déjà de son vivant, ce qui est plutôt rare, car maints de ses contemporains, parfois des linguistes de renommée internationale, lui adressaient des lettres très respectueuses en écrivant, tel qu’on peut le lire dans la première lettre du savant allemand Urtel, « vous ne me connaissez pas, mais je connais votre œuvre » : il est assez incroyable si l’on pense comment son œuvre, pourtant d’intérêt local, a pu rayonner à travers l’Europe dans la deuxième partie du xixe siècle. L’importance de cet anniversaire est telle que la réflexion entamée cette année ne pourra se conclure avec ces deux journées, mais indirectement elle se prolongera dans les années à venir, dans le cadre d’une série de réflexions portant sur le rôle du francoprovençal dans notre civilisation, sur le rôle de la transmission plus en général et sur le rôle des institutions comme le Centre, nées pour la promotion de la langue et de la culture francoprovençale. Avant d’ouvrir les travaux, nous ne pouvons que remercier l’abbé Cerlogne de son immense travail dont nous lui sommes infiniment reconnaissants. Merci à vous tous d’être ici aujourd’hui et bonne conférence. Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception Alexis Bétemps Dans la paix de Valgrisenche C’est à Valgrisenche, à la cour de Blaise-Couronné Prince (1800-1877), curé de la paroisse pendant 51 ans, ayassin et bon vivant, que Cerlogne commence la traduction du français au francoprovençal de la Bulle de Pie ix sur l’Immaculée Conception. Il n’y reste pas bien longtemps puisque, vers la mi septembre 1866, il part à Pontboset, où il est encore vicaire. Il devait avoir eu suffisamment de temps libre à Valgrisenche si nous devons croire l’abbé Gorret, son successeur en 1866 : À Valgrisenche, je devais n’avoir absolument rien à faire, le curé, voulant tenir à faire tout lui-même et ne voyant arriver ses vicaires que comme des espions des supérieurs, faisait fête et grande ripaille le jour de leur départ1 … Malgré ses habitudes plutôt discutables, ce curé, cet ommo euraou, comme le définit Cerlogne, inspira la muse du poète qui occupera ses loisirs en dressant un remarquable portrait en vers de l’homme et de ses réserves alimentaires : Megnadzo de Monseur Abonde. Tout cela pour rappeler le côté un peu rabelaisien qui était bien présent chez Cerlogne ! Pour ce qui est, par contre, de son inspiration mystique, le chanoine Édouard Bérard y pensera en lui confiant la tâche de traduire la prose redondante de la Bulle de Pie ix, datant du 8 décembre 1854, Ineffabilis Deus, pour la définition et la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Durant son séjour à Valgrisenche, l’abbé Cerlogne traduisit en dialecte valdôtain la Bulle de l’Immaculée-Conception, sur la demande de son bienfaiteur M. le chanoine Bérard. Celui-ci fit insérer cette traduction dans le Recueil qui contient la traduction de cette Bulle en 250 langues2. 10 11 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception Voilà tout ce que Cerlogne nous apprend sur un travail qui doit quand même lui avoir coûté pas mal de temps et de fatigue. duction qui, par sa nature, devrait être la plus fidèle possible, un pari presque impossible vu le type de prose. Le manuscrit égaré Quelques mots sur la traduction Willien a trouvé, dans les archives de Cerlogne conservées à Saint-Nicolas, le texte de la première page de la traduction, mais il ne l’a pas reconnue et il l’a classée parmi les sermons. Il date correctement le brouillon et il se demande si Cerlogne, à un moment donné, n’avait pas eu l’idée de prêcher en patois3. Cela aurait pu être une explication. Successivement, ni Willien, ni d’autres ne se sont souciés d’approfondir la recherche. Bref, pendant toutes ces années, personne n’a eu la curiosité d’aller chercher le travail évoqué dans Les étapes de la vie et égaré quelque part. La traduction de Cerlogne n’est pas littérale. Comment aurait-il pu traduire littéralement en patois le jargon allusif, redondant et ritualisé de la Bulle ? Cependant, Cerlogne cherche à être fidèle au sens des paroles et des phrases, quitte, parfois, à les développer et à les interpréter pour les rendre, probablement, plus facilement intelligibles. Plus qu’au Saint-Père et aux gros bonnets ayant fait du latin, Cerlogne pensait à ses compatriotes montagnards et patoisants. On dirait presque que c’est à eux qu’il s’adresse par sa traduction. Malgré cet effort, la version conserve logiquement le charme des bulles pontificales élaborées par un collège de cardinaux. Dans sa version française, que nous croyons avoir été le texte de référence de Cerlogne, la Bulle débute avec un majestueux « Dieu ineffable ». Cerlogne traduit d’abord Dieu avec Bon Dieu, puisque en patois le nom de Dieu est toujours accompagné d’un adjectif, dont bon, et ineffable est rendu par une circonlocution : « qui est i dessu de to cên que no povên dére »4. Il aurait pu écrire simplement ineffablo, en plagiant tranquillement le mot français comme il fera souvent par la suite. En effet, il n’hésite pas quelques lignes après à traduire ruine lamentable par ruina lamentabla, entièrement par intzéremên, prédilection par prédilecchon et substantiellement par substanciellamên. Et les exemples pourraient continuer. On ne perçoit pas une logique dans les options choisies à tour de rôle : périphrase, emprunt ou calque. On a l’impression que Cerlogne se laisse guider par sa sensibilité et que le choix est dicté par des motivations différentes : par exemple, il traduit par une périphrase quand il pense qu’un emprunt ou un calque seraient difficiles à comprendre pour un lecteur patoisant, par un calque quand le mot s’y prête et devrait être facilement adopté et par un emprunt quand, pour quelques raisons, le mot français est tellement enraciné dans l’usage qu’il serait ridicule de le remplacer. Dans le cadre d’un grand travail de réorganisation et classement des archives religieuses du diocèse d’Aoste, Mme Marie-Rose Colliard, en inventoriant le fonds Gal / Duc retrouve les papiers du chanoine Édouard Bérard : lettres, notes personnelles, documents divers, ainsi que plusieurs manuscrits de textes en patois que Jean-Baptiste Cerlogne lui avait soumis en vue de la publication. Parmi ces textes, dont une bonne partie était connue, mais dans des versions successives, voilà qu’apparaît Pie Evèque, serviteur di serviteurs de Dzeu, afin que nèn resteye todzor lo souveni, la traduction en francoprovençal de la Bulle de Pie ix Ineffabilis Deus du 8 décembre 1854. Le manuscrit présente plusieurs corrections de Cerlogne et de Bérard. La graphie adoptée est archaïque et encore bien instable. Il s’agit probablement du texte, si pas définitif, déjà plutôt avancé, que Cerlogne a soumis à l’attention de Bérard. Du point de vue littéraire, l’intérêt pour le manuscrit est presque nul. Cep endant, il s’agit de l’un des plus anciens essais de littérature fran coprovençale valdôtaine. Rien que ce fait lui attribue déjà une valeur certaine. Ce texte témoigne aussi des difficultés de l’auteur face à une tra 12 Pourquoi cette traduction ? Face à cette trouvaille, dans le but de bien insérer ce nouvel apport dans le contexte de l’œuvre de Cerlogne, au moins deux questions se posent. La première est fondamentale : pourquoi la traduction en francoprovençal d’une Bulle papale ? Les Valdôtains étaient pourtant suffisamment scolarisés pour affronter le texte en français. Et surtout, en 1865, la littérature en patois est à ses premiers pas et son pionnier, Cerlogne, avait au moment fourni des preuves de valeur, certes, mais surtout dans les évocations liées au terroir. Même sa version de la Parabole de l’Enfant prodigue transpirait le milieu agropastoral valdôtain. Comment se serait-il 13 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne débrouillé avec la prose répétitive, grandiloquente, solennelle et, d’une certaine manière, aseptique, d’un texte théologique ? Bérard en lui confiant la tâche a fait un gros pari. Pourquoi ? L’enjeu devait être fort important et il allait au-delà du niveau local. La deuxième question, corrélée à la première, est : de quoi parle Cerlogne quand il dit que Bérard fit insérer la traduction dans un recueil qui rassemblerait les traductions de la Bulle en 250 langues ? De quel projet s’agirait-il ? Pourquoi et de quelle manière Bérard en est-il au courant ? La valeur littéraire de la traduction est à peu près nulle, mais ce n’est pas cela qui nous intéresse. Et, en tout cas, ce ne serait pas sur des brouillons qu’elle pourrait être jugée. Cette version, qui est parmi les plus anciens documents écrits en francoprovençal valdôtain, par contre, documente une étape importante de l’évolution du système graphique cerlognien. Elle témoigne de l’abandon de la première manière d’écrire pour s’approcher de la deuxième, selon le classement établi par Willien, en cinq étapes5. L’importance du dogme Pour répondre à la première question il faut comprendre le sens et l’importance attribuée à la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception par la communauté catholique de l’époque et, en particulier, par la communauté valdôtaine profondément imprégnée de catholicisme. La cérémonie pour la conception d’Anne, mère de Marie, existait déjà dans l’Église grecque au milieu du viiie siècle. Elle avait été introduite en Occident sous l’influence de pèlerins revenant de Terre Sainte. Ce fut un Franciscain, Duns Scot (1265-1308), qui sut concilier l’Immaculé Conception et le salut universel en Jésus, en affirmant que Marie fut préservée de la faute originelle en prévision des mérites du Christ. Avec les Dominicains, les papes Jean xii (1316-1334), Benoît xii (1334-1342) et Clément vi (1342-1352) s’opposent à la doctrine et à la fête soutenues par les Franciscains. Mais en 1708, le pape Clément xi étend la fête de l‘Immaculée-Conception à toute l’Église d’Occident. Le xviiie siècle, le siècle des lumières, prône le triomphe de la raison, avec la bourgeoisie qui s’affirme et ses laïcs cultivés. L’Église protestante en est parfois à la tête et, en tout cas, elle n’est pas contraire à cette nouvelle attitude. L’Église catholique voit dans le protestantisme le vecteur du rationalisme théologique, philosophique, politique et social qui amène à la déification de l’intellect humain, principe fondamental du rationalisme. La négation du péché originel, du dogme de la Rédemption et de la vie éternelle sont les conséquences logiques de ce système. Le rationalisme est le règne de l’Antéchrist qui serait anéanti par l’Immaculée Vierge… Il faut que cette vérité pénètre dans tous les foyers. Cette définition doctrinale rétablira le sens des vérités chrétiennes et retirera les esprits des déviations naturalistes vers lesquelles ils se sont acheminés. En 1848, Pie ix institue une Commission théologique chargée d’étudier le dossier. En 1854, les travaux sont achevés et le dogme solennellement proclamé le 8 décembre. 14 Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception Le culte de la sainte Vierge à Lyon La proclamation du dogme n’est que le moment culminant d’une opération, théologique et politique à la fois, pour la relance du culte de la Vierge. Mais la vénération de Marie, mère de Dieu, est bien plus ancienne et répandue un peu partout dans le monde. Lyon est un centre marial de grande antiquité. Dès le XIIe siècle, une église lui est dédiée sur la colline de Fourvière que le Rhône et la Saône longent jusqu’à leur confluent. La basilique de Notre-Dame de Fourvière, un des symboles de Lyon, domine la ville depuis le sommet de la colline, sur l’emplacement de l’ancien Forum de Trajan, Forum vetus, d’où le nom de Fourvière. La chapelle, puis basilique, devient rapidement lieu de pèlerinage réputé. En 1630, Anne d’Autriche, reine de France demande à la Vierge de Fourvière de lui donner un héritier. En 1638 naît le futur Louis xiv qui consacrera son royaume à la Vierge. En 1643 les Échevins de la ville décident de mettre Lyon sous la protection de Notre-Dame de Fourvière. Ainsi, la peste, qui sévissait depuis quelque temps dans la ville, cesse et Lyon ne connaît plus jamais d’épidémies. En 1851, on refait le clocher qui est surmonté d’une statue de la Vierge en bronze doré. L’inauguration est pour le 8 décembre 1852, fête de l’Immaculée-Conception. Mais un orage terrible empêche l’illumination du nouveau clocher ; alors, spontanément, les lyonnais illuminent leurs fenêtres, en l’honneur de la Vierge. La fête est reproposée l’année suivante et, en 1854, elle jouira d’un éclat tout à fait particulier, en coïncidence avec la proclamation du dogme. La ville est illuminée et la population participe avec de petits lampions placés sur leurs fenêtres. C’est le début d’une tradition qui, enrichie de nombreux éléments laïques, dure encore aujourd’hui, c’est la Fête des Lumières. La fête, à laquelle participent tous les quartiers de la ville, s’est étendue désormais sur quatre jours. Elle a atteint des dimensions inusuelles : quatre millions de personnes étaient à Lyon pour la Fête des Lumières de 2007. Et le succès continue. Mais pas nécessairement alimenté par l’esprit religieux. Pontboset. Chemin vers Retempio, un oratoire (photo Claudine Remacle) 15 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Pitié, mon Dieu (Choix de cantiques, Lille-Paris-Bruges, s.d.) Le culte de la Vierge en Vallée d’Aoste Selon la tradition, le culte de la Vierge en Vallée d’Aoste remonterait au ive siècle, suite à la prédication de saint Eusèbe, premier évêque de Verceil. En 1311, le béat Éméric de Quart, évêque d’Aoste, partic u lièrement dévot de la Vierge, institue la fête de la Conception de la Vierge, sorte de prélude de l’Immaculée Conception 6 . Les nombreuses églises, chapelles et oratoires consacrés à la Vierge un peu partout en Vallée, les pro cessions du mois d’août en altitude, les innombrables sanctuaires sont les preuves évidentes de cette dévotion. Le culte devient par ticulièrement vivant au xixe siècle pour trouver son apogée avec la proclamation, en 1854, de l’Immaculée Conception. En 1833, la chapelle de Voury au Gaby devient un sanctuaire réputé à la suite d’un miracle qui sauva la vie à un habitant du Gaby pris par l’avalanche ; en 1835, le curé de Pontboset André Gros bénit le sanctuaire de Retempio, consacré à la Visitation de la Vierge ; en 1850, on pose la première pierre pour la transformation en sanctuaire de la petite chapelle de Notre-Dame-de-ToutPouvoir, à Plout de Saint-Marcel. Tout au long du xixe siècle, le culte de Marie se répand et pénètre la dévotion populaire au point que l’un des chants religieux les plus connus en Vallée d’Aoste est Je vous salue, sur l’air de Pitié mon Dieu. Les paroles sont de Sœur Scholastique (1865-1941). Le refrain dit « Sur ma Vallée étend ta main, ô Reine Immaculée du peuple valdôtain ». Ce chant, vers la moitié du xxe, était en alternative avec Montagnes Valdôtaines pour devenir l’hymne national de la Vallée. La fête des lumières en Vallée d’Aoste Ancienne capitale des Gaules, déchue et enlisée à l’ombre du lys de France au bénéfice de Paris, la ville de Lyon, la métropole la plus proche de la Vallée d’Aoste, exerça pendant des siècles son influence sur un vaste territoire allant du Massif Central aux deux versants des Alpes, de Valence à la Bourgogne, 16 Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception dans toute la haute vallée du Rhône. C’est de Lyon que le francoprovençal rayonne, de la Loire jusque sur les deux versants des alpes, de Valence jusqu’en Bourgogne. Filtrées par la Savoie, c’est de Lyon, qu’arrivent, en général, les nouveautés culturelles qui aboutissent en Vallée d’Aoste. Il n’est donc pas étonnant que les journaux valdôtains aient parlé des grandes fêtes en l’honneur de l’Immaculée Conception7, des miracles et des faits mémorables survenus. Le processus d’émulation se met alors en marche. En 1854, Aoste n’a pas fêté le jour de la proclamation du dogme. Les journaux l’avaient annoncé, mais la grande fête sera pour le premier anniversaire, le 8 décembre 1855. Et, paraît-il, ce sera une manifestation mémorable : « À peine les premières ombres de la nuit eurent-elles enveloppé notre cité que les feux innombrables d’une brillante illumination commencèrent à étinceler de toutes parts » 8. Tous les édifices religieux sont resplendissants, à partir de la cathédrale d’Aoste dont la sainte Vierge (l’Assomption) est titulaire depuis l’an 1000, en passant par le Grand-Séminaire, pour aboutir à l’établissement des sœurs de Saint-Joseph. Les familles aisées rivalisaient entre elles en étalant leur opulence pour épater les citoyens par des jeux de lumière inattendus. Le peuple aussi assure sa contribution : « On peut dire que l’illumination a été générale et qu’à peu d’exceptions près, toutes les maisons ont voulu payer à Marie un légitime tribut de reconnaissance »9. La banlieue aussi participe à la fête : « De tous les côtés, sur les hauteurs qui environnent la ville, des feux de joie annonçaient que les bons habitants des campagnes s’associaient à la joie de la cité »10. Tout cet enthousiasme de l’Indépendant s’explique aussi par le fait qu’il est le porte-parole du clergé. Le journal des libéraux n’a pas du tout eu la même perception de la fête : « L’illumination d’Aoste, à force d’invitations du clergé et par les uns intéressés à le ménager, et par d’autres à le courtiser, par d’autres encore, par singerie, soit par imitation ou par crainte d’être marqués au doigt, réussit d’être partielle et de courte durée, mais sans comparaison avec celle de la fête du Statut, qui fut générale »11. Et, in cauda venenum, le journaliste conclut : « Ce qui est à remarquer, c’est que les Vénus errantes mêmes n’ont pas manqué d’illuminer leurs fenêtres. Et vive l’illumination de l’Immaculée ! Reste à savoir si ce dernier hommage lui aura été agréable… ». Les autres paroisses Cliché utilisé par J-Baptiste Cerlogne représentant la Sainte Vierge (numérisation de l’original tourné en négatif) 17 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception valdôtaines, de Fontainemore à Courmayeur, dans un tourbillon d’émulation, organisent aussi leur fête avec plus ou moins de splendeurs. Mais rien ne ressemble à ce qui s’est passé à Aoste : « Le soir de ce beau jour, sur une petite hauteur, à quelques pas de la ville, on jouissait d’un spectacle des plus ravissants. On voyait dans une distance de 40 kilomètres, la plaine, les versants septentrional et méridional des montagnes qui forment la vallée principale, tout parsemés de feux brillants, dont les plus élevés se confondaient avec les astres d’un ciel le plus richement étoilé. On eût dit le ciel descendu sur la terre, pour ne former avec elle qu’un seul et immense temple embrasé des plus doux feux de l’amour de Marie, la reine des anges et des hommes »12. Mais les communes non plus n’ont pas fait l’unanimité : à Verrès « …l’autorité locale a défendu toute illumination »13 ce qui a fait écrire à l’Indépendant « L’on serait plus libre parmi les Turcs et les protestants »14. Exagérés ! Les apparitions de la Vierge La proclamation solennelle de l’Immaculée Conception est suivie de toute une série d’événements qui popularisent le dogme. Les apparitions de la Vierge, Immaculée mais sous d’autres titres aussi, se multiplient. En 1858, elle se montre, dans sa veste d’Immaculée Conception, à la jeune bergère Bernadette Soubirous et l’apostrophe en occitan :« Que soy era Immaculada Concepciou ». En 1877, c’est à Justina Szafrinska qu’elle se manifeste à Gietrzwald, en Pologne ; puis, en 1899, à Maddalena Parsi, à Campitello en Corse et, en 1918, à Cecilia Geyer Wangen, en Allemagne. En 1859, sous l’appellation de Reine du Ciel, elle apparaît à Adèle Brise, une jeune fille émigrée à Champion dans le Wisconsin aux USA et, la même année, se montre à un groupe de jeunes filles à Arnaud-Guilhelm, dans la Haute-Garonne ; en 1861, c’est la Madone de l’Étoile qui se manifeste pendant toute l’année à Righetto Cionchi près de San Luca di Montefalco, pas loin de Perugia ; dix ans après, Notre-Dame d’Espérance apparaît à Pontmain, en France et, en 1873, c’est le tour de Notre-Dame du Dimanche à Saint-Bauzille de la Sylve, toujours en France. Et l’on pourrait continuer jusqu’à Fatima au Portugal, en 1917, jusqu’à Madjugorie en Bosnie, en 1981. En Vallée d’Aoste, aucune apparition n’est enregistrée, mais une ferveur nouvelle se répand et porte à l’inauguration de nombreux lieux sacrés, églises, chapelles et oratoires, intitulés à l’Immaculée Conception. La chapelle “gothique” de Saint-Vincent Quelques jours avant la grande fête d’anniversaire de 1885, on inaugure à Saint-Vincent une chapelle intitulée à l’Immaculée Conception. Elle est construite « par les soins de l’abbé Lucat, curé de Saint Vincent »15. C’est, probablement le premier monument des Etats Sardes élevé en l’honneur de 18 Salle de l’Immaculée Conception au Vatican, la voûte la définition de la Conception Immaculée de Marie. L’intérieur est décoré par le peintre Stornone d’Ivrée, l’auteur des fresques du sanctuaire de Plout à Saint-Marcel et de Marseiller à Verrayes. Sur la façade, à 15 mètres de haut, sur le fronton, on peut admirer « […] la grande statue de la sainte Vierge, en cuivre battu, dans la même pose que celle de notre cathédrale » 16 . L’inauguration se fait en grande pompe, à la présence de Monseigneur Jourdain, évêque d’Aoste. C’est le 28 octobre : l’automne bat son plein et la pluie tombe depuis le jour avant. À huit heures du matin, au départ de la procession pour accompagner à son nouveau sanctuaire la statue de la sainte Vierge « sortie des ateliers de M. Roydor de Paris »17, la pluie cesse « pour donner le temps à la procession de défiler avec le précieux fardeau que portaient quatre prêtres revêtus de chapes, au milieu de chants de triomphe, de brillantes fanfares d’une musique choisie, et du son des boîtes »18. La fête continue pendant la nuit avec des feux de joie dans les villages et des feux d’artifices dans le Bourg. Mais la pluie battante a repris à tomber pour la fête profane… Un siècle après exactement, en 1955, on inaugure Aoste, dans le Quartier Cogne, l’église d’une nouvelle paroisse de la ville et elle est intitulée à l’Immaculée Conception. Tout est bon pour la promotion de l’Immaculée : apparitions, prodiges et miracles, consécrations de lieux et monuments, chants et poésies, publications diverses. Chacun, chaque membre de la grande communauté catholique, doit apporter sa contribution selon ses qualités et ses capacités. L’imagination a quartier libre : alors, pourquoi pas la traduction en patois valdôtain de la Bulle de Pie ix ? 19 Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Dans toutes les langues du monde… L’idée est venue à l’abbé Marie Dominique Sire (1827-1917), Père Sulpicien, d’une grande dévotion mariale, professeur d’abord au séminaire du Puy, enfin vicaire da la paroisse de saint Sulpice de Paris. Il commence par rassembler dans le monde entier toutes les études, enquêtes et autres textes ayant précédé et préparé le document papal. Il en fait 300 volumes qu’il dépose aux pieds de la Vierge du Puy-en-Velay. Mais ce n’est que le début… En 1860, l’abbé conçoit l’idée de traduire la Bulle de Pie ix Ineffabilis Deus proclamant le dogme de l’Immaculée Conception en toutes les langues du monde, y compris les langues mortes qu’on pourrait éventuellement retrouver. Le réseau de l’église catholique dans le monde est bien organisé et l’initiative de l’abbé Sire, une folie comme on l’a souvent définie, obtient pourtant une réponse inattendue : il y aura des versions « […] en langue sauteuse (lac Huron), en algonquin et en iroquois, aussi bien qu’en mongol, en tibétain ou en kunié, langue de l’île des Pins en Nouvelle Calédonie »19. Mais, au-delà de l’exotisme, il y a la place aussi pour les bons dialectes européens, français en premier lieu. Nous avons des versions de Normandie, de Franche-Comté, du Poitou dans ses trois variétés du Haut-Poitou, du Niortais, du Bocage Vendéen. La traduction en dialecte niortais a été confiée à un enfant du pays, l’abbé Bouin, aidé par son frère20. Les différentes versions sont, généralement, soumises à l’attention de l’évêque ou de l’autorité territoriale religieuse compétente. Plusieurs ont même obtenu l’imprimatur qui reconnaît la fidélité de la traduction proposée. Les travaux sont présentés souvent sous des reliures très riches, œuvres d’orfèvres avec émaux et pierres précieuses. Les textes sont calligraphiés comme des manuscrits du Moyen-âge et enrichis d’enluminures précieuses. La version en poitevin de Poitiers est particulièrement soignée. Réalisée par la Maison du Sacré-Cœur, le plat supérieur de la reliure représente Notre-Dame-des-Clés, entourée de plaques d’émail bleu et de motifs d’or filigrané. La traduction de la Bulle est précédée par la liste des saints du Poitou, plus de 140, puis de l’histoire illustrée du diocèse avec la reproduction de plusieurs églises poitevines. Les premiers volumes arrivent à Rome en 1865, mais l’abbé Sire pense que l’ensemble des traductions devrait trouver dignement place dans un meuble de présentation auquel travaillerait Paul Christofle, orfèvre de la Manufacture des porcelaines de Sèvres. La collection au Vatican Le tout, 106 volumes et le meuble de présentation, sont prêts en 1878 et remis au Pape Léon xiii, successeur de Pie ix. Les différentes versions sont réunies par affinités linguistiques dans les cent-six volumes. En 1993, les manuscrits seront versés à la bibliothèque apostolique vaticane. On n’en trouve plus que 82 volumes et deux reliures sont vides. Monseigneur Louis Duval-Arnould est chargé de l’inventaire de la collection et, en 2002, il en publie la description21. En 2005/2006, Isabelle Saint-Martin, maître de conférences à l’École Pratique des Hautes Études, section des sciences religieuses, étudie à Rome les volumes, intéressée surtout aux 20 aspects artistiques de l’œuvre. Ce patrimoine, soigneusement conservé par le Vatican, petit à petit, est exploré par des chercheurs et sa richesse s’affirme, au fur et à mesure, à l’attention de la communauté scientifique. Pour sa valeur de témoignage de dévotion, pour sa forme artistique bien sûr, mais aussi pour son importance de document linguistique, la collection est de plus en plus étudiée. Y aurait-il, parmi les différents manuscrits enluminés, la traduction de Cerlogne ? Édouard Bérard l’a-t-il fait suivre22 ? L’a-t-il faite enluminer ? Si oui, est-elle encore là, au Vatican, avec toutes les autres ? Malheureusement, je ne suis pas encore à même de répondre à la question. Les procédures pour accéder au document ont été mises en œuvre. Confiant, j’attends. n o t e s Gorret Amé, Autobiographie et écrits divers, Administration Communale de Valtournenche, S.G.S. Turin, 1987. 2 Cerlogne Jean-Baptiste, Les étapes de la vie, 1902 in « Noutro Dzen Patoué », N° 7, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974. 3 Cerlogne Jean-Baptiste, Sermons et retraites, in « Noutro Dzen Patoué » N° 7, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974, pages 678-679. 4 « qui est au dessus de tout ce que nous pouvons dire ». 5 Willien René, Genèse de la graphie de Cerlogne, in « Noutro Dzen Patoué », N° 7, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974, page CXLVIII. 6 Careggio Alberto Maria, La religiosità popolare in Valle d’Aosta, Tipografia Valdostana, Aosta, 1995. 7 L’Indépendant du 30 décembre 1854, p. 2. 8 L’Indépendant du 11 décembre 1855, p. 1-2. 9 L’Indépendant du 11 décembre 1855, p. 1-2. 10 L’Indépendant du 11 décembre 1855, p. 1-2. 11 Le Constitutionnel du 13 décembre 1855. 12 L’Indépendant du 14 décembre 1855, p. 3. 13 L’Indépendant du 11 décembre 1855, p. 1. 14 L’Indépendant du 11 décembre 1855, p. 1. 15 L’Indépendant du 26 octobre 1855. Il s’agit de Lucat Grat-Joseph, né en 1812 à Torgnon, curé de Saint-Vincent de 1844 à 1862, ardent propagateur de la dévotion envers la Sainte Vierge. Frère de Victor-Joseph et de Aimé-Joseph-Marie qui ont aussi embrassé la carrière ecclésiastique. Il meurt en 1870. 1 21 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne L’Indépendant du 26 octobre 1855, page 2. L’Indépendant du 2 novembre 1855, page 3. 18 L’Indépendant du 2 novembre 1855, page 3. 19 Pitette Yves, Une “folie” pour l’Immaculée Conception, in « La Croix » du 11 août 2004. 20 Allocution du Père André Ridouard, faite le 1er décembre 2004, à l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation du dogme. 21 Duval-Arnould Louis, La collection Sire de la bibliothèque vaticane, Miscellanea bibliothecæ apostolicæ IX, N° 409, Rome, 2002. 22 « Celui-ci fit insérer cette traduction dans le Recueil qui contient la traduction de cette Bulle en 250 langues ». 16 17 Cerlogne et Henry don Ivano Reboulaz Introduction Le 16 novembre 1941 l’Abbé Henry (1870-1947) écrivait à l’Abbé Jean-Édouard Séraphin Jaccod, né le 4 juin 1870, prêtre le 27 mai 1893, qui avait partagé avec lui et avec d’autres, dont Monseigneur Joconde Stévenin, le premier essor des œuvres so ciales catholiques. Henry et Jaccod avaient le même âge, tandis que Stévenin avait cinq ans de plus. b i b l i o g r a p h i e Careggio, Alberto Maria, La religiosità popolare in Valle d’Aosta, Tipografia Valdostana, Aosta, 1995. Cerlogne, Jean-Baptiste, Les étapes de la vie, 1902 in « Noutro Dzen Patoué », N° 7, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974. Duval-Arnould, Louis, La collection Sire de la bibliothèque vaticane, Miscellanea bibliothecæ apostolicæ IX, N° 409, Rome, 2002. Gorret, Amé, Autobiographie et écrits divers, Administration Communale de Valtournenche, S.G.S. Turin, 1987. Henry, Joseph-Marie, Histoire populaire, religieuse et civile de la Vallée d’Aoste, Imprimerie Marguerettaz, Aoste, 1967. Noutro Dzen Patoué Nos 7-8, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974. Pitette, Yves, Une “folie” pour l’Immaculée Conception, in « La Croix », 11 août 2004. Willien, René, Genèse de la graphie de Cerlogne, in « Noutro Dzen Patoué », N° 7, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974, page CXLVIII. 22 « Mon cher ami – écrit donc l’Abbé Henry – j’ai reçu ta bonne lettre. Tu m’as bien fait plaisir de m’écrire. On devient vieux et on n’aime plus converser qu’avec les vieux. C’est notre sort : vieux avec vieux et jeunes avec jeunes : c’est l’unique moyen de se comprendre… Moi je suis fatigué et frustré : j’ai donné en son temps ce que j’ai pu donner : maintenant la force et la veine sont épuisées… Écris-moi de temps à autre et sachons, ceux de ‘70, de tenir bon. Ton vieux compagnon abbé Henry ». 1. Comparaisons chronologiques Après la lecture de cette lettre, si nous remontons en arrière d’environ 40 ans, quand l’Abbé Henry n’avait que trente-et-un ans, nous serions étonnés, peut-être, de sa fréquentation de l’Abbé Jean-Baptiste Cerlogne. Entre les deux, en effet, il y a un décalage de 44 ans : Henry étant né le 10 mars 1870, et Cerlogne le 6 mars 1826. Ils ne se sont rencontrés, bien probablement, qu’en 1901, quand Cerlogne était rentré de son exil dans le Piémont et installé à Vieyes d’Aymavilles, au mois de mai, et en même temps Henry était vicaire 23 Cerlogne et Henry CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne à Saint-Pierre, à deux heures seulement de route, et d’où il partira en 1903 pour rejoindre la paroisse de Valpelline, après un court séjour à Pollein. Presque tout, apparemment, leur était différent : l’âge tout d’abord, mais encore leurs milieux, leurs formations, les étapes de leurs vies. Cerlogne avait été berger, puis écolier, à Saint-Nicolas, dans un milieu tout-à-fait rural, puis ramoneur, soldat, cuisinier, étudiant dans sa paroisse sous le curé local, puis séminariste et enfin prêtre à l’âge de 38 ans, en 1864. Au contraire, Henry avait été écolier à Courmayeur, dans une paroisse qui s’ouvrait au tourisme et à l’alpinisme (son père était guide de montagne), à 10 ans il était élève de la Maîtrise près de la Cathédrale d’Aoste, puis séminariste de 16 à 22 ans, et enfin prêtre à 22 ans et 9 mois. Cerlogne se qualifie lui-même comme pauvre, et il l’était vraiment, tandis qu’Henry, malgré qu’il touchât des subsides (sa fortune étant pauvre, d’après les archives du Séminaire), l’était bien moins. La pauvreté de celui-ci était due surtout à son état d’orphelin de son père depuis l’âge de 13 ans. Son service à la Maîtrise, en tant que sous-directeur et surveillant de 18 à 20 ans lui valut de ne pas payer la pension au Séminaire pendant deux ans. Henry devint prêtre en 1892, la loi ecclésiastique, codifiée ensuite par le Code de Droit Canon de 1917 ne permettait pas l’accès au sacerdoce avant 23 ans accomplis, ou, en cas de dispense, 6 mois avant, et en des cas exceptionnels, même 15 jours avant les 22 ans et demi. Cerlogne, lui, n’avait pas eu besoin d’aucune dispense, mais curieusement Henry et Cerlogne sont devenus prêtres le même jour de l’année, c’est-à-dire le 17 décembre. La formation intellectuelle de Joseph Henry a donc été plus complète et plus rapide : il a fait partie de la troisième ‘’fournée’’ d’élèves de la Maîtrise, celle de 1880 à 1886, sous la houlette du professeur et supérieur le Chanoine François Béthaz. Celui-ci, né à Valgrisanche en 1833, avait été jésuite en France et puis, à partir de 1869, prêtre diocésain, professeur à la Maîtrise qui venait d’être réouverte par le Père Laurent le 21 décembre 1868, et il en devint le directeur de 1875 jusqu’à sa mort, le 25 juin 1893. Il a donc accompagné et suivi trois fournées d’élèves, celle de 1875 à 1880 où se forma Jean-Joconde Stévenin ; celle de Josehp Henry (1880-1886) et celle d’Anselme Trèves (1886-1892), pour ne citer que les prêtres qui feront le plus parler d’eux à l’âge adulte et qui animeront la vie politique, sociale et culturelle , et spirituelle aussi (l’abbé Trèves est mort en odeur de sainteté en 1934), à partir de la fin du xixe siècle et pendant la première moitié du xxe siècle. Les élèves de la Maîtrise devaient entre autre assurer le service aux cérémonies liturgiques à la Cathédrale, et le chanoine Béthaz était maître de chant au Grand Séminaire. 24 « Les mêmes élèves restaient 5 à 6 ans à la Maîtrise et y faisaient le cours de gymnase. Ce cours fini, ils entraient au Grand Séminaire et une nouvelle fournée venait les remplacer ». (Abbé Henry, note sur la Maîtrise de la Cathédrale d’Aoste, Aoste, 1919) Stévenin, Henry et Tréves ont donc été formés pendant leur adolescence de la même main : Stévenin avait cinq ans de plus qu’Henry, et Trèves cinq ans de moins. En tout cas, Henry était à la Maîtrise quand parut le livre de Jean-Baptiste Cerlogne : Poésies en dialecte valdôtain. Il avait 19 ans. Faut-il penser que ce livre lui donna, ou lui éveilla le goût pour le dialecte valdôtain, qu’il connaissait bien sûr à la mode de Courmayeur depuis son bas âge, et à la mode d’Aoste depuis son adolescence ? Nous le pensons seulement, parce qu’Henry n’a rien écrit à ce propos, au contraire de Cerlogne qui a compté les étapes de sa vie. Mais en même temps qu’il se dédiait aux œuvres sociales catholiques, tout comme son ami et contemporain l’Abbé Jaccod, tout comme Stévenin et d’autres, à la suite des indications du pape Léon xiii prônées dans l’encyclique Rerum Novarum de 1893, il a sûrement cultivé le patois. Les étapes de la vie d’Henry se déroulent à Doues, quelques semaines seulement, puis à Cogne (deux ans), à Verrayes (trois ans), à La Salle (deux ans), à Saint-Pierre (deux ans) et finalement à Valpelline, de juin 1903 au 27 novembre 1947, jour de sa mort. À ce temps-là, et dans ces pays-là, tout le monde parlait le patois, et le français aussi. 2. Intérêts communs L’Abbé Henry, jeune prêtre, s’intéresse à tout : à l’alpinisme, à la divulgation des œuvres sociales à la flore, à la littérature et à l’histoire. 2. 1 À l’alpinisme En 1893 il célèbre la première messe au sommet du mont Blanc, étaient avec lui les Abbés Proment et Bonin (par la suite curé a Roisan). Celui-ci avait accompagné Monseigneur Achille Ratti, futur pape Pie xi, lors de la première descente du mont Blanc du côté valdôtain (c’était en 1890). Il faut reconnaître que Cerlogne n’a pas été maître d’Henry en ce qui concerne l’alpinisme, la dimension verticale lui est inconnue, mais la nature et la montagne lui étaient bien familières, tout comme à ce vieux berger de la paroisse de Bionaz qui me confiait avec un fier réalisme qu’il n’avait jamais voulu monter dans la montagne plus en-haut que les vaches : yaou que van le vatse !… 25 Cerlogne et Henry CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne 2. 2 Aux œuvres sociales 2. 4 À l’histoire et à la littérature Le journal Le Duché d’Aoste, fondé en 1894, de 1895 à 1897 est confié à un groupe de prêtre défini “i preti rossi” : Jean-Joconde Stévenin, François Visendaz, Léon-Pierre Manzetti et Joseph Henry. Avec ses articles, ce dernier prône la création des caisses rurale d’épargne, des assurances contre les incendies, des coopératives pour la production et le commerce des denrées, il favorise l’Imprimerie Catholique et les Docks Valdôtains, les deux œuvres les plus connues de l’engagement clérical dans le domaine social en ses années-là. (Celui qui écrit se souvient que ses parents se rendaient là pour acheter leurs marchandises…). L’Abbé Henry est connu au grand public valdôtain surtout pour son Histoire Populaire Religieuse et Civile de la Vallée d’Aoste, ouvrage qui a été précédé par bien d’autres écrits d’histoire et de littérature. Dans ce domaine, à partir de 1902, il donne un coup de main à Cerlogne. Celui-ci n’est pas un historien et il se contente d’idéaliser le passé avec nostalgie, en le considérant comme l’âge d’or de la Vallée d’Aoste et de l’Église. Il a quand même publié quelques réflexions sur l’histoire contemporaine, par ex. ses Réflexions de l’Ermite de St-Roch de 1893, où il compare la révolution française avec la situation italienne après la prise de Rome de 1870, ou encore l’Apologue de 1894 qui est une plainte de l’Italie Henry transmet dans sa collaboration au Duché d’Aoste les contenus de la Rerum Novarum, les problèmes de la mécanisation, de la grève, du juste salaire pour les ouvriers…, selon les idées qui relèvent de l’action catholique et sont contraires à celles du socialisme. Selon lui, il y a incompatibilité complète entre le socialisme et le christianisme, et les congrès pour l’action catholique sont « la plus sublime expression du réveil catholique ». Si Cerlogne, qui entre autre reçoit le journal dans ses étapes piémontaises et s’en réjouit, est contraire par principe à la modernité, qu’on lise par exemple Lo tsemin de fer de 1886, Henry lui est favorable. Les deux, cependant, se retrouvent unis dans l’exaltation du monde rural : le paysan est pour Henry la force de la société, et sûrement la vie du campagnard décrite dans les poésies de Cerlogne les plus connues, c’est-à-dire la Bataille di vatse a Vertosan et Merenda a Tsesallet lui paraissait comme le modèle à suivre pour tous les Valdôtains. « J’étais gaillarde, riche et belle, Sous mon beau ciel tout prospérait ; Nul sujet ne m’était rebelle, Partout la concorde régnait… ». 2. 3 À la flore Henry est inscrit à la Société de la Flore valdôtaine, depuis 1901, il en est le président, il a collaboré avec l’Abbé Pierre Chanoux pour la création du jardin alpin au Petit-Saint-Bernard inauguré en 1898, et en 1901 il a fondé “son” jardin à Courmayeur. À l’inauguration de celui-ci, le 22 juillet 1901, Cerlogne est présent. Henry lui avait rappelé l’invitation le 20 juillet, par le moyen d’une carte postale. Après la fréquentation littéraire à travers les poésies et le journal, c’est donc le moment de la collaboration avec celuici. On sait que Cerlogne écrivit une poésie pour célébrer le jardin alpin de Courmayeur : « Pé recoueilli se fleur, Henry, l’ami de Flore, Dei l’arba di matin allondze se dzarret… Beyen a la santé… De qui sent din son cœur l’amour patriotecco Flamé come ci-lè de notro abbë Henry ». 26 On peut rapprocher Cerlogne à Henry aussi dans la fidélité, voire la flatterie, envers la maison de Savoie, qui a donné les rois à l’Italie. 3. Collaboration et amitié 3. 1 C’est dans la production littéraire de ses dernières années que Cerlogne devient proche d’Henry qui, plus encore que disciple, lui est conseiller et collaborateur. Henry l’exhorte et l’aide pour publier Les étapes de la vie dans l’édition de 1902, en lui apportant des corrections ou d’adaptations, comme par exemple en introduisant la poésie dédiée aux touristes de Courmayeur : 27 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne et Henry « Encore sur le charme des beaux jours qu’il [Cerlogne] passa à Courmayeur lors de l’inauguration du jardin Henry, il écrivit et dédia au Villeggianti de Courmayeur la poésie suivante ». - la carte postale du 16 janvier 1907 ; - la lettre du 26 décembre 1907. À noter que de ces neuf pièces, la première seulement n’aborde pas un argument littéraire, c’est celle du 20 juillet 1901, concernant l’inauguration du jardin Henry (deux jours avant !), et la dernière que nous possédons, celle du 19 février 1909, donne reçu de la dernière fatigue de Cerlogne, Le Chant du Cygne en l’honneur du nouvel évêque d’Aos te, Monseigneur Vincent Tasso. Dans la poésie, en français, Cerlogne dit : « Souvenez-vous des sept cent plantes, / pupilles de l’abbé Henry… ». Il reconnaît dans la préface du livre que « se trouvant dans sa 77ème année et perdant la vue, il a été heureux de l’offre que M. l’abbé Henry lui a faite de lui prêter ses yeux et sa main pour éditer cet opuscule. Il lui doit ses remerciements et sa reconnaissance ». 3. 2 Dans deux lettres, celles du 14 janvier 1903 (envoyée depuis SaintPierre) et du 24 janvier 1906, donc trois ans plus tard (quand Henry est curé à Valpelline), Henry cite la poésie de M. le Prof. Zuccaro, publiée par Cerlogne dans le livre de 1889, Poésies en dialecte valdôtain : Après l’été 1901, celle de l’inauguration du “Jardin Henry”, Henry est encore près de Cerlogne l’année suivante, 1902, pour la fête de ses “noces d’argent doré” : le 38e anniversaire de l’ordination sacerdotale de Cerlogne, le 50e anniversaire de la première poésie en patois, et aussi le décernement de la Croix de Chevalier de l’Ordre des Saints Maurice et Lazare, à la suite de l’envoi au roi Victor Emmanuel iii de Les Étapes de la Vie (édition de 1902). Dans les Étapes de 1904, Cerlogne écrit qu’après avoir reçu la boîte de la décoration, « sur le champ il va à Saint-Pierre pour partager sa surprise et sa joie avec son ami l’abbé Henry. Mais celui-ci n’y étais pas ; il était avec ses fleurs à Courmayeur ». (En passant, il ne faut pas oublier qu’Henry lui-aussi recevra en 1922 la nomination à Chevalier-Officier de la Couronne d’Italie). C’est l’Abbé Bionaz, curé de St-Nicolas, qui organise la fête qui se déroule à Saint-Nicolas le 30 octobre, mais Henry qui est encore vicaire à Saint-Pierre, lui donne un grand coup de main, comme on lit dans les Étapes de 1904. 3. 3 Mais on sait que l’encouragement et la collaboration d’Henry se déploient surtout dans la publication du Dictionnaire du Patois Valdôtain. Nous en avons la preuve dans la correspondance qui nous reste entre Cerlogne et Henry : sur neuf pièces qui nous sont restées, six ont pour sujet le Dictionnaire : - la carte postale du 22 avril - la carte postale du 7 décembre 1902 (un mois à peine après la fête du 30 octobre) ; - la lettre du 14 janvier 1903 ; - la lettre du 24 janvier 1906 ; 28 «Forse egro è il corpo e l’alma è oppressa dal dolore… Non tralasciar così». Comme déjà Zuccaro, Henry encourage Cerlogne a ne pas abandonner l’œuvre commencée. Henry offre encore sa collaboration : « Venez (à Valpelline) lorsque l’avancement de votre ouvrage est à un point tel que vous croyez avoir besoin de moi. Le plus tôt est peut-être le mieux ». (lettre du 24 janvier 1906) Il n’y a pas de liste des hôtes à la cure de Valpelline, mais on sait que Cerlogne y réside souvent : « Dans un long séjour qu’il fit à Valpelline, il publia son Dictionnaire du patois Valdôtain… » (Henry, en 1929, dans Histoire populaire civile et religieuse de la Vallée d’Aoste), et en plus des pages pour le Dictionnaire, y compose des poésies en l’honneur d’Henry. Le Dictionnaire voit le jour en fin d’année 1907, avec la fortune que l’on sait, malgré la publicité qu’Henry essaye de passer à la rédaction du Duché d’Aoste. 29 Cerlogne et Henry CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Henry en écrit la postface : M. l’abbé Cerlogne. C’est pourtant ce que j’ai fait. Je répare ici ma distraction inconcevable. Tout mal ne vient pas pour nuire. Tout seul, à la fin du livre, dans un cadre à lui, mon bon ami Cerlogne n’en ressortira que mieux…. Plus que tout autre je l’ai fréquenté, depuis 1901 je l’ai aidé à publier ses livres ; or, jamais je n’ai vu en lui qu’une candeur d’enfant, et je crois bien qu’il est mort avec l’innocence baptismale. blanc, pur, est mon cœur, dit-il de lui-même dans la Vie du petit ramoneur. – Oui, ce fut bien cela toute sa vie, du berceau à la tombe : un cœur blanc et pur ». « …j’ai dit que M. Cerlogne est le premier écrivain du patois : il est peut-être aussi le dernier… ». 4. Témoignages 4. 1 La postface au Dictionnaire est le premier témoignage d’Henry envers son ami et maître de patois : « Il faut cependant en convenir, M. Cerlogne s’est trouvé dans la meilleure des conditions pour cultiver le patois. Il ne lui est point arrivé comme à nous autres d’avoir été arrachés de la main paternelle à l’âge de 10 à 12 ans et d’avoir étudié et été obligé de parler exclusivement, dans un collège, l’italien et le français…. Beaucoup de savants qui font aujourd’hui des études sur le patois, n’ont la plupart du temps, jamais parlé cette langue dans leur jeunesse : les mots qu’ils vont collectionnant çà et là sur la bouche des campagnards sont assez souvent sujets à caution…. M. Cerlogne a sur eux l’avantage qu’il connaît le patois luimême, qu’il en saisit tout le génie et que sa modeste culture intellectuelle n’est pas venue gâter sa simplicité native ». 4. 4 Ce tableau contraste avec le souvenir que l’abbé Amé Gorret a tracé sur Cerlogne (sans le nommer directement) dans son Autobiographie : « …À Champdepraz où je n’étais ni curé ni vicaire, avec la charge de tout l’odieux et les mains liées pour le bien et sa rétribution ; la plus triste des besognes que l’on puisse vous endosser…. Au commencement d’octobre 1880 je vis rentrer à sa cure le curé titulaire de Champdepraz, je devais m’y attendre, la saison des vendanges s’ouvrait. Je me serais attendu à le voir arriver avec de l’argent pour régler ses comptes et surtout les miens, à moi qui devais partir de suite. Il n’en fut rien, mon départ était bien fixé, mais les comptes étaient remis à quando cœli… Entre autres choses je n’ai jamais pu savoir ce qu’est devenu un hectolitre de vin qui devait bien être à moi. C’est toujours de cette façon qu’on aime à faire les comptes avec moi ». 4. 2 Henry écrit une deuxième fois sur Cerlogne en 1914, quatre ans après sa mort, un article publié dans la revue La Pensée de France, Paris, 1914 : « J’ai vécu dans l’intimité du bon Cerlogne durant les huit dernières années de sa vie. C’est moi surtout qui l’ai poussé à écrire les Étapes de sa vie et à publier son Dictionnaire. Ces deux livres ont même été revus par moi, page par page ». 4. 3 Une troisième fois Henry parle de Cerlogne, c’est en 1929, avec l’édition de l’Histoire Populaire Civile et Religieuse de la Vallée d’Aoste : « Croirait-on possible que dans cette Histoire j’aie oublié une des personnalités les plus marquantes de la Vallée d’Aoste : 30 4. 5 Le nécrologe de Cerlogne sur le premier numéro du Messager Valdôtain, en 1912 est dû à la plume de l’abbé Romain Vesan : « C’est regrettable que l’abbé Cerlogne soit descendu dans la tombe, car il saluerait l’apparition de cet Almanach valdôtain avec enthousiasme, après l’avoir enrichi d’une de ses compositions si géniale et si vraie » (c’est-à-dire : le s-ou et le dove comére). On se serait attendu que le nécrologe ait été signé par l’abbé Henry, qui au contraire dans le même premier numéro écrit l’histoire de la rencontre de l’abbé Gorret avec Carducci à Courmayeur, et un article sur les Minières de la Vallée d’Aoste. 31 Cerlogne et Henry CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Encore : la présentation de Cerlogne dans L. Colliard, La Culture Valdôtaine à travers les siècles, Aoste, 1967 ; et encore : J. Bréan, L’École valdôtaine, 1957. originaux : c’est de sa plume pleine de verve qui sont nées toutes les “historiettes” en patois, signées X. Il suffit de parcourir, un à un, les numéros du Messager qui du 1920 remontent jusqu’au 1948, pour retrouver son “humour”, son esprit toujours jovial, simple, profondément valdôtain ». 5. L’Abbé Henry, écrivain patoisant En écrivant la postface au Dictionnaire, Henry dit que « Cerlogne est le premier écrivain du patois : il est peut-être aussi le dernier. Malheureusement, non seulement le français, mais même le patois tend à disparaître de chez-nous. Dans la Basse Vallée, surtout dans les bourgades on parle déjà communément le piémontais ». La sinistre prophétie d’Henry ne s’est pas encore complètement réalisée, du moins en ce qui concerne les écrivains patoisants : Henry en est un, et pas le moindre. Qu’il suffise de regarder sa production littéraire en patois : les numéro du Messager Valdôtain en témoignent. Celui de 1936 remercie les collaborateurs : « À la tête de cette phalange, le poste d’honneur revient de droit à l’Abbé Henry, curé de Valpelline. Ce nom vaut, à lui seul, tout l’Almanach…. Henry est l’auteur des Mots en patois qui agrémentent avec bien de charme et de bonhomie le Messager Valdôtain. Là dessus, sa verve est inépuisable, il suffirait de cette rubrique, pour en faire le collaborateur le plus original, le plus typiquement Valdôtain de tout l’Almanach ». Le Messager de 1937 publie la première contribution d’Henry sur les Vieux noms patois des localités valdôtaines (les autres seront publiées en 1938, ‘39, ‘40 et ‘42) : « Notre patois jette de profondes racines dans le vieux passé : mais dans le long chemin des siècles, il s’est, plus ou moins transformé. Ce qui s’est moins gâté et est parvenu jusqu’à nous presque intact, c’est le nom des localités…. Mais il ne faut pas prendre les noms de localités comme ils sont écrits aujourd’hui dans les livres, les cartes, les cadastres, par des gens qui ne connaissent pas, la plupart du temps, le patois du pays…. Mais surtout, surtout il faut faire parler les vieux paysans et écrire les noms patois sous leur dictée en faisant bien attention de saisir les moindres nuances de la prononciation ». On peut bien dire que l’Abbé Henry à continué l’œuvre de ses prédécesseurs et maîtres. Il est le continuateur de Cerlogne dans la littérature en patois, de Mgr Duc dans l’histoire, de Chanoux dans la botanique, de Gorret dans la littérature de montagne…. La lettre à l’Abbé Jean Jaccod, citée au début de ces notes, nous révèle encore un projet de celui-ci jamais réalisé et qu’Henry encourage : « un dictionnaire du patois que tu as en vue couronnerait bien ce beau travail. Ainsi donc courage ». 6. Derniers témoignages (ou surprises…) 6.1 On connaît la poésie que Cerlogne écrivit en l’honneur d’Henry pour le jour de sa fête : Air Hymne de Saint Joseph, et publiée sur le Duché d’Aoste à la date du 27 mars 1907 et puis sur Noutro dzen patoué, aux soins de René Willien : « Tè, Josè, t’a lo choen, lo dzor de ton Patron, A l’ami pitoquen, de baillé ci routi Que le jus, din lo ris, feit mindzé volontsë Et todzor de boun’appeti ». En tout cas, Cerlogne se trouvait à Valpelline pour travailler à son Dictionnaire sous la supervision d’Henry, comme on sait. Le Messager de 1949 porte le nécrologe de l’Abbé Henry (étant mort le 27 novembre 1947, le numéro de 1948 était déjà sous presse) : « Le Messager valdôtain, depuis de longues années, comptait l’Abbé Henry parmi ses collaborateurs les plus assidus et 32 Feuille manuscrite de l’abbé Jean-Baptiste Cerlogne (document présenté par don Ivano Reboulaz) 33 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne et Henry 6.2 Valpelline, le 27 juillet 1909 Mais le grand public ne connaît pas, je pense, une autre poésie composée par Cerlogne en l’honneur d’Henry le 27 juillet 1909. Elle a été trouvée lors d’une incursion dans un galetas d’une vieille maison d’Aoste, donc au hasard. La maison était la résidence des anciens prévôts du Chapitre de la Cathédrale d’Aoste. Comment la poésie est-elle finie là-bas ? On n’en sait rien, d’autant plus que le carton sur lequel elle est écrite par Cerlogne lui-même reporte aussi, au verso, la poésie précédente qui est ici sans date. No fëten vouë Saint Panteillon De Valpellina lo Patron… Pe profitë de ci dené Dze me si pà fé trepellé. Les deux poésies ont été publiées dans le Bulletin des Paroisses du Buthier (Bionaz, Oyace, Valpelline et Ollomont) aux mois de juillet et d’octobre 2006. Voilà donc la poésie de 1909 : Enry, tsi tè ren de nouvë, Te sà refrëtse mon gourbé; Te plat, pe la vertu que l’an, A mè, soven, touton la fan. Bientou me dou dzor son passà: Ara, que dzi teut le pei gris, Soven me force l’apeti A tsertsé de dené gratis. Gràce a Josè dze si lodzà… Gràce a son saint di boteillon Dzi bu de ton cllièr un bon cou!… Tanque. A refére un âtro cou. Lo vioù queren [?] Feuille manuscrite de l’abbé Jean-Baptiste Cerlogne (document présenté par don Ivano Reboulaz) 34 L’Abbé Joseph-Marie Henry (Archives du Centre d’Études Fonds René Willien) 35 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne et Henry 6. 3 Le dernier témoignage que j’ai voulu garder pour la fin de mon exposé se trouve encore à Valpelline, cette fois-ci dans l’église paroissiale : un des vitraux faits installer par le curé Henry en 1914, qui entre autre est aussi l’année de l’inauguration à Saint-Nicolas du monument à Cerlogne, reporte quelques mots de la Pastorale de Cerlogne, que maintes fois Henry a dû jouer à l’harmoniun asthmatique de la paroisse en l’enseignant à la chorale “Les chanteuses de l’Abbé Henry” : Parten parten l’est dza douze oure…. Comme si l’abbé Henry voulut que le souvenir de son maître et ami restât à jamais sous les yeux et dans l’oreille de ses paroissiens. Version originale La nuit d’un voile sombre, feuille volante publiée par l’Imp. Mensio, Aoste et l’adaptation en patois de l’abbé Jean-Baptiste Cerlogne (Archives du Musée Cerlogne, Saint-Nicolas) 36 37 Marius Thomasset, ami et disciple de Cerlogne Lidia Philippot Ami et disciple de Cerlogne : cette définition de Marius Thomasset revient à René Willien qui le considérait le trait d’union entre les pionniers patoisants (Cerlogne en premier lieu, mais aussi Désiré Lucat, l’abbé Henri, le chanoine Bérard etc.) et la nouvelle génération de poètes (les Ferret, Binel, Martinet, RoncDésaymonet, etc.) qui, autours des années 1950, ont donné lieu à la Nouvelle Renaissance du patois. En fait, à l’époque, de tous ceux qui avaient connu et fréquenté l’Abbé Cerlogne, Marius Thomas set était le seul encore vivant. Originaire de Saint-Nicolas comme Cerlogne, il était né en 1876, juste 50 ans après son illustre compatriote. Issu d’une famille aisée1 qui lui avait assuré la possibilité d’étudier et de devenir instituteur, il a exercé cette profession pendant plus de 40 ans à Villeneuve où il s’était établi, après son mariage. Or, il est probable que pendant son enfance à Saint-Nicolas, Thomasset ait eu la possibilité de rencontrer l’abbé Cerlogne ne fut-ce qu’à l’occasion de quelques unes de ses visites au pays natal, ce qui est certain c’est qu’il en connaissait déjà les œuvres. À ce propos, dans la préface de Mes premiers essais il écrit : À huit ans, modestie à part, après une année d’école dans mon village, je lisais couramment diverses pièces en patois, comme : La Valdoteina, la Pastorala, Marenda a Tsesalet, la Bataille di vatse, lo Tsemin de fer etc. Et pourtant à l’école on n’enseignait pas le patois, mais bien le français et l’italien. Cependant, compte tenu du décalage d’âge qui les séparait, de vrais liens d’amitié n’ont pu s’établir entre eux que beaucoup plus tard quand Cerlogne, las de tant d’errances comme chapelain dans les vallées du Piémont, est rentré en Vallée d’Aoste et a été nommé recteur à Vieyes sur Aymavilles. À l’époque il était déjà avancé en l’âge, avec quelques problèmes de santé tandis que Thomasset était un gaillard de 25 ans. 39 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Malgré la différence d’âge, Thomasset se trouve à être en syntonie avec Cerlogne, il partage son amour pour le pays, pour la religion, pour les mœurs et les traditions du passé et surtout pour le patois. Il ne partage cependant pas son pessimisme exacerbé vis-à-vis de la société et du progrès. Dans le premier chapitre de Mes premiers essais, Thomasset évoque l’un de ces longs entretiens avec Cerlogne où ils parlent de tout un peu et la discussion devient à un moment donné très animée parce que, dit l’auteur, « […] mon ami se retsaoudave et voillet pa comprendre la segnefecachon de la parola Libertà ! [...], – cette liberté qui, d’après Cerlogne – l’a fé grellé su le campagnar totta sor d’impou ». Le 30 octobre 1902 Thomasset est de la partie dans l’organisation de la grande fête que Saint Nicolas réserve à son illustre citoyen : ce sont les noces d’argent dorée par laquelle on fête le 38e anniversaire de messe de l’Abbé Cerlogne, le cinquantième anniversaire de sa première poésie en patois ainsi que la croix de chevalier de l’Ordre des saints Maurice et Lazare qu’il venait de recevoir de sa majesté le roi Victor Emanuel iii. Un compte rendu de la fête, écrit en langue italienne, signé par Marius Thomasset paraîtra dans un journal local et sera inclus avec tant d’autres dans les Étapes de la vie de 1904. Les liens d’amitiés se resserrent. En 1903, Marius Thomasset s’honore d’inviter l’Abbé à ses noces avec la demoiselle Marie Centoz de Villeneuve. Cerlogne accepte car il aime bien l’ambiance de ces fêtes familiales (noces, communion, première messe) et apprécie aussi la bonne chère et le bon vin qui était coutume dans Marius Thomasset, ami et disciple de Cerlogne ces agapes. Une lettre de Thomasset, la seule qui reste de la correspondance entre eux l’informe que la cérémonie aura lieu le premier Août, par un samedi et le renseigne qu’on lui a préparé une monture au cas qu’il souhaite rentrer le jour même à Vieyes. Pour cette occasion Cerlogne lui fera hommage de la poésie Aux époux Marie et Marius qui figure également dans les Étapes de la vie de 1904. Le 30 novembre de cette même année Cerlogne entre au Prieuré de SaintPierre, il n’a plus le courage de passer un autre hiver à Vieyes. Nous n’avons pas de témoignages certains mais il est bien probable que Marius Thomasset lui rende visite de temps à autre d’autant plus qu’il habite tout près, à La Crête, village de l’adret de Villeneuve confinant avec Saint-Pierre. D’après un article paru dans le Duché D’Aoste en mai 1905, nous apprenons que Thomasset a mis la patte aussi dans l’organisation de la fête des Vétérans à laquelle Cerlogne tenait beaucoup. Un bon repas est offert à l’Hôtel du Cerf de Villeneuve à tous les anciens combattants de la première guerre d’indépendance accourus des quatre coins de la Vallée. Le menu est concordé avec Cerlogne qui « ayant égard aux dents de ces vieux ne voulut pas qu’on leur eût donné trop de travail »2 et Thomasset s’évertue à affubler à chaque plat le nom des différentes batailles de la campagne de 1848-49 : Antipasto assortito di Goito, agnelotti di Peschiera, Lesso a la Monzambano etc., Il se termine par un caffè alla Carlo Alberto. Le séjour à l’hospice n’est pas apprécié par Cerlogne, il le ressent comme une espèce de ségrégation, il est inquiet, déçu par le fait qu’il espérait réaliser quelque bénéfice de la vente de son Dictionnaire du Patois Valdôtain qui vient de paraître et qui lui a coûté le travail d’une vie mais il n’en vend que trois copies. En plus il est hanté par des fixations sur la nourriture si bien qu’à un moment donné il accepte volontiers l’hospitalité que lui offre son ami Marius Thomasset dans sa belle maison à La Crête. Il y restera presque deux ans, de printemps 1908 au printemps 1910. Là il écrit encore ses deux dernières œuvres : Le chant du cygne et le Patois Valdôtain, puis il rédige aussi son testament qui porte aussi la signature de Marius Thomasset, en tant que témoin. Enfin, sentant ses forces manquer, il voulut rejoindre son pays natal accueilli, par le curé Émile Bionaz qui l’assistera jusqu’à sa mort. En 1996, on a interviewé madame Espérance Thomasset, fille de Marius. À l’époque, elle était plus que nonagénaire mais elle conservait un esprit vivace et une excellente mémoire. Le but était de recueillir quelques souvenirs sur son père mais elle nous a surpris avec des souvenirs de sa première enfance ayant trait au séjour de l’abbé Cerlogne dans sa maison paternelle. Elle se souvenait d’avoir vu l’Abbé penché sur le berceau de son frère en train de le bercer, de l’avoir aperçu, installé dans un coin de la cour, en train de casser les os du potau-feu que l’on avait consommé au dîner pour les donner aux poules. Il avait une soutane usée et, à la petite Espérance qui lui demandait pourquoi il mettait une robe avec des trous, il répondait : « Ce ne sont pas des trous ce sont des dentelles » et quand il s’asseyait, il cherchait à les dissimuler en repliant sa sou- 40 41 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne tane. À Monseigneur Tasso qui était venu lui rendre visite et qui l’avait salué en lui disant : « Voilà le poète valdôtain », il avait répondu : « Monseigneur, dites plutôt le pauvre être valdôtain ! ». À l’occasion de cet entretien une autre vielle dame s’est jointe à nous, Madame Eugénie Cossard, portant très bien ses 93 ans. Elle aussi avait des souvenirs du séjour de Cerlogne à La Crête. Elle se rappelait que, pour amuser les enfants, l’Abbé racontait les histoires du pays de la Cocagne où l’on faisait rouler les fontines dans les prés et, qu’en été quand la chaleur était accablante, il disait que c’était à cause du Diable qui bourrait sans cesse sa fournaise. Tous les dimanches il disait la messe à la chapelle du village, et faute de bardas pour servir la fonction, il confiait cette tâche à une fillette, chose peu ordinaire en ce temps-là, et surtout, il faisait toujours son sermon en patois. Un autre souvenir évoqué par Madame Thomasset est le départ de Cerlogne : les habitants du village qui venaient lui dire adieu, qui l’aidaient à s’installer sur le chariot et le chariot qui s’éloignait sur le chemin, vers Saint-Nicolas. À propos de son père, madame Thomasset nous a dit qu’il était très peu communicatif en famille, que sa jovialité et sa bonne humeur était un aspect de son caractère réservé à la vie sociale, en dehors de la famille, mais qu’avec ses enfants, il était très exigeant et sévère. D’ailleurs il avait essuyé lui aussi des coups durs de la vie, des cinq enfants qui lui étaient nés, seule l’aînée, Espérance avait survécu, les autres étaient tous morts, enfants ou en jeune âge. En tant qu’auteur patoisant, Marius Thomasset a été le disciple le plus fidèle de Cerlogne. C’est en lisant et relisant ses compositions que l’envie lui est venue d’écrire aussi, tout d’abord il se heurtait aux difficultés de la graphie : « […] je tachais d’écrire en imitant le plus possible le son des lettres des syllabes et des mots, c’est-à-dire en simplifiant l’orthographe, – ensuite il a trouvé ce qu’il fallait. – Plus tard je trouvai dans la grammaire et dans le dictionnaire de l’Abbé Cerlogne, le félibre Valdôtain par excellence, un moyen logique plus expéditif et j’ai continué à essayer d’écrire ». Marius Thomasset. (Archives du Centre d’Études Fonds René Willien) 42 Marius Thomasset, ami et disciple de Cerlogne Ainsi, l’un de ces premiers récits en patois, Lo melet de Batitta, publié par Le Duché d’Aoste en 1907, lui valut les félicitations de Cerlogne qui voulut, entreautre, l’insérer dans son opuscule Le patois valdôtain, son origine littéraire et sa graphie comme exemple d’application de la graphie prônée par lui-même. À cette graphie Marius Thomasset est resté fidèle, à un accent près dans toute sa production qui s’étale sur arc de temps très long mais qui n’est pas très abondante. En tout il a publié trois livrets composés de morceaux en proses et de poésies : Premiers Essais (1910), Pages Volantes (1911) et Nouvelles et dernières pages volantes (1956). Thomasset a été disciple de Cerlogne non seulement dans l’écriture mais aussi dans les contenus à partir de l’épigraphe de Mes premiers essais : « J’aime mon clocher plus que ton clocher, j’aime mon école plus que ton école, j’aime mes enfants en Dieux plus que tout » qui est au fond la paraphrase de celle que Cerlogne a employée dans Les étapes de la vie, les vers de Felix Gras : « J’aime mon village plus que ton village, j’aime ma Provence plus que ta province […] ». Dans son œuvre, il a tout le temps des rappels, des transpositions, des allusions à ce qu’a écrit Cerlogne. Parfois il lui emprunte carrément des vers entiers comme dans le cas de l’incipit de Apologue dans Pages Volantes Valdôtaines : « Dei que l’iver tot invertoillà din sa capota grisa ». Il ne s’agit certainement pas de plagiat, mais plutôt d’une façon de rendre hommage à son Maître-mentor. On a même l’impression parfois que Marius Thomasset se soit imposé des exercices d’application sur les thèmes chers à Cerlogne. Tout en ne partageant pas l’engouement de l’Abbé pour la Maison de Savoie, il a voulu lui aussi dédier une poésie au Roi Victor et à la reine Hélène, Cerlogne était passionné des acrostiches, lui aussi s’y est appliqué en le dédiant à Émile Chanoux qui avait été son élève. Et encore Le s-ou et le dove comère qui ont inspiré la Bataille di femalle, pronosteucca d’un vioù qui rappelle Pronosteucca de Cerlogne et les exemples pourraient continuer. Il a également essayé une petite analyse comparative entre trois variétés de patois parlés en Vallée d’Aoste : celui de Courmayeur, d’Aoste et d’Arnad. Dans ce cas il a eu du mal à rendre certains sons qui ne sont pas prévus dans la graphie de Cerlogne, mais il s’est limité à constater que : « […] La graphie dans nos patois valdôtains, à part l’aspiration de l’h qui n’existe pas dans celui d’Aoste, est très rapprochée pour ne pas dire presque identique ». Il faut dire que son analyse détourne sur les manières différentes de s’exprimer et sur le caractère des habitants de ces trois localités : « L’éloignement dans la tournure des expressions, dans certains termes et surtout pour le style qui se montre bref et sérieux dans celui d’en bas, plutôt naïf dans celui d’en haut ; tandis qu’il est doux et mesuré dans celui d’Aoste ». 43 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Sa fidélité à Cerlogne est totale. Il a bien voulu suivre l’exemple de son Maître et essayer de marcher sur ses pas, même s’il n’avait pas son enjambée… L’œuvre de Thomasset dans son ensemble n’est pas de très grande envergure, par manque peut-être d’un souffle d’inspiration authentique. Ses poèmes sont en bonne partie des compositions de circonstance dont certaines ont une verve agréable. Ce qui est remarquable chez cet auteur, c’est la richesse et la qualité du patois que l’on apprécie surtout dans la prose. n o t e s Dans une note insérée dans le chapitre Autres noces dans « Étapes de la vie » de 1904, l’Abbé Cerlogne nous donne quelques renseignements sur l’origine de cette famille. Marius Thomasset était « Arrière-petit fils de Thomasset Marc dit Lo Gran Marquin. Celuici fit une belle fortune comme associé avec Pierre-Nicolas, père de Joconde et du prêtre Armand, dans le négoce des gruyères qu’ils transportaient en Savoie à dos de mulets, du temps de l’occupation française. Ils portaient aussi du vin et même du riz dans des barils, et, pour contre, ils apportaient chez nous, du sel de Moûtiers, mais dans les barils. Thomasset Marc a été longtemps syndic soit maire de Saint-Nicolas, du temps des Français. […] Le Gran Marquin laissa six garçons, tous mariés et à eux sa fortune ». 2 Fête des Vétérans dans « Bio-bibliographie, Noutro Dzen Patoué » n° 8 pages 932-934. 1 Cerlogne, le chanoine Bérard et quelques autres “amis” Tullio Omezzoli Comme tous les jeunes valdôtains qui franchissaient les confins de leur paroisse natale, Jean-Baptiste Cerlogne était plurilingue, ou du moins avait été exposé précocement à de nombreux systèmes linguistiques : en plus de son patois de SaintNicolas (La lenga de ma mère) il connaissait bien ou mal le français (que lui avait enseigné son père instituteur, et qui imprégnait son milieu), l’argot des ramoneurs1, le dialecte de Marseille2, le piémontais et l’italien – des deux dernières acquisitions il était redevable à son service dans l’armée piémontaise et à la campagne de 1848 –. À l’issue de celle-ci, il rédige à son propre nom et pour le compte d’autres combattants valdôtains3 le Théâtre de la Guerre de 1848, une chronique sobre, désenchantée et même crue des faits dont il a été l’acteur et le témoin4. Le français étant la seule forme d’expression écrite qui lui est familière, il ose s’en servir pour entrer dans le domaine de la “prose”, ordinairement réservé aux bourgeois et aux savants. Ses moyens sont modestes, naturellement ; mais les résultat de son essai, par rapport au temps et à la condition sociale de Cerlogne (ramoneur, puis garçon de cuisine), ne sont pas méprisables. Et d’ailleurs, entre tous les héros valdôtains des guerres du Risorgimento, parmi lesquels figurent des citadins plus ou moins lettrés 5, Cerlogne est le seul qui se soit pris la peine – au sens littéral du mot – d’en donner un récit. Conscient de la disproportion entre son produit et la norme littéraire il tient à s’excuser de ses fautes6. En fait, celles-ci ne sont pas aussi sérieuses qu’il le croit ; au-dessous de l’orthographe très hésitante et muable (qui scandalise le lecteur plus prude) on perçoit le contrôle suffisant de la syntaxe et une certaine maîtrise du lexique. Ce garçon de 22 ans, qui peut-être n’a eu entre les mains que des livres de dévotion7 et n’a jamais eu aucun encouragement à l’écriture, parvient à rédiger un texte dans lequel ne manquent pas les embellissements et les fioriture, indice d’une prédisposition “naturelle” à l’expression. 44 45 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Le pas suivant, dans le domaine des lettres, Cerlogne l’accomplit grâce a sa familiarité avec Victor-Emmanuel Perruquet8, un jeune lycéen, élève du Petit Séminaire où l’ancien ramoneur et combattant travaille comme cuisinier. Cerlogne le rappelle comme « son précepteur en poésie » ; en effet Perruquet ne se limite pas à le douer d’un dictionnaire de rimes, mais lui donne aussi des notions de versification et le soutient dans ses premiers pas sur les sentiers des Muses. Le rôle que Perruquet a joué dans l’évolution de Cerlogne a été sous-estimé jusqu’à une date récente ; ce n’est que sa dernière biographie qui a avancé l’hypothèse d’une influence majeure : « La fréquentation de Perruquet durant plusieurs années – écrit Silvana Presa – pourrait aider à comprendre un fait autrement inexplicable : l’extraordinaire maturité des premières œuvres en patois de Cerlogne, écrites en 1855, bien avant qu’il ne commence un cours accéléré d’études secondaires »9. En fait ses tout premiers essais poétiques peuvent apparaître fragiles10, trop serviles vis-à-vis de leur modèle (Lamartine) ; mais à mesure qu’il avance sur ce terrain il gagne en sécurité et estompe son lamartinisme si prononcé ; ce ton “moyen”, la mesure qui fait le charme de ses compositions en dialecte valdôtain, perce déjà dans ses courts poèmes en français. (Notons en passant que Cerlogne ne se détachera jamais de ses premiers amours et qu’il cultivera la poésie française jusqu’à la fin : son Chant du cygne – tel est le titre de son dernier travail, composé en 1908 et consacré à l’histoire du salut11 – est en français. Ce qui rend assez incompréhensible le fait que Cerlogne ne figure pas dans l’ouvrage monumental que Lin Colliard a consacré à la littérature francophone valdôtaine)12. Ce sont les poésies françaises de Cerlogne qui attirent sur lui l’attention de Bérard. Les faits sont notoires : l’abbé Victor-Joseph Lucat, professeur de dogme au Séminaire d’Aoste, révèle au chanoine Bérard que dans la maison vit un poète ; qui n’est ni un étudiant ni un enseignant, mais bien le cuisinier Charlogne13 ; d’où l’intérêt de Bérard, sa méfiance, l’épreuve à laquelle il soumet Cerlogne, la victoire finale de notre héros. Tel est le récit que Cerlogne fait dans ses mémoires de 1902, et qui a été accepté sans aucune réserve et répété à la lettre par tous ses biographes. Dans des notes manuscrites14, probablement destinées à être lues amplifiées en une séance de l’Académie Saint-Anselme d’Aoste vers 1860, Bérard raconte « comment j’ai découvert le poète » en des termes quelque peu différents : on fêtait le supérieur du Séminaire – écrit-il dans ses notes – et les professeurs et les élèves se mesuraient en compositions en son honneur ; un collègue en fait un faisceau et le lui remet ; il constate qu’une est plus belle que toutes les autres ; on lui fait remarquer que c’est l’œuvre du cuisinier; Bérard le connaissait à peine ; en plus – ajoute-t-il – « son extérieur n’annonçait pas un poète », et rien ne laissait supposer en lui « la connaissance des muses »; c’est pourquoi il décide de le mettre à l’épreuve ; satisfait du résultat, il se félicite avec lui et l’achemine dans la voie que nous savons (dans laquelle Cerlogne rencontrera un autre sujet de grand poids, l’évêque Jourdain, qui le “fait” prêtre). Sauf que, de crainte que les études classiques et théologiques ne lui nuisent, et lui fassent perdre son 46 Cerlogne, le chanoine Bérard et quelques autres “amis” Édouard Bérard. (Archives du Centre d’Études Fonds René Willien) aptitude extraordinaire à représenter au vif l’esprit et les mœurs du peuple, il le surveille et lui inspire les sujets de ses poèmes, tant il est vrai que dans l’espace d’un an Cerlogne écrit toutes ses poésies, exceptée une seule. Cette ébauche de conférence est révélatrice sous plusieurs points de vue ; en général, sauf quelques détails (les circonstances, le recueil de poésies), Bérard confirme ce que nous tenons de Cerlogne ; il a l’honnêteté intellectuelle d’avouer qu’il n’a pas “fait” le poète mais qu’il s’est borné à le “découvrir” ; il souligne le contraste entre l’extérieur (l’apparence d’homme inculte)15 et les dons naturels du poète, qui sait si bien représenter le peuple auquel il appartient. Mais par cela même Bérard croit pouvoir définir le cercle restreint de l’inspiration cerlognienne, le milieu agricole d’où il puise ses ressources. Et, ce qui plus est, il s’érige en tuteur de la naturalité de son “sauvage”, il prend soin de ne pas laisser que l’étude lui enlève la poussière des ailes, il le suit et le presse afin qu’il produise en temps utile ; et – afin que Cerlogne soit bien Cerlogne et point quelque chose d’autre – lui suggère le sujet de ses poèmes. En écrivant ceci Bérard est tout-à-fait sincère ; il n’a aucun intérêt de s’approprier du “cas Cerlogne” ; lequel, à cette époque, est un inconnu (son premier poème édité, Lo tzemin de fer, ne verra le jour qu’en 1886, et ses Poésies en dialecte valdôtain sortiront en 1890). Les soins dont il a entouré et continue d’entourer le cuisinier (puis séminariste) sont l’expression d’un intérêt très vif, tel que peut le concevoir un clerc doué d’une solide culture humaniste et scientifique, à qui les rentes “canonicales” permettent de poursuivre de bonnes causes et dispenser secours et conseils. D’ailleurs Cerlogne n’est pas sa seule source en matière de patois : parmi ses papiers, nous trouvons – à côté des notes qui témoignent de sa passion pour la linguistique16 – de très nombreux témoignages relatifs aux parlers des villages valdôtains, recueillis par ses élèves séminaristes ; donc Bérard poursuit par divers moyens sa quête au sujet du langage du peuple ; mais pour aucune de ses sources il ne montre autant sa sympathie comme vis-à-vis de Cerlogne – jusqu’au point de lire ses compositions, à une date aussi précoce que le 25 juin de 1856, au cours d’une séance de l’Académie Saint-Anselme. Dans le procèsverbal de cette séance nous lisons : 47 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Enfin M. Bérard lit trois poésies composées dans l’idiome du Val d’Aoste, Un goûter du village, L’Enfant Prodigue et la Fête mémorable du 23 avril 185617. Les accents lyriques d’un genre tout nouveau excitent dans l’assemblée la plus vive admiration. Ce procès-verbal, rédigé par le même Bérard, qui de l’Académie est le secrétaire, reflète fidèlement l’accueil que la sérieuse société religieuse et scientifique qui prend son nom de Saint Anselme réserve au « nouveau genre » d’expression poétique ; mais il ne faut pas se méprendre : les académiciens, qui sont très ouverts et curieux, montrent le même intérêt pour un bout de fil électrique, un sceau ancien, un animal ou une plante exotique, ou autrement pour « la position géographique du Paradis terrestre »18. Il n’est point de doute que Cerlogne figure ici en tant qu’objet plutôt que comme sujet19. Quel soit son rôle dans la société d’ailleurs Cerlogne même le voit très clairement, et le dit par une expression heureuse en racontant la fête mémorable du 23 avril 1856 en l’honneur de Mgr Jourdain, à laquelle il a assisté par le guichet de la cuisine (« foura pe lo guetset »). Bérard prétend que le Cerlogne, qu’il a protégé des tentations de la culture scolaire, débite presque tout son trésor dans l’espace d’un an. Or, ceci est vrai en partie : Cerlogne a fourni ses épreuves les plus saisissantes en très peu de temps, entre 1855 (L’Infan prodeggo) et 1858 (La bataille di vatse a Vertosan, « la plus belle de ses poésies ») – avec un appendice, Lo megnadzo de Monseur Abonde, composé entre 1864 et 1866. Mais serait bien déçu qui y chercherait la description de l’esprit et des mœurs du peuple. À part l’intérieur enchanteur de la Marenda a Tsesalet et, en partie, La bataille di vatse (un poème épique en douze chants d’inspiration classique), la majorité absolue des vers écrits par le Cerlogne “prélettré”20 ont un sujet religieux ou spirituel – le seul Tobie, une fable deutérocanonique édifiante21 mesure rien moins que 468 vers ! – Les deux poésies ayant un sujet agreste, Lo berdzé et lo ramoneur et Le quatro seison appartiennent de fait au genre bucolique, leurs personnages sont inspirés de Théocrite et de Virgile. Nous avons bien la chronique d’une fête, mais aucunement d’une fête paysanne, mais bien de l’événement du 23 avril 1856 ayant pour héros l’évêque Jourdain. Paradoxalement, le peuple et ses (res)sentiments n’entreront de plein pied dans la poésie de Cerlogne que plus tard – après qu’il aura perfectionné sa formation sacerdotale et goûté aux hardiesses de la théologie dogmatique et au casuisme de la théologie morale – en particulier avec les deux Armanaque de 1892 et 1893. Mais là aussi on trouvera très peu de folklore, rien qui évoque la terre, le milieu, le sol qui aurait la propriété de “façonner” les hommes ; on aurait bien de la peine à y voir évoqués le sujets qui font les délices des poètes du terroir : les coutumes paysannes, les amours agrestes, les veillées, les joies et les drames d’une existence humaine à la marge de la civilisation et au cœur de la nature-mère. Le Cerlogne mûr qui parle “paysan” demeure toujours un clerc, parfois débonnaire parfois aigri, souriant mais jamais riant22, qui débite des 48 Cerlogne, le chanoine Bérard et quelques autres “amis” grains de sagesse inspirés, plus que du christianisme (dont il serait un interprète autorisé), du pessimisme plébéien et quelque peu rancuneux d’un Ésope. Ce qui est dit de la poésie (et de la prose) de Cerlogne vaut, a fortiori, pour son chef-d’œuvre, son Dictionnaire du patois valdôtain, qui est le couronnement de sa recherche et, pour le dire avec l’abbé Joseph Henry, « la clef de tous les autres [ouvrages] »23. Le même Henry croit pouvoir affirmer que Cerlogne, possédant le « génie de la langue » locale, en donne un témoignage limpide et “pur” grâce à « sa modeste culture intellectuelle ». En ceci il recoupe le jugement de Bérard, et lui donne un cachet qui survivra longtemps, avec René Willien et plus loin24. Or, il suffit de feuilleter le Dictionnaire pour constater que ceci n’est pas vrai. Rien ne montre que Cerlogne ait parcouru les coins reculés de la Vallée ni puisé dans les armoires secrètes de sa mémoire pour chercher ce qu’il y avait de plus “authentique”, originaire et qui n’aurait pas subi la corruption amenée par les langues cultivées. Le présupposé de Cerlogne est que le patois est un système linguistique autonome et complet, et que dans sa forme écrite il peut être employé pour exprimer toutes sortes de contenus, anciens ou modernes, villageois ou citadins, simples ou complexes. Le Dictionnaire n’est donc pas un dépôt, comme celui de Bérard, ni une collection de variantes locales, comme l’aurait désiré sœur Pacifique25, mais un répertoire normalisé26, une ressource à large spectre destinée à l’usage courant. Il a été remarqué27 que dans les premières pages de la lettre A du Dictionnaire on trouve – à côté d’un vocabulaire qui peint exactement les objets de l’agriculture et de l’élevage – des mots qui renvoient à des domaines étrangers à la vie du village (la théologie, le droit, la politique) tels que Academia, Abdicachon, Ab intestat, Acclamachon, Acchonéro, Administrachon, Adopchon, Affiliachon, Ampereur, Anarchie, Aneichon… Autant pourrait être fait avec la lettre B28 et les suivantes, jusqu’à la Z de zélateur et de zizanie (dans l’expression d’origine évangélique betté la zizanie, « mettre la discorde »). Dans son opuscule Le patois valdôtain et sa graphie (1909) Cerlogne relate sa rupture avec Bérard dans les termes suivants: En 84, M. Bérard s’offrit pour aider à Cerlogne à publier ses poésies ; mais selon sa manière d’écrire ; telle était son intention et celle d’autres personnes savantes. « Mon cher Cerlogne29, vous m’avez dit que vous aviez beaucoup varié votre pièce sur le combat des vaches. Dans ce cas envoyez-moi votre nouveau travail afin que je le copie avec mon orthographe… Votre tout dévoué E. B. Chan. ». Cela était loin de faire le compte du pauvre Cerlogne qui depuis 35 ans travaillait à exprimer le son des paroles en patois par l’écriture. Les papiers inédits de Bérard donnent des détails qui permettent une lecture plus complexe du refroidissement entre les deux hommes, qui aurait des origi49 Cerlogne, le chanoine Bérard et quelques autres “amis” CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne maçon couvert) et enfin fasciste, il réserve toujours les expressions les plus flatteuses à l’égard du prêtre poète (ce dont Cerlogne montre de se féliciter, le récompensant par des poésies d’occasion). Inspiré d’un patriotisme italien ardent, Chabloz l’attribue sans réserve à Cerlogne. En évoquant ses obsèques Chabloz rappellera que le cercueil du poète était enveloppé dans le tricolore italien ; et ce, pour répondre au désir de Cerlogne, “le soldat de son Dieu et de son Roi”, qui entendait avec cela démontrer « que notre culte pour la petite patrie n’est qu’une forme et un coefficient de notre attachement à la grande patrie italienne »31. nes lointaines et des causes plus profondes que le seul désaccord sur la graphie du patois30. Tandis que son bienfaiteur Bérard s’éteint dans l’oubli, Cerlogne s’approche d’un autre personnage très talentueux, le chanoine Dominique Noussan, lui aussi « personne savante » mais, à la différence de Bérard, indulgent vis-à-vis de tous les penchants et les choix de Cerlogne, même malheureux – dont celui de publier parmi les Poésies en dialecte valdôtain des vers d’occasion assez fades. C’est le même Noussan qui écrit l’introduction aux Poésies et en soigne la publication ; c’est à lui, devenu entre-temps secrétaire de l’Académie, que Cerlogne doit l’admission parmi les immortels valdôtains. Mais le Cerlogne “définitif”, tel qui s’est fixé dans l’imaginaire de ses compatriotes pour toujours, nous le devons à la coopération entre l’intéressé et l’abbé Henry, coauteur des Étapes de la vie de Jean-Baptiste Cerlogne (1902 ; suivies d’un long appendice en 1904). Henry, si charitable et bienveillant avec Cerlogne, l’aide à sculpter l’image qu’il veut laisser de soi-même, du pauvre ménestrel itinérant, du “petit rimeur” d’occasion que tous louent et que personne ne récompense. Un dernier “ami” de Cerlogne, qui s’ajoute un peu tard, vers la fin du siècle, à la foule de ses estimateurs mais qui essaie vigoureusement de façonner à sa guise son image est l’avocat César Chabloz, figure complexe : proche du parti catholique et devenu maire d’Aoste grâce à celui-ci, plus tard anticlérical (franc50 n o t e s Comme appendice de son Dictionnaire du patois valdôtain (1908) Cerlogne donne une liste de « mots du jargon dont les valdôtains se servent pour n’être pas compris des étrangers » ; il s’agit en grande partie de mots de ramoneurs. 2 Dans se écrits de mémoires Cerlogne ne fait pas mention d’une approche quelconque qu’il aurait eu avec le parler de Marseille ; son silence à cet égard est une facette de la discrétion avec laquelle il évoque son long séjour marseillais (ce qui est noté par Silvana Presa, auteur de la plus récente biographie de Cerlogne [J.-B. Cerlogne. Un clerc paysan, Aoste 2004]) ; mais il est difficile de croire que pendant huit ans et demi, en tant que ramoneur et surtout comme garçon de cuisine de l’Hôtel des Princes, Cerlogne n’ait entendu et apprécié le provençal de Marseille. 3 Au pied de la quatrième page de couverture du cahier Cerlogne écrit: « Fait et aprouvé par les expectateurs temoin des actions et des fait sucedé ». 4 L’ouvrage est resté inédit et inconnu jusqu’à présent ; comme il est dit plus bas, les manuscrits que Cerlogne passe à son bienfaiteur le chanoine Bérard restent dans les mains de ce dernier après le refroidissement et la rupture des relations entre les deux hommes. Par conséquent le Théâtre de la Guerre et d’autres manuscrits importants, qui témoignent de l’intensité de la collaboration entre Bérard et Cerlogne, demeurent ensevelis dans le fonds Bérard des archives du Séminaire d’Aoste jusqu’au moment où elles sont ordonnées par Marie-Rose Colliard et explorées par les historiens. – Cerlogne reviendra sur les événements de 1848-1849 dans Le Étapes de la vie de Jean-Baptiste Cerlogne, imprimées en 1902 (pp. 352-360 de la réédition soignée par R. Willien dans son Cerlogne, 1 51 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne, le chanoine Bérard et quelques autres “amis” 1974), donnant un récit riche en couleurs mais plus lénifié, qui passe entièrement sous silence les horreurs de la guerre. – En ce même récit nous lisons (Willien, pp. 358359) que dans la ville d’Alexandrie les piémontais vaincus, dont Cerlogne, fraternisent avec les vainqueurs, crovati et ongaresi (croates et hongrois), Dieu sait comment et par le biais de quelle alchimie linguistique. – René Willien, qui a réédité les écrits publiés par Cerlogne au cours de sa vie, et édité les inédits légués par le poète à la Commune de Saint-Nicolas, n’est pas à connaissance du cahier qui contient le Théâtre de la guerre de 1848, qui est resté dans les mains de Bérard après la “rupture” entre Cerlogne et son bienfaiteur. – Une édition partielle des inédits du Fonds Bérard du Séminaire d’Aoste paraîtra prochainement par les soins du soussigné. 5 Jusqu’à présent on ne s’est intéressés qu’aux valdôtains qui sont morts à cause des guerres du Risorgimento (v. Anselme Borgialli, Le livre d’or de la Vallée d’Aoste : les valdôtains morts pour la patrie [1848-1918], Aoste 1919) ; il serait profitable de consacrer la due attention à ceux qui ont survécu, qui se sont réunis en deux différentes associations (le Comizio dei Veterani delle guerre combattute negli anni 1848-1849 per l’Unità e l’Indipendenza d’Italia et la Società tra i Reduci delle Patrie Battaglie) et ont élaboré une mémoire qui n’est pas sans avoir laissé des traces. Le dernier grand effort de Cerlogne consistera à réunir à Villeneuve, en mai 1905, les « vénérables vétérans des campagnes ’48-49 ». 6 En haut de la page 42 on lit : « Je vous prie de laisser passer mes fautes et vous escuserez mon ignorance ». On ne sait à qui Cerlogne s’adresse ; le premier destinataire du cahier est inconnu, à moins que ce ne soient les « expectateurs » dont ci-dessus ; le deuxième sera Bérard. 7 Dans sa Vie du petit ramoneur (1895) Cerlogne parle, non sans quelque amplification, du rôle éminent joué par la religion dans la vie de sa troupe de ramoneurs, confiés à la Mission de France (et non pas, comme les autre ramoneurs valdôtains, aux Savoyards de Marseille). Sur cette formation de base se greffe plus tard un intérêt spontané pour les lectures édifiantes : dans sa cuisine au Séminaire d’Aoste Cerlogne lit la Bible de Royaumont, d’Isaac Lemaistre de Sacy et Nicolas Fontaine (deux écrivains jansénistes) et les Sermons du père Joseph, fougueux capucin. 8 Perruquet est né en 1837 ; après le lycée il fréquente le Grand Séminaire, où il reçoit le sous-diaconat, l’ordre qui précède immédiatement l’ordination sacerdotale, à laquelle il renonce par scrupule de conscience. Le fait que nous manquions de nouvelles sur les derniers temps de sa vie fait que Lin Colliard ait rapproché son destin à celui d’Ettore Majorana (v. Un cas Majorana en Vallée d’Aoste, in “Nouvelles du Centre d’Études francoprovençales René Willien”, n. 31, 1995, pp.169-171). 9 Silvana Presa, J.-B. Cerlogne cité, p. 21 10 Dans ses mémoires Cerlogne affirme les avoir écrits en « sachant à peine lire et écrire ». 11 Le poème (sans doute le plus prolixe que Cerlogne ait écrit, excepté Tobie) se compose de 18 épisodes plus ou moins longs, qui touchent les points cruciaux de l’histoire sainte et des hommes, donc une sorte de catéchisme en vers, qui rappelle de près les com positions de Léon-Clément Gérard. – Il faut pourtant remarquer que l’épître dédicatoire, adressée à Mgr. Jean-Vincent Tasso, prêtre de la Mission et préconisé évêque d’Aoste, est en patois. 12 L. Colliard, La culture valdôtaine au cours des siècles, Aoste 1976. Apparemment le destin de Cerlogne est d’être oublié par les historiens. Même Joseph-Marie Henry, qui l’a hébergé dans sa cure et aidé de ses yeux et de sa plume dans la composition des Étapes, oublie de le mentionner dans son Histoire populaire religieuse et civile de la Vallée d’Aoste (1929) ; omission à laquelle il répare par un supplément. 13 Dans les comptes du Séminaire d’Aoste, année scolaire 1851-1852, nous lisons que l’économe a “payé au cuisinier Charlogne” deux-cents lires comme gages pour l’année. L’économe qui n’a pas eu sous les yeux les papiers du cuisinier, écrit son nom comme Cerlogne même le prononce ; il se corrigera par la suite. Les comptes du Séminaires d’Aoste sont conservés dans les archives de l’établissement ; le document cité est dans le carton 42, fasc. 13. 14 Sur les inédits de Cerlogne, et sur les ébauches de Bérard concernant l’œuvre du poète v. plus haut la note 4. 15 L’aspect négligé et insignifiant de Cerlogne est un cliché dont le poète même s’empare, l’utilisant pour la construction du “personnage” Cerlogne. 16 Les notes de Bérard font référence à de nombreux ouvrages de linguistique et d’histoire des langues qu’il montre d’avoir lus ; d’ailleurs le fait qu’il “défie” Cerlogne à composer une poésie sur le sujet de l’enfant prodigue signifie qu’il savait que cette parabole est, depuis le début du xixe siècle, le texte de base pour les enquêtes dialectales en France (plus tard aussi en Italie). – Les papiers de Bérard concernant la linguistique et en particulier les patois valdôtains ont été en partie utilisés par Stefania Roullet dans Le dictionnaire du patois valdôtain d’Édouard Bérard, Aoste 2005. – La richesse des matériaux linguistiques du fonds Bérard mériterait une analyse scientifique exhaustive. 17 Le titre que prendra cette troisième poésie (ou plutôt poème de plusieurs centaines de vers) est Euna bella fëta. 18 Les premiers pas de l’Académie Saint-Anselme (fondée en 1855) et du « microcosme industrieux » que composent ses membres sont rappelés brièvement par T. Omezzoli dans Vescovi, clero e seminari nella Diocesi di Aosta dalla fine dell’Ancien régime alla Prima guerra mondiale, Aosta 2008, pp. 32-33. 19 L’Académie recevra dans son sein Cerlogne un peu tard, en 1892, en vertu de la publication de ses Poésies en dialecte valdôtain (1890). Dans un discours (non prononcé) sur le cinquantenaire de l’Académie (1905) le poète prétend y être entré « maque pe la borna de la cllià », comme pour souligner sa démarcation vis-à-vis des sujets “lauréats” qui la composent. 20 L’expression est de Silvana Presa in J.-B. Cerlogne cit., p. 33. 21 Cerlogne montre de tenir beaucoup à cet ouvrage qu’il définit dans ses mémoires comme un « poème édifiant en XXIII chants, auquel il ne manque qu’une chose : d’être lu dans toutes les familles durant les longues veillées d’hiver ». Nous concluons par là que l’accueil ne doit pas avoir été tel que l’auteur le souhaitait. 22 Parmi les admirateurs de Cerlogne figure Désiré Lucat, un personnage qui – comme le César Chabloz que nous allons évoquer bientôt – contribue à donner une lecture infidèle du poète. Lucat invente de toutes pièces un Cerlogne “qui rit”, dont nous n’avons trace ni dans les œuvres ni dans la biographie du poète (voir La mort de l’abbé Cerlogne, in Willien, pp. 956-958, où nous lisons que Cerlogne naît pauvre et rit, n’a de quoi manger et rit, meurt et rit…) L’image d’un Cerlogne sérieux et même sévère a commencé à être divulguée grâce à la couverture de la biographie écrite par Mme Presa, dans laquelle on voit un vieillard austère et barbu. Depuis cette date (2004) l’image courante de Cerlogne est celle d’un vieillard avec la barbe. 23 Joseph Henry, Postface au Dictionnaire du patois valdôtain précédé le la Petite grammaire du dialecte valdôtain, Aoste 1908. 52 53 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Au dire de Willien, qui est directement inspiré par Henry, du déclin indéniable de Cerlogne serait coupable la vie sacerdotale, « mais encore, et surtout, la “culture” qui lui avait été inculquée, ou mieux qu’on lui avait plaquée contre, à un rythme vertigineux à partir du jour où il s’en était allé vers Saint-Nicolas débuter son stage d’étudiant ». (Cerlogne, p. CX). 25 Sœur Pacifique, au siècle Marie Lale-Démoz, a publié en 1936 son mémoire de licence consacré a Cerlogne. Sa vie son œuvre. 26 L’axiome auquel Cerlogne reste fidèle est que le patois « est un de Courmayeur à PontSaint-Martin, malgré ses diverses nuances » ; on peut donc proposer (ou imposer) une norme, à laquelle peuvent s’inspirer ceux qui veulent s’expérimenter dans l’écriture du patois (quelle que soit la variété de départ). 27 Silvana Presa, J.-B. Cerlogne, p. 56. 28 Sous la B nous trouvons entre autres Babel, Baccus, Balarina, Banca et Bancarotta, Bandi, Barometre, Baron, Baroque (« bizarre »), Barricada, Bataille, Bibliotéca (et Bibliotequéro), Bombardé, Bregandadzo, Brevet. Naturellement abondent les mots relatifs à la religion : Bateimo, Batistéro, Beatificachon, Beatitude, Begot (« bigot »), Benedechon, Beneficho, Bibla, Blasféme. Nous trouvons aussi Biné (« biner »), mais non pas dans le sens ecclésiastique de « dire deux messes le même jour » mais bien de « dormir à deux dans le même lit ». 29 Ici Cerlogne cite, ou plutôt résume une lettre que lui aurait envoyée Bérard. 30 Dans l’introduction à une anthologie des inédits de Cerlogne, qui paraîtra prochainement, j’essaie de reconstruire les origines reculée des dissensions entre Cerlogne et Bérard, et les équivoques qui peuvent les avoir causées. 31 V. Silvana Presa, J.-B. Cerlogne, p. 62. L’article où Chabloz écrit ces lignes date de 1923 ; mais c’est une synthèse d’opinions exprimées depuis au moins 1902. 24 Une carte postale que le chanoine Dominique Noussan a envoyé à l’abbé Cerlogne 54 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia Gustavo Mola di Nomaglio Un uomo e le sue disuguali rappresentazioni La Stampa di lunedì 10 ottobre 1910 ricordò, con un articolo piuttosto visibile e corredato da un ritratto fotografico, a pochi giorni dalla morte1, Jean-Baptiste Cerlogne2, definendolo come «una delle figure più popolari e simpatiche della Valle d’Aosta». Il tono dello scritto, non firmato, si colloca in equilibrio tra la celebrazione e una sorta di condiscendenza altezzosa. L’articolista definisce Cerlogne «Quasi ignoto al gran pubblico», ma ammette che ciò dipendeva dalla sua modestia e dall’essere lui «restio dai facili onori». Nel testo gli si riconosce il «merito non piccolo» di avere dissodato il terreno vergine costituito dal patrimonio linguistico della Valle d’Aosta3, per agevolare e consentire «l’esatta trascrizione della fonetica dialettale». L’autore pone in risalto il complesso impegno richiesto a chiunque intendesse studiare il «dialetto valdostano»: un impegno arduo addirittura per chi avesse a disposizione lo strumento di una «vasta cultura poliglotta», come Costantino Nigra (forse il più noto tra i corrispondenti del Cerlogne4 e raccoglitore di molte rare voci del patois5, che si cimentò anche nello studio della lingua valdostana). Figuriamoci, quindi, a quali difficoltà «andava incontro il Cerlogne, privo di qualsiasi coltura filologica e letteraria, con la misera scorta del poco latino e francese affrettatamente digeriti in seminario»6. Se anche il giornalista voleva realmente elogiarne le doti, questa frase in generale e alcuni termini in particolare suonano un po’ malevoli. E un tantino ostili suonano pure le espressioni conclusive, anche se fanno seguito ad altre esplicite lodi che, almeno a prima vista, le fanno apparire essenzialmente elogiative: «Questo umile e povero montanaro, che con la sola forza della sua volontà è riuscito ad emergere, sia pure per poco, dalla folla dei suoi conterranei, merita certamente di essere ricordato ed onorato». Le idee che animavano ”La Stampa”, anche in quegli anni, non erano esattamente conciliabili con la visione che emergeva dagli scritti del Cerlogne, un intellettuale non lontano da visioni che lo accomunavano, per vari 55 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne aspetti, a pensatori a lui di poco anteriori, come Clemente Solaro della Margarita o Emiliano Avogadro della Motta, che sapeva e prediligeva esprimerle, però, su un piano di popolare semplicità e con una forza di penetrazione capace di affrancarle dal ghetto di un troppo ristretto numero di potenziali fruitori. Il tono di sufficienza de La Stampa, ricollegandosi in qualche misura con l’immagine cucita addosso al Cerlogne essenzialmente al di fuori della Valle d’Aosta (mentre tra i valdostani non credo vi sia chi dubiti della sua grandezza, pur con qualche voce fuori dal coro), merita sicuramente una breve digressione. Non si può escludere che l’impostazione giornalistica risentisse delle polemiche infuriate nel secondo Ottocento, tutt’altro che assopite ancora nei primi decenni del xx secolo, circa le istanze per continuare ad usare la lingua francese in Valle d’Aosta (che in seno a La Stampa avevano avuto vasta eco) stimolate da pressioni esterne che avevano lo scopo di abolirla. Superfluo sottolineare che quanti premevano sull’acceleratore verso la completa abolizione del francese in Valle, lo facevano anche per reagire (peraltro senza confessarlo apertamente) all’aggressiva opera di eliminazione dell’elemento linguistico italiano, talora persino di quello dialettale, che negli stessi anni si registrava a Nizza e nel Nizzardo e che passava attraverso la francesizzazione forzata e sistematica di tutti i toponimi che già non suonassero pienamente “francesi” e addirittura dei cognomi (fece scalpore qualche caso di francesizzazione di nomi e cognomi persino su lapidi di personaggi defunti anteriormente al passaggio alla Francia). Chi attaccava il francese in Valle d’Aosta non percepiva le peculiarità proprie e tradizionali dello Stato sabaudo, da “sempre” bilingue, senza contrasti. Il fatto che al di là delle Alpi si parlasse, come frequentemente in Valle d’Aosta, il francese, che nei confini geografici del Piemonte la lingua comune fosse, a fianco di quella piemontese, l’italiano e che nel Nizzardo i due idiomi coesistessero, non compromise mai la complessiva coesione identitaria delle popolazioni di una nazione che era a tutti gli effetti bilingue, nella quale le stesse leggi, consolidazioni, regolamenti pubblici, erano indifferentemente promulgati e diffusi tanto in italiano quanto in francese. Il rispetto, del resto, degli usi, costumi, consuetudini, lingue era tipico dell’antico regime, caratterizzato da un marcato particolarismo giuridico, e fu ancora più peculiare per i Savoia. Scrive Carlo Guido Mor, riferendosi ai primi, remotissimi, momenti dell’affermazione sabauda lungo la Valle d’Aosta, che la dinastia seppe assicurarsi progressivamente i capisaldi strategici della Valle, pur lasciando sussistere «autonomie quasi comunali e particolarismi feudali accentuati»7. Nell’accennare a taluni giudizi sul Cerlogne, è perciò opportuno, per quanto ai suoi più esperti biografi possa forse apparire pleonastico, delimitare alcuni degli elementi che formano il filtro interpretativo attraverso il quale essi si sono formati: le sue difese delle antiche autonomie e tradizioni, il suo legame con i Savoia, possono, infatti, avere avuto, agli occhi di certi critici e nella formazione del loro giudizio, un’influenza tutt’altro che benigna. Nei principali e più autorevoli bacini enciclopedici italiani, depositi globali del sapere, Cerlogne ha un suo spazio, essendogli dedicata un’autonoma voce nell’Enciclopedia Italiana (la “Treccani”)8, nella “Cattolica”9 e nella “UTET”10. 56 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia Le cose vanno meno bene, al contrario di quanto ci si attenderebbe, con riferimento a specifici repertori biografici. Se, parlando del Dizionario Biografico degli Italiani, si può lamentare l’assenza di una voce dedicata all’abate11, con riferimento ad altra opera edita dallo stesso prestigioso Istituto per l’Enciclopedia Italiana, ci si dovrebbe, invece, rammaricare della presenza. La scheda che lo riguarda, nell’Enciclopedia Biografica Universale è, infatti, lacunosa e incompleta quanto a informazioni e vergognosamente riduttiva quanto a rilevanza del personaggio, descritto, premessa solo la qualifica di «Poeta dialettale valdostano», tout court come segue: «Spazzacamino e sguattero, combatté a Goito, poi seguì studî regolari e fu ordinato prete nel 1864. Nelle sue poesie (pubblicate nel 1889) prevale una visione bonaria della vita pastorale, espressa nelle forme colorite del valdostano. Di questo dialetto compilò un dizionario (1907) e studiò origini letterarie e grafia»12. Non tutte le schede “redazionali” riferite a personaggi minori, sono così incomplete e sintetiche. Chiunque sia stato l’autore della voce Cerlogne, o meglio il suo “sintetizzatore” (dato che essa appare semplicemente come una dozzinale sintesi di quella, già non entusiasmante ma più accettabile, dedicata al poeta nell’appena citata “Treccani”), davvero non avrà capito quale ne fosse lo spessore biografico, oppure avrà compreso anche troppo bene che taluni versi e pensieri dell’abate erano meno ingenui e semplici di quanto sembravano a prima vista e capaci, con tutta la loro semplicità, di elevare una sorta di antemurale di fronte alla cultura e a certe correnti politiche e filosofiche che ai suoi tempi si accingevano a divenire del tutto dominanti? Lo stesso abate era fiero di essere stato uno “spazzacamino”, ma pretendere di fare di questa infantile occupazione un elemento riassuntivo e “chiave” della sua biografia è decisamente fuori luogo. Le umili origini degli uomini di successo sono suggestive; il fascino di un misero punto di partenza si collega forse, in rapporto al progressivo raggiungimento di traguardi ambiziosi, al mito (realtà in questo caso) del self-made men. Chiunque si sia occupato di Cerlogne ha sottolineato la povertà originaria e i modesti e faticosi mestieri svolti sin da bambino, ma spesso avvertendo che la crisalide era già pronta a divenire farfalla, come fa, per esempio, Ferdinando Neri, il quale, nel suo noto excursus sulla letteratura valdostana tra Ottocento e primo Novecento, parla, riferendosi all’infanzia dell’abate, di «un povero giovinetto» sguattero a Marsiglia, ma per dire subito dopo, opportunamente, che questo era destinato a «diventare il “félibre valdôtain”»13. Purtroppo opere, come l’appena citata Enciclopedia Biografica, finiscono spesso, grazie alla loro diffusione14 e a una complessiva aura di autorevolezza, a prescindere dall’effettiva validità delle diverse schede che le compongono, per “fare autorità” a livello nazionale e internazionale, primeggiando su un’informazione più esatta, sensibile e compiuta. D’altronde persino nella stessa Valle d’Aosta si è tramandata anche l’immagine dell’abate, non ben spiegabile, anzi, direi decisamente non condivisibile, di uomo «bistrattato e deriso in vita», destinato solo dopo la 57 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne morte a essere valorizzato e a divenire «l’eroe dell’identità culturale valdostana». Un’immagine che è difficile ritenere fondata: come poteva esserlo, infatti, ai suoi tempi in particolare, di fronte al prestigio stesso della tonaca e delle molteplici cure parrocchiali? Come poteva Cerlogne essere «bistrattato e deriso» (termini che nulla hanno a che vedere con l’essere stato umile e modesto), di fronte al valore di soldato che in gioventù si era guadagnato un encomio solenne e una decorazione al valor militare o all’abnegazione che gli aveva meritato una decorazione al valor civile per la coraggiosa assistenza prestata ai colerosi nel 1867? Come poteva esserlo di fronte alle onorificenze, tra le quali alcune molto ambite anche da personaggi tutt’altro che poveri e umili, come quella mauriziana15, conferitegli16? Oppure, ancora, all’opera di studioso già ben riconosciuta quando era in vita da specialisti sia in patria17 sia a livello internazionale? Come se non bastasse, agli occhi dei suoi contemporanei i rapporti intrattenuti con Casa Savoia non dovevano avere un peso irrilevante: la Regina Margherita incontrava molte persone, stringeva innumerevoli mani, faceva bagni di folla, ma quanti erano non solo i valdostani, ma gli italiani in generale che potevano aspirare (soprattutto senza appartenere alla corte, all’alta società del tempo o al mondo politico e diplomatico) ad avere udienze private con essa o ad avere scambi epistolari col Re in persona, pur con l’intermediazione d’uso del Ministro della Real Casa? Eppure la visione di un personaggio «bistrattato e deriso», anche se riferita in testi e contesti che denunciano con chiarezza, sin dalla loro impostazione, di non avere – o di non potere avere – particolari pretese di serietà o scientificità18, è “filtrata” e finisce per acquisire comunque un peso rilevante, ancora una volta a causa di una diffusione ampia a livello editoriale (e, ora, anche per mezzo delle nuove tecnologie, in rete19). Non sarebbe errato ammettere, invece, che – nei primi tempi almeno – Cerlogne dovette operare «nel più totale disinteresse della cultura ufficiale», come scrisse Bianca Dorato, raffinata scrittrice e poetessa in lingua piemontese, scomparsa nel 2007, nel quadro di una recensione a un volume di G. Zoppelli20. I versi dell’abate in patois, per quanto belli e di grande valore poetico, non sono sufficienti, disse la Dorato, a rendere «l’idea di quel gigante che è stato». La scrittrice, dopo avere sottolineato che egli compì «un lavoro oscuro ed instancabile, in solitudine ed in povertà» per dare forma scritta al patois, fissarne la grafia, compilarne un dizionario e una grammatica dichiara che «[…] la sua grandezza sta in questo lavoro titanico di amore e di fede: senza di lui forse non vi sarebbero stati altri a seguirne le orme». Nonostante tutto, attraverso i lasciti culturali e la sua vita, che ne danno testimonianze non eludibili e non oscurabili, una corretta visione di Cerlogne si è, quindi, tramandata sia fuori della Valle d’Aosta, sia in seno ad essa, grazie ai molti che localmente ne studiarono e studiano l’opera21 (oggetto anche di alcune apprezzate tesi di laurea22), o a quanti ne trassero spunti, idee, testi, come nel caso, per limitarci all’esempio ormai “classico” e autorevole di Giuseppe 58 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia Cassano, autore di un volume di grande fascino23 dedicato, come ricorda Marco Cuaz, alla memoria dell’abate24 e, in qualche misura, da esso ispirato. Tornando alle polemiche contro l’uso del francese, che possono avere alimentato al di fuori della Valle d’Aosta, in specifici momenti, qualche malignità contro Cerlogne è noto che se ne era fatto portavoce, tra i primi, subito dopo l’unificazione del Regno d’Italia, Giovenale Vegezzi-Ruscalla25, suscitando molteplici reazioni, oltre a quella, forse maggiormente nota, del canonico Bérard26, da parte di categorie27 e uomini politici, tra i quali il deputato di Aosta e di Torino De Rolland, savoiardo di nascita, in margine a un intervento del quale28 La Gazzetta Piemontese, diretta antenata de La Stampa, pubblicò un articolo abbastanza benigno, in considerazione del realistico spirito di tolleranza e di conciliazione di cui aveva dato prova29. In ogni caso la questione, proprio all’inizio degli anni ’10 del Novecento era aperta e oggetto di dibattiti, anche accesi, sulle pagine dei giornali30. A rianimarli era stato anche il fatto che la Procura generale di Torino nel 1909 aveva arbitrariamente imposto l’uso in Valle d’Aosta dell’italiano negli atti di stato civile, anche in contrasto con l’opinione del Ministero di Grazia e Giustizia, che dichiarò, in risposta a un’interrogazione dell’onorevole Giorgio Rattone31, deputato di Aosta, di ritenere non fosse lecito ricorrere, per imporre la lingua italiana, a mezzi coercitivi, essendo l’uso del francese consentito dalle leggi32. Pochi mesi prima della morte di Cerlogne il dibattito attorno all’insegnamento del francese era divenuto ancora più nervoso, scatenando quasi una rissa alla Camera: «L’eccitazione dell’ambiente era tale che, per la difficoltà di intendersi e di farsi capire, l’innocente, stanziamento di diecimila lire per l’insegnamento del francese nelle valli del Pinerolese e di Susa, stanziamento aggiunto alle precedenti ventimila lire fissate per l’insegnamento del francese in Valle d’Aosta, suscitò un putiferio. Invano l’on. Rattone spiegava l’utilità di questi stanziamenti; che dopo l’insegnamento bilingue in valle d’Aosta non si ebbero più coscritti analfabeti alle iscrizioni di leva in quella regione; all’Estrema Sinistra si gridava, si strepitava, affermando che simili stanziamenti erano anti-patriottici, non dovendo lo Stato spendere, trattandosi di scuole elementari, che per l’insegnamento della lingua italiana»33. Insomma, l’accenno alla vasta cultura di Nigra, tratto La Stampa, e quasi utilizzato in contrapposizione alla preparazione, che si pretendeva assai più modesta, di Cerlogne, non può non suscitare qualche sospetto in ordine a una possibile posizione preconcetta, oppure a un condizionamento dovuto al dibattito in corso34 e non può non dare luogo, da parte di chi per la prima volta si accinga a studiare la biografia dell’abate, quanto meno a alcuni approfondimenti, anche se questi comportano una piccola deviazione dallo specifico tema prefisso. Tra l’altro, uno dei pregi del Cerlogne, ben più rilevante, per gli specifici scopi da 59 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne lui perseguiti, di una preparazione “accademica”, era quello di conoscere bene non solo il patois e il francese, ma anche, grazie alla sua attività pastorale in vari luoghi del Piemonte35, il piemontese, lingua che J. Désormeaux, al momento di licenziare un noto e pregevole Dictionnaire savoyard, si rammaricò vivamente di non conoscere, convinto che la possibilità di comparare le sue forme con quelle del savoiardo, avrebbe offerto elementi di grande interesse36, come sicuramente li offrì all’abate. Al tempo della pubblicazione dell’articolo commemorativo su La Stampa, ma anche assai più tardi, ad esempio quando il Brocherel pubblicò i suoi studi sul patois, non dovevano essere ancora note, alcune precise informazioni fondamentali, fornite, assai più avanti nel tempo, da René Willien a Corrado Grassi, per lo svolgimento dei propri studi. Quest’ultimo, nel saggio Il vocabolario valdostano…37, concluse, come è ben noto, sulla base del fitto scambio epistolare tra Nigra e Cerlogne messogli a disposizione dal Willien, che i vocabolari dei due autori, seppure apparentemente distinti, avevano in realtà una stessa matrice: «In sostanza, le due opere non sarebbero state che una sola, una sola persona – l’abate Cerlogne – avendo il merito della raccolta dei materiali»38. Cerlogne “cedette” a Costantino Nigra molti termini tecnici da lui raccolti, riservando a sé quelli più letterari, riferisce lo stesso Grassi, col quale concordano Keller, von Wartburg, e Geuljans, ritenendo che egli desiderasse in modo particolare dare al valdostano dignità di lingua anche letteraria39. Pertanto, senza nulla togliere a Nigra, si può dire che non fu la «vasta cultura poliglotta» di cui era dotato a dare forma e consistenza al suo vocabolario (strumento prezioso per successivi suoi studi, destinato a rimanere a lungo inedito e a essere pubblicato postumo a cura di Pietro Settimio Pasquali, dopo qualche indagine preparatoria40, solo nel 194141), ma principalmente l’opera del Cerlogne. Ecco un motivo in più per affermare che questo non potrà mai essere liquidato solo come un volenteroso dilettante, come taluni hanno dimostrato di voler fare, anzi. Il fatto che alcuni lavori dell’abate non siano «strettamente» scientifici, non è descritto come un limite neppure da Amedeo e Gianrenzo P. Clivio, nella loro fondamentale bibliografia sulle lingue regionali e dialetti parlati in Piemonte e Valle d’Aosta42. Peraltro appare evidente che all’abate, impegnato nelle sue quotidiane attività pastorali, fossero precluse a priori rilevazioni e indagini sistematiche, estese all’intero territorio valligiano. Ma per vedere il concretizzarsi di analisi così concepite, occorse attendere ancora molto a lungo e solo nel 1978 si poterono tirare le prime somme di un lavoro sviluppato, in particolare, a partire dal 195543. Per concludere la presente divagazione, si possono chiamare a testimoni la raffinata autorevolezza e il prestigio di Renzo Gandolfo secondo il quale Cerlogne «Prete esemplare, patriarcale, poeta delle sue montagne, studioso dei loro patois e del loro folklore che indagò con intelligenza e amore» ha lasciato una «testimonianza culturale validissima e una poesia di alto interesse». Per Gandolfo, in nessun modo «i più rudi lavori» svolti dall’abate hanno ostacolato la tenace applicazione allo studio e i suoi risultati, mentre l’avere «venduto la piccola vigna acquistata sterile e dissodata con le sue braccia» per pubblicare i 60 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia suoi versi è «testimonianza […] di onestà limpida e del religioso amore per il suo mondo e per il canto destinato a celebrarlo»44. 1915, Gressoney-Saint-Jean. Villa Peccoz. (fonds Domaine) (Région autonome de la Vallée d’Aoste. Archives de l’Assessorat de l’Éducation et de la culture) 1. Cerlogne e i Savoia: la dinastia simbolo di valori “politici”, identitari e di coesione Prima di proseguire, sembrano opportune alcune preliminari considerazioni e “confessioni”. Devo l’invito a mettere a fuoco i rapporti intercorsi tra l’abbé Cerlogne e Casa Savoia, in seno al programma del Convegno Cerlogne et les autres, più che alla mia preparazione a priori sul tema, alla gentilezza di Saverio Favre e Joseph Rivolin che, nel momento in cui si andava elaborando il programma, hanno pensato a me, essendo loro noto il mio interesse – nel quadro delle vicende, dei valori, delle tradizioni degli Stati sabaudi – per la storia di Casa Savoia e dei suoi popoli. Ho subito accettato con piacere, all’insegna di una certa incoscienza, dato che l’argomento, già a prima vista, era decisamente lontano dalle mie competenze. Ero confidente di poter fare emergere, attraverso qualche rapida ricerca d’archivio e bibliografica elementi nuovi e inediti. In realtà ho, ad un tempo, sopravvalutato le effettive opportunità di approfondimento offerte da archivi e libri agevolmente sottomano e sottovalutato la profondità degli studi già dedicati al Cerlogne in passato, soprattut61 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne to da René Willien45. Questi ultimi non sono solo ampi e solidi ma, almeno in alcuni ambiti, direi esaustivi. A livello archivistico, un’indagine, innanzi tutto indirizzata presso l’archivio privato del capo di Casa Savoia, S.A.R. il principe Vittorio Emanuele, attraverso il suo portavoce, Filippo Bruno di Tornaforte, non ha portato a risultati degni di nota, anche se non mancano potenzialità e speranze di futuri ritrovamenti. Ricerche all’interno degli archivi e raccolte detenuti da esponenti o rami secondari della dinastia non sono state effettuate (ma in questo campo alcune informazioni, seppure indirette e preliminari, non hanno fatto ritenere promettenti neppure le considerevoli raccolte della Fondazione losannese “Umberto ii e Maria Josè di Savoia”, presieduta dalla Principessa Maria Gabriella). Anche se molto probabilmente qualche documento di interesse potrà essere reperito presso l’Archivio di Stato di Torino, alcuni primi superficiali sondaggi sono risultati infruttuosi. Pure improduttiva si è rivelata, con riferimento allo specifico tema affidatomi, l’indagine bibliografica all’interno della mia biblioteca sugli Stati dei Savoia (nella loro più ampia accezione geografica, cronologica, e tematica) generalmente fonte preziosa per qualunque studio che li riguardi, a livello polidisciplinare, che, in questo specifico caso ha fornito apporti ma non di determinante importanza. Ovviamente molte notizie sul Cerlogne sono emerse da monografie, opuscoli, miscellanee, atti di convegni, ma nulla di realmente utile a portare, in relazione all’obiettivo specifico, un vero valore aggiunto agli studi del Willien, dei quali il presente intervento resta perciò tributario in misura rilevante, almeno quanto alle fonti e alla documentazione disponibile sui contatti con i Savoia. Per contro occorre dire che la segmentazione del profilo biografico dell’abate e, nella fattispecie, la concentrazione monografica sull’ampia e articolata materia rappresentata dalle sue relazioni, su più piani, con la Casa Reale, ha immediatamente messo in luce opportunità di riletture e valorizzazioni non banali di un personaggio il cui profilo e la cui personalità sono tutt’altro che da dare per scontati. Nel contesto della vita e dell’opera di Jean-Baptiste Cerlogne i rapporti con i Savoia, sia diretti e “fisici” (in forma di contatti personali, corrispondenze epistolari, dediche di scritti e di poesie e conseguenti ringraziamenti), sia quale simbolo vivente della Patria, di un popolo e di tutto uno schema di valori, sono diffusamente presenti, in modo esplicito e implicito, nonché oggettivamente rilevanti. Gli scritti e il pensiero di Cerlogne si prestano a confermare una dimensione del rapporto tra popolo e dinastia che oggi potrebbe apparire non solo inspiegabile, ma addirittura incredibile e frutto di visioni decrepite e speculazioni puramente retoriche. Non ci si può illudere che l’uomo contemporaneo comprenda il legame impalpabile ma indistruttibile che univa Cerlogne (e, come vedremo, tanti altri) 62 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia alla dinastia. Si tratta di un legame ancestrale che, pur non del tutto e non per tutti estinto ancor oggi, è in pratica stato annientato, non tanto dal naturale scorrere del tempo, quanto, piuttosto, da un lavorio sistematico e radicale di scardinamento, che affonda le sue radici in quello stesso febbrile lavorio sottotraccia che ha lungamente preceduto e preparato la Rivoluzione francese e indirizzato dopo di essa e sulla sua scia la barra di una più generale rivoluzione, di cui anche quella bolscevica non fu altro che una nuova tappa. Una rivoluzione i cui sviluppi e guasti non passavano inosservati sotto gli occhi di Cerlogne, il quale, lucidamente e causticamente, li mise in fila nei versi Les commandements du libéralisme, del 1884. Le questioni, pressioni, e pericoli che l’abate mette a fuoco sono oggi assai meglio delineati di quanto lo fossero ai suoi tempi. I suoi strali sono esplicitamente indirizzati contro il Liberalismo ma si comprende bene che ai suoi occhi è, in generale, il modello democratico il grande accusato46. Jour et nuit tu travailleras, Pour faire un peuple indépendant. À tout vent tu proclameras La liberté verbalement, Le peuple tu le contraindras À la recevoir librement […].47 Un modello (in cui i governi ormai hanno praticamente preso il sopravvento sulla Monarchia) che dà luogo a regimi nei quali le promesse e le illusioni fanno spesso aggio sulla sostanza, nel quale la volontà del popolo rischia di essere interpretata con tanta autonomia da parte dei suoi “rappresentanti”, al punto da uscirne stravolta, avendo quale esito, non di rado, nuovi obblighi, nuovi oneri, tasse sempre più pesanti, guasti, insomma, piuttosto che benefici. Le macinato établiras Sur le maïs et le froment… Aux pauvres gens tu leur diras : Chantez en vivant sobrement. … Vider les bourses tu sauras Du peuple fraternellement, Aux renards mêmes tu feras Payer l’impôt de bâtiment […]48. Libertà per tutti, teorica e a parole, ci suggerisce Cerlogne, mettendo a nudo un germe di schiavitù in essa contenuto49. Certo non poteva immaginare i futuri sviluppi come li possiamo percepire noi oggi. Le capacità d’ispezione dei poteri costituiti in seno alla vita privata dei cittadini tendono potenzialmente a divenire illimitate, non vi sono spostamenti, comportamenti, stili di vita, abitudini, relazioni sociali, consumi e via dicendo che possano sfuggire alla ragnatela dei 63 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne controlli attuati o tecnicamente attuabili. In prospettiva potrebbe bastare un software per controllare gli uomini e padroneggiarne i comportamenti. Eric Arthur Blair (George Orwell), nello scrivere 1984 si ispirò con chiarezza al totalitarismo sovietico. Le potenzialità offerte dalla tecnologia, all’insegna di quel presunto liberalismo che Cerlogne stigmatizzava, stanno forse costruendo le basi di un dispotismo ancora più estremo o, quanto meno, della possibilità di metterlo in atto. L’invettiva (pare lecito definirla tale) contro il “liberalismo” si chiude con una sorta di avvertimento ai sovrani. Mano a mano che esso prenderà piede, saranno le loro stesse corone a essere messe in discussione. In questo avvertimento risiede la sottile alchimia che consente a Cerlogne di conciliare la denuncia contro le prevaricazioni, violazioni e furti ai danni della Chiesa e dei preti da parte dello Stato liberale, con una fedeltà non trattabile al Re e alla dinastia. Il Re, si deve evincere leggendo tra le righe, non è direttamente responsabile: è ostaggio di un sistema politico che lavora per abbattere definitivamente il suo stesso trono. Ton progrès tu le prouveras Aux peuples dans l’étonnement, Lorsqu’aussi tu liquideras La couronne aux rois mêmement50. Più avanti nel tempo Cerlogne si rivelerà ancora più caustico, in particolare ne I “Tre” italiani: dopo avere premesso che «Nell’Italia nuova molte sono le cose che vanno a tre a tre» cita, tra altri esempi, le, menzognere, «Tre […] belle promesse: Libertà (di libertino), fraternità (di Caino), eguaglianza (per la lor pancia)»51. L’abate non fu certo il primo a intravedere nei risultati del processo unitario italiano, e ancor più nelle modalità con cui esso si era compiuto, un lievito in perenne fermento contro le istituzioni monarchiche. Tutto ciò che egli poteva fare consisteva nell’unire la propria voce a quelle di altri che evidenziavano i pericoli che incombevano sulla monarchia. E lo fece senza troppi giri di parole, come la sua indole schietta e montanara lo induceva a fare, anche nelle Réflexions de l’ermite de S. Roch, in cui mise a confronto date e eventi della Rivoluzione francese e della Rivoluzione italiana. In un parallelo tra «Le premier 93» (anno del Terrore, esito della Rivoluzione francese) e «Le second 93» (la Rivoluzione italiana, con gli «Exploits des Banques, banqueroutes et Panama») preconizza la ribellione contro di esso: così come la Francia aveva conosciuto «l’insurrection des Vendéens contre le jacobinisme», l’Italia assisterà al «réveil des Catholiques contre la franc-maçonnerie»52. Per gli antichi sudditi sabaudi e per i valdostani in particolare, d’altronde, la stessa unità italiana non era certo un’opportunità troppo desiderata, come scrive Cerlogne polemicamente in versi de Le Chemin de fer (1886): 64 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia […] Fidèles à notre Roi tout comme autrefois, nous semblions frères des Italiens uniquement pour payer les impôts […]53. In ogni caso l’abate non sembra propriamente contrario all’unità d’Italia, semplicemente, come già sottolineò nella Valdôtaine (1862), subito dopo l’unità, la propria accettazione passava attraverso l’accoglimento, da parte dell’Italia delle istanze di autonomia, a partire da quella linguistica: […] Nous, fidèles sujets de notre Monarchie, nous avons versé notre sang pour les rois de Savoie. Nous voulons pouvoir dire : Et vive l’Italie ! Mais, ce mot, nous ne le dirons, nous ne le dirons qu’en français54. Se, come si è appena accennato, sarebbe ora difficile quasi per chiunque comprendere la forza del legame tra popolo e sovrano di cui Cerlogne offre una testimonianza, immaginiamoci quanto possa esserlo per le generazioni più giovani. Non è facile far filtrare, ma ne varrebbe davvero la pena, nel tempo della globalizzazione, massificazione, omologazione e del relativismo a tutto tondo, certi messaggi dell’abate. Ancora un secolo fa vi erano uomini pronti a combattere, anche a morire, per ideali, valori, tradizioni, lingue, costumi racchiusi nei ristretti confini di piccole patrie. Come si può spiegarlo – e farlo apprezzare – a chi sottovaluta, per non dire sprezza, sotto un’onda, incessante e senza riflusso, di condizionamenti quotidiani, la dimensione locale, sentendosi ripetere, apertamente o subdolamente, ad ogni istante, che il bene futuro dell’umanità intera risiede nella mondializzazione, nel non avere radici, nell’inseguire il lavoro dove si trova, 1889. Villa Margherita La reine Marguerite (Région autonome de la Vallée d’Aoste Archives de l’Assessorat de l’Éducation et de la culture Fonds Forin) 65 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne nell’insediare gli stabilimenti di produzione nei paesi in cui i costi del lavoro sono più bassi (e quindi, spesso, più alto è lo sfruttamento degli uomini) a costo di impoverire altri paesi (quelli dell’Occidente) e provocarne una decadenza difficilmente eludibile? Uno di quegli uomini che avevano a cuore la difesa dell’identità e della lingua valdostana era proprio il prete e soldato Jean-Baptiste Cerlogne che, nel luglio 1890, in una poesia dedicata “A Sa Majesté la Reine d’Italie lors de son second séjour à Gressoney”, ricordando i tempi in cui egli seguiva Carlo Alberto «Au champ d’honneur», con tutta naturalezza, parlò, senza enfasi o ostentazione di sudditi pronti a morire per il Re: Que l’Ange du bon Dieu, Vous couvrant de son aile, Vous conserve Vous, la Famille Royale, à l’amour des sujets qui mourraient pour leur Roi55. Morire per il Re? Ovviamente sarà stato un modo di dire, si darebbe oggi per scontato. Invece, il legame che intercorreva tra i Savoia e i loro popoli non può essere banalizzato troppo facilmente: dello stesso modo di pensare di Cerlogne abbiamo tante testimonianze, troppe perché possano essere eluse. Testimonianze antiche e moderne, sostanziate non da semplici parole, ma da fatti, da sangue, da vite sacrificate a un ideale culturale e sociale che nella continuità dinastica trovava una propria sintesi. Si pensi alla stupita – e anche vagamente infastidita – annotazione che l’ambasciatore veneto Barbaro (e la lucidità e acutezza di giudizio che connotava nel xvi secolo i diplomatici veneziani è addirittura proverbiale) incluse in una relazione inviata in patria, in cui si affermava, tra l’altro, che «[…] i Piemontesi [riferendosi in generale ai popoli sabaudi] di altro non si gloriano che di essere sudditi del duca di Savoia, né vi è suddito che per lui non si facesse martire […]». La cosa gli appariva quasi inspiegabile perché non era certo questo l’atteggiamento che si poteva agevolmente riscontrare in altri Stati. Lo stesso Cerlogne non risparmia qualche appunto nei confronti dei sovrani in generale confrontando i loro agi con le difficoltà della povera gente, ma i Savoia sono esenti da critiche. Se il legame della dinastia con i “piemontesi” – ovvero con i loro popoli (dato che molte volte nel termine piemontesi erano compresi, come si è già accennato, tutti i sudditi sabaudi, valdostani, savoiardi, nizzardi e piemontesi che fossero) – era forte, i vincoli con i valdostani avevano forse qualcosa di speciale. Ne potremmo trovare diversi esempi; ci limitiamo a richiamarne uno del 1637, quando Vittorio Amedeo i chiese, come già aveva fatto suo padre, al Conseil des Commis, uomini per formare una compagnia di guardie, dichiarando che da sempre i valdostani godevano della loro fiducia: «Il n’est pas nécessaire de vous dire que nos Sérénissimes Prédécesseurs, faisant particulière estime de l’ancienne fidélité de la Vallée d’Aoste, en ont voulu [toujours] avoir, pour la garde de leur personne, en occasion de guerre». 66 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia Osservando il rapporto intercorrente tra i Savoia e i loro sudditi si dovrebbe avere sempre presente quanto scrive Cesare Balbo nel Sommario della storia d’Italia, per confutare un’asserzione di Carlo Botta, secondo il quale i paesi soggetti a Casa Savoia erano infelicissimi, in considerazione del fatto che i loro Sovrani troppo si dilettavano di guerra. Balbo nega che i piemontesi e in generale i sudditi sabaudi fossero infelici o vessati. Anzi, tra principe e popolo esisteva un profondo legame che soltanto poteva basarsi su una spontanea fedeltà; come si sarebbe potuto, in caso contrario, spiegare l’amore reciproco che era sotto gli occhi di tutti? Certo, dice Balbo «[…] o bisogna dire che i Piemontesi d’allora fossero il più vil popolo del mondo ad amar così i loro oppressori (il che è dimostrato falso dalla loro perseveranza ed alacrità militari, che son qualità incompatibili coll’avvilimento de’ popoli); o bisogna dire che fosse pure alcun che, che unisse que’ principi e que’ popoli […] sinceramente, strettamente, appassionatamente tra sé, a malgrado le gravezze. Né è poi difficile scoprire quell’alcun che. Appunto, perché non vili originariamente, e non corrotti dalla invecchiata civiltà e dalle scellerate politiche del resto d’Italia, ma anzi nuovi, ma virtuosamente rozzi e quasi antichi erano que’ Piemontesi, perciò virtuosamente, alacremente soffrivano le inevitabili gravezze recate dagli stranieri, e pesanti sui principi loro non meno che su essi; e soffrendole insieme, si compativano, si stringevano, si amavano […]». Solo grazie a simili considerazioni si può comprendere, del resto, quel granitico spirito di servizio, secondo molti radicato e sentito in modo particolare tra le popolazioni subalpine e savoiarde (prima che qualche recente studioso, animato da visioni preconcette e da poca disponibilità a analizzare i fatti secondo le effettive dimensioni e connotazioni con cui si presentano, tendesse a relegarlo nei confini di una pretesa sorta di propaganda di regime). Oriani scrisse addirittura, parlando del popolo piemontese e sabaudo, e non senza intenti critici, «[…] Nessuna guerra lo stanca, nessuna sconfitta lo prostra, nessuna libertà lo tenta […]»56). Ciò non significa che i subalpini fossero guerrafondai o amanti della guerra (lo stesso Cerlogne condanna nel 1859 la guerra che provoca tante vittime per l’ambizione dei potenti57). Avevano dovuto abituarsi a essa per difendere le proprie terre e le proprie case, acquisendo in modo generalizzato – anche attraverso la diffusione dell’esperienza delle milizie paesane e delle sue evoluzioni e consolidamento – un non comune spirito di servizio verso la dinastia, ovvero verso la collettività e i popoli che essa rappresentava. Si può ritenere che proprio dalla diffusione di questo spirito di servizio concreto e duraturo sia derivata in parte l’eccezionale solidità e stabilità delle istituzioni civili e militari della monarchia sabauda. Ciascuno era cosciente di far 67 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne parte di una comunità «ben fazionata a governo» in cui i ruoli erano ben chiari e definiti, mentre le relative funzioni si attuavano come scrisse Renzo Gandolfo «[…] nel concerto del servizio […] quel servizio che subordina e coordina l’operare del singolo con la finalità comunitaria cui il servizio serve: così che chi governa possa governare, verbo che nella parlata piemontese diventa usuale regola di vita […]» poiché lo usa il contadino per goerné le sue bestie, il proprietario terriero per goerné la propria cascina, la madre di famiglia per governare la casa e il singolo in ogni situazione per “goernesse”, ovvero «[…] per vivere regolato, senza cedere agli impulsi irrazionali: per contemperare il côté fantastico, estroso ed irrazionale dell’anima individuale subalpina con il côté geometrico e razionale al quale l’anima sociale si subordina in obbedienza […]» nell’ambito di una «società dove c’è chi comanda e chi obbedisce, non per tirannia di despota ma per convinzione dell’utilità del servizio, singolo e collettivo […]». Proprio in Valle d’Aosta si registrarono le “rivolte degli Zoccoli”, decisamente sgradite ai fautori ed eredi della Rivoluzione francese e ai “liberali”. La terza rivolta si sviluppò tra il 25 e il 28 dicembre 1853, al grido di battaglia: «Viva il Re! Tornino le feste religiose abolite! Abbasso la Costituzione, le imposte, il tricolore!». Questa volta non erano, come nella prima rivolta, gli invasori giacobini il nemico, ma un sistema politico che, in qualche misura, ne aveva recepiti gli orientamenti; erano lo statuto del 1848, i liberali di Cavour, la politica anticlericale e il crescere delle imposte che dilatava gli effetti di una crisi economica (come non sentire l’eco delle istanze dei rivoltosi in alcuni versi di Cerlogne). La scintilla partì da Champorcher, la piccola Vandea valdostana e di qui dilagò nella Valle. Nonostante la rivolta fosse stata quasi del tutto esente da episodi di violenza furono arrestati 532 insorti, tra i quali alcuni preti. Il partito anticlericale amplificò a più non posso la portata del moto e ne esagerò la pericolosità, mentre si diceva che il governo liberale volesse una condanna esemplare dei coinvolti. Prima che si giungesse al processo, iniziato nel gennaio del 1855 a Torino, molti furono liberati ma restarono inquisite ancora 104 persone, 78 incarcerate e 26 in contumacia. La maggior parte dei processati erano agricoltori, con loro quattro preti, due maestri di scuola, un sindaco, vari consiglieri comunali. Il tribunale (pare confortato anche da membri di Casa Savoia) non si lasciò influenzare dalle pressioni politiche che volevano punire a priori questo moto “reazionario” e ridimensionò con la sentenza la gravità dei fatti. Solo nove persone furono condannate per reati commessi durante i moti, tutti gli altri ottennero l’assoluzione. Curiosamente si deve rilevare che mentre alcuni, all’insegna della fedeltà ai Sovrani si ribellavano allo Statuto, altri ne gioivano, traendone anch’essi motivo per esaltare la dinastia. Tra i Valdostani si può citare il canonico della Cattedrale 68 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia d’Aosta, Félix Orsières, autore di un inno di gioia per l’imminente concessione dello Statuto, pubblicato in una raccolta del 1847 costituita dal contributo di oltre ottanta autori, nel quale inserì, tra altri, i versi58 Valdôtains, place à l’allégresse. D’un cœur reconnaissant, et d’un ton animé Crions tous : Vive, Vive Albert le bien-aimé ! … Plus de discorde et d’arbitraire; Au nom d’Albert unissons-nous […]59. La raccolta citata si apre con un inno «Cantato dai Torinesi nella partenza di S. M. per Genova» [3 novembre 1847], composto da Giuseppe Bertoldi e destinato a divenire, musicato da Luigi Felice Rossi, piuttosto celebre: Con l’azzurra coccarda sul petto, Con italici palpiti in core, Come figli d’un padre diletto, Carlalberto, veniamo al tuo pie’; E gridiamo esultanti d’amore: Viva il Re! Viva il Re! Viva il Re! … […] Più che morte i tiranni aborriamo, Aborriam più che morte il servir; Ma del re che ci regge clemente Noi siam figli e godiamo obbedir. … Se ti sfidi la rabbia straniera, Monta in sella e solleva il tuo brando, Con azzurra coccarda e bandiera Sorgerem tutti quanti con te; Voleremo alla pugna gridando: Viva il Re! Viva il Re! Viva il Re! Il sentire di Cerlogne costituiva perciò un fatto tutt’altro che isolato. Era, il suo, un sentimento generalizzato che attraversava le pianure e le montagne, radicandosi nelle case più umili e povere come nei palazzi più fastosi. Non si può pensare che farneticasse, tra tanti, Michele Lessona, non un sognatore o un magniloquente letterato, ma un medico e zoologo positivista e seguace del darwinismo, quando, nel 1869, scrisse, guardando all’epoca risorgimentale «Il Re diceva una parola al suo popolo, e come per incanto scaturivano uomini, danari, armi; le donne abbracciavano i loro cari; i bimbi guardavano attoniti: e quei forti partivano al grido di Viva il Re»60. Insomma, Cerlogne faceva eco a voci che giungevano dal di qua e dal di là delle Alpi e altre voci facevano eco alla sua, con particolare forza dalla stessa Valle d’Aosta. Di qui, non molti anni più avan69 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne ti, si udì pure la voce, forte e significativa, di un altro uomo di Chiesa (amico di Cerlogne e curatore della 2a edizione del suo Dictionnaire du Patois nel 1957), non meno lucida, non meno vigorosa, quella dell’abbé Henry, non solo naturalista e storico (autore di vari studi di storia locale e di una classica storia della valle), ma anch’egli patoisant, per il quale «Le fait le plus glorieux de l’histoire valdôtaine» era un «attachement inébranlable à la Maison de Savoie»61. Un attaccamento che consentiva a Henry di dire che i valdostani erano «[…] plus royalistes que le Roi et plus papalins que le Pape». Neppure quel progressivo processo di erosione di talune autonomie, a cui si è già accennato, a partire dal xviii secolo (epoca per lo Stato sabaudo di grandi riforme, di perequazione fiscale finalizzata a una più equa ripartizione dei carichi, di ridimensionamento delle prerogative feudali, di omogeneizzazione e consolidazione dell’apparato legislativo) provocò radicali mutazioni di attitudine: vi furono opposizioni e resistenze, sì, ma all’insegna del realismo e senza ignorare quanto accadeva fuori dai confini sabaudi, in particolare in Francia: nulla di invidiabile. Lo stesso abbé Henry, guardando alla nascita del Regno d’Italia e forse alla propaganda della Francia, che da sempre osservava Aosta con una certa bramosia, scrisse che «La Vallée d’Aoste, elle, n’a jamais eu que cette devise: là où est la Maison Royale là est la patrie» e, aggiunse, di fronte ai Patti Lateranensi, che i valdostani (da sempre attaccati a Casa Savoia, facendo per così dire un tutt’uno con essa), avevano ora un nuovo motivo per ripetere, con più trasporto che mai, la loro antica e tradizionale preghiera: «Domine, salvum fac Regem». Un altro valdostano, il canonico Maxime Durand ripeté e sottoscrisse, non molti anni dopo la morte di Cerlogne, alcune suggestive espressioni pronunciate qualche decennio prima in Aosta da Paolo Boselli: «Giammai echeggiò invano per questi monti il grido dell’indipendenza, strenuamente difesa per lungo tempo contro gli antichi signori del mondo, invitto più e più volte nel corso dell’età moderna contro l’impeto formidabile di genti straniere, quando tutto era perduto tranne l’alto animo dei Principi Sabaudi ed agli estremi confini dei loro dominii, la fede incrollabile del popolo aostano […]. Da queste sublimi vette mosse il volo l’aquila sabauda»62. Il sentimento sabaudo, così profondamente radicato nel passato, remoto e prossimo, della Valle d’Aosta, fu alimentato, nei tempi più recenti, anche attraverso i testi scolastici, ma senza interventi estranei, senza imposizioni di sorta. Nel novembre 1900 furono date alle stampe le Lectures pour les écoles et les familles valdôtaines63, uno “storico” libro di lettura per le Scuole valdostane di Sylvain Lucat (il primo curatore della stampa dell’Historique de la Vallée d’Aoste di Jean-Baptiste de Tillier), scelto da una commissione appositamente costituita, in una terna di volumi64 finalizzati a trasmettere ai giovani alcuni tasselli culturali e identitari del popolo valdostano. Tra questi tasselli spicca70 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia vano un profondo attaccamento alle autonome tradizioni locali e linguistiche e la fedeltà alla dinastia. Ancora parecchi anni più tardi uno tra i maggiori poeti in lingua piemontese, Nino Costa, concentrava in pochi versi, nella poesia Savòja, il comune sentire dei subalpini: «Nojautri, teste quadre montagnarde, piemontèis dla campagna e dle sità, ch’i mejo gran, ch’i vango su dle piarde, ch’i vendumiu sle Langhe ò ant ël Monfrà, ch’i sio ciapà për drit, ò dë sghignarda, l’oma tuti la marca Savojarda. Ij cit ch’a nasso a l’han col ciò ant la testa e a lo ciucio ant ël lait ch’ a-j dà soa mama. S’a ven-o grand, për vent e për tempesta, a guernu ‘nvisca drinta ‘l choeur la fiama. Poche ciancie da fe, j’é gnanca ‘l bòja ch’ a-j dëstaca da l’arma dij Savòja […]». Un sentimento destinato a perdurare anche in Valle d’Aosta: «Notre population – riferisce il già citato André Zanotto, traendo dal giornale l’ “Impartial” del 7 giugno 1860 – est profondément attachée à la glorieuse monarchie de Savoie» e attaccata restava anche di fronte alle preoccupazioni derivanti dalla troppa attenzione che in quel periodo i consiglieri della corona riservavano al resto d’Italia65. Un legame che non si è mai spezzato del tutto, come spiega efficacemente Lin Colliard, storico autorevole e prolifico, pur sottolineando che la pretesa di abolire il francese da parte del governo di Mussolini suscitò una diffusa irritazione66. Da parte del regime fascista si trattò, d’altronde, di una presa di posizione assurda, dato che l’autonomia linguistica, sempre ammessa senza alcuna contraddizione dai Savoia, non era mai stata, come già si è detto, un elemento di divisione. Questa carrellata potrebbe durare ancora a lungo e comprendere un gran numero di esempi che tralasciamo per mettere a fuoco in breve i rapporti “diretti” tra Cerlogne e i Savoia. 2. Cerlogne e i Savoia: contatti diretti, corrispondenze, incontri, versi celebrativi e d’occasione I rapporti diretti tra Cerlogne e i Savoia si svolgono, nella maggior parte dei casi, attraverso la trasmissione di copia delle sue opere letterarie e scientifiche e in relazione all’invio di una serie di componimenti d’occasione che, con i conseguenti messaggi di ringraziamento e di apprezzamento, hanno finito per formare un carteggio piuttosto fitto. Il Museo Cerlogne conserva un dossier, che 71 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia proseguire nei suoi studi che – rivelano con chiarezza gli scambi epistolari – stavano davvero a cuore alla Regina. In una lettera del Collegno, datata 18 luglio 1893, si legge che ella aveva molto apprezzato l’invio della grammatica valdostana, giuntale proprio nel giorno precedente al suo arrivo in Valle d’Aosta: «Vous connaissez Monsieur l’Abbé le goût de Sa Majesté pour cette vallée et pour tout ce qui la concerne; Elle s’intéresse particulièrement à son langage, qui a trouvé en vous un illustrateur, dont Elle apprécie les études et qu’Elle connaît si favorablement»68. Le risposte e i ringraziamenti hanno quali mittenti, oltre al citato conte di Collegno, i “Cavalieri d’Onore” della Regina, marchese Emanuele Pes di Villamarina e marchese Ferdinando Guiccioli, il prefetto della Provincia di Torino, tre successivi vice prefetti di Aosta, la “Dama d’Onore”, marchesa Paola Pes di Villamarina, nata Rignon, il 1° aiutante di campo del Duca d’Aosta, colonnello Bertarelli. 1976, Gressoney-Saint-Jean. Trino. (fonds Willien) (Région autonome Vallée d’Aoste. Archives de l’Assessorat de l’Éducation et de la culture) Willien ritiene possa essere completo67, composto da trenta lettere o biglietti di vario argomento provenienti dalla Casa Reale, compresi tra il 10 agosto 1886 e il 28 luglio 1909. Solo in alcuni casi si è conservata la minuta di lettere inviate dall’abate. Oltre agli indirizzi di ringraziamento, incontriamo qualche missiva di maggiore portata, come nel caso, ne accenneremo in conclusione, di una ricerca di contatti preferenziali dell’abate col Ministero della Pubblica Istruzione (è troppo azzardato immaginare per sostenere l’insegnamento del francese nelle scuole valdostane?), oppure per fissare incontri e udienze con la Regina Margherita. Quando questa, ad esempio, si trovava a Gressoney, nell’agosto 1890, Cerlogne ricevette dal Gentiluomo di Corte, Luigi Provana di Collegno, la comunicazione che la Regina lo attendeva per un’udienza privata il 24, alle sei pomeridiane. Il giorno successivo all’incontro, il quale fu occasione per fare avere alla Regina una delle poesie a lei dedicate, l’abate riceverà, dallo stesso Collegno, d’ordine di Margherita, il dono di 100 franchi, ufficialmente per la celebrazione di una messa ma, soprattutto, segno di apprezzamento e d’incoraggiamento a 72 Se i ringraziamenti o altre comunicazioni giungevano per diretto incarico del Re, in genere erano a firma del Ministro della Real Casa, che, nel periodo che ci interessa, era il generale e senatore Emilio Ponzio Vaglia. Il ministro non lesinava elogi a Cerlogne, a nome proprio e a nome del Re, e se lo faceva, esplicito e burbero soldato quale era, non era certo per sdilinquirsi in inutili o non sentiti complimenti, ma perché questi esprimevano né più né meno l’esatto pensiero di Sua Maestà e suo. Il 18 gennaio 1906, in una lettera di ringraziamento inviata dal Ponzio Vaglia a nome di Re Vittorio Emanuele iii per l’invio di alcune pubblicazioni e di una fotografia, il ministro scrisse con tono di chiara approvazione: «[…] Ella sa mantenere sempre vivi quei sentimenti che nella età giovanile La guidarono a valorose e patriottiche imprese. Ciò Sua Maestà ha constatato con viva compiacenza mentre mi commetteva ringraziarLa del nuovo cortese omaggio […]»69. Tra le poesie esplicitamente dedicate da Cerlogne a rappresentanti di Casa Savoia, una delle prime di cui sia rimasta memoria è quella augurale in patois e francese datata 11 settembre 1888, À S. A. Royale le Duc d’Aoste et à S. A. Impériale Laetitia Bonaparte 70. Due anni prima l’invio alla Regina Margherita de Lo Tsemin de Fer gli aveva fatto giungere il ringraziamento sentito della sovrana, ma la composizione non era ad essa direttamente dedicata. Sempre in patois, e con traduzione in francese seguono, nel 1889, versi À Sa Majesté la Reine d’Italie Marguerite de Savoie à Gressoney, in cui l’autore si rallegra dell’ormai usuale presenza dei reali in terra valdostana, ogni anno, fonte di benefici concreti per la Valle71. 73 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Qualcosa di simile si ripete l’anno seguente nella poesia À Sa Majesté la Reine d’Italie lors de son second séjour à Gressoney, la cui prima strofa, nella versione francese, suona: Heureux de saluer votre bonne arrivée, ô Reine, devant Vous vient un vieux vétéran, qui garde dans son cœur cette vive étincelle, qui pour la Maison de Savoie brûle depuis quarante ans […]72. Nell’agosto 1891 invia alla Regina La Marguerite a essa dedicata, scritta qualche tempo prima: « reine […] dans le règne des fleurs […] »73, le cui metafore riecheggiano in successivi versi, composti nel luglio 1894, nei quali i fiori delle montagne valdostane fanno a gara per incoronare Margherita74. Risale al 1893 la poesia À Leurs Majestés Humbert et Marguerite à l’occasion de leurs noces d’argent, XXII Avril MDCCCXCIII 75. Datata 8 giugno 189576 è una poesia, in francese, dedicata À leurs Altesses Royales Emmanuel de Savoie, Duc d’Aoste et Hélène d’Orléans, Princesse de France 77, in occasione del loro matrimonio, celebrato il 25 giugno presso Londra. Un altro matrimonio reale non potrebbe non suscitare l’attenzione dell’abate, che compone, datandoli 24 ottobre 1896, versi per le Noces de leurs Altesses Royales le Prince Victor Emmanuel de Savoie et de la Princesse Hélène Petrowich Niegosz78. Nel 1897, il poeta si sofferma in brevi versi scherzosi sul duello tra il conte di Torino e il principe d’Orléans: se vincerà il secondo, scrive, «Oltre alle beffe avrem le busse»79. Nell’agosto 1901, l’arrivo a Gressoney di tre regine sabaude, Margherita, Elena e Maria Pia sovrana del Portogallo, accompagnate anche da Vittorio Emanuele iii, fanno nascere nuovi versi dedicati alla Regina Madre; il tempo che fugge conduce Cerlogne ad iniziarli con espressioni che rivelano ad un tempo rimpianto e familiare dimestichezza « Majesté, / Voici déjà treize ans glissés sur notre tête […] »80. In occasione della prima caccia del 1902 l’abate saluta l’arrivo di Vittorio Emanuele iii tra le montagne della Valle, fonte, per i valligiani, di speranza e di allegria, soprattutto per i « Vétérans des premières campagnes, / Qui suivaient Charles-Albert, Victor au champ d’honneur »81. Ancora nel 1902 e all’inizio del 1903 Cerlogne invia alcune pubblicazioni a Margherita e a Vittorio Emanuele che danno corso a nuovi carteggi con la Casa Reale. Nell’agosto 1903, in vista del passaggio di Vittorio Emanuele iii a Viéyes vengono preparati grandi festeggiamenti « Les sapins quittent la forêt, se dressent 74 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia sur le parcours royal, le long du chemin qui traverse le village. Un écriteau, surmonté d’un drapeau donne à Sa Majesté un salut tout valdôtain – scrive Willien – : Vive le Roi ! Vive la Famille Royale »82. Ovviamente non potrebbe mancare in quest’occasione una poesia, stampata, come in altri casi con grande eleganza, dall’ormai anziano abate, da leggere al sovrano. Vittorio al suo cospetto ordina al cocchiere di fermarsi, lo saluta, lo ascolta e lo interroga, con un moto di curiosità e di ammirazione, circa le decorazioni che porta fieramente sul petto. Egli ha così modo di consegnargli i versi che sigillano una vita fedele a valori ancestrali e per lui (e tanti altri in quegli anni) ad un tempo attuali, da cui traiamo alcuni passi: Majesté ! Vos fidèles sujets de l’antique Vallée, Qui pour Maison Savoie ont un cœur plein d’amour Tressaillent de bonheur […] Quand leur Bien-Aimé Roi, chez eux fait un séjour … Majesté ! Nous tenons des aieux l’héritage Du travail, du devoir, et le précieux gage De leur fidélité, leur ferme et vive foi. … Et que tous d’une voix, longtemps nous puissions dire : Vive victor ! Vive le roi !83 Crediamo di non sbagliare nel ritenere che l’intenso scambio con la Casa Reale, scandito dall’invio non solo di rime d’occasione ma anche, come si è detto poco sopra, delle diverse opere in patois e riguardanti il patois, non avesse solo lo scopo fine a se stesso di creare un rapporto diretto col capo dello Stato e con la sua famiglia o di offrire ad essi la propria immutabile fedeltà e adesione, sentimenti difficili da comprendere oggi nella loro forza e dimensione ma, lo si è sin qui documentato ad abundantiam, un tempo usuali. Per Cerlogne il rapporto con la Casa Reale fu anche il modo per tenere alta l’attenzione sull’importanza del francese in Valle d’Aosta, per potere contare su sostenitori d’eccezione e potere far giungere le sue istanze al riguardo – e attraverso canali privilegiati – niente meno che al Ministero della Pubblica Istruzione, presso il quale il già menzionato Gentiluomo di Corte della Regina Margherita, Luigi di Collegno, era pronto a sostenere le sue richieste, raccomandandole al Ministro esplicitamente a nome di Sua Maestà84. Ma c’è di più: la Casa Reale, con piccoli donativi, sostenne anche, almeno indirettamente, le imprese editoriali di Cerlogne: nel 1904, poco dopo l’incontro di cui abbiamo detto, Vittorio Emanuele iii gli fece consegnare dal comandante delle cacce reali, la somma cinquecento franchi. Se si pensa che i volumi dell’abate si potevano acquistare, indicativamente, a prezzi compresi tra meno di una Lira e due Lire, si trattò di un contributo di un certo peso. Di fronte a questa somma lo stesso René Willien si chiede: « Qui sait maintenant, si, avec ce don royal, Cerlogne ne commencera pas à faire imprimer son dictionnaire du dialecte valdôtain ?! »85. 75 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Attraverso il filtro dei rapporti del poeta – filologo con i Savoia, non può non apparire evidente che egli riuscì nello scopo di cui si è appena detto, di tenere, nello spazio di molti anni, costantemente viva, nei rappresentanti della Casa e nei loro ufficiali e portavoce, l’attenzione per il patois e per l’uso della lingua francese in Valle. È perciò difficile non congetturare che proprio da quella che sembra configurarsi come una raffinata e lungimirante attività di sensibilizzazione, derivi, almeno in parte, la parziale vanificazione degli attacchi contro l’uso del francese di cui si è detto più indietro e la progressiva prevalenza di un atteggiamento di accettazione, se non propriamente di tutela, nei confronti del patois e garantista nei confronti dell’autonomia linguistica. Se questa congettura corrisponde al vero, Cerlogne è due volte uno dei padri del patois valdostano: lo è per la sua opera di filologo, fonetista, poeta e anello di congiunzione con voci altrimenti perdute nel tempo; lo è per l’intelligente, forse determinante, eppure umile e mai rivendicata, azione, per così dire, “politico-diplomatica” che seppe svolgere. n o t e Che si dice (inspiegabilmente, data la vicinanza dell’evento) avvenuta il giorno 3 ottobre, anziché il 4, come normalmente si riscontra in tutte le fonti bibliografiche (v. ad es. la scheda biografica in Alberto Maria Careggio, Le clergé valdôtain de 1900 a 1984. Notices biographiques, Aoste, Imprimerie valdôtaine, 1985, p. 49), nonché nello stesso annuncio funebre. Anche i biografi dell’abate sono sostanzialmente concordi sulle tappe cronologiche della vita: ad es. v. l’opera di René Willien (1963-1965) – consultata attraverso i due volumi della ristampa anastatica (Aosta, Le Château Edizioni – Quart, Musumeci, 1996) –, Cerlogne (1896-1910), in « Noutro dzen patoué. L’École Valdôtaine. Bullettin à l’usage du Corps Enseignant de la Vallée d’Aoste, numero dédié au patois valdôtain », nn. 7, 8, février 1974. Textes présentés et rassemblés par René Willien, avec la collaboration de Mme Lucienne Landi, Aoste, Imprimerie ITLA, 1974, oppure Marie Lale-Demoz, Cerlogne. Sa vie, son œuvre. Thèse historico litteraire, Milano, Università Cattolica, Facoltà di Lettere; ed. Aosta, G. Marguerettaz, 1936 e Silvana Presa, JeanBaptiste Cerlogne. Un clerc paysan, Aoste, Le Château, 2004. 2 Il poeta Giovanni Battista Cerlogne , in «La Stampa», a. XLIV, 1910, n. 281, p. 3. 3 «Tramandato oralmente da generazione in generazione, disciplinato solo dalla tradizione». 4 Al riguardo v., ad es., Corrado Grassi, Il vocabolario valdostano di Costantino Nigra e un carteggio inedito Nigra-Cerlogne, in « Bulletin de la Société Académique du Duché 1 76 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia d’Aoste », XLIII (1967), pp. 276-291 (già pubbl. in «Atti dell’Accademia delle Scienze di Torino», XCVIII – XCIX (1963-64) e a parte, Torino, Accademia delle Scienze, 1964). 5 Cfr. Jules Brocherel, Le patois et la langue française en Vallée d’Aoste, avec une préface de Giuseppe Vidossi, Professeur à l’Université de Turin, Paris et Neuchâtel, Éditions Victor Attinger, s.a. [pref. 1952; stampa, stesso anno, secondo alcuni, 1953 secondo altri], p. 51. 6 L’accento sulle difficoltà che inevitabilmente si presentavano all’abate, sarebbe stato più condivisibile se l’articolista avesse evidenziato piuttosto il suo ruolo di precursore, che poteva contare essenzialmente sulle proprie forze, oltre che su pochi, settoriali e perlopiù rapidi contributi più a lui contemporanei o successivi che anteriori, quali quello di Graziadio Isaia Ascoli (Schizzi franco-provenzali, in «Archivio Glottologico Italiano», III, 1874, pp. 60-120, è forse il primo lavoro di un certo spessore, a cui si attribuisce, tra l’altro, il ruolo di apripista circa la delimitazione di questo dominio linguistico – cfr. Giuliano Gasca Queirazza, recensione al vol. Colloque de dialectologie francoprovençale, in «Studi Piemontesi», vol. I -1972-, fasc. 2, p. 197) o quello, che con riferimento alla Valle d’Aosta non costituisce nulla più di un rapido sguardo, di Cesare Poma (Il dialetto di Ayas, in «Rivista Alpina Italiana», vol. III (1884), n. 9, pp. 103-104). Ma per un quadro più articolato cfr. W alther von W artburg , H ans -E rich K eller , R obert G euljans , Bibliographie des Dictionnaires Patois Galloromans (1550-1967), Nouvelle édition entièrement revue et mise à jour, Genève, Librairie Droz, 1969. 7 Carlo Guido Mor, Conte di Savoia. Feudali e Comunità in Valle d’Aosta nei secoli XI-XV, estr. da Relazioni e comunicazioni al XXXI Congresso storico subalpino, Aosta, 9-10-11 settembre 1956, Torino, Deputazione Subalpina di Storia Patria, 1959, pp. 237-316. 8 Vol. IX, Roma, 1931, p. 812. 9 Vol. III, 1949, coll. 1320-1321 (voce curata da Amato Pietro Frutaz). 10 Grande dizionario enciclopedico Utet, fondato da Pietro Fedele, Terza ed. interamente riveduta e accresciuta, vol. IV, Torino, 1967, p. 468. La voce, curata dal grande poeta in lingua piemontese G iuseppe P acotto , rende abbastanza giustizia all’abate, concludendosi, narrate le diverse vicissitudini, e messa a fuoco la sua «Abbondante e feconda […] attività nel campo dialettale, tanto come poeta, quanto come filologo […]» in questi termini: «Non meno importanti delle poesie sono il suo Dictionnaire du Patois […] e il suo saggio sul Patois […] che ancora oggi sono la più sicura guida per lo studio del dialetto della Valle d’Aosta». 11 La mancanza di una voce a lui dedicata appare come una lacuna rilevante, non facilmente spiegabile, essendo essa già presente in varie opere enciclopediche anteriori, e meritevole di essere colmata, cosa che probabilmente potrà essere fatta in future aggiunte. Sarà però possibile rendere giustizia all’abate, soprattutto se qualche suo biografo proporrà alla redazione del Dizionario Biografico una scheda completa e specificatamente concepita (è noto che non manca, tra i criteri costitutivi dell’opera, senza nulla togliere alla sua assoluta rilevanza, una certa occasionalità, derivante dal fatto che una buona parte di essa è formata da contributi volontari, concepiti in base a priorità e scale di valori che, inevitabilmente, rispecchiano, in un determinato momento, la soggettiva sensibilità dei diversi, collaboratori). 12 Enciclopedia Biografica Universale, vol. IV, Burzi-Cippe, [Edizione speciale per la] Biblioteca Treccani – La Repubblica – L’Espresso, [Roma], Istituto della Enciclopedia Italiana – Gruppo editoriale L’Espresso, 2007, p. 500. Anche se vi è chi ha evidenziato nell’opera dell’abate alcuni limiti, non è certo in questi termini che si può accettare la 77 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia formulazione di una voce biografica a lui dedicata. Come rilevò il Brocherel, Le patois cit., p. 105, i dialettologi di mestiere potevano forse giudicare la grafia adottata da Cerlogne insufficiente per rendere fedelmente le aspirazioni e la gamma intera delle tonalità fonetiche del patois. Tuttavia, aggiunse lo studioso, Cerlogne non aveva a disposizione un codice ortografico, il che lo costrinse, a « inventer un système approprié pour traduire le son résonnant à son oreille », cosa che fece con pieno successo. Non solo, se egli, avesse fatto ricorso, sotto il profilo grafico, « aux signes diacritiques employés par les philologues les plus avertis » si sarebbe imbattuto in una molteplicità di difficoltà difficilmente superabili, non ultima quella di reperire [tra l’altro con mezzi finanziari modesti a disposizione] una tipografia dotata, o disponibile a sostenere l’investimento necessario per dotarsi, dei necessari caratteri speciali. Come se non bastasse se Cerlogne avesse sposato una presentazione delle sue poesie (e, con diverse sfumature, del suo dizionario) tale da non scontentare gli accademici più pignoli, non avrebbe raggiunto lo scopo della divulgazione che, al contrario, ottenne pienamente. Anche in questo egli si distingue, anche in questo risiede la sua grandezza, dato che certo non gli sarebbe costato troppa fatica il scimmiottare quelle simbologie o l’adottare una presentazione idonea a affrancarlo da talune discussioni. Vi furono filologi che, riferendosi specialmente alle poesie, ritennero la trascrizione fatta per i Valdostani non sufficiente per i linguisti, tuttavia vi fu pure chi rilevò che « elle est régulière et se prête à une étude méthodique ». In parte, di questa metodicità, beneficiò anche il suo Dictionnaire del patois, il quale, non per caso, è ancora ai giorni nostri ricercato e rarissimo (come sottolineava Lin Colliard, nella notizia bibliografica sul Nouveau Dictionnaire de Patois Valdôtain di Aimé Chenal et Raymond Vautherin, vol. IV, Aosta, 1971, pubblicata nel «Bollettino Storico-bibliografico Subalpino», a. LXIX -1971-, p. 684). 13 Ferdinando Neri, Fabrilia. Ricerche di storia letteraria, Torino, Chiantore, 1930, p. 124. 14 Nel caso specifico particolarmente rilevante, in quanto agevolata dalla distribuzione nelle edicole, in abbinamento a alcune testate giornalistiche. 15 E quella mauriziana, ovvero delle istituzioni dell’Ordine Mauriziano, era una presenza davvero importante a Aosta e in Valle d’Aosta in particolare (oltre che in Piemonte, ovviamente). Per di più l’essere destinatari di qualche croce dell’Ordine, uno tra i più antichi e prestigiosi d’Europa costituiva, allora, come oggi, un traguardo molto ambito. 16 Naturalmente poteva fregiarsi anche della medaglia commemorativa delle guerre combattute per l’indipendenza e l’unità d’Italia, come da dichiarazione del consiglio d’amministrazione del 6° reggimento Fanteria in data 20 maggio 1865. 17 Dato che fu anche nominato (quindi nemmeno gli si potrebbe applicare la frase evangelica «nemo propheta acceptus est in patria sua») quasi vent’anni prima di morire, membro dell’autorevole Académie Saint-Anselme (cfr. A rthur J acquemod , Index analytique des Bulletins de l’Académie Saint-Anselme (1856-1982), Aoste, Imprimerie Valdôtaine, 1983, p. 29). 18 V. ad es. Paolo Paci, Alpi. una grammatica d’alta quota, Milano, Feltrinelli Traveller, 2003. L’autore, trasmette questa rappresentazione dell’abate traendola da una frase pronunciata, ma nel corso di una chiacchierata amichevole e informale che, probabilmente, deve essere considerata più come tale che come una testimonianza “definitiva”, dal bibliotecario – e poeta nel patois di Gressan – Marco Gal. 19 Cfr.: < http://books.google.it/books? id=rONkWmae__0C&printsec=frontcover&dq=P AOLO+PACI,++Alpi.+una+grammatica+d’alta+quota&source=bl&ots=Y1XpBTDpHF& sig=yjwGwkMpbPz99JzWZnRYFJ-TOA&hl=it&ei=mNMdTajAA8XBswbBuNjvDA&sa= X&oi=book_result&ct=result&resnum=2&ved=0CB0Q6AEwAQ#v=onepage&q&f=false >. 20 Bianca Dorato, recensione a: Giuseppe Zoppelli, Il leone e la lyra. Poesia e patois in Valle d’Aosta, prefazione di Franco Brevini, Aosta, Stylos, 2000, in «Studi Piemontesi», Vol. XXX, fasc. 2, dicembre 2001, p. 582. 21 Tra i quali si possono menzionare oggi, a fianco di altri già ricordati in queste pagine, giusto per sottolineare l’interesse che il personaggio e la sua opera hanno suscitato, divenendo oggetto di indagini approfondite o anche solo di rapide ma specifiche notizie pubblicate negli anni indicati tra parentesi: Charles Montmayeur (1896); Federico Ravelli (1904); César Chabloz (1923); Auguste Petigat (1949); Paul Cerlogne (1974); Henri Armand, Pierre Vietti (1982); Alexis Bétemps (1982, 2009, 2010); Emma Bochet, Daria Gerbelle (1995); Rosito Champrétavy (1995, 2010); Lidia Philippot (1996), Sandra Barberi (2003); Federica Diémoz, Christel Lambot, Simona Dini (2008); Christiane Dunoyer (2008, 2010); Monica Granier, Tiziana Fragno (2009); Leda Quendoz, Federico Zoja, Marilena Agazzini, Fabio Armand, Luigi Danna, Saverio Favre, Arline Menghi, Laura Trevisan, Maddalena Vittaz (2010). Non sarà fuori luogo sottolineare che un simile elenco evidenzia il convergere di nuove e pregevoli attenzioni bibliografiche sull’abate, con un nuovo fervore di iniziative in concomitanza con la ricorrenza centenaria della morte. Amato Pietro Frutaz, ne Le fonti per la storia della Valle d’Aosta, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 1966 («Thesaurus Ecclesiarum Italiae», I, 1), p. 48, poté mettere in fila, oltre alla stringata bibliografia da lui stesso citata in calce alla voce compilata per la sopra ricordata Enciclopedia Cattolica, un ristretto numero di autori che si erano occupati del Cerlogne. Lin Colliard, nel curare trent’anni dopo la pubblicazione la riedizione dell’opera, con aggiunte a sua cura, non ritenne di aggiungere bibliografia oltre a quella originaria, salvo menzionare la ristampa (1974) di Noutro dzen patoué del Willien (Aosta, Tipografia Valdostana, 1998, p. XXI). Se poi si guardasse alle opere che si soffermano sulla personalità, sugli studi e sulla poetica di Cerlogne, nel quadro di indagini dialettologiche, linguistiche, glottologiche e filologiche o su argomenti differenti, l’elenco diverrebbe davvero molto, molto lungo, abbracciando testi pubblicati, in quasi tutti i paesi europei. 22 Oltre alla già citata tesi, poi edita, di Marie Lale-Demoz, ricordiamo quelle di Franco Vagneur (L’abbé Jean-Baptiste Cerlogne. Poète de la Vallée d’Aoste, Milano, Università commerciale L. Bocconi, Sezione di lingue e letterature straniere, a. a. 1969/1970, rel. Carlo Bo, tutor, Gilberto Forti) e Adriana Marthyn, Il materiale dialettale e lo sviluppo della coscienza linguistica ed artistica di Jean-Baptiste Cerlogne, Università di Torino, Facoltà di Magistero, Corso di laurea in lingue e letterature straniere, a. a. 1984/1985, rel. Sergio Zoppi, correl. Tullio Telmon. 23 Giuseppe Cassano, La vie rustique et la philosophie dans les proverbes et dictons valdôtains, Turin, F. Casanova et C.; Aoste, J. Brivio, 1914 (Turin, Silvestrelli e Cappelletto). 24 Marco Cuaz, Valle d’Aosta. Storia di un’immagine. Le antichità, le terme, la montagna alle radici del turismo alpino, Roma – Bari, Laterza, 1994, p. 196. 25 Giovenale Vegezzi Ruscalla, Diritto e necessità di abrogare il francese come lingua ufficiale in alcune valli della provincia di Torino, Torino, Bocca, 1861. Per inquadrare il pensiero dell’autore e più in generale il dibattito attorno alla lingua francese in Valle d’Aosta v., tra altri, André Zanotto, Histoire de la Vallée d’Aoste, Aoste, Éditions de la Tourneuve, 1968 (Aoste, Imprimerie ITLA), pp. 208-212; Claudio Marazzini, Il Piemonte e la Valle 78 79 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne d’Aosta, Torino, UTET libreria, 1991, pp. 93-101 o Daniela Puolato, Francese-italiano, italiano-patois: il bilinguismo in Valle D’Aosta fra realtà e ideologia, Bern, Peter Lang, 2006, pp. 13-15 (discutibile, in quest’ultima, l’affermazione priva di sfaccettature e un po’ troppo incondizionata secondo cui le pulsioni separatiste valdostane avevano categoricamente quale «obiettivo ultimo […] l’annessione alla Francia». Certamente, come registrò Alessandro Passerin d’Entrèves sulle pagine de La Stampa (19 gennaio 1975, p. 3) nel 1945 vi furono arroventate polemiche, «quando il distacco della Valle dall’Italia sembrava cosa possibile e da molti era già addirittura scontata»: ma non si deve confondere la propaganda secessionista di quel periodo con la volontà di un intero popolo. Per un rapido ma più articolato sguardo anche riguardo a questi ultimi aspetti “politici” v. Fiorenzo Toso, Lingue d’Europa: la pluralità linguistica dei Paesi europei fra passato e presente, Milano, Baldini Castoldi Dalai, 2006, pp. 167-174. Cfr., inoltre, JérômeFrédéric Josserand, Conquête, survie et disparition. Italien, français et francoprovençal en Vallée d’Aoste, Uppsala, Uppsala Universitet, 2003 («Studia Romanica Upsaliensia» 68), p. 45. La bibliografia di riferimento è comunque vasta e sarebbe complesso e fuori tema riferirne compiutamente; da un diverso angolo d’osservazione si veda, tuttavia, Elio Riccarand, Storia della Valle d’Aosta contemporanea, 1919-1945, prefazione di Marco Brunazzi, Aosta, Stylos, 2000, pp. 109-117. 26 Édouard Bérard, La langue française dans la Vallée d’Aoste. Réponse à M. le chevalier VegezziRuscalla, député de Lucca au Parlement italien, Aoste, Imprimerie de D. Lyboz, 1862 (fatto pubblicare dal Municipio di Aosta con deliberazione 31 dicembre 1861; ristampato nella collana «Cahiers sur le particularisme valdôtain», édités par les soins des Archives historiques régionales, Aoste, Imprimerie valdôtaine, 1974). L’influenza del Bérard su Cerlogne è ora bene sintetizzata, a fianco di una messa a fuoco dei rapporti che intercorsero tra l’abate e varie personalità del suo tempo, nell’opuscolo pubblicato a cura della Région Autonome Vallée d’Aoste – Assessorat de l’Éducation et de la Culture e dal Centre d’Études Francoprovençales René Willien –, realizzato da Fabio Armand, Alexis Bétemps e Christiane Dunoyer con la collaborazione di Rosito Champrétavy, Luigi Danna, Saverio Favre, Arline Menghi, Laura Trevisan e Maddalena Vittaz, Cerlogne et les autres. Voyage auprès des savants qui ont connu Cerlogne, Saint-Cristophe, Tipografia Duc, 2010. 27 Pétition au Sénat du Royaume par le Collège des Notaires de l’arrondissement d’Aoste, pour le maintien de la langue française dans les actes publics, Aoste, Imprimerie Mensio, le 26 août 1868; al riguardo v. anche Gabriel Frutaz, Les origines de la langue française en Vallée d’Aoste, deuxième édition, [Aoste], Imprimerie Valdôtaine, 1952, p. 58. 28 Giulio De Rolland, Discorso pronunziato sull’uso e l’insegnamento della lingua francese nella valle d’Aosta, Roma, Tipografia della Camera dei Deputati, 1883. 29 La lingua francese in val d’Aosta, in «La Gazzetta Piemontese», 28 febbraio 1883, p. 2. 30 Leggiamo nell’articolo citato alla nota precedente, La lingua francese…: si era «discussa a lungo e replicatamente la questione della lingua francese o italiana in valle d’Aosta, e vi diede occasione un dissidio od un incidente assai burrascoso avvenuto in piena Corte d’Assise, quando questa andò a sedere straordinariamente da Ivrea ad Aosta. La discussione allora su pei giornali fu vivace ed animata; i patrocinatori dell’abolizione o del mantenimento del francese non volevano mezze misure, temperamenti o evoluzioni […]». 31 Al quale sono riconosciuti indubbi meriti a favore della conservazione e valorizzazione della lingua francese (v. ad es. J oseph -C ésar P errin , La Ligue valdôtaine, Aoste, 80 Imprimerie Valdôtaine, 1974 («Cahiers sur le particularisme valdôtain, édités par les soins des Archives historiques régionales», XI, pp. 114-115). 32 Il Ministero sconfitto negli Uffici sulla riforma tributaria […]. L’annunzio delle dimissioni alla Camera, in «La Stampa», 3 dicembre 1909, p. 1. 33 La Camera approva e vota la riforma della Scuola primaria […]. II trionfo della legge (Cinematografo di Montecitorio), in «La Stampa», 7 luglio 1910, p. 1. Anche se non molto più avanti nel tempo pare consolidarsi nei giornali torinesi una posizione favorevole all’autonomia valdostana (come si dovrebbe evincere dalla Pétition pour les revendications ethniques et linguistiques de la Vallée d’Aoste adressée par la Ligue Valdôtaine pour la protection de langue française dans la Vallée d’Aoste à Son Excellence l’hon. Orlando, Président du Conseil des Ministres et de la Délégation Italienne au Congrès de la Paix à Paris. Avec le plébiscite du journalisme local, les appréciations des journalistes de Turin dans un article [du 4 mai 1919] de la Stampa et la réponse du ministre Orlando, Aoste, Imprimerie Catholique, 1919, estr. da: « Bulletin de la Ligue valdôtaine », 16 avril, 3 juillet 1919. Già il 20 luglio 1914, bisogna dire, La Stampa aveva pubblicato un articolo decisamente celebrativo del Cerlogne (Il Mistral valdostano. Un monumento a St. Nicolas, p. 3) in cui l’autore, siglato G. T., se ancora non rendeva giustizia all’abate sotto il profilo “scientifico”, in nessun modo suggeriva, come in altri casi si lascia intuire, che le sue avventurose vicissitudini di «capraio, spazzacamino, soldato valoroso, cuoco, studente di teologia ed infine prete e poeta» avessero valenze riduttive per il profilo di studioso e di letterato. Tra l’altro la «continua e assidua corrispondenza coi più noti studiosi di folklore di Francia e d’Italia, specie col compianto Costantino Nigra» non sono più viste (o lasciate intendere) come uno scambio tra dotti di ineguale livello, ma sostanzialmente tra “pari”, mentre già si dice, quanto a Nigra, che Cerlogne fu per lui «di valido aiuto». Non sarà fuori luogo riprendere ancora dall’articolo la notizia che, in occasione dell’inaugurazione del busto di Cerlogne, una lunga teoria di automobili aveva «condotto ininterrottamente da Aosta a San Nicolas una folla enorme». Dell’evento si è conservato un ricordo anche nella fascinosa poesia di Désiré Lucat, Inauguration du monument au poète Abbé Cerlogne (v. Joseph Bréan, Anthologie littéraire valdôtaine, Aoste, Imprimerie Valdôtaine, 1948, pp. 219-222). Tra i corrispondenti francesi di Cerlogne citati nell’articolo de La Stampa e non menzionati in altre parti di questi appunti si possono ricordare Pierre-Jean Rousselot, glottologo e fonetista di chiara fama, Paul Marieton, Presidente della Société des Félibres di Parigi, e il filologo Paul Meyer, direttore dell’École des Chartes (v. al riguardo il piccolo catalogo della mostra realizzata a cura dell’Assessorato Istruzione e Cultura della Regione Autonoma Valle d’Aosta, in occasione del centenario della morte dell’abate, Cerlogne, le ramoneur rimeur, Aoste, Imprimerie Duc, 2010); un altro francese meritevole di essere ricordato è il filologo Paul Meyer, ma non si devono trascurare personalità quali lo scrittore savoiardo Charles Montmayeur o gli svizzeri Henri Morf e Jean Jeanjaquet. Tra le recenti pubblicazioni promosse sull’abate dall’Amministrazione Regionale, si deve ricordare pure, di Leda Quendoz e Federico Zoja col contributo di Alexis Bétemps, Marilena Agazzini, Arline Menghi e disegni di Chiara ed Ennio Centomo, JeanBaptiste Cerlogne. Lo spazzacamino che diventò poeta – Jean-Baptiste Cerlogne. Le ramo34 81 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne neur qui devint poète, [Gressan], Vida, 2010. Avendo accennato al busto di Cerlogne, non ci si può non richiamare al suo speciale valore simbolico e di propulsore della “valdostanità”, al quale fascinosamente accenna Émile Chanoux, Écrits, [a cura di Paolo Momigliano Levi], [Aoste], Institut historique de la Résistance en Vallée d’Aoste ([Aoste], Imprimerie Valdôtaine), 1994, p. 453. V. ad es., sulla sua presenza canavesana, Francesco Rubat Borel, Jean-Baptiste Cerlogne nel Canavese occidentale (1891-1898), estr. da «Canavéis, natura arte e storia del Canavese e delle Valli di Lanzo», 5, Primavera-Estate 2004. 36 Aimé Constantin, Joseph Désormaux, Études philologiques savoisiennes. I, Dictionnaire Savoyard, publié sous les auspices de la Société Florimontane. Ouvrage contenant une carte […]. Avec une Bibliographie des textes patois et des travaux concernant les parlers savoyards, Paris, Librairie Émile Bouillon Éditeur – Annecy A. Gardet & Cie (quest’ultima indicazione è stampata su fascetta coeva sovrapposta e incollata sulla dicitura: Annecy, Imprimerie Adry), 1902, p. XVII. 37 Grassi, Il vocabolario valdostano cit. 38 Ibidem, pp. 281-282. 39 von Wartburg, Keller, Geuljans, Bibliographie des Dictionnaires cit., p. 233. 40 Pietro Settimio Pasquali, Un inedito Vocabolario Aostano di Costantino Nigra, in «Aosta», Rivista della Provincia, IV (1932), 3-4, marzo-aprile, p. 121 sgg.; Id., Etimologie gergali valdostane, in « Revue de linguistique romane » tome 10, Paris, Honoré Champion, 1934, pp. 169-170. 41 C ostantino N igra , Vocabolario valdostano, a cura di Pietro Settimio Pasquali, in «Aevum», Rassegna di scienze storiche linguistiche e filologiche, XV (1941), pp. 3-48, A-K, 316-354, L-Y (più agevole da consultare nella ristampa anastatica, già rara, pubblicata nel 1963 in tiratura limitata, dalla Bottega d’Erasmo di Torino). 42 Amedeo Clivio e Gianrenzo P. Clivio, a cura di, Bibliografia ragionata della lingua regionale e dei dialetti del Piemonte e della Valle d’Aosta, e della letteratura in piemontese, Torino, Centro Studi Piemontesi, 1971, nn. 2926, 2928, p. 169. 43 Région autonome de la Vallée d’Aoste, Département de l’instruction publique, L’atlas des patois valdôtains. État des travaux 1978, par Ernest Schüle, Rose-Claire Schüle, Tullio Telmon, Gaston Tuaillon, Aoste, Tipo-offset Musumeci, [1978] (Publications du « Centre d’études francoprovençales de Saint-Nicolas », 3). 44 Renzo Gandolfo, La letteratura in Piemontese dal Risorgimento ai giorni nostri. Profilo storico - Autori - Testi – Documentazioni, Torino, Centro Studi Piemontesi, 1972, pp. 59, 502. 35 Consultati nei due citati volumi della ristampa anastatica (Aosta, Le Château Edizioni - Quart, Musumeci, 1996) di: René Willien, Cerlogne (1896-1910), in « Noutro dzen patoué. L’École Valdôtaine. Bulletin à l’usage du Corps Enseignant de la Vallée d’Aoste, numero dédié au patois valdôtain », nn. 7, 8, février 1974. Textes présentés et rassemblés par René Willien, avec la collaboration de Mme Lucienne Landi, Aoste, Imprimerie ITLA, 1974. 45 V. anche Willien, Cerlogne cit., I, pp. 603-604. Ibidem, II, p. 714. La traduzione italiana che ne diede “Mastro Peppe” (4 gennaio 1884) è pubblicata nel vol. I, pp. 401-403. 48 Ibidem, p. 715. 46 47 Per chiarire a fondo il pensiero del Cerlogne, occorrerebbe aprire una divagazione sui concetti di libertà, per così dire, democratica (quella contemporanea) e di libertà 49 82 sostanziale (quella dell’antico regime). L’equivoco in base al quale varie correnti storiografiche non amano ammettere, in particolare dal Settecento, l’esistenza di libertà, pulsioni innovatrici, riformiste e di progresso, se non in associazione alle idee illuministe, costituisce un’equazione ormai anche toppo trita, che non tiene conto del fatto che l’intera storia dell’umanità è scandita, in realtà, da progresso e da progressi, da libertà singolari e plurali, che prescindevano e, nei loro sviluppi, avrebbero felicemente potuto prescindere dall’influenza e dal “modello illuminista”, senza per questo rinunciare a, anche arditi, percorsi di sviluppo e di crescita. Cerlogne ci pare pragmaticamente vicino alla genuinità dei principi di libertà preilluministi, che davano origine a una libertà concreta, frutto di pattuizioni tra principi e sovrani, della quale proprio la Valle d’Aosta può dare una multisecolare testimonianza. Una libertà che non aveva bisogno di sovrastrutturazioni ideologiche e mentali o di capziose definizioni, in quanto era sostanziale. Sin dal medioevo i Savoia se ne facevano garanti in occasione delle Udienze generali della Valle. Al culmine di un suggestivo cerimoniale, ricevuto l’omaggio dei Valdostani, essi prestavano, infatti, solenne giuramento nella cattedrale di Aosta, presso l’altar maggiore, dove erano esposti il Santissimo Sacramento e le reliquie dei santi valdostani, di mantenere al paese le sue libertà, franchigie, privilegi e costumi e di difendere i diritti della Chiesa, delle vedove e degli orfani. Willien, Cerlogne cit., II, p. 716. Ibidem, vol. I, p. 599. 52 Ibidem, pp. 593-594. 53 Ibidem, p. 135. La poesia si conclude evidenziando, ancora una volta, che la Valle d’Aosta poteva aspettarsi benefici soprattutto dalla presenza e dall’influenza dei Savoia (v. p. 147). 54 Ibidem, p. 127. 55 Ibidem, p. 175. 56 A lfredo O riani , La lotta politica in Italia, Bologna, Cappelli, 1944 (6 a), vol. I, pp. 243-244. 57 Willien, Cerlogne cit., I, pp. 380-381. 58 Raccolta delle varie poesie pubblicate in Piemonte nell’occasione delle nuove riforme giudiziarie e amministrative accordate da S. M. il Re Carlo Alberto, Torino, Per gli Eredi Botta, 1847. 59 Che l’Orsières fosse entusiasta dei Savoia partendo da posizioni pressoché antitetiche a quelle di Cerlogne lo si comprende già da questi versi, ma ancora più evidenti sono le sue posizioni nell’opuscolo Essai sur les progrès. Étrenne à mes élèves pour l’an 1864, Aoste, Mensio, 1864, nel quale esalta l’unità d’Italia, sotto la spinta del Piemonte costituzionale, capace di portare « semblable à une avalanche » la libertà (proprio quel tipo di “libertà” criticata da Cerlogne) a tutta la penisola. Dunque, « Honneur au magnanime CharlesAlbert qui prit l’initiative d’une telle œuvre ! Gloire à son auguste fils, à cet héroïque soldat de l’indépendance italienne ; à l’intrépide Victor-Emmanuel qui va la compléter ! ». La frase non è tratta dall’originale, ma dalla trascrizione fornita da Lin Colliard (che immagino simpatizzasse, per come ebbi modo di conoscerlo, anche attraverso vari scambi epistolari, assai più per Orsières che per Cerlogne), La culture valdôtaine à travers les siècles. Précis historique et morceaux choisis, Première partie, Aoste, ITLA, 1965, p. 222. È interessante, comunque, costatare che, se si parlava dei Savoia, 50 51 83 « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne molti si trovavano d’accordo e manifestavano non dissimile entusiasmo, a prescindere dalle loro, anche inconciliabili, divisioni “ideologiche”. 60 Michele Lessona, Volere è potere, 6a ed., Firenze, G. Barbèra Editore, p. 426. L’autore prosegue, e in qualche modo ci si può immaginare, leggendo le sue espressioni, un’assonanza con le poesie e il modo di sentire del veterano Cerlogne: «Ogni uomo era soldato. Soldato nell’alto e vero significato del vocabolo: soldato per operare senza discutere, per obbedire senza parlare […]. Soldato per andare dove e quando lo chiamava il dovere, e tornato dalla guerra ripigliare il lavoro dei campi, raccontando al focolare domestico nelle veglie invernali ai nipotini intenti le varie vicende delle lunghe guerre e i costumi delle genti lontane, e facendoli saltellare sulle ginocchia al grido di Viva il Re, grido col primo balbettare loro insegnato». 61 Histoire populaire, Religieuse et Civile de la Vallée d’Aoste: la première et la plus antique terre du Royaume d’Italie par l’Abbé Henry, Aoste, Société Éditrice Valdôtaine (Imprimerie Catholique), 1929, p. 161. 62 M axime D urand , 1032: une date italienne mémorable, Aosta, 1929. Del Durand è pertinente ricordare nel presente contesto almeno gli studi Aoste fidèle, Aoste italienne, Aoste, Société Éditrice Valdôtaine (Imprimerie Catholique), 1930 e La langue de la Maison de Savoie, langue des valdôtains, Aosta, Tipografia eredi G. Marguerettaz, 1937 (Estr. da: « Amitiés catholiques françaises »). 63 Sul frontespizio del quale si legge « ouvrage primé ensuite de concours spécial ouvert par la municipalité d’Aoste ». 64 Gli altri erano, come è noto, la gradevole Antologia di Anselme Réan, dal titolo Lectures valdôtaines, (Turin , Imprimerie du Collège des Artigianelli, 1900) e un testo elaborato dalle suore di San Giuseppe che aveva un precedente nel volume Premier livre de lecture de l’enfant valdôtain. Éducation et instruction, già edito nel 1899 (Aoste, Imprimerie Catholique). 65 Zanotto, Histoire de la Vallée d’Aoste cit., pp. 206-207. 66 Lin Colliard, La Vallée d’Aoste et la Maison de Savoie jusqu’à l’avènement de CharlesEmmanuel III, 1730, in « Le Flambeau », 2, 1984 (ripubblicato in: Études d’histoire valdôtaine (Écrits choisis), Aoste, « Bibliothèque de l’Archivum Augustanum », XVI, 1985, pp. 372388). In occasione del referendum istituzionale del 1946, rileva Colliard, ancora circa un terzo dei valdostani confermarono « encore une fois leur fidélité à l’ancienne dynastie et au nouveau roi, Humbert ii, qui le 7 septembre 1945 avait signé le décret rétablissant […] l’autonomie valdôtaine, et qui pendant toute sa vie […] montra un grand attachement à cette terre […] ». Occorre però dire che i risultati numerici del referendum non sono particolarmente ineccepibili. Anche ai giorni nostri asettiche pubblicazioni, neutrali e scientifiche, ne hanno proposto riletture, pur, probabilmente «a irreversibilità della scelta istituzionale ormai consacrata», che inducono a ripensarne la validità. Cfr., da ultimo, il volume di Guido Jetti, studioso, giurista e magistrato insigne, già Presidente della quinta sezione penale della Corte suprema di Cassazione, con prefazione di Gustavo Pansini, ordinario nell’Università degli Studi di Roma “Tor Vergata”, Il referendum istituzionale (tra diritto e politica), Napoli, Guida Editore, 2009. 67 Willien, Cerlogne cit., II, p. 811. 68 Ibidem, p. 821. 69 Ibidem, p. 823. 70 Ibidem, I, pp. 160-161, 406-407. 84 Ibidem, pp. 170-171; a p. 409 è trascritta la traduzione italiana che fu pubblicata sul Corriere Nazionale, 1889, n. 226. Per non rimanere su un terreno troppo generico, non sarà fuori luogo accennare a quali potessero essere i benefici così come li descrive Emile Chanoux, precisando che volentieri le popolazioni avevano, ad esempio, rinunciato a favore dei Savoia ai diritti di caccia «[…] sia per l’affetto che le legava al Sovrano, sia perché questi ripagava e largamente queste offerte con il vantaggio immenso della Sua presenza e con donazioni munificentissime. Basti dire che a Valsavaranche S. M. Umberto i costruì la Chiesa, il Municipio, la Casa Parrocchiale, alcune scuole pubbliche ed altre opere di pubblica utilità come fontane, forni pubblici, ecc.» (Émile Chanoux. Écrits cit., p. 887). Inoltre, è lo stesso Chanoux a riferirne, il Re pagava le imposte anche delle terre che non erano di sua diretta proprietà (dato che i singoli proprietari ne fruivano solo in parte) e contribuiva, pur garantendo un corretto popolamento degli stambecchi e camosci e la loro sopravvivenza, a una riduzione che rendeva compatibile la loro dimora nelle aree montane, senza privarle di pascoli e coltivazioni indispensabili alla sussistenza dei montanari (Id, p. 892). 72 Ibidem, p. 175; la traduzione in italiano, di Don Luigi Bussi, prevosto di Candia Lomellina, è pubblicata a p. 411; al riguardo v. anche pp. 412-415. 73 Cfr. Ibidem, pp. 415-416. 74 Ibidem, pp. 427-428. 75 Ibidem, pp. 421-422; v. anche p. 595. 76 Ibidem, p. 337. 77 Ibidem, pp. 336-337. 78 Ibidem, pp. 434-435. 79 Ma vinse il conte di Torino, vale a dire il ventiseienne Vittorio Emanuele di SavoiaAosta, secondogenito del duca d’Aosta e della Principessa Dal Pozzo della Cisterna, per breve tempo sovrani di Spagna. Il 3 luglio 1897 il Figaro aveva pubblicato una lettera dall’Abissinia del principe Enrico d’Orléans (gran viaggiatore, scapestrato e scialacquatore, nonché corrispondente lautamente pagato di vari giornali), considerata calunniosa nei confronti dell’Italia e dell’onore e coraggio del suo esercito, che usciva in quel momento da sanguinose sconfitte. L’Orléans, si vide piovere addosso parecchie sfide a duello, a una delle quali non poté sottrarsi, quella del conte di Torino . Questo lo raggiunse a Parigi e si scontrò con lui, all’arma bianca, nel bosco di Vaucresson, a circa un’ora e mezza di carrozza dalla capitale. In 25 minuti di accaniti combattimenti l’offesa all’onore italiano era “lavata”: Vittorio inflisse all’avversario, subendone soltanto una alla mano destra, tre ferite, l’ultima delle quali ne provocò lo svenimento e, con esso, la fine vittoriosa del duello. Poi i due principi si strinsero la mano e il conte di Torino rientrò in Piemonte, celebrato come un eroe dagli italiani del tempo e raggiunse subito il suo reggimento, impegnato nei campi estivi in montagna. 80 Ibidem, pp. 456-457. 81 À Sa Majesté Victor III; Ibidem, pp. 481-482. 82 Ibidem, p. 505. 83 À S. M. Victor III, notre auguste Souverain lors de son passage à Viéyes ; Ibidem, pp. 506-507. 84 Ibidem, vol. II, p. 820. 85 Ibidem, vol. I, p. 507. 71 85 L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années Emanuela Lagnier Avant de commencer mon exposé, permettez-moi quelques considérations, au sujet du contexte et de la situation qui m’ont amené à concrétiser quelques premiers résultats d’une recherche qui depuis longtemps demeure parmi mes intérêts culturels privilégiés. Comme vous le savez, le domaine de mes études et de mes travaux se concentre dans une direction précise, la musicologie, quoi que cette matière ne soit pas complètement étrangère, aux thèmes et aux suggestions historiques et ethnologiques propres à notre région, mais au contraire en constitue un aspect bien vif et intéressant1. L’occasion pour démarrer, en tant que non-spécialiste, la recherche sur une personnalité comme l’abbé Bionaz est due à deux raisons précises, être avant tout l’arrière nièce de l’abbé Bionaz et avoir reçu l’invitation du Centre d’Études francoprovençales de Saint-Nicolas pour célébrer l’abbé Cerlogne et parler des rapports avec ses contemporains, amis et estimateurs. C’est donc avec la conscience d’explorer un domaine dont je n’ai pas l’habitude à l’approfondissement, que j’essaye de résumer les premières “étapes” d’une mise au point des rapports entre ces deux personnages, en cherchant à résumer le portrait culturel de mon grand-oncle, à la lumière de ses relations avec l’abbé Cerlogne, pour en définir surtout la qualité et le message spirituel commun. Depuis sa mort, le 1er octobre 1930, de nombreuses publications ont mis en valeur l’abbé Bionaz (né à Porossan le 6 août 1862), très connu de son vivant déjà, en Vallée d’Aoste et à l’étranger, en tant qu’auteur d’un reportage extraordinaire sur notre région et ses habitants, réalisé au travers d’un nouveau moyen, pour l’époque, la photographie, dont il fut un pionnier passionné, convaincu des possibilités expressives que la nouvelle technologie aurait pu révéler2. 87 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne En effet, plusieurs expositions, par les soins de l’Assessorat de l’Éducation et de la Culture, du Bureau régional pour l’Ethographie et la Linguistique, du Centre d’Études francoprovençales de Saint-Nicolas etc. ont contribué à la connaissance de ce remarquable témoignage en images, qui documente plus d’un demi-siècle de vie en Vallée d’Aoste, à Saint-Nicolas notamment, dont l’abbé Bionaz a été curé pendant 37 ans3. À cet immense patrimoine en images, parvenu jusqu’à nos jours et comptant plus de 5000 / 6000 sujets, représentés sur environ 7 / 8000 clichés, plusieurs écrits s’ajoutent pour nous témoigner aussi des intérêts de leur auteur pour les sciences, l’alpinisme, la littérature4. Ces ouvrages perfectionnent le portrait d’un personnage tout à fait extraordinaire et original, qui exerça sa mission de pasteur avec un sens particulier de l’appartenance à la communauté civile valdôtaine, dont il fit partie “in toto”. Ils révèlent aussi le rapport tout à fait privilégié avec la nature, dans ses différents aspects, à partir du paysage soumis au travail de l’homme, la campagne, jusqu’aux sommets des montagnes, aux cimes intactes, image symbolique d’un parcours qui se dégage de l’alpinisme et des randonnées, pour atteindre une nouvelle dimension, proche de la réflexion mystique sur la signification de l’existence de l’homme, ses conquêtes spirituelles et la rencontre de la divinité. Ce personnage se trouva sur la scène de la vie du félibre valdôtain, avec lequel il partagea non seulement les derniers moments sa vie, mais beaucoup d’autres intérêts et idées. La vie et l’œuvre de Cerlogne, étudiés et approfondis par de nombreux savants et chercheurs, ne cessent de susciter l’intérêt des spécialistes de l’histoire de la Vallée d’Aoste et du patois en général. Et le patois constitue un autre élément qui unit les deux personnages. La description de son esprit, tirée de l’éloge funèbre du chan. Lale-Démoz est très efficace, je cite : « Comme il saisissait vite et d’une façon synthétique, les situations les plus embrouillées ! Comme il suivait les grands problèmes contemporains, sans jamais s’en laisser imposer, appuyé sur son bon sens et sur sa redoutable logique! Comme il savait démonter en quatre tours de main certaines formes d’idolatrie! Alors il laissait volontiers de côté le français, la langue savante, pour s’attacher à son dialecte qu’il maniait avec une aisance, une précision, une vigueur sans pareille, que ce fût à table, en conversation ou dans une halte de montagne, et c’était une fête que de l’entendre5 ». Parmi les sources documentaires, qui pourraient encore ajouter quelques précisions sur certains détails de la vie de Cerlogne, notamment sa permanence à la Cure de Saint-Nicolas, mais surtout préciser ses rapports avec l’ami Bionaz, une série de documents très importants et inédits s’ajoutent à l’ensemble des 88 L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années chroniques de l’époque, et possèdent une valeur tout à fait remarquable, car ils sont dus à la plume de l’abbé Bionaz en personne. Il s’agit du Journal quotidien, rédigé régulièrement à partir de 1893 jusqu’en 1930 dans plusieurs petits cahiers, où l’abbé Bionaz notait minutieusement, jour après jour, les événements, à partir des faits les plus banaux, jusqu’aux plus importants épisodes de sa vie quotidienne, à la cure de Saint-Nicolas, lieu où il résidait mais aussi centre du microcosme d’activité de l’abbé, convaincu qu’il n’aurait pas su ”vivre hors d’ici”6. À partir de la situation météorologique de chaque jour, le savant photographe intéressé aux sciences, mais aussi à plusieurs autres domaines de la culture en général, note avant toute chose les messes, les offices, le catéchisme, bref les engagements du pasteur, et les faits divers concernant la vie quotidienne et les relations avec sa communauté, ses amis, sa famille, le tout rédigé avec le goût de la précision et de la synthèse. C’est, en effet, ce style essentiel et presque minimale (qu’aujourd’hui on pourrait définir minimaliste), bien différent du ton narratif de ses ouvrages, qui attire l’attention du lecteur, en lui permettant de s’introduire dans un monde spécial, en ayant l’impression que ces annotations soient des tesselles d’une mosaïque vivante, ou mieux encore, les photogrammes d’un film, ou encore une série de flash qui, tous ensemble, contribuent à créer une séquence unitaire et très incisive. Cette immense chronique quotidienne contient, à partir de 1908 surtout, de citations précises se rapportant à la figure de Cerlogne, et elles se succèdent de plus en plus nombreuses dans les années suivantes, jusqu’en 1910. À titre d’exemple, en lisant le Journal du mois de mars 1908 on découvre la technique employée pour composer le montage photo qui montre le curé Ménabréa au lit, avec l’abbé Gorret et Cerlogne et les problèmes liés à la réalisation de cette photo historique7. Le 30 octobre 1908, je cite : « (Beau, splendide, clair). Monté à Vens après fait barbe […] Messe pour Elisabeth et Libera me, puis déjeuné, avec Louis Pacifique porté poésie de Cerlogne et mangé chataîgnes […]8 ». Les citations se poursuivent nombreuses et on apprend que depuis la fin de 1908 il y avait un engagement précis au sujet de la possibilité de donner l’hospitalité à Cerlogne. Ces démarches furent complexes et aboutirent à l’arrivée de Cerlogne à la cure de Saint-Nicolas le 10 décembre 1909. Je cite : « Beau clair doux. Messe à 7h. Parti au Prieuré de Saint-Pierre […] Allé à Quart, voir maman, toujours plus basse, immobile. […] Cerlogne enfin monté à Saint-Nicolas cure9 ». 89 L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Le mot “enfin”, dans ce style si raboteux et essentiel acquiert une valeur expressive particulière, nous montrant la volonté ferme, depuis longtemps, à l’accueil du poète, finalement rentré presque “chez-lui”. Je cite encore les préparatifs : « 1er décembre, couvert, soleil, givre, neige le soir. Office. Messe chantée. […] Arrivé Sylvain pour aller aider Cerlogne monter ses effets. Dîner avec nous. Notes journal. […]10 ». Depuis ce jour, les annotations sur la situation du poète, sa maladie, ses conditions physiques et intellectuelles, les visites quotidiennes, les repas, bref la vie de tous les jours, sont marquées sur le Journal de l’abbé Bionaz de façon systématique et constante. Chaque jour, à côté des notes sur la messe, l’office, les visites aux malades, les photos à trier, à ranger et à envoyer, et la préparation des sermons11 (ses querelles avec la servante Joséphine aussi), le curé cite les nouvelles concernant notre poète. Tout cela en étant très souvent occupé à prendre ses photos, se déplaçant sans arrêt sur le territoire de la commune de Saint-Nicolas et un peu partout en Vallée d’Aoste, de façon incessante et presque frénétique. L’organisation des randonnées et des promenades y sont aussi fréquemment citées. Tout de même le poids d’une activité si intense se manifeste parfois avec des allusions plus ou moins explicites à son état d’âme : « très inquiet, triste et énervé […]12 ». La situation de la paroisse aussi est problématique : « toujours sous pression affreux des dettes et de la désolation de la paroisse […]13 ». Ces constatations vont tout de même vite revenir et c’est la description des faits réels, sans aucun commentaire particulier, qui prend le dessus. La lecture du Journal de 1910 nous transmet une chronologie très précise de l’évolution de la maladie et de la situation psychologique de Cerlogne, désormais définitivement installé à la cure de Saint-Nicolas, malgré son constant espoir de franchir de nouvelles “étapes” de sa vie. Nous apprenons ainsi tous les soins que Cerlogne reçut jour après jour. « 16 décembre 1909 (soleil, beau, doux). Levé 8h, office et messe à 9h, catéchisme à 20. Voir Cerlogne au lit, levé un peu. Monté pile de la sonnerie, réussi en mettant du sel ammonial, glycerine et quelques gouttes de mercure. Bien allé. Défait et retiré fils de la cave rouillés. Sonnerie ne fonctionne plus. Dîner et allé lire ouvrages électricité […] 90 et encore : « 20 décembre, Cerlogne lavé mais plus faible ». « 21 décembre : dîner bouillon et poulet à Cerlogne, arrangé bibliothèque et effets de Cerlogne tout le soir. […] ». 25 décembre : « Venue secrétaire Evariste avec ses deux enfants, visite, souhait et gâteau fait, puis visité Cerlogne. Porté à lui aussi vin et gâteau. Pas de démonstrations de contentement. Fait cadeau de cartes postales […]14 ». 31 décembre. « Cerlogne levé à midi. Pensé 1h au sermon de demain. Confessé Cerlogne le soir. […] ». Ces courts extraits du Journal quotidien de l’abbé Bionaz ont une valeur importante pour la reconstruction de l’avancement de la maladie du poète, et ils sont fonctionnels pour la compréhension des rapports de profonde amitié et estime entre les deux personnages. Au cours de l’année 1910 les événements sont décrits avec la même précision mais avec une fréquence plus marquée, déterminée par le crescendo des faits, parmi lesquels je signale la mort de la mère de l’abbé Bionaz en avril 1910. Les détails de la maladie du poète deviennent de plus en plus durs vu l’aggravation de la situation. Le 23 août 1910 l’abbé Bionaz invite l’évêque à venir voir Cerlogne, « qui menace vouloir toujours partir en bas ». En effet, l’évêque lui rend visite le 30 septembre. La situation précipite vite et le 4 octobre nous lisons sur le Journal les mots suivants : « 4 octobre, beau, clair, doux. Veillé presque toute la nuit avec Cerlogne et le matin à l’aurore à 5h et ¼ du pays il finit de souffler et de souffrir. Cerlogne est mort en paix. Joséphine15 et moi nous l’avons revêtu de ses draps, pantalon, soutane, rabat, bonnet. L’avons assis sur la chaise avec deux chandelles à côté. Rien de peur, rien de mauvaise mine. Comme sommeillant. Parti à Fossaz porter nouvelle, consigner la mort au médecin, au syndic, combiné avec secrétaire les lettres de faire part. Expédié Sylvain16 à Aoste les commender. Au clocher tout le jour arranger montants de la cloche pour pouvoir la sonner. Fait mettre deux bras de soutien sous le pivot. A travailler Basile Ganier Brice fermier chateau17. + Mis en haut pièces + à 9 heures conférences à Avise - district complet excepté vicaire Gorret de Valgris18. + lu constitutions – lu ce qu’il y a à modifier + Diner. Parti à St. Nicolas à 1 heure + repos – office. Au clocher + parler et écrire ». « 5 M. (beau, doux, vent). Messe p. Cerlogne… Offices. Parti au clocher donner avis et aider mettre deux montants au mi91 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne lieu. Sonné déjà + partir à parler syndic combiner sépulture, honneurs… fait quelques cartolines et allé les vendre + clocher soir fini de mettre en plus deux brasa au midi pour renforcer. + Envoyé carte à Henry curé19 et à Fruttaz chan20. pour les inviter à donner parole sur chaire. Arrivé Duché, Progresso. […] et carte lettre de la Deagostini. + Repos midi. Allumé lampe devant Cerlogne et St. Sacrement. Cherché avec Sylvain papier ». « 6 J. (beau, nuages, moins vent affreux). Messe pour Cerlogne toujours assis mort dans sa chambre, bien compagnie (?) + Délégué Sylvain à la foire et Josué son frère à Introd demander dalmatiques pour messe défunt. + Sonné grd cloche le Gla avec Brice fermier matin et soir, long, 3 reprises. J’étais fatigué extra. Repos forêt + un peu + arrivé Henry curé le soir. Bien jasé… viande veillé tard – converser divers, surtout inscription du texte du Fallère…. À mettre sur le Bulletin21. Joséphine et Laurent à Villeneuve. Provisions pour sépulture demain + arrivés le soir à 4 heures + avec maçons + Désespoirs voir arriver prêtres ». « 7. V (sombre, nuages). Sépulture solemnelle de Cerlogne. Arrivés 13 prêtres : Béthaz 222, Crétaz23, Bochatey24, Perrod Pr.25, Durand vic.26, R. Sestier27, Dupont28, Thomasset curé29, chan. Fruttaz30, chan. Lucat31, Lyabel32, Domenico33 au nom de la Baronne de St Pierre ». « 1910 octobre 7 V. (journée sombre, pluvieuse, soir pluie sérieuse [?]. Froide. Fait faire 2 poses stéréoscopies par Zacharie Thomasset34). La commune a voulu faire à Cerlogne des honneurs extraordinaires : couronnes grandioses chères, musique de Courmayeur + Discours sur la tombe par l’avocat Chablod + invitations nombreuses et hautes. Presque tous les prêtres dirent la Messe pour lui excepté 2… – + Bochatey chanta la Messe et Henry et Lyabel firent diacre et s. diacre. 2 vicaires servirent + ont fit le convoi le grand tour du prein Fossaz et en ça – 4 à 500 personnes venues des pays voisins. On remarqua la présence de nombreux socialistes et du parti adverse. Fruttaz fit un magnifique éloge funèbre. Chablod après lui au cimetière. A l’église on mit les rideaux… (imbrunis ?) ; pas de banquet. J’eus donc 15 personnes à dîner… sans compter ceux de la cuisine. Sandrine sœur de Josué…. Et Empereur…. Dîner. Menu: sardines […] ton haricots merluche en sauce… fromage, dessert. Boire vin mêlé. Prêtres partis excepté 2 Béthaz arrivés au caffè et boire deux bouteilles de vin cadeau de Joconde Gadin 92 L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années Syndic, secrétaire, Marius, Gilli Fiorani, Donnet, Chablod, Assesseur Hubert, François ex syndic, dom Maxime Sotto tenente Vai qui fit une belle poésie en italien. La journée se finit par le silence avec Béthaz curé et Béthaz professeur, souper en parlant. Basil, Zacharie tiré 2 photos stéréoscop. Sépulture ». Les annotations concernant les obsèques de Cerlogne soulignent une fois de plus, avec une lucidité extraordinaire et minutieuse la grande émotion à tous les niveaux et la participation populaire à cet événement, d’ailleurs illustré visuellement (et en stéréoscopie) par les photos citées ci-dessus par l’abbé Bionaz. Ces notes nous apparaissent bien éloignées du style redondant des chroniques de l’époque35. Le 9 octobre nous lisons encore : « Office et messe ordinaire. Libera me sur la tombe de Cerlogne solennel. Joséphine à tenir flambeau et offrir. Avis. Sermon sur la prière fruit de l’amour de Dieu, conséquences. Dîner seul. A la forêt repos ». Il s’agit là d’une citation à une pratique religieuse tout à fait propre à la tradition valdôtaine, qui concerne l’office funèbre. Dénommée aussi Grand Libera, à cause de ses proportions et surtout, de la valeur expressive qui le caractérise, ce répons funèbre apparaît très fréquemment, au delà de sa place précise dans la liturgie et aussi dans la quasi-totalité des fonctions de l’église valdôtaine, où le culte des défunts bénéficiait d’une ferveur dévotionnelle particulière. Et dans ce contexte il acquiert une signification spéciale, en tant que témoignage direct d’une tradition musicale aussi, à mi-chemin entre oralité et écriture, au moment historique précédant sa disparition 36. Nous retrouvons aussi dans cette lecture du Journal des successives citations aux soins et aux hommages au tombeau de Cerlogne : « 30 décembre : porté en haut fleurs pour tombe de Cerlogne. 31 décembre : arrangé tombe de Cerlogne fait corbeille de fleurs, étendus mousses, aplati terre, planté fleurs37 ». Comme il est évident, la lecture du Journal demeure essentielle pour l’étude et l’approfondissement de la vie et de la personnalité de son auteur, des personnages qui se sont rapprochés de lui, notamment notre poète, et par conséquent, l’histoire de Saint-Nicolas et, plus en général, l’histoire de la Vallée d’Aoste. C’est en effet par ces apparemment simples et ordinaires notes de vie quotidienne dans une paroisse de montagne, que nous saisissons les détails d’une représentation de la vie et du quotidien, qui souvent échappent à l’attention des experts. D’après ce court aperçu sur la vie, par la lecture de son Journal, il est évident qu’une étude systématique de l’oeuvre de l’abbé Bionaz, du corpus des photos 93 L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne d’abord, qui sont les témoignages directs et irréfutables d’une réalité historique précise, s’avère nécessaire. La documentation sur l’abbé Bionaz est vaste, elle comprend le répertoire photographique, les écrits, son ouvrage sur l’alpinisme notamment, les sermons, mais aussi les textes parus sur le Bulletin paroissial de Saint-Nicolas de 1927 à 1930. Sa correspondance contribuerait aussi à mettre en évidence l’ampleur de ses relations, certainement pas limitées à la Vallée d’Aoste. En particulier, par rapport à Cerlogne, leur correspondance ne concerne pas seulement les billets et les cartes par lesquelles le curé Bionaz lui demandait des remplacements, vraisemblablement dus aux fréquentes randonnées, ascensions et engagements relatifs à son activité de photographe38. Une enquête approfondie sur les différents traits de son caractère, ses œuvres littéraires, sa pensée, sa mentalité et sa culture, pourrait placer l’abbé Bionaz parmi les personnalités qui ont illustré l’histoire de la communauté valdôtaine. Le naturaliste, le photographe, l’alpiniste, et surtout le pasteur sont les multiples facettes de ce valdôtain. L’abbé Bionaz a contribué à exprimer (à la cure de Saint-Nicolas, son foyer entouré de “montagnes visibles et invisibles”) avec originalité et un attachement particulier, l’identité spécifique de cette région, en contribuant ainsi à privilégier une dimension européenne des valeurs et des caractéristiques culturelles que ses membres ont transmises au fil des siècles. Émile Bionaz (Archives famille Bionaz) 94 n o t e s Je remercie l’Assessorat de l’Éducation et de la Culture, le Brel, le Centre d’Études franco-provençales, M. Omar Borettaz pour leur disponibilité et leur collaboration, et surtout mon cousin Laurent, le descendant le plus jeune de la famille Bionaz, auteur du montage des photos. 2 Fils de Laurent et de Marie-Gertude Jacquin, d’une famille provenant de Bionaz, établie à Quart, il devint prêtre le 19 juin 1886. Il fit parti des élèves de la Maîtrise de la Cathédrale d’Aoste de 1875 à 1880. (abbé J.-M. Henry, Notes sur la Maîtrise de la Cathédrale d’Aoste, Aoste, 1919, p. 6). Il fut vicaire à Hône, à Perloz. à Roisan, à Gignod, à Saint-Pierre et encore à Gignod. Le 27 avril 1893 devint curé de Saint-Nicolas. A.-M. Careggio, Le clergé valdôtain de 1900 à 1984, Aoste, 1985, pp. 22-23. 3 Emile Bionaz, a cura di Janus, A.-M. Careggio, G. Maccaferri, Aosta, 1987; L’alpinisme à l’eau de rose : Emile Bionaz alpiniste-écrivain (1862-1930) 1998 ; L’eau apprivoisée, à travers les photographies de Emile Bionaz, Jules Brocherel, Octave Bérard, René Willien (1890-1970), Région autonome de la Vallée d’Aoste, Assessorat à l’Éducation et à la Culture, Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique, Aoste, s.d. (2003 ?) ; Habiter le temps : photographies de Grat Ronc, Emile Bionaz, Jules Brocherel, Jean Fusanotti (1890-1920), Région autonome de la Vallée d’Aoste, Assessorat à l’Éducation et à la Culture, Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique, Aoste, 2004 ; Photographies… à croquer : Ronc, Bionaz, Broggi-Brocherel, Meynet, Champion, Bérard, Willien (1880-1960), Région autonome de la Vallée d’Aoste, Assessorat à l’Éducation et à la Culture, Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique, Aoste, s.d., (2005 ?) ; Quand l’habit faisait le moine : l’habillement, signe d’identité d’une communauté à travers les photographies de Ronc, Bionaz, D’Hérin, Seris, Broggi-Brocherel, Fusanotti, Meynet, Champion (1890-1940), Région autonome de la Vallée d’Aoste, Assessorat à l’Éducation et à la Culture, Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique, Aoste, 2006 ; Les étapes de la vie… : les rites de passages à Saint-Nicolas au début du xxe siècle, Région autonome de la Vallée d’Aoste, Assessorat de l’Éducation et de la Culture, Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique Centre d’Études francoprovençales « René Willien » Aoste, 2008. Sur Émile Bionaz voir aussi : abbé J.-M. Henry, L’alpinisme et le clergé valdôtain, in « Bulletin de la Société de la flore valdôtaine », n° 5/10, Aoste, 1914-1921 ; « Revue Diocésaine d’Aoste », 8 oct. 1930 (an.) ; « La Provincia di Aosta », 9 ottobre 1930, p. 2 (signé P.) ; « Bulletin de la Société Académique religieuse et scientifique du Duché d’Aoste, vol. 23, 1934, pp. XII-XIII ; L. Colliard, La Culture Valdôtaine au cours des siècles, Aoste, 1976, pp. 531-533 ; G. Bozzi, Ricordi del mio Curato, Aosta, 1980; H. Armand, Saint-Nicolas, vie et culture d’une commune de montagne, Aoste, 1989, pp. 74-92. 4 E. Bionaz, L’alpinisme à l’eau de rose : paysages valdôtains, 1ère série, Éditions de la Vallée d’Aoste, Paris 1924; IB. Alpinisme à l’eau de rose, in « Bulletin de la Société de la Flore valdôtaine », Aoste 1920, n. 14, pp. 19-28; IB. Alpinisme à l’eau de rose, in « Bulletin de la Société de la Flore valdôtaine », Aoste, 1922, n. 15, pp. 17-24; 5 J. Lale Démoz, Profil physique et moral, in « Bulletin paroissial de Saint-Nicolas », janvier 1931, pp. 5-6. 6 E. Bionaz, Journal quotidien, inédit , 1893-1930, Archives Famille Bionaz. 7 E. Bionaz, Journal, cit., 30, 31 avril 1908, 1er mai 1908. 8 E. Bionaz, Journal, cit., 30 octobre 1908. 1 95 L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne E. Bionaz, Journal, cit.,10 décembre 1909. E. Bionaz, Journal, cit., 1er décembre 1909. 11 E. Bionaz, Sermons, inédits, Archives Famille Bionaz. 12 E. Bionaz, Journal, cit., 1er décembre 1909. 13 E. Bionaz, Journal, cit., 27 novembre 1909. 14 Évariste Thomasset, secrétaire communal et instituteur. Son frère Marius, instituteur à Villeneuve, élève de Cerlogne, est considéré le lien entre le poète et la génération suivante de patoisants. (Cerlogne et les autres, voyage auprès des savants qui ont connu Cerlogne, Centre d’Études Francoprovençales « René Willien », Aoste, 2010). 15 Joséphine Porliod, sœur de Basile Porliod (1872-1915), vicaire à Saint-Nicolas de 1910 à 1913 (A.-M. Careggio, Le clergé cit., p. 177) fut au service de l’abbé Bionaz à partir de 1894 jusqu’aux années 1919-20. Elle fut remplacée par Marie Thomasset à partir de 1923 jusqu’à la mort de l’abbé. 16 Il s’agit de Sylvain Cerlogne, neveu de l’abbé Cerlogne. 17 Il s’agit vraisemblablement de Basile Porliod, du maçon Ganier et du fermier de la cure de Saint-Nicolas. 18 Pierre-Jean Gorret (1886 -1977). Cf. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p.110. 19 Joseph-Marie Henry (1870-1947), curé de Valpelline de 1903 à 1947, est une personnalité de relief du clergé valdôtain. Alpiniste, botaniste, cartographe, philologue, félibre, est l’auteur de L’histoire populaire, religieuse et civile de la Vallée d’Aoste, Aoste, 1922. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., pp.114-115 ; L. Colliard, La culture, cit., pp. 476-482. 20 François-Gabriel-Michel Frutaz (1859-1922). Historien, archéologue, paléographe, écrivain, président de l’Académie Saint-Anselme de 1908 à 1922. C’est sous sa présidence que l’abbé Bionaz fut élu membre de l’Académie le 22 août 1921. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., pp.94-95 ; L. Colliard, La culture, cit., pp. 454-464. 21 Il s’agit du « Bulletin de la Société de la Flore valdôtaine », 1ère série, Aoste 1902-1941. 22 Béthaz Pierre-Joseph (1853-1926), curé d’Allein de 1880 à 1926. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 21. Emilien-Joseph (1877-1957), A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 20. 23 Crétaz Odon-Henri (1869-1945). A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 65. 24 L’archiprêtre Bochatey Fabien-Antoine (1851-1919). A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 26. 25 Perrod Principe-Evariste (1851-1923). A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 163. 26 Chanoine Maxime-Michel Durand (1885-1966). Il fut vicaire à Avise en 1910-1911. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 80. 27 Révérend Sestier Joseph-Laurent (1862- ?). A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 191. 28 Joseph-Marie-Honoré Dupont (1866-1933). A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 80. 29 Thomasset César-Jules (1859-1926), curé de Villeneuve de 1896 à 1926. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., p. 197. 30 Cf. note n° 20. 31 Vraisemblablement il s’agit du chanoine Jules-Jean-Baptiste Lucat (1855-1941) ancien curé de Saint-Nicolas de 1884 à 1893, dont l’abbé Bionaz fut le successeur à la cure de Saint-Nicolas. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., pp. 136-137. 32 Lyabel Louis-Alexis (1870-1962), curé de Saint-Pierre de 1909 à 1931. A.-M. Careggio, Le clergé, cit., pp. 137-138. 33 Il s’agit vraisemblablement de l’aumônier de la chapelle du château de Saint-Pierre. 34 E. Bochet - O. Pane , Exposition en souvenir de Zacharie Thomasset, « Nouvelles du Centre d’Études Francoprovençales René Willien » n° 32, Saint-Nicolas, 1995, pp. 64-76. R. Willien, Cerlogne, Aoste, 1974, pp. 950-959. E. Lagnier, Il « faux-bourdon » in Valle d’Aosta, Università degli Studi di Bologna, Dipartimento di Musica e spettacolo, Bologna, 1989, pp. 46-54. 37 E. Bionaz, Journal, cit., 30-31 décembre 1910. 38 « Noutro Dzen Patoué » textes présentés et rassemblés par R. Willien, n° 8, Aoste, 9 35 10 36 96 1974, p. 874. 97 Un commercio di parole Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne Gianpaolo Fassino 1. Il carteggio fra Costantino Nigra e JeanBaptiste Cerlogne I rapporti fra Costantino Nigra e JeanBaptiste Cerlogne sono documentati da un articolato carteggio che i due si scambiarono fra il settembre 1896 e il luglio 1904. Si tratta di 19 lettere di Nigra e 10 minute di Cerlogne, custodite presso il Centre d’études francoprovençales di Saint Nicolas. Esse furono segnalate e studiate per la prima volta da Corrado Grassi (1963-1964) e poi edite integralmente da René Willien (1974, pp. 855-870). Nessuna delle lettere originali di Cerlogne indirizzate a Nigra risulta conservata né presso il Fondo Nigra del Museo nazionale del Risorgimento Italiano di Torino né presso la Biblioteca Civica “Carlo Trabucco” di Castellamonte, che pure conserva un piccolo ma interessante fondo di lettere ed altra documentazione inerente il Nigra. Grande importanza, al fine della ricostruzione integrale dello scambio epistolare, acquisiscono dunque le minute di Cerlogne. Da una lettera di Anton Lehner, collaboratore del Nigra, scritta in un italiano incerto da Vienna il 3 febbraio 1910 ed indirizzata a un “pregiatissimo signore” individuabile probabilmente con il cognato, sicuramente un famigliare del Nigra, veniamo a sapere che molte delle carte del diplomatico canavesano vennero distrutte: «Secondo la mia opinione le memorie di S.E. non esistanno piu credo che sono state straciate e bruciate, perché un anno prima che sia morte S.E., a Venezia mi ha dato molte molte carte da bruciare. Di quest’affari sa anche il Signor Avv. di Roma1, e percio credo che non esisto più niente del grand’uomo»2. L’esame dell’inventario del Fondo Nigra del Museo del Risorgimento di Torino conferma del resto come ci si trovi di fronte ad un fondo documentario molto frammentario e lacunoso, se rapportato a un personaggio che ha percorso una lunga carriera diplomatica e parallelamente sviluppato una intensa attività di studio e di ricerca. Lacune che riguardano non solo il carteggio ‘diplomatico’ (la cui distruzione 99 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne è più comprensibile), ma anche molte carte del carteggio ‘scientifico’. Forse le lettere di Cerlogne finirono bruciate nel camino della casa veneziana di Nigra, che affacciava sul Canal Grande, insieme con quelle ricevute da Delfino Orsi, da Graziadio Isaia Ascoli, da Alessandro D’Ancona e da tanti altri intellettuali del tempo con cui Nigra fu legato da stretta amicizia e duratura collaborazione e di cui si sono conservate invece pochissime missive (Caselli-Corbo, 1984, pp. 201-203). Ulteriori informazioni sul Vocabolario valdostano potranno però emergere in futuro dall’esame delle oltre duecento lettere di Costantino Nigra a Graziadio Isaia Ascoli, custodite dalla Biblioteca dell’Accademia Nazionale dei Lincei e Corsiniana di Roma, relative al periodo 1869-1906. La presenza – come vedremo meglio più avanti – del manoscritto del Vocabolario fra le carte di Ascoli stesso lascia ipotizzare – in attesa di trovare ulteriori riscontri – che esso potesse essere destinato alla pubblicazione sull’Archivio glottologico italiano, fondato e diretto da Ascoli e dove Nigra aveva pubblicato numerosi saggi. Nigra sembra avesse una certa qual fretta nel procurarsi le parole richieste a Cerlogne («Il tempo a disposizione per entrambi è poco», «Preferisco avere il manoscritto, anche incompleto, subito, piuttosto che averlo più completo tra sei mesi»), il che porterebbe a pensare fossero destinate ad un qualche esito editoriale imminente poi però non concretizzatosi. Va ricordato che proprio in quegli anni Nigra pubblicò sull’Archivio glottologico cinque serie di Note etimologiche e lessicali (18981901). In queste note e in altre pubblicazioni realizzate nello stesso torno di I Liberatori d’Italia. Costantino Nigra (seconda fila – terzo da sinistra) è raffigurato insieme a Vittorio Emanuele II, Cavour, Garibaldi e agli altri grandi personaggi del Risorgimento italiano (stampa XIX sec., coll. privata) 100 Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne anni Nigra, nella sua “grande comparazione” di lingue e dialetti, inserì anche esemplificazioni tratte dal valdostano (Nigra, 1903; 1905). Lo studio dei rapporti epistolari di Nigra ha ricevuto nuovo impulso a partire dal convegno Le opere e i giorni di Costantino Nigra etnologo (Castelnuovo Nigra, 2729 giugno 2008) tenutosi in occasione del centenario della sua morte (GrimaldiFassino, 2011). In quella sede Luigi M. Lombardi Satriani propose in una mozione, unanimemente approvata, «che tale epistolario sia oggetto di un’accurata ricerca, volta al reperimento in Italia, in Francia e in altri paesi di lettere dello studioso e uomo politico-diplomatico» (Fassino, 2011 c, p. 14). Sulla scorta di questo rinnovato interesse per l’epistolario di Nigra il carteggio con Cerlogne è stato recentemente nuovamente indagato da Valentina Mazzon in una tesi di laurea discussa presso l’Università del Piemonte Orientale (Mazzon, 2009-2010). 2. Nigra-Cerlogne: due autori e una corrispondenza che diventa amicizia Costantino Nigra entrò in contatto con Cerlogne nella tarda estate del 1896, dopo aver letto la Petite grammaire du dialecte valdôtain, acquistata a luglio tramite la libreria Clausen di Torino. Nell’introduzione a questo testo Cerlogne spiegava di aver raccolto un “vocabulaire (manuscrit)”, che gli era stato necessario preparare per poter poi studiare i meccanismi del dialetto e quindi procedere nella composizione della grammatica (Willien, 1974, p. 223). Nigra, interessato per i suoi studi linguistici a questo vocabolario, scrisse a Cerlogne “presso la tipografia J.B. Cerlogne a Front Canavese”, affidandosi all’indicazione tipografica riportata nel frontespizio della Petite grammaire. In realtà, come noto, Cerlogne pubblicava i suoi scritti utilizzando personalmente una piccola pressa portatile, per cui nel paese canavesano non esisteva più alcuna “Tipografia Cerlogne” da almeno un paio di anni, quando il sacerdote di Saint-Nicolas aveva lasciato le Grange di Front per spostarsi nelle Valli di Lanzo (Fassino, 2011 b). Si verificò per questo motivo un piccolo disguido postale (con lo smarrimento della prima lettera di Nigra a Cerlogne), ne seguì uno scambio di lettere interlocutorio in seguito al quale Nigra ripeté in una nuova lettera, datata 17 settembre 1896, i motivi di interesse per il dizionario inedito raccolto dal sacerdote: Je m’occupe des dialectes de la Savoie et du Piémont, et je voudrais compléter ces études par celle du Valdôtain, qui est si intéressant, et si injustement négligé jusqu’à ce jour. Malheureusement je ne puis pas me rendre maintenant dans votre belle Vallée, que j’ai parcourue autrefois dans ma jeunesse, et je n’ai pas non plus beaucoup de temps pour ces études. Je ne puis leur consacrer que les jours de vacances, et quelques heures de loisir, lorsque mes occupations assez sérieuses hélas! n’exigent pas tout mon temps. Je désirais donc être aidé dans mes recherches sur le dialecte, ou les dialectes valdôtains. Mais les livres font défaut. Votre essai 101 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne de grammaire est la seule tentative sérieuse dans cette direction. Et d’ailleurs mes recherches sont plutôt tournées vers la partie lexicale. Ayant appris par vos publications que vous avez tout prêt un dictionnaire valdôtain, j’avais pris la liberté, dans ma lettre perdue, de vous prier de vouloir bien m’envoyer la liste de quelques mots dans le langage de votre pays. Je viens vous renouveler ma prière, et je vous transmets ici une nouvelle liste. Mais j’ajoute une autre proposition. Si vous êtes disposé à publier votre Dictionnaire, je suis prêt, par pur amour de la science, à contribuer à la dépense de cette publication, qui naturellement portera votre nom. Si le dictionnaire n’est pas prêt pour la publication, au moins pourriez-vous faire faire une copie manuscrite de la partie que vous avez déjà recueillie, c’est à dire des mots valdôtains déjà rassemblés dans vos cahiers, et la mettre à ma disposition, contre la rétribution et le remboursement des dépenses que vous voudrez bien m’indiquer. Seulement si vous agréez l’une ou l’autre de ces propositions, je vous serais bien reconnaissant d’une décision aussi prompte que possible, car nous ne pouvons plus compter sur beaucoup de temps ni vous ni moi3. Cerlogne rispose prontamente il 20 settembre, comunicando a Nigra che il dizionario, ancora incompleto, conteneva all’incirca diecimila parole e che egli era ben lieto di collaborare « de la manière qu’il me sera possible », onorato da « tant de confiance et surtout de la bienveillance, chose assez rare pour un pauvre petit auteur ». A stretto giro di posta Nigra incalzava Cerlogne il 24 settembre: Je suis donc disposé à prendre votre dictionnaire manuscrit. Ayez seulement la complaisance de me faire savoir le montant de la composition qui vous semble équitable. Je pense que nous nous entendrons à ce sujet sans difficulté. Je crois, comme vous, qu’il est plus avantageux pour vous de me céder votre manuscrit à un prix convenable, que de le faire imprimer avec mon concours pécuniaire, sans autre profit pour vous, que celui de la gloire d’auteur. Du reste, si vous me cédez votre manuscrit, la gloire, s’il y en aura, vous l’aurez tout de même, car en le publiant, ou en m’en servant pour mes études, je ne manquerai pas de publier que le travail vous appartient, et que vous en avez tout le mérite pour la fatigue et les soins qu’il vous a coûté. Seulement je vous demanderai : 1° de me permettre d’écrire les mots valdôtains avec la graphie adoptée par les maîtres en ces sortes d’études, ce qui sera mon affaire ; 2° de vouloir bien être assez bon pour continuer à me donner les renseignements que je serai dans le cas de vous demander. 102 Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne Soyez bien persuadé, Monsieur l’abbé, que je n’exige nullement, de votre part, une collaboration de savant. Je n’ai besoin non plus de posséder une collection de mots savants, importés dans la vallée soit d’Italie soit de France ou d’ailleurs. Ce qui me faut, c’est le recueil sincère des mots et des formes qui sont indigènes, dans la vallée, tels qu’ils sont prononcés par les humbles gens, par les paysans, par les pâtres, par les vielles femmes ignorantes et par ceux qui sont, comme les prêtes des petits villages, en contact quotidien avec le petit peuple. D’après ce que j’ai lu de vos écrits, vous êtes parfaitement à même de me fournir cette matière première, si on peut ainsi l’appeler, qui à mes yeux a plus d’importance et plus de valeur que de beaux discours écrits dans une langue étudiée et soignée par des demi savants. Vous voyez que mes idées concordent assez avec les vôtres sur ce sujet. Je récapitule. D’abord j’attends de vous la liste des mots valdôtains que je vous ai transcrits en français. Ensuite je vous prie de me faire connaître vos intentions à l’égard du montant de la compensation pécuniaire. Et enfin je vous engage à vous mettre en mesure de pouvoir m’envoyer votre manuscrit aussitôt que nous serons tombés d’accord. Je préfère avoir le manuscrit, même incomplet, tout de suite que de l’avoir plus complet dans 6 mois. S’il y a des lacunes je pourrai toujours vous les indiquer plus tard, et je suis certain que vous aurez toujours l’obligeance de me fournir les mots ou les formes manquantes que je serais dans le cas de vous signaler. Questa lettera è di estremo interesse in quanto evidenzia come Nigra cercasse e vedesse in Cerlogne non solo un ‘informatore’, ma anche un ‘mediatore’ attraverso cui entrare in contatto, seppure solo a distanza ed indirettamente, con il ‘popolo’, i ‘contadini’, le ‘anziane donne ignoranti’, ma anche ‘i curati dei piccoli villaggi’, a loro volta ‘in contatto quotidiano con il popolo’ (qui il riferimento a uomini come Cerlogne, seppur implicito, è evidente). Il mediatore culturale è figura necessaria per un completo inserimento all’interno della cultura locale, elemento imprescindibile di contatto fra l’etnologo e le comunità oggetto di studio. Tanto più lo era per uno studioso come Nigra, che per tutta la vita si trovò a vivere lontano dai suoi terreni di indagine, e che quindi era obbligato per la raccolta dei dati sul terreno ad avvalersi della collaborazione di persone come l’abbé Cerlegne. La figura del mediatore troverà ampia diffusione nella pratica delle ricerche sul terreno per tutto il corso del Novecento, e possiamo quindi vedere Nigra come un anticipatore e precursore sui territori alpini di metodologie destinate dopo di lui ad un grande sviluppo. 103 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne inizialmente pensava di accogliere la proposta di Nigra di farsi da lui co-finanziare la pubblicazione del dizionario, ma poi ricevuta questa ulteriore lettera dell’ambasciatore, si convinse che la soluzione migliore era la ‘vendita’ delle parole. Il sacerdote valdostano rispose a Nigra prontamente con due diverse lettere scritte la prima subito al ricevimento della lettera del 24 settembre, la seconda il 27 seguente: Mon livre, soit dictionnaire, en feuilles de protocole [...], a 130 pages sur trois colonnes; les mots y sont placés par ordre alphabétique tant ceux qui nous sont communs avec le français que ceux qui nous sont propres. Mais ils n’ont pas encore leur mot correspondant, ou l’explication voulue, pour les faire connaître [...]. J’attendais pour cela la fortune de pouvoir le faire imprimer. Pour faire ce travail il me faudrait 9 ou 6 mois. Outre qu’ils sont sur ce livre les mots plus particulièrement du dialecte sont sur un cahier a part environ 2 000. Comme il me Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne paraît que vous teniez plutôt aux mots patois non encore limés par la science, je pourrais vous les envoyer par feuilles entières de protocole. Ce serait l’affaire de deux mois tout au plus. [...] Par rapport a la compensation soit dans un cas soit dans l’autre je laisse cela à la discrétion de Mr le Comte qui jugera non seulement de par le mérite, mais encore des peines et des fatigues pour faire cette collection. Mr l’Abbé Rousselot a dit en présence de Mgr notre Évêque que le lexique de l’Abbé Cerlogne valait de plus que celui de M. le Chanoine Bérard4, un savant de la cité d’Aoste. E da Cantoira il 27 settembre 1896 Cerlogne proseguiva: Je vous envoie les noms patois que vous m’avez demandés. [...] Maintenant reste à voir ce que Son Excellence en pensera. Si je vous donne le manuscrit je crains que mes compatriotes ne me la pardonneront pas de m’être dessaisi d’une chose toute valdôtaine et patriotique, tandis qu’en le faisant imprimer il y en aurait pour vos amis et pour les miens. Queste parole lasciano trapelare come Cerlogne in questo rapido scambio epistolare non avesse del tutto scartato l’ipotesi della pubblicazione, ma i debiti da lui accumulati non gli permettevano di attuarla: je ne pourrai contribuer – proseguiva l’Abbé Cerlogne – ni pour peu ni pour beaucoup à l’impression de l’ouvrage; j’ai dû vendre la moitié de mon bien pour payer 1200 fr. [pour] l’impression de mon recueil de poésies, et j’en ai retiré pas même 300 fr. J’ai dû entretenir mon vieux père et mon frère durant cinq ans, et après la mort de celui ci, en 1881, il m’a fallu entretenir ses quatre petits garçons dont le plus âgé n’avait que six ans. Voyant dans votre cœur une générosité que je n’ai jamais rencontrée et que je ne rencontrerai jamais plus, ma confiance se ranime. Vous n’auriez qu’a me donner un modèle de la compilation du lexique et pour ce printemps le travail serait fait. L’ouvrage serait en partie a vous, et porterait que S. Excellence le Sénateur Comte Nigra le tira de la poussière où il était pour toujours condamné. Il 4 ottobre 1896 da Vienna il Conte Nigra scriveva nuovamente a Cerlogne, precisando così la quantità delle parole che gli necessitavano e l’ammontare del compenso: 104 105 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Voici ce que je vous propose : Vous me fournirez environ 3 000 mots choisis par vous parmi ceux qui sont propres à la vallée ou qui s’éloignent le plus du français littéraire, avec la traduction de chaque mot en français. En outre, vous me fournirez un autre millier de mots que je vous indiquerai moi-même après que j’aurai vu et examiné ceux que vous m’aurez envoyés. En tout, vous m’enverrez donc environ 4 000 mots, plus ou moins. Nous ne les compterons pas. En compensation je Vous enverrai mille lires (L. 1.000). Cela fait environ 25 centimes par mot accompagné de la traduction. Je suppose que vous pouvez facilement écrire avec soin 60 mots par jour, ce qui ferait une compensation de 15 lires par jour et le travail pourrait ainsi être accompli en 2 mois et demi à peu près. Je vous envoie ci joint un acompte de 100 lires sur la Banque d’Italie [...]. Vous pouvez ainsi garder votre dictionnaire et le publier si vous en aurez l’occasion, ou en disposer autrement. Moi, de mon côté, je pourrai faire de votre envoi l’usage que je jugerai convenable. Je pourrai même le publier. Mais en ce cas, j’aurai soin d’indiquer dans la préface ou autrement, que c’est vous qui m’avez fourni les mots. Count Nigra, disegno di Carlo Pellegrini (in arte Ape), pubblicato su “Vanity Fair” del 6 marzo 1886. (Archivio Piercarlo Grimaldi) 106 Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne Je vous prierai de faire précéder votre premier envoi par un tableau indiquant la valeur de chaque lettre employée par vous dans la transcription, c’est à dire en mettant à côté de la lettre le son correspondant en français; et lorsque le son n’existe pas en français, comme p. e. pour tsch, vous mettrez le son correspondant en italien ou en piémontais. Je me réserve du reste de vous demander toujours des explications pour les cas douteux; et j’ai du reste aussi sous les yeux votre petite grammaire. Je vous prie de ne pas épargner le papier. Comme le glossaire doit être arrangé par ordre alphabétique, il faudra que les mots soient espacés, afin qu’on puisse intercaler au besoin les mots oubliés. Et maintenant mettez-vous au travail. Je crois que ma proposition est bonne pour vous, car vous gardez votre manuscrit avec faculté de le faire imprimer, ou de le céder a d’autres comme il vous plaira, et en même temps pour la transcription des mots et de leur signification que vous ferez pour moi vous recevrez une compensation équitable, que vous n’obtiendriez d’aucun éditeur. Seguono poi varie lettere di trasmissione degli elenchi di parole da parte di Cerlogne e di richiesta di precisazioni da parte di Nigra. Merita soffermarsi in particolare su una di queste, datata 17 febbraio 1897, dove Nigra cerca di stimolare il proprio interlocutore a scrivere non solo versi, ma anche racconti in prosa, ma soprattutto invita Cerlogne a raccogliere in Valle d’Aosta un volume di canti popolari sul modello di quanto da lui fatto per il Piemonte (Nigra, 2009): J’ai lu l’article de l’abbé Chanoine Vuillermoz5 que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je suis content de voir qu’on apprécie vos écrits. Cela doit vous encourager à continuer. Seulement pour mon compte je préférerai que vous écriviez de petites nouvelles en prose, pour l’instruction, la moralité et aussi pour le développement du petit peuple. N’oubliez pas que c’est le petit peuple, que ce sont les paysans et surtout les paysannes, les vieilles mères, qui conservent l’héritage fané du langage. Tenez, je vais vous donner une idée. Je suis l’auteur d’une grande collection de chants populaires piémontais. Parmi ces chants, que j’ai recueillis autrefois de la bouche des paysans de mon pays, il y a aussi des chants religieux, des prières, des jaculatoires, des invocations des Saints, etc., le tout en patois. Vous devez avoir dans la vallée des chants et des prières semblables, conservées par les vieilles mères, par les mendiants, peut-être aussi par les pauvres prêtres 107 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne du pays. Vous devriez recueillir tout cela, et vous rendriez un service à votre vallée, à sa langue, et aussi à la nouvelle science populaire qu’on appelle le folklore. I due, dopo 8 anni di corrispondenza si incontrarono poi di persona – fu probabilmente la prima e unica volta – dall’11 al 22 luglio 1904 al Grand Hôtel Royal di Courmayeur, dove l’abbé Cerlogne ebbe finalmente la possibilità di far sentire a Nigra, attraverso la propria viva voce, il suono di quelle 4000 parole che aveva raccolto ed annotato nel suo repertorio (Willien, 1974, pp. CXLVII, 513). Nigra stesso, dopo oltre quattro anni di silenzio dell’epistolario, non si era infatti dimenticato del suo collaboratore, cui il 2 luglio da Venezia scrisse una lettera per combinare l’incontro: Je me propose d’aller passer quelques semaines a Courmayeur. Dans cette occasion j’aimerais bien vous voir. Peut être pourrai je vous voir a Aoste même, avant de poursuivre ma route. En tout cas veuillez me faire savoir à l’hôtel Royal à Aoste, où je m’arrêterai pour déjeuner, quand et où je pourrai vous voir. Je suppose que j’arriverai a Aoste le 8 ou le 9 courant à midi. Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne Cerlogne diede conto dell’incontro con Nigra nel supplemento del 1904 della sua autobiografia Les étapes de la vie (Willien, 1974, p. 513). Nigra da parte sua ne accennò all’amico e collega molisano Francesco D’Ovidio, con cui intratteneva una fitta e interessante corrispondenza. Al termine della villeggiatura gli comunicò soddisfatto di aver «passato due mesi a Courmayeur ai piedi del Montebianco, profittando del fresco e dell’ozio per riprendere i miei studi lasciati di Valdostano» (Bruzzone, 2008, p. 701). Cerlogne pubblicò poi autonomamente il suo Dictionnaire du patois valdôtain nel 1907 (lo stesso anno della morte di Nigra), mentre una copia del manoscritto del Vocabolario valdostano di Nigra finì, insieme ai libri di Graziadio Isaia Ascoli, alla Biblioteca Civica di Milano, dove venne poi ritrovato ed edito da Pietro Settimio Pasquali (Pasquali, 1932 b; 1941; Nigra, 1963). Gli elenchi manoscritti dei vocaboli trasmessi da Cerlogne a Nigra sono invece stati recentemente individuati da Lorenza Pescia fra le carte di Carlo Salvioni (allievo di Ascoli) alla Biblioteca Ambrosiana di Milano (Pescia, 2011). Come si vede una storia intrecciata che lega profondamente il mondo della “alta filologia” e della “grande comparazione” con l’universo di un piccolo prete di montagna – un “pauvre prêtre du pays” avrebbe scritto Nigra – , in uno scambio però sempre fecondo e reciproco6. 3. Pietro Settimio Pasquali e l’edizione del Vocabolario valdostano di Costantino Nigra Merita ricordare in questa sede anche la figura umana ed intellettuale di Pietro Settimio Pasquali (1910-1940), editore del Vocabolario valdostano di Nigra, comparso su Ævum nel 1941. Originario di Pontremoli, Pasquali aveva studiato all’Università Cattolica del Sacro Cuore sotto la guida di Luigi Sorrento (ordinario di filologia romanza, ma attento – stando ai titoli della sua bibliografia – anche alla dimensione popolare dei fatti culturali). Alla Cattolica Pasquali era stato allievo per le lingue semitiche del canonico valdostano Giustino Boson7. È ipotizzabile che quest’ultimo (nato nel 1883) avesse avuto in gioventù qualche rapporto di conoscenza con Cerlogne (morto Pietro Settimio Pasquali (Archivio Associazione “Manfredo Giuliani” - fondo Nicola Michelotti Villafranca in Lunigiana). 108 109 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne nel 1910) in quanto entrambi appartenenti al clero diocesano aostano. Boson, studioso di lingue orientali, aveva inoltre probabilmente conoscenza dei materiali lasciati da Graziadio Isaia Ascoli alla Biblioteca Civica di Milano8, fra cui la copia “poligrafata” del Vocabolario poi edita dal Pasquali. Il canonico di Valgrisanche aveva anzi preannunziato nel 1932 un proprio studio di comparazione fra i due lessici di cui però poi «non se ne seppe più nulla». (Grassi, 1963-1964, p. 271)9. Pasquali intraprese ben presto la carriera accademica venendo «incaricato all’Università di Cagliari delle cattedre di glottologia, lingua e letteratura francese». (da Mareto, 1973, pp. 429-430). La sua morte prematura, a soli trent’anni, lo fece poi purtroppo ben presto dimenticare: tale studioso è rimasto un po’ in ombra nelle bibliografie di studi sul Nigra, il suo stesso nome fu del resto pubblicato in forma abbreviata (P.S.) sia nell’edizione del Vocabolario valdostano del 1941 che nella ristampa anastatica fatta dalla Bottega d’Erasmo nel 1963 (e di qui poi in tutta la successiva bibliografia), al punto di farlo diventare, al di fuori della stretta cerchia di questi studi, di fatto uno sconosciuto, quasi una sorta di Carneade degli studi nigriani. La figura di Pasquali, poliedrico studioso di linguistica e di tradizioni popolari (ma non solo), venne ricordata con parole commosse (e commoventi) dal suo Maestro Luigi Sorrento su Ævum (1941) e da Paolo Toschi in un necrologio pubblicato sulla rivista Lares: la caratteristica di cui s’improntava l’attività del Pasquali – scriveva Toschi – era quella degl’ingegni precoci: una prodigiosa insaziabile sete di conoscenza, una fervida tumultuosa quasi incontenibile passione di ricerca, e un continuo desiderio d’immediata realizzazione […]. Il più e il meglio del suo lavoro – proseguiva il folklorista romagnolo – era orientato verso gli studi di linguistica e di toponomastica […]. Ma anche gli studi delle tradizioni popolari, che del resto hanno tanti punti di collegamento con la linguistica, sono stati intensamente coltivati dal Pasquali […] i suoi saggi sui gerghi […] costituiscono un apporto veramente importante a questo ramo di ricerche in cui s’incontrano linguistica e demologia. (Toschi, 1940, pp. 454-455)10 Su questo tema dei gerghi merita qua ricordare in particolare una sua breve nota intitolata Etimologie gergali valdostane del 1934 dove analizza i termini koćár, -da (padrone/a), garfa (bocca) e mélo (prete). Sempre di argomento valdostano sono poi altri scritti del Pasquali dei medesimi anni, che è utile segnalare per contestualizzare meglio anche il suo impegno scientifico di curatore dell’edizione del Vocabolario valdostano di Nigra. Si devono allo studioso pontremolese ad esempio i saggi Ancora del nome di “Ayas” del 1933 e “Lausanne” nell’onomastica medievale valdostana del 1934 (Pasquali, 1933; 1934 a, b). Il nome di Pasquali (all’epoca giovane ventiduenne) compare anche nell’elenco dei collaboratori 110 Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne della rivista Aosta per un breve periodo, dal mese di marzo a dicembre 1932. Degli articoli di argomento etnografico comparsi su Aosta fra il 1929 e il 1933 il giovane studioso ne pubblicò uno spoglio su Lares; su quest’ultima prestigiosa rivista segnalò anche lo studio di Lino Binel, La pierre et le bois, comparso a puntate sulla Revue diocésaine d’Aoste nel 1933 (Pasquali, 1937 a; 1937 b). Testimonianza dell’interesse di Pasquali per le ricerche linguistiche di Nigra è invece un Nuovo contributo allo studio e alla conoscenza del gergo Valsoanino (1936), che echeggia fin dal titolo le pagine di Nigra su Il gergo dei Valsoanini pubblicate nell’Archivio glottologico italiano del 1878 in appendice alla Fonetica del dialetto di Val-Soana. Agli studi nigriani è riconducibile anche il saggio Bernardino Biondelli e Giovenale Ruscalla (1932 a), quest’ultimo – autore come ben noto del libretto intitolato Diritto e necessità di abrogare il francese come lingua ufficiale in alcune valli della provincia di Torino (Torino, Bocca, 1861) – era infatti lo suocero di Nigra. 4. Jean-Baptiste Cerlogne e il Piemonte Cerlogne esercitò il proprio ministero sacerdotale in diverse località della Valle (e Diocesi) di Aosta, per poi avventurarsi in un lungo itinerario durato un decennio (1891-1901) che attraverso il Canavese e le Valli di Lanzo lo portò, passando per la città di Torino, fino a Canale (Fassino, 2011 a; 2011 b). Gli anni del soggiorno di Cerlogne in Piemonte sono all’incirca gli stessi anni del rapporto epistolare con Nigra. Questo allontanarsi dalla sua terra tanto amata (Willien ha parlato di “esilio”, p. X) è un “phénomène déconcertant” (Presa, 2004, p. 44) che trova fra gli studiosi di Cerlogne motivazioni differenti: il desiderio di solitudine (Willien, 1974, p. X), questioni economiche (p. XX), motivi di salute (« le besoin d’un climat toujours plus doux se fasait sentir impérieusement », Willien, 1974, p. 418), ma anche quella che Amato Pietro Frutaz ha definito l’“instabilità” di Cerlogne (Frutaz, 1990, I, p. 99), termine del resto utilizzato al riguardo dal poeta stesso proprio in una lettera a Nigra (Willien, 1974, p. 868). Questa peregrinazione «in numerose parrocchie del Piemonte» è anche uno dei cenni biografici caratterizzanti con cui la figura di Cerlogne è presentata da Ferdinando Neri nell’Enciclopedia Italiana (1931, p. 812). Prima tappa quale cappellano “extra-diocesano” fu Barbania dove prese servizio dal 12 settembre 1891. Si trasferì poi alla cappellania di San Rocco alle Grange di Front dal 16 giugno 1893 11. L’anno dopo, il 30 ottobre 1894, passò a svolgere le mansioni di cappellano a Pessinetto e da qui il 20 luglio 1896 risalì la Valle Grande di Lanzo per raggiungere Cantoira dove però si fermò pochi mesi, allontanandosene già nella primavera successiva12. Dall’8 aprile 1897 al 12 ottobre 1898 fu cappellano della chiesetta di San Bernardo alla Calma di Corio, dove poco lontano era parroco don Giuseppe Angelo Balbo, 111 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne con cui ebbe – così sembra intuire – stretta relazione (Willien, 1974, pp. 668669)13. Nell’autunno del 1898 lasciò poi definitivamente le montagne torinesi per trasferirsi a San Vito (Villa Raby), sulla collina di Torino, per tenere compagnia e coadiuvare l’abbé Innocent Foy14, cappellano delle monache trappiste (dal 12 ottobre 1898 al 12 marzo 1899; Willien, 1974, p. 1046). Dopo pochi giorni dal suo arrivo a Torino pubblicò una poesia dedicata a madre Thérèse Astoin, badessa della Trappa torinese (Willien, 1974, p. 440). Va precisato che il monastero di Torino era stato da poco trasferito a Grottaferrata, la maggioranza delle monache aveva già lasciato San Vito il 14 settembre, un mese prima dell’arrivo di Cerlogne; a Villa Raby era rimasta solo la badessa Astoin insieme a quattro suore15. Il monastero – successivamente distrutto – sorgeva nei pressi della villa dei Vegezzi Ruscalla, dove ancora viveva la moglie di Nigra, Emerenziana, circostanza però molto probabilmente non nota a Cerlogne. Dopo un rientro per qualche mese a Champdepraz (marzo-agosto 1899) ultima tappa di questo decennale giro per il Piemonte fu Canale, nelle colline del Roero, dove Cerlogne fece il cappellano alla Madonna di Loreto (26 agosto 1899-12 maggio 1901)16. Je suis ici – scriveva a Nigra il 3 gennaio 1900 – depuis quatre mois cappellano dans un petit village au milieu des vignes, et, grâce à Dieu, j’y suis très bien; il ne me manquait ici que les amis de notre dialecte avec lesquels je n’avais plus eu de correspondance à cause de mon instabilité. 5. Costantino Nigra e la Valle d’Aosta Oltre al rapporto epistolare con Cerlogne Nigra ebbe una lunga e concreta frequentazione con i luoghi della Valle d’Aosta, documentata da una serie di contatti epistolari che ebbe con altri uomini del suo tempo. Dopo aver frequentato la Valle d’Aosta in gioventù (« …que j’ai parcourue autrefois dans ma jeunesse », lettera a Cerlogne, 17 settembre 1896), essa venne nuovamente frequentata da Nigra negli ultimi anni di vita. Vi trascorse le ferie del 1898 (a Châtillon) e del 1899 (a Sarre), come scritto a Cerlogne nella lettera del 27 dicembre 1899. Nell’autunno di quell’anno Nigra è in Valle d’Aosta in compagnia dell’ambasciatore britannico Philip Henry Wodehouse Currie17. Questi il 27 ottobre da Roma ringraziava Nigra dei consigli che al termine del soggiorno in Valle, prima di separarsi, gli aveva dato al fine di effettuare un giro turistico del Piemonte: Je les ai suivis exactement à mon retour de Courmayeur (où par parenthèse j’ai trouvé du fontina excellent et une société turinoise très aimable) et j’ai fait le trajet d’Ivrea à Biella en voiture en passant tant près de votre beau château et en traversant la Moraine18. Le changement de décor quand on descend dans le Biellais est très frappant et j’ai beaucoup admiré la verdure et les 112 Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne superbes châtaignier. J’ai visité Oropa et ai passé une semaine à Andorno où il y a un excellent hôtel où j’ai trouvé la famille Bruschi. De là je ne suis rendu en voiture à Varallo. Encore une ravissante promenade. Ensuite j’ai visité Bellagio, Milan, Venise, Bologne e Ravenna où j’ai suis descendu chez les Pasolini. J’ose vous raconter mon itinéraire, parce-que vous avez été assez aimable pour vous intéresser à mes pèlerinages. Grâce à vous j’ai fait connaissance avec les beautés du Piémont19. Sappiamo poi che Nigra soggiornò nuovamente in Valle d’Aosta nel 1904 (anno dell’incontro con Cerlogne) e nuovamente nel 190520 (sempre a Courmayeur). Non solo il dialetto valdostano né solamente le località di villeggiatura legavano Nigra a questa valle alpina: anche la fontina – il cui sistema di produzione conosceva proprio negli ultimi decenni dell’Ottocento un articolato percorso di scoperta della tipicità evidenziato da Stefano Allovio (2001) – è ben presente nell’epistolario di Nigra, che così ne scriveva il 14 novembre 1896, rivolgendosi ad un membro della famiglia Avogadro di Collobiano, probabilmente l’amico e collega Ferdinando21: Lei mi aveva raccomandato come fornitore di fontina il Gorbier di via Palazzo di Città22. Memore di quella sua raccomandazione mi feci mandare da lui della fontina. Ma purtroppo mi mandò della vecchia fontina, dura, gialla, e di cattivo gusto! Se per caso Lei passa dinanzi alla sua bottega, gli dica che non fui contento. M’ha preso, credo, per un canavesano, che non s’intende di fontina. Venendo a Roma la prego di portarmi la vera ricetta per fare la celebre fondùa 23. Il rinomato formaggio valdostano, già apprezzato anche dall’ambasciatore inglese Currie in occasione della villeggiatura del 1899, è presente pure in una successiva lettera del 4 settembre 1904 in cui comunica al cognato che «trovandomi nel paese della fontina, te ne mando una, pregandoti di mandare la metà a Lionello» (che era il proprio figlio)24. Dal quadro che si è cercato di delineare, quadro ancora incompleto e suscettibile di integrazioni e precisazioni, emergono comunque chiaramente non solo i profondi legami culturali fra Cerlogne e Nigra, ma anche l’attenzione con cui il diplomatico canavesano guardò a questa « bonne et brave vallée » – sono sue parole (lettera del 17 febbraio 1897) – da cui fu attratto per le peculiari caratteristiche linguistiche, ma anche per le produzioni gastronomiche tipiche di cui sembra intuire fosse ghiotto, e per le rinomate località di villeggiatura in cui amava trascorrere le proprie vacanze. 113 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne n o t e 1 Si tratta dell’avv. Guidoboni, suo fedelissimo segretario (Borelli, 1992, pp. 10, 197). 2 Biblioteca Civica “C. Trabucco” - Castellamonte, Fondo Costantino Nigra, lettera n. 180 (autorizzazione dell’Assessorato alla Cultura della Città di Castellamonte n. 4698 del 9 marzo 2011); alla distruzione delle carte di Nigra fa anche riferimento Borelli, 1992, pp. 81-82, 86, 197-198. 3 Tutte le citazioni del carteggio Nigra-Cerlogne sono tratte da Willien (1974) e Mazzon (2009-2010). 4 Si tratta del canonico Édouard Bérard (1825-1889). Il suo Dictionnaire du patois valdôtain, rimasto a lungo inedito, è stato pubblicato nel 2005. 5 Con ogni probabilità si tratta del canonico aostano Séraphin Bruno Vuillermin (18541922), il cui nome potrebbe essere stato erroneamente trascritto da Nigra, cfr. Careggio, 1985, pp. 214-215. Non è stato possibile individuare l’articolo cui fa riferimento Nigra. 6 Alcune di queste riflessioni sul carteggio Nigra-Cerlogne sono state da me anticipate in Fassino, 2011 c, pp. 18-24. 7 Giustino Boson (Valgrisanche 1883 – Aosta 1954) fu libero docente all’Università di Torino di Assiriologia e Lingue Semitiche dal 1924 al 1935, all’Università Cattolica di Milano dal 1925 al 1935 insegnò come incaricato Filologia semitica e poi dal 1935 al 1949 come incaricato di Ebraico e lingue semitiche e di Assiriologia ed archeologia orientale. Sul can. Boson cfr. Careggio, 1985, pp. 31-32; vd. anche i necrologi scritti da Giovanni Rinaldi (1954) e da Ernest Page (1955). 8 Sul Fondo Ascoli della Biblioteca Civica di Milano vd. Rossato, 2009. 9 Lo studio comparativo fra il Vocabolario di Nigra ed il Dictionnaire di Cerlogne era stato annunziato da Boson stesso in una breve nota posta a chiusura dell’articolo di Pasquali, 1932 b, p. 124. 10 Un altro necrologio gli fu dedicato dal linguista canavesano Giandomenico Serra (1940, pp. 153-154); su Pasquali vd. anche Michelotti, 1986-1988. 11 Sulla cappellania di San Rocco di Grange di Front vd. qualche accenno in Aa.Vv., 1999, p. 131 e Scusatone-Dantonia, 1975. 12 Sulla parrocchia di Cantoira e le sue cappellanie vd. Favaro, 2007; Chiariglione-DuvaSilanos, 2000, pp. 120-153. 13 Don Balbo (1831-1907), nativo di Venaria Reale, fu cappellano militare e poi parroco a Piano degli Audi, alla storia della sua parrocchia dedicò Brevi cenni storici della parrocchia di S. Bernardino da Siena in Piano degli Audi (Balbo, 1905). Sui soggiorni di Cerlogne a Barbania, Grange di Front e Corio vd. Rubat Borel, 2004. 14 Innocent Foy (Nus 1846, Roma 1902) fu cappellano delle trappiste a San Vito dal 1° marzo 1898 alla primavera seguente; dal maggio 1899 proseguì con il medesimo incarico nel nuovo monastero di Grottaferrata; su di lui vd. Careggio, 1985, p. 90. 15 Nel 1875 veniva fondata a San Vito, nei pressi di Torino, la prima Trappa femminile in Italia, con un piccolo gruppo di monache francesi trasferitesi dal monastero di Vaise (Lione). La comunità monastica si trasferì poi nel 1898 a Grottaferrata (Roma), per nuovamente spostarsi nel 1957 a Vitorchiano (Viterbo). Sul Monastero di San Vito cfr. s.a., 1988; Crema Giacomasso, 1994, pp. 135-139; qualche riferimento anche in Piccardo, 1999. Nell’archivio del Monastero delle Suore cistercensi della stretta osservanza 114 Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne (Trappiste) di Vitorchiano non risulta conservata documentazione inerente il breve soggiorno di Cerlogne a San Vito (lettera dell’archivista del 13 dicembre 2010, presso l’autore). 16 Sulla cappellania di Loreto (Natività di Maria Santissima) a Canale cfr. Bertello-Molino, 1989, pp. 339-341; Accigliaro-Boffa, 2004, pp. 249-256; Molino, 2005, pp. 92-93. 17 Philip Henry Wodehouse Currie (1834-1906), diplomatico inglese, fu ambasciatore britannico in Turchia dal 1893 al 1898 ed in Italia dal 1898 al 1903. 18 La Serra Morenica, formazione geologica che divide il Canavese dal Biellese. 19 Archivio del Museo nazionale del Risorgimento Italiano – Torino, Palazzo Carignano, Fondo Nigra, cart. 69/103, trascritta in Muzio, 2007-2008, pp. 53-55 (da cui si cita). 20 Il 13 luglio del 1905 da Courmayeur Nigra scrive ad un cugino una lettera, vergata su carta intestata « Gd Hotel Royal Bertolini – Courmayeur (Vallée d’Aoste) – Italie » (Biblioteca Civica “C. Trabucco” - Castellamonte, Fondo Costantino Nigra, lettera n. 156). 21 Ferdinando Avogadro di Collobiano (Torino, 28 aprile 1833 – Vigliano Biellese, 5 ottobre 1904), discendente di una nobile famiglia subalpina, fu senatore dal 1892. 22 A Torino. 23 Collezione Giuseppe Monge, citata in Grimaldi, 2007, p. 81. 24 Biblioteca Civica “C. Trabucco” - Castellamonte, Fondo Costantino Nigra, lettera n. 149. Sulla busta «Al Sig. Cav. Angelo Derossi - Castellamonte (Ivrea)»; su carta intestata « Grand Hotel Royal – M. Bertolini – Courmayeur (Vallée d’Aoste) ». b i b l i o g r a f i a Aa. Vv., Memorie storiche di Front, Leinì, Ingraf, 2a ed, 1999. Accigliaro, Walter, Boffa Gianni, Santuari in Diocesi di Alba: devozione, storia e arte, Alba, Diocesi di Alba, 2004. Allovio, Stefano, L’imporsi della Fontina in Valle d’Aosta fra alpeggi e strategie di mercato, in L’alpeggio e il mercato, a cura di Pier Paolo Viazzo e Stuart Woolf, «Erreffe-La ricerca folklorica», n. 43, 2001, pp. 45-54. 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In questi anni entrò in contatto con Karl Brugmann (18 marzo 1849 – 29 giugno 1919) e con altri autorevoli esponenti dei Neogrammatici2. La sua tesi Fonetica del dialetto moderno della Città di Milano venne pubblicata nel 1883 da Löscher a Torino3. Nel 1885 divenne libero docente di storia comparata delle lingue classiche e neolatine all’Università di Torino, funzione che ricoprì fino al 1889. Fu poi professore incaricato di letterature neolatine all’Accademia scientifico-letteraria di Milano (1889-1890), per poi essere nominato professore straordinario (18901895) e in seguito ordinario (1895-1902) di storia comparata delle lingue classiche e neolatine all’Università di Pavia. Nel 1902 succedette a Graziadio Isaia Ascoli sulla cattedra milanese, dove venne incaricato anche dell’insegnamento del sanscrito. Rimase all’Accademia scientifico-letteraria fino alla morte, il 20 ottobre del 1920. Due tappe importanti della sua carriera furono la direzione dell’Archivio glottologico italiano (dal 1901) e la fondazione nel 1907 del Vocabolario dei dialetti della Svizzera italiana, tutt’oggi in fase di realizzazione. In più di trent’anni di attività scientifica Carlo Salvioni si occupò di etimologia, linguistica storica e dialettologia, ma scrisse anche di politica, letteratura, società, storia. Nei suoi saggi di dialettologia si interessò principalmente ai dialetti 121 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne svizzero-italiani e italiani settentrionali, moderni e antichi, dei quali studiò gli aspetti fonetici, morfologici, sintattici o lessicali, ma l’estensione geografica delle varietà linguistiche da lui studiate è decisamente «ragguardevole: muovendo dalla Lombardia, moderna come antica (…), Salvioni amplia progressivamente il proprio ambito di manovra dapprima, sulle orme dell’Ascoli, all’intera Italia settentrionale dal Piemonte – includendo varietà provenzali e francoprovenzali – al Veneto (testi antichi, testi dialettali, etimologie) giungendo a pronunciarsi infine sul tema ascoliano per eccellenza della questione ladina; quindi alla Toscana, cogli Appunti sull’antico e moderno lucchese, ed all’area mediana, col saggio sull’anticomaceratese Pianto delle Marie, per poi dedicare molte delle pagine scritte nell’ultimo terzo della sua carriera a studi, perlopiù – ma non esclusivamente – lessicali, sulle varietà meridionali, sul sardo e sul còrso» (Loporcaro 2008, 45-46). Da un punto di vista metodologico, le sue indagini scientifiche furono orientate a «descrivere attentamente i fenomeni raccogliendo e interpretando il più ampio materiale possibile» (Broggini 2008, 27; si vedano anche le pp. 36-38). L’interesse per le varietà romanze in generale portò Salvioni ad occuparsi anche di francoprovenzale, entrando dunque in contatto diretto con alcuni studiosi e informatori, tra i quali si può annoverare Jean-Baptiste Cerlogne. 2. Salvioni e il francoprovenzale della Val d’Aosta Dalla consultazione degli indici analitici che accompagnano i suoi Scritti linguistici (Pescia e Vecchio 2008) emerge che Salvioni si dedicò soltanto marginalmente al francoprovenzale della Valle d’Aosta. Questa constatazione, che si fonda esclusivamente su quanto il glottologo bellinzonese diede alle stampe, può senza dubbio sorprendere se si considerano i suoi studi, la sua metodologia e la sua biografia. Tuttavia non si vuole qui sostenere che Salvioni dedicò poco tempo all’analisi del francoprovenzale in generale, dal momento che nel 1904 pubblicò sui “Rendiconti dell’Istituto lombardo” gli Appunti sul dialetto di Val Soana. Inoltre, nel 1907 apparve il suo articolo Il dialetto provenzaleggiante di Roaschia (Cuneo), a conferma del fatto che la sua “curiosità linguistica” l’aveva condotto anche in territori provenzali e francoprovenzali4. Eppure non si può nascondere che i riferimenti alle varietà valdostane siano pochi e che riguardino soprattutto specifici lessemi, attraverso i quali Salvioni illustra e rafforza una sua etimologia o l’interpretazione di un fenomeno. è dunque assente una trattazione completa o uno studio specifico su aspetti fonetici, morfologici, sintattici o lessicali di queste varietà. Il linguista ovviò in parte a questa mancanza con la pubblicazione nel 1913 delle Versioni valdostane della Parabola del Figliuol Prodigo, tratte dalle carte Biondelli. Gli indici degli Scritti linguistici di Carlo Salvioni (2008) non mettono soltanto in luce la posizione marginale di queste varietà nel panorama dei suoi studi, ma permettono anche di constatare che lo stesso Jean-Baptiste Cerlogne - malgrado il glottologo bellinzonese fosse in contatto con lui e ne conoscesse il lavoro come suggerisce la lettera da Milano del 20 gennaio 1908 (pubblicata in Willien 1974, 122 Salvioni, Cerlogne e il francoprovenzale della Valle d’Aosta 876) - viene citato soltanto tre volte nelle oltre 3800 pagine della ristampa anastatica e sempre nella sua veste di poeta. Per Salvioni, dunque, i testi e le poesie di Cerlogne erano essenzialmente una fonte di dati per i suoi studi. L’esiguità di riferimenti all’interno degli Scritti linguistici si accompagna alla mancanza di un vero scambio epistolare. L’unica traccia di un contatto tra Salvioni e Cerlogne è appunto la lettera del 20 gennaio 1908 (pubblicata in Willien 1974, 876), lettera in cui il professore di Bellinzona chiede all’Abate un esemplare del Dictionnaire du patois valdôtain per poterne riferire nella rivista “Kritischer Jahresbericht über die Fortschritte der romanischen Philologie” (KJber), edita da Karl Gustav Vollmöller5. Altre lettere non sono state trovate, né alla Biblioteca Ambrosiana, né all’Istituto lombardo di Milano. A questo punto andrebbe semplicemente concluso che i rapporti tra Cerlogne e Salvioni furono del tutto marginali. Eppure, scavando più a fondo per cercare di capire le motivazioni che sottostanno a quella che potrebbe, in fin dei conti, essere considerata un’anomalia negli studi salvioniani – vale a dire la mancanza di saggi linguistici sulla Val d’Aosta – sono stati trovati alcuni interessanti documenti che permettono di affermare che Salvioni conoscesse sia il valdostano sia il lavoro di Cerlogne in modo più approfondito di quanto si sarebbe indotti a pensare tenendo presenti soltanto le sue pubblicazioni. 3. Salvioni e Cerlogne: un contatto indiretto Innanzitutto è possibile anticipare al 1905 l’esistenza di un contatto, anche se indiretto, tra Cerlogne e Salvioni, come si può dedurre da quanto scritto da Gustave Huber nella lettera del 25 gennaio 1905: « En possession de votre adresse par la bonté de Monsieur le prof. Salvioni, je me permets de vous soumettre le questionnaire ci-inclus avec la prière d’y répondre par les expressions usitées dans le dialecte de votre contrée » (Willien 1974, 876). Gustave Huber, nato a Aigle il 22 dicembre 1870 e in seguito trasferitosi a Zurigo, fu dapprima maestro di scuola primaria e dal 1894 insegnante di scuola secondaria. Iniziò gli studi di filologia romanza all’Università di Zurigo nel 1904 e nel 1911 ottenne il titolo di dottore con la tesi Les appellations du traîneau et de ses parties dans les dialectes de la Suisse romane, compilata sotto la guida di Louis Gauchat e pubblicata dalla 123 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne rivista “Wörter und Sachen” nel 19166. è probabile che Salvioni avesse fornito l’indirizzo di Cerlogne a Louis Gauchat, il quale lo trasmise al suo studente Huber7. Tuttavia nella tesi di Huber non c’è traccia di un successivo contatto con Cerlogne: l’Abate, contrariamente a Salvioni, non viene ringraziato e non ricorrono nemmeno termini aostani. Salvioni, Cerlogne e il francoprovenzale della Valle d’Aosta Assieme a questi quaderni è conservato un biglietto in francese (T 18 inf G 5, formato 180 x 150 ca.), senza intestazione e senza firma. Si deve dunque supporre che lo scritto fosse più lungo e che il resto sia andato perduto, o che non sia stato consegnato al Salvioni oppure che sia oggi conservato in altro luogo. Tuttavia, paragonando questo biglietto e il dizionario, è possibile concludere che la mano è la stessa. Confronti con altri scritti mostrano che si tratta proprio dell’Abate Cerlogne. Ulteriori conferme dell’attribuzione all’Abate del biglietto – e dunque anche del dizionario – sono interne al testo, riportato qui sotto integralmente. Alcuni passi consentono inoltre di risalire al destinatario: Costantino Nigra9. « Tous les mots que j’ai écris en patois, soit dans le recueil des poésies soit dans le Dictionnaire, sont écrits à la manière qui se lisent, se disent à la Cité, à Aoste. Il y a 44 ans que j’ai commencé à écrire en patois, j’ai été 10 ans à Aoste et j’ai appris à dire les mots de notre Dialecte (qui est à peu près partout le même sauf la prononciation) à la manière d’Aoste. Vous avez la science et l’expérience, vous savez que les patois sont plus francs dans les montagnes que dans les villes où il risque de plus de se corrompre. Pour ce motif je n’ai pas adopté, surtout pour l’imparfait des verbes de la 2ème, 3ème, 4ème conjugaison, la manière d’Aoste mais bien celle plus juste et plus générale de toute la vallée. *** Grammaire p. 46. Nel 1905 Salvioni conosceva dunque, direttamente o indi rettamente, Cerlogne, ma non sono state ancora trovate testimonianze concrete di chi li mise in contatto8. Malgrado questa lacuna, alcuni documenti rinvenuti alla Biblioteca Ambrosiana di Milano mostrano chiaramente che il glottologo bellinzonese si occupò anche dei patois della Valle d’Aosta, ma non solo: collaborò attivamente con il conte Nigra per la pubblicazione di un Vocabolario valdostano. Una prima importante prova, conservata nella busta T inf 18 G alla Biblioteca Ambrosiana (Fondo Salvioni), è un manoscritto anonimo, catalogato come Glossario valdostano di Cerlogne (scritta aggiunta a matita). Questo manoscritto è composto da quattro quaderni, per un totale di 90 fogli (formato 315 x 210 ca.), nei quali sono raccolti, su due colonne, vocaboli valdostani seguiti dalla traduzione francese. La distribuzione alfabetica delle parole nei quattro quaderni è la seguente: ① A, B; ② C, D, Dz, E; ③ F, G, H, I, J, L, M, N, O; ④ de P à Z. In appendice è allegata una tavola con le coniugazioni verbali (foglio 88). 124 Durant vos travaux de ce genre peut être aurez-vous trouvé de ceux qui prétendaient mettre des points sur le i que en avaient pas besoin; à plus forte raison en ai-je trouvé moi-même. On me disait on ne sait pas le lire, ce n’est pas comme l’on dit chez nous ; il faudrait un autre orthographe… Pour les contenter tous il faudrait une centaine de Cerlogne pour parler à chacun selon l’accent de son pays. Pour ma consolation j’ai fait lire de mes poésies à un officier napolitain, en lui disant : lisez comme s’il était de l’italien ; et il lisait et prononçait très-bien. S’il y a des mots qui ne sont pas ou peu en usage à Aoste Cité, ils y sont cependant compris. Comme : cayé pour tappé, babé pour beueil, “bassin de l’eau” ; dzelenna pour polaille ; inviouné pour comenché, leuvré pour feni ; dze me recorde pour dze me sauvègno, dze me rappello, etc. 125 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Salvioni, Cerlogne e il francoprovenzale della Valle d’Aosta À la page 100 de la Grammaire vous y trouverez du patois d’Aoste et vous verrez si je m’en suis écarté en l’expriment selon mon dictionnaire. contre la rétribution et le remboursement de dépenses, que vous voudriez bien m’indiquer ». (Willien 1974, 855-856) Veuillez, Monsieur le Conte, me pardonner cette digression et daignez agréer ces opuscules que je vous envoie et qui sont un témoignage de l’amour que j’ai toujours eu pour la langue de ma mère ». Nella minuta della risposta a questa lettera di Nigra, datata 24 settembre 1896, Cerlogne accetta la proposta del Conte e aggiunge: L’incipit di questo biglietto è praticamente identico ad un passo di una minuta conservata al Centre d’Études Francoprovençales di Saint-Nicolas e pubblicata da Willien: « Tous les mots que j’ai écrits en patois soit dans le recueil des poésies soit dans le dictionnaire, sont écrits à la manière qui se disent et se disent (disaient ?) à la Cité d’Aoste ». (Willien 1974, 868)10 Il confronto tra questi due passi permette di concludere che il biglietto conservato all’Ambrosiana è la bella copia di questa minuta, datata 3 gennaio 1900. Si tratterebbe dunque di una di quelle lettere in cui – come ricostruisce Grassi – Nigra e Cerlogne trattano «l’ “acquisto” di alcune migliaia di voci dialettali che quest’ultimo aveva raccolto nella Valle. (…) La documentazione in questione, che René Willien mise gentilmente a mia disposizione a S. Nicolas, è composta di 16 lettere (oltre ad un paio di altro genere ed alcune cartoline illustrate di nessuna importanza per il nostro assunto) dieci delle quali furono scritte dal Nigra al Cerlogne tra il settembre 1896 e il febbraio 1897, due tra il giugno e il luglio dello stesso anno, tre tra il dicembre 1899 e il febbraio 1900 e una, l’ultima, il 2 luglio 1904». (Grassi 1964, 274)11 Nella lettera del 17 settembre 1896 Nigra offre il suo aiuto, soprattutto finanziario, per la stampa di un dizionario, autore del quale sarebbe risultato Cerlogne, e si dice anche disposto ad acquistare il materiale dall’Abate12: « Si vous êtes disposé à publier votre Dictionnaire, je suis prêt, par pur amour de la science, à contribuer à la dépense de cette publication, qui naturellement portera votre nom. Si le dictionnaire n’est pas prêt pour la publication, au moins pourriez-vous faire faire une copie manuscrite de la partie que vous avez déjà recueillie, c’est à dire des mots valdôtains déjà rassemblés dans vos cahiers, et la mettre à ma disposition, 126 « Mon livre, soit dictionnaire, en feuilles de protocole comme celle-ci, a 130 pages sur trois colonnes; les mots y sont placés par ordre alphabétique tant ceux qui nous sont communs avec le français que ceux qui nous sont propres. Mais ils n’ont pas encore leur mot correspondant, ou l’explication voulue, pour les faire connaître (…). Pour faire ce travail il me faudrait 9 ou 6 mois. Outre qu’ils sont sur ce livre les mots plus particulièrement du dialecte sont sur un cahier à part environ 2 000. Comme il me paraît que vous teniez plutôt aux mots patois non encore limés par la science, je pourrais vous les envoyer par feuilles entières de protocole ». (Willien 1974, 858) Nella lettera del 4 ottobre 1896 Nigra propone infine che « vous me fournirez environ 3 000 mots, choisis par vous parmi ceux qui sont propres à la vallée, ou qui s’éloignent le plus du français littéraire, avec la traduction de chaque mot en français. En outre vous me fournirez un autre millier de mots que je vous indiquerai moi-même après que j’aurai vu et examiné ceux que vous m’aurez envoyés ». (Willien 1974, 860; cfr. Grassi 1964, 276-277). Questo carteggio dimostra l’esistenza di una copia del dizionario eseguita da Cerlogne stesso su commissione di Nigra. I quattro quaderni conservati alla Biblioteca Ambrosiana fanno molto probabilmente parte del materiale che Cerlogne diede a Nigra, anche se va sottolineato che le entrate del Dictionnaire du patois valdôtain précédé de la petite grammaire del 190713 e quelle dei quaderni sono simili ma non coincidono perfettamente14. Nella busta in cui sono custoditi il biglietto e il dizionario sono conservati anche altri tre fogli, formato 330 x 215 ca., e un bigliettino, formato 70 x 60 ca., tutti senza data e senza l’indicazione dell’autore. Dall’esame della scrittura è però possibile risalire a Costantino Nigra. Sul primo dei tre fogli è riportata l’intestazione Avvertenza, sul secondo Contenuto e fonti. Riportiamo qui l’inizio del secondo foglio15: «Il saggio di Glossario Valdostano, quale risulta dalle schede, non è un vero Vocabolario Valdostano. Esso contiene soltanto 127 Salvioni, Cerlogne e il francoprovenzale della Valle d’Aosta CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne le principali parole di tre regioni limitate che sono: I. Aosta città, II. Verrayes del mandamento di Châtillon, al disotto di Aosta (media valle), III. Courmayeur (alta valle). Sul bigliettino allegato ai tre fogli si legge inoltre: I. I vocaboli di cui non si indica la provenienza debbono intendersi della città d’Aosta. Le fonti da cui sono tolti, sono: 1° il glossario manoscritto, di pugno dell’Abate G.B. Cerlogne, che qui si unisce, 2° gli scritti stampati dallo stesso Cerlogne, – Petite Grammaire 1893, Vie du petit ramoneur 1895, – Les étapes de la vie 1904; poesie varie in fogli sciolti, comunicazioni epistolari a me dirette – saggi di almanacchi etc.. 3° voci da me raccolte dalla bocca dello stesso Cerlogne e d’altri. Dalla lettura di questi passi emerge chiaramente che il professore bellinzonese avrebbe dunque dovuto collaborare con il Conte alla pubblicazione di quel Vocabolario valdostano che venne dato alle stampe soltanto postumo a cura di Pietro S. Pasquali. II. I vocaboli segnati VC = Verrayes-Châtillon provengono da Verrayes e mi furono dettati o verbalmente comunicati da Feliciano Andruet agricoltore di Verrayes, e dall’Abate Giuseppe Henry, quando era vicario a Verrayes (ora curato di Valpelline). Il riferimento a Salvioni in terza persona suggerirebbe che questi fogli non fossero stati indirizzati direttamente a lui. La conclusione più plausibile è che Nigra consegnò il manoscritto di Cerlogne (datato attorno al 1900) e questo suo testo con la traccia di un’introduzione (databile dopo il 1904) ad una terza persona, la quale successivamente la diede a Salvioni. III. I vocaboli segnati Cm. sono parlati a Courmayeur, e mi furono dettati o comunicati – dal predetto abate Henry, nativo di Courmayeur, dal prof. Giulio Brocherel, pur nativo di Courmayeur dal Cav. Lorenzo Savoye, Sindaco di Courmayeur, e dalla Signora Savoye sua moglie, che mi diede cortesemente anche altri vocaboli del mandamento d’Aosta tra Sarre e Saint-Pierre». L’espressione di Nigra «al bravo Salvioni» ci consente di avanzare un’ulteriore ipotesi, che andrà tuttavia approfondita in futuro. Si può infatti supporre che il destinatario di Nigra fosse Graziadio Isaia Ascoli. L’uso dell’aggettivo “bravo” per definire una persona che a quell’epoca era un professore ordinario di 46 anni risulterebbe per lo meno bizzarro se il destinatario, che deve aver svolto la funzione di intermediario, non considerasse Salvioni un proprio allievo. E tale persona non può che essere l’Ascoli. Se questa ipotesi venisse confermata, ci consentirebbe di fissare un termine ante quem per questi documenti: la Pasqua del 1906, quando avvenne la rottura dei rapporti tra Ascoli e Salvioni17. Questo scritto contiene delle indicazioni che possono orientare circa la sua datazione: l’Abate Henry venne nominato parroco a Valpelline nel 1903 e il secondo fascicolo de Les étapes de la vie è stato effettivamente pubblicato nel 1904, come risulta dalla lettera (il primo fascicolo è del 1902). Questo testo non può pertanto essere stato scritto prima del 1904, dunque alcuni anni dopo il biglietto del 3 gennaio 190016. A questo punto ci si potrebbe chiedere come mai il glottologo bellinzonese fosse in possesso di queste carte. A tal proposito risulta estremamente interessante la chiusa del terzo foglio: «Qui ora converrebbe indicare le caratteristiche che fanno del Valdostano un fratello del Vallesano, del Valsoanino, del ***, nella famiglia francoprovenzale. è un lavoro che avevo appena iniziato ma che lascio con anticipata riconoscenza al bravo Salvioni». Anche l’ultimo paragrafo del primo foglio chiama in causa Salvioni: 128 «Sottometto del resto tutte le questioni relative alla trascrizione, come ogni altra, al giudizio del Prof. Salvioni». «Avvertenza per trascrivere e stampare salvo il giudizio del Salvioni. […] l’ -ë- dovrà segnarsi e. o ə o altramente come il Salvioni giudicherà». In conclusione, lo studio di queste fonti documentarie, fino ad oggi inedite, ha permesso di capire che l’apparente limitata conoscenza da parte di Carlo Salvioni sia dell’Abate Cerlogne e del suo lavoro sia del dialetto francoprovenzale della Val d’Aosta, così come emerge dalla consultazione del materiale dato alle stampe, non corrisponde alla realtà storica. Altro materiale aspetta ancora di essere analizzato; con esso si spera di poter comprendere meglio alcune pagine di storia della dialettologia18. n o t e * Vorrei qui ringraziare il dottor Marco Guardo e la dottoressa Susanna Panetta della Biblioteca dell’Accademia dei Lincei di Roma, nonché il dottor Saverio Favre e Arline Menghi del Centre d’Études Francoprovençales “René Willien” di Saint-Nicolas per avermi fatto pervenire copie di documenti utili per questa ricerca. Il mio grazie vada anche ( ) 129 Salvioni, Cerlogne e il francoprovenzale della Valle d’Aosta CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne a Michele Loporcaro, che ha commentato una prima versione di questo lavoro. Vorrei infine esprimere qui la mia riconoscenza a Romano Broggini, la cui passione per gli studi salvioniani e per la storia della dialettologia mi è stata di grande stimolo ed esempio. 1 Per la biografia completa di Carlo Salvioni rimandiamo a Broggini (1958, 1971 e 2008), per un approfondimento della sua attività scientifica a Loporcaro (2008), per la bibliografia dei suoi scritti a Broggini, Pescia e Vecchio (2008). 2 Durante gli anni del liceo lo studente Salvioni entrò in contatto con personalità come Élisée Reclus (1830-1905) e Michail Bakunin (1814-1876). Anche a Basilea e a Lipsia, durante il periodo degli studi, continuò il suo impegno politico orientato verso il movimento anarchico. Broggini collega questa sua giovanile militanza politica con l’interesse per i dialetti: «Il tema del valore dei dialetti come attestazione d’un autentico modo di essere è ricorrente in Bakunin ed è spesso richiamato nella polemica anti-nazionalistica. Il federalismo bakuniano organizzato dal basso trova nel dialetto un elemento distintivo tradizionale: unità nazionale e unità linguistica assumono spesso per lo scrittore russo analoghi caratteri oppressivi» (Broggini 1971, 22). 3 Sul frontespizio è riportato l’anno 1884, ma si veda Broggini (2008, 26) per la datazione di questo volume. 4 Per una collocazione di questi due articoli nell’ambito degli studi salvioniani sul Piemonte si veda Telmon (2010, 106-108). 5 Nei volumi IX (1905, ma pubblicato nel 1909), X (1906, ma pubblicato nel 1910) e XI (1907/1908, ma pubblicato nel 1911) del KJber non viene mai menzionato l’abate Cerlogne. Alla Biblioteca Ambrosiana è tuttavia conservato un volume del Dictionnaire di Cerlogne appartenuto a Salvioni (segnatura SALV.9957). Sono ancora visibili le sue annotazioni a margine. 6 Louis Gauchat (Les Brenets, Canton Neuchâtel, 12.i.1866 – Lenzerheide, Canton Grigioni, 22.viii.1942), professore ordinario di filologia romanza all’Università di Berna dal 1902 al 1907 e poi dal 1907 al 1931 all’Università di Zurigo (fu rettore dal 1926 al 1928). Grande studioso dei dialetti francoprovenzali della Svizzera, nel 1890 pubblicò la tesi di dottorato Le patois de Dompierre (“Zeitschrift für romanische Philologie” XIV, pp. 397-466) e nel 1899 fondò il Glossaire des patois de la Suisse romande assieme a Jules Jeanjaquet e Ernest Tappolet. 7 Carlo Salvioni era in contatto con Gauchat fin dal 1899 e per la costituzione dell’Opera del Vocabolario dei dialetti della Svizzera italiana si ispirò proprio ai metodi elaborati da Gauchat per la Svizzera romanda (Broggini 1971, 36-37 e 2008, 40-41); si veda a questo proposito anche Loporcaro (2008, 53-54). 8 Sembrerebbe plausibile ritenere che questo ruolo fu svolto da Costantino Nigra; le due lettere di Nigra a Salvioni, la prima del 4.II.1898 (da Vienna) e la seconda del 27.V.1905 (da Milano), conservate alla Biblioteca Ambrosiana di Milano con le segnature T 13 inf O 5a e T 13 inf Q 3, mostrano infatti l’esistenza di un contatto tra i due. Tuttavia, una lettera di Cerlogne a Graziadio Isaia Ascoli datata 30.v.1893 (conservata nell’Archivio Ascoli alla Biblioteca dell’Accademia dei Lincei di Roma) potrebbe anche far pensare che il tramite fu invece il glottologo di Gorizia. A questo punto sarebbero dunque opportune ulteriori ricerche sul rapporto tra Ascoli e Cerlogne. 9 Si evita qui di indicare gli errori di ortografia. Infatti, come osserva Grassi, la lingua scritta usata da Cerlogne non è sempre corretta (Grassi 1964, 274). Con gli asterischi si indicano parole che non sono state identificate. 130 Grassi (1964, 281) riporta lo stesso passo nel modo seguente: « Tous les mots que j’ai écri (sic) en patois ». Non avendo visto l’originale, adotto la trascrizione di Willien. 11 Il carteggio Nigra-Cerlogne è stato pubblicato in Willien (1974, 855-870). 12 Su questo carteggio si veda anche quanto scrive Grassi (1964). 13 Il Dictionnaire di Cerlogne fu messo in vendita a partire dal 1 gennaio 2008, come testimoniano alcuni foglietti pubblicitari rinvenuti all’interno di SALV.9957 (Biblioteca Ambrosiana, v. nota 5). 14 Va sicuramente escluso che si possa trattare di una copia del Vocabolario valdostano di Nigra, pubblicato postumo nel 1941 da Pasquali (ristampato del 1963). 15 Le sottolineature sono presenti nel testo. 16 Dal carteggio pubblicato in Willien (1974) si può inoltre evincere che nel mese di luglio del 1904 Nigra si recò prima ad Aosta e successivamente a Courmayeur. 17 Per questo capitolo della vita di Salvioni si vedano Broggini (2008, 38-39) e Loporcaro (2008, 78-82). 18 Nel corso delle ricerche per questo lavoro sono stati individuati altri interessanti documenti che attestano la collaborazione di Salvioni al Vocabolario valdostano di Nigra. Tuttavia, non essendo questo tema direttamente legato alla figura dell’Abate Cerlogne, me ne occuperò più diffusamente in altra sede. 10 Carlo Salvioni (Archivio di Stato del cantone Ticino, Bellinzona Fondo “Diversi”) 131 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne b i b l i o g r a f i a Bochet, Emma et al., L’abbé Cerlogne et les poètes patoisants, Centre d’Études Francoprovençales “René Willien”, Saint-Nicolas (Aoste), 1995. Broggini, Romano, Carlo Salvioni, 1858-1920. Note biografiche e bibliografiche a cura di Romano Broggini, Arti Grafiche Salvioni, Bellinzona, 1958. Broggini, Romano, Due Anniversari. Carlo Salvioni (1858-1920) e Clemente Merlo (1879-1960), Humilibus Consentientes, Bellinzona, 1971. Broggini, Romano, Biografia di Carlo Salvioni, in Salvioni, Scritti linguistici, v 17-44, 2008. Broggini, Romano, Pescia, Lorenza e Vecchio, Paola, Bibliografia degli scritti di Carlo Salvioni, in Salvioni, Scritti linguistici, v 115-137, 2008. 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Volume offert à Camille Chabaneau à l’occasion du 75e anniversaire de sa naissance (4 mars 1906) par ses élèves, ses amis et ses admirateurs, «Romanische Forschungen» XXIII (1907), 525-539, rist. in Salvioni, Scritti linguistici, ii 391-405, 2008. Salvioni, Carlo, Versioni valdostane della Parabola del Figliuol Prodigo, tratte dalle carte Biondelli, «Romania» XLII (1913), 430-437, rist. in Salvioni, Scritti linguistici, iii 946-954, 2008. Salvioni, Carlo, Scritti linguistici, Loporcaro Michele, Lorenza Pescia, Romano Broggini e Paola Vecchio, curr., 5 voll., Edizioni dello Stato del Cantone Ticino, Bellinzona, 2008. Telmon, Tullio, Carlo Salvioni e gli studi sui dialetti del Piemonte, in Carlo Salvioni e la dialettologia in Svizzera e in Italia, a cura di M. Loporcaro, F. Lurà, M. Pfister, Atti del Convegno organizzato a centocinquant’anni dalla nascita di Carlo Salvioni e a cent’anni dalla fondazione del Vocabolario dei dialetti della Svizzera italiana, Bellinzona 5-6 dicembre 2008, Centro di dialettologia e etnografia, pp. 95-110, Bellinzona, 2010. Willien, René (cur.), Noutro dzen patoué N. 8, Imprimerie ITLA, Aosta, 1974. 132 Jules Jeanjaquet (1867-1950) Un fondateur du Glossaire des patois de la Suisse romande en Vallée d’Aoste1 Federica Diémoz 1. Jules Jeanjaquet : linguiste, dia lectologue, philologue, historien Jules Jeanjaquet, né au Locle en 1867, fait ses études à Neuchâtel et ensuite il se voue à l’étude des langues romanes à l’université de Berlin et à l’université de Zurich où il obtient en 1891 le grade de docteur ès lettres. Après cinq années comme lecteur de français à l’université de Lund (Suède), il rentre à Neuchâtel et en 1898 il devient sous-archiviste de l’État. En 1901 il est nommé professeur de philologie romane à l’Académie de Neuchâtel2, poste qu’il occupe jusqu’en 1931. L’œuvre de Jules Jeanjaquet est étroitement liée avec la monumentale entreprise du Glossaire des patois de la Suisse romande (GPSR). Le projet d’un Glossaire des patois de la Suisse Romande, conçu par Louis Gauchat, reçoit en 1898 l’appui financier des cantons et de la Confédération suisse. Une année plus tard, l’entreprise devient officielle, avec Louis Gauchat à sa tête, Jules Jeanjaquet et Ernest Tappolet se joignent à lui pour lancer les premiers travaux systématiques de prospection du domaine. Ils ont commencé par l’enquête qui devait aboutir à l’atlas phonétique de la Suisse romande : de 1899 à 1903, ils ont visité 386 localités de la Suisse romande et des régions limitrophes, en notant dans chacune la traduction patoise de quelques centaines de mots. L’atlas projeté n’a jamais vu le jour à cause de difficultés techniques. Mais l’enquête phonétique n’était qu’un préalable. Le gros des matériaux a été recueilli par correspondance : pendant 12 ans, de 1900 à 1911, les initiateurs du GPSR ont envoyé chaque mois des questionnaires à une centaine de témoins dans toutes les régions de la Suisse romande. Aujourd’hui, le fichier du Glossaire, qui ne cesse de s’enrichir, compte plus de 3 millions de fiches. De 1902 à 1915, la rédaction du GPSR publia un bulletin qui contenait des études dialectologiques et des textes patois. Parallèlement, elle recueillait les éléments d’une Bibliographie linguistique de la Suisse romande, dont le premier 133 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne volume a paru en 1912 et le second en 1920. Cet ouvrage mentionne, en les accompagnant d’une brève description, non seulement toutes les publications concernant les patois suisses romands, mais aussi les résultats des enquêtes et jusqu’aux moindres manuscrits patois dont ses auteurs ont eu connaissance. Cette bibliographie est complétée régulièrement dans les Rapports annuels que publie la rédaction du Glossaire. Le premier fascicule du GPSR a paru en 1924. Jeanjaquet a joué un rôle clef dans les cinquante premières années du GPSR, en se chargeant plus particulièrement de l’exploration du Valais et du canton de Genève. Son article de 1931 sur les patois valaisans reste, encore de nos jours, une référence de base pour étudier ces parlers. Par ses remarquables connaissances paléographiques et historiques, il a également rendu accessible une riche documentation d’archive. Une synthèse de son activité au sein du GPSR ainsi que la liste complète des grandes familles de mots traitées par Jeanjaquet ont été présentés par Jaberg en 1947 : « Les articles de M. Jeanjquet se distinguent par un savoir étendu tant historique que philologique, un jugement sûr, une méthode impeccable et une précision admirable. Ils prennent souvent le caractère de petites études linguistiques, dont quelques-unes sont des chefs-d’œuvre de pénétration et de clarté ». (Jaberg, 1947 :15) Jules Jeanjaquet (1867-1950) Nous pouvons tranquillement affirmer qu’il a été une des fortes personnalités intellectuelles du canton de Neuchâtel dont les qualités scientifiques étaient reconnues bien au delà des frontières helvétiques. 2. Jeanjaquet en Vallée d’Aoste C’est en 1899, dans le cadre des enquêtes pour l’atlas phonétique de la Suisse romande, que les auteurs du GPSR ont entrepris les premières enquêtes phonétiques en Vallée d’Aoste aussi. Ils ont choisi les localités suivantes (cahier VII) : Saint-Rhémy, Étroubles, Brissogne, Brusson, Issogne, Aoste, Fénis. Ensuite, en 1900, ils ont enquêté à Arvier, Courmayeur et Saint-Rhémy (cahier IX), Cogne dont les matériaux se trouvent dans le même cahier a été visité en 1909. En 1905 Jenjaquet et Gauchat ont fait des relevés à Valpelline, Doues, et Valtournenche (cahier X). Nous avons aussi un cahier XI qui diffère des autres matériaux : en 1920 Jeanjaquet a passé les vacances d’été à Antagnod-Ayas et il a réalisé des enquêtes lexicales thématiques. Son savoir faire et ses compétences ont été rappelées par Schüle aussi : « Sa vaste érudition, son sens critique, le soin minutieux qu’il apportait à tout ce qu’il entreprit, contribuèrent à faire des deux volumes de la Bibliographie linguistique (1912, 1920) et des Tableaux Phonétiques (1925) des instruments de travail de grande valeur, destinés à ouvrir la voie au Glossaire. Du Glossaire même, Jules Jeanjaquet a aidé à publier plus de 1200 pages. Quelle somme de labeur désintéressé ! Non seulement il élaborait ses propres articles : il renvoyait, contrôlait, corrigeait ceux de ses collègues, tâches ingrate s’il en est ; mais son souci de l’exactitude et sa recherche de la perfection jusque dans les moindres détails ont assuré une qualité égale à toutes les parties de la publication ». (Schüle, 1950 :3) Parallèlement au travail de rédacteur auprès du GPSR et à sa charge de professeur à l’université, il a été un des collaborateurs principaux de la revue Musée neuchâtelois 3, de 1899 à 1945, en manifestant un vif intérêt pour l’histoire du canton de Neuchâtel. Dans l’admirable recueil des Traités d’alliance et de combourgeoisie de Neuchâtel avec les villes et cantons suisses 1290-1815, publié en 1923, Jeanjaquet a analysé une centaine de documents qui datent entre la fin du xiiie et le début du xixe siècle. 134 Carte n° 1 : les points d’enquête valdôtains des Relevés phonétiques du GPSR D’un point de vue méthodologique, nous avons relevé que les enquêtes du GPSR, au début du xxe siècle, ne sont pas homogènes : elles ont été réalisées à 135 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne un moment où, dans l’histoire de la recherche, les progrès ont été rapides. Les premiers relevés phonétiques qui datent de 1899 et 1901 (les 7 localités du cahier VII et deux enquêtes du cahier IX, Arvier et Courmayeur) reposent sur un questionnaire qui contenait une liste de mots et d’expressions comme hiver, glace, février ou tonnerre 4, et quelques rares phrases il fait chaud, j’ai acheté une faux, je suis tombé. Pour ces enquêtes, nous disposons des informations sur les témoins5 accompagnés parfois de remarques biographiques et linguistiques. Pour Saint-Rhémy, Jeanjaquet relève : Jules Jeanjaquet (1867-1950) D’après ces témoignages, il semblerait que dans la vallée du Grand-SaintBernard les patois de Saint-Rhémy et de Bosses se distinguent bien des autres patois voisins. Une année plus tard, en 1900, Jeanjaquet a fait des enquêtes de terrain à Arvier et Courmayeur (illustration n° 2) en utilisant le même questionnaire composé surtout d’une liste de mots. Par rapport au questionnaire soumis en Suisse romande, des références au contexte valdôtain ont été ajoutées, par exem- « Saint Rémy. Bonne liste en général, mais quelques formes douteuses dont le sujet ne semble pas avoir trouvé la forme patoise véritable. […] La forme de l’article indéfini varie suivant que le sujet parle plus ou moins vite […] On donne le patois de Boce6 comme passabl. diff. de celui de St. Rémy7 ». Pour ce qui est de l’enquête faite à Étroubles : « Etroubles. Gignod. Le sujet est né à Arvier d[ans] direction Courmayeur, mais élevé depuis l’âge de 4 ans à Gignod et depuis 10 ans à Etroubles. Dit qu’il n’y a pour ainsi dire pas de diff. entre ces 2 localités, et qu’en général jusqu’à Aoste, il y a bcp moins de diff. qu’avec St Rémy et Boce. St Oyen aussi sembl. à Etroubles. […]8 ». La présentation des données sous forme de tableau facilite la comparaison entre les sept localités visitées : Illustration n° 1 : page des Relevés phonétiques, cahier VII (1899) 136 Illustration n° 2 : page des Relevés phonétiques, cahier IX (1900), enquête à Courmayeur 137 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Jules Jeanjaquet (1867-1950) ple on demande le nom de la ville d’Aoste, de la rivière principale qui traverse la vallée, la Doire. La deuxième série d’enquêtes faites en 1905 à Valpelline, Doues et Valtournenche et en 1909 à Cogne est basée sur une succession de phrases simples : « Au mois de février il y a de la neige, de la glace; il ne faut pas avoir peur du tonnerre; je vais au marché chercher une pelle ». Au cours de leur travail, les auteurs du GPSR se sont en effet aperçus de l’importance d’insérer les mots à étudier dans un contexte. Les petites phrases qu’ils ont formulées permettent de reconstituer une situation de vie habituelle, une conversation où les aspects de la spontanéité et du naturel de la langue peuvent jouer un rôle important et éviter une simple traduction. Pour ce qui est des témoins choisis pour ces enquêtes, les auteurs du GPSR ont interviewé un témoin pour chaque localité ; en principe il y avait deux rédacteurs du Glossaire qui transcrivaient indépendamment les mots prononcés par le témoin. En réalité, en ce qui concerne les matériaux valdôtains, la plupart des enquêtes ont été réalisées par Jeanjaquet seul. Ce n’est que pour les enquêtes de Valpelline, Doues et Valtournenche que j’ai trouvé les deux versions des transcriptions, de la main de Jeanjaquet et de Gauchat (illustration n° 3). Le 3 septembre 1909, Jeanjaquet écrit des annotations sur l’enquête faite à Cogne (illustration n°4) en particulier sur des particularités linguistiques qui caractérisent cette variété dialectale : « Liste faite rapidement, sans avoir pu approfondir certains sons douteux. Sujet assez bon, connaissant bien le patois, seule langue usitée par les habitants entre eux. A été quelque temps en service à […] et s’est mariée avec un Valaisan d’Isérables. La particularité la plus remarq. est la prononciation de l’r qui est fortement grasseyée et devient en finale un ch allemand (nach) très {riche} et entre voyelles tend à une aspiration qui devient peu sensible à l’oreille d[ans] le parler rapide. En combinaison avec muette le grasseyement est moins marqué. J’ai noté touj. Rh ou hr pr indiquer le caractère aspiré […] ». Illustration n° 3 : pages des Relevés phonétiques, cahier X (1905), à gauche la transcription de Jeanjaquet, à droite celle de Gauchat pour les données de Valtournenche 138 139 Jules Jeanjaquet (1867-1950) CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne de la cuisine, des différents récipients utilisés, etc.). C’est dans un petit cahier d’environ 100 pages que le chercheur suisse a transcrit phonétiquement ces différents entretiens ethnolinguistiques accompagnés, souvent, par des traductions en français. Le 1 septembre 1920, il a récolté les données concernant le travail des semailles, les outils utilisés, la charrue avec ses parties (illustration n° 5) mais également les termes employés pour désigner la parenté (illustration n° 6). Illustration n° 5 et n° 6 : pages des Relevés phonétiques, cahier XI (1920), enquête à Ayas 3. Jeanjaquet et Cerlogne Illustration n° 4 : pages des Relevés phonétiques, cahier IX (1909), enquête à Cogne En 1920, entre le mois d’août et le mois de septembre, c’est à Lignod-Ayas et à Antagnod que Jeanjaquet a réalisé des enquêtes thématiques, liées en particulier aux travaux traditionnels (la fenaison, l’élevage, etc.), artisanaux (les outils utilisés par les sabotiers d’Ayas) et à la réalité locale (description des bâtiments, 140 Peut-on imaginer que le savant suisse lors de ses séjours en Vallée d’Aoste au début du xxe siècle ait rencontré Cerlogne ? Ou, ont-ils eu une forme de contact, une correspondance épistolaire ? La seule documentation dont nous disposons est une lettre du 24 août 1908 (illustration n° 7) où Jeanjaquet demande à l’imprimerie catholique d’Aoste de lui envoyer une copie du Dictionnaire du patois valdôtain publié par Cerlogne en 1907. Un mois plus tard, Jeanjaquet reçoit l’ouvrage demandé et il envoie l’argent pour recevoir aussi le Conte de Dzan-pouro. Cerlogne répondra directement à Jeanjaquet en lui envoyant le Conte souhaité et lui offrira son Recueil de poésies. Dans les archives du GPSR, les rédacteurs n’ont trouvé aucune trace qui témoignerait d’autres contacts épistolaires entre le poète valdôtain et le chercheur suisse. 141 Jules Jeanjaquet (1867-1950) CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne b i b l i o g r a ph i e Bauer, Eddy « Jules Jeanjaquet, philologue et historien neuchâtelois [suivi d’une] Bibliographie des travaux de M. Jules Jeanjaquet de 1937 à 1946 », Musée neuchâtelois, Imprimerie centrale, Neuchâtel, 1947, p. 5-14. Bauer, Eddy « Jules Jeanjaquet, historien et philologue », Musée neuchâtelois, Imprimerie centrale, Neuchâtel, 1950, p. 65-70. Diémoz, Federica « Un siècle d’enquête sur le terrain en Vallée d’Aoste », Nouvelles du centre d’Études francoprovençales “René Willien”, n° 49, 2004, p. 34-62. Du Pasquier, Armand « Coup d’œil sur l’œuvre historique de M. Jules JeanJaquet, [suivi d’une] Bibliographie des travaux de M. Jules Jeanjaquet », Musée neuchâtelois, Imprimerie centrale, Neuchâtel, 1937, p. 5-14. Gauchat, Louis, Jeanjaquet, Jules, Tappolet, Ernest, Tableaux phonétiques des patois suisses romands, Neuchâtel, 1925. GPSR = Gauchat, Louis et al., Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel, 1924 ss. Portrait de Jeanjaquet (photo tirée de Musée Neuchâtelois, 1937) Illustration n° 7 : lettre de Jeanjaquet Jaberg, Karl « Activité de M. Jules Jeanjaquet comme rédacteur au “Glossaire des patois de la Suisse romande” », Musée neuchâtelois, Imprimerie centrale, Neuchâtel, 1947, p. 15-16. Jeanjaquet, Jules Traités d’alliance et de combourgeoisie de Neuchâtel avec les villes et cantons suisses, 1290-1815, Publications de la Société d’histoire et d’archéologie du Canton de Neuchâtel, Impr. P. Attinger, Neuchâtel, 1923. n o t e s 1 Je tiens à remercier Hervé Chevalley, directeur opérationnel du Glossaire des patois de la Suisse romande (GPSR) qui était censé faire cette contribution, mais qui m’a délégué. Un remerciement particulier va aussi à Eric Fluckiger, rédacteur au GPSR, qui m’a fourni les matériaux bibliographiques concernant l’œuvre de Jeanjaquet. 2 C’est par un décret du Grand Conseil, du 18 mai 1909, que l’Académie de Neuchâtel est officiellement consacrée Université de Neuchâtel. 3 La bibliographie complète de l’œuvre de Jeanjaquet est présentée dans le Musée neuchâtelois de 1937, 1947, 1950. 4 Pour Saint-Rhémy nous n’avons que des conjugaisons verbales. 5 Pour la liste complète des témoins, voir Diémoz (2004 : 55). 6 Bosses. 7 Relevés phonétiques valdôtains, cahiers IX, page 477. 8 Relevés phonétiques valdôtains, cahiers IX, page 477. 142 Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », Revue de linguistique romane n° 7, 1931, p. 23-51. Relevés phonétiques valdôtains, cahiers manuscrits, déposés au GPSR, Neuchâtel. Schüle, Ernest, « Jules Jeanjaquet et le “Glossaire des patois de la Suisse romande” », Musée neuchâtelois, Imprimerie centrale, Neuchâtel, 1950, p. 70-74 Schüle, Ernest, «Jules Jeanjaquet (1867-1850)», Glossaire des patois de la Suisse romande, 52e et 53e rapports annules de la rédaction 1950-1951, Imprimerie Paul Attinger S. A., Neuchâtel, 1952, p. 3-4. Willien, René, Noutro dzen patoué n° 8, Imprimerie ITLA, Aoste, 1974. 143 Paul Mariéton, ses relations avec l’abbé Cerlogne Claude Tourniaire * Modeste successeur de Paul Mariéton comme président de l’Escolo de la Sedo, école félibréenne qu’il avait fondée à Lyon en 1883, vous m’avez fait l’honneur de me demander d’évoquer ses relations avec l’abbé Cerlogne. Vous célébrez ces jours le bel anniversaire d’un homme particulièrement attaché à sa culture et à sa langue. Aussi, essaierai-je de ne trahir ni sa mémoire ni la confiance que vous m’avez manifestée comme, par ailleurs le Félibrige et les professeurs émérites Brigitte Horiot et Jean-Claude Bouvier. Je dois aussi remercier particulièrement Mme Émilienne Molina et M. Georges Fréchet de la Bibliothèque Municipale d’Avignon (livrée Ceccano) dont les recherches bibliographiques dans la Revue Félibréenne m’ont été précieuses. Paul Mariéton (1862-1911), très tôt passionné de langue provençale et homme de relations, mit l’essentiel de sa vie au service de cette culture si bien incarnée par l’action de Frédéric Mistral et des autres “primadié”. C’est dans cet esprit que je présenterai aujourd’hui et situerai divers aspects de son action et de ses contacts pour montrer comment, ayant perçu, entre autres, l’œuvre de l’abbé Cerlogne, il eut soin d’en faire connaître la place dans tout le tissu tant provençal qu’international qui agissait en ce sens. C’est pour insister sur cet aspect que je donnerai un aperçu assez général de diverses rencontres et actions de Mariéton. Mais rappelons d’abord quelques détails de la vie de Mariéton. C’est un lyonnais, d’une famille d’agent de change importante dans le milieu financier, possédant un carnet d’adresses considérable, mais aussi très cultivée. Tout jeune, Paul lit beaucoup et découvre en août 1880, donc à 17 ans, le recueil de poèmes de Mistral Les Iles d’Or. C’est un choc décisif. Il veut en savoir plus : il lit les autres œuvres de Mistral, en particulier Mireille. Après le baccalauréat, 145 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne pendant ses vacances, il veut rencontrer Mistral qui le reçoit : quelle émotion ! Puis, ses études de droit ne l’empêchent pas d’apprendre, de maîtriser la langue provençale et d’étudier sérieusement les œuvres des félibres de l’époque. Toutefois, il ne renie pas ses origines : « Je suis lyonnais ! Je ne m’en défends pas. Ma ville aux deux collines, aux deux fleuves, est unique en France comme gardienne de la tradition sociale : le dualisme de ma nature s’explique par mon origine. Une âme mystique double volontiers un tempérament d’action : le Rhône impétueux et la Saône rêveuse s’engendrent en moi comme en tout lyonnais. »1. Il démarre donc très jeune une vie de trente ans de provençalisme tout en restant intensément côté Rhône et côté Saône. Dès 1881 il persuade la revue Le Monde Lyonnais de publier des poèmes ou des contes provençaux ainsi que quelques poèmes personnels. Mais cette revue a une vie éphémère et disparaît en 1882. Il convainc alors la Revue Lyonnaise d’ouvrir ses colonnes aux félibres. Pas facile pour un jeune homme qui doit tenir tête à un comité de rédaction nettement plus âgé et plus orienté vers l’archéologie, l’étude des cartulaires ou des archives ! Autre épreuve : en 1883 il y a le krach financier de la banque L’ Union Générale qui met sa famille en difficulté : elle fait face, mais à quel prix ! En octobre 1883, ses parents sont à Rome lorsque son jeune frère décède de phtisie. Paul, alors en France, les rejoint pour consoler en particulier sa mère à qui il porte une grande affection. Mais lui-même est éprouvé par un premier amour malheureux. La famille est à Naples pour Noël : c’est là qu’il fait des recherches sur la reine Jeanne et surtout rencontre le poète Cardonna. On peut penser que ces contacts italiens lui font prendre conscience du problème linguistique de la Vallée d’Aoste. Son travail, son “côté Rhône” l’aide à franchir les passages difficiles tandis qu’il publie, grâce à son “côté Saône” des poèmes, voire des études historiques. Ainsi à cette époque, il fonde à Lyon l’Escolo de la Sedo (école félibréenne de la soie) avec un premier noyau de choix : le peintre Chenavard, le poète Joséphin Soulary, le bibliothécaire Aimé Vingtrinier, Charles Boy, François Collet (directeur de la Revue Lyonnaise), le professeur Clédat (Faculté des Lettres) et l’organiste Paul Trillat. Il avait par ailleurs contacté l’académicien Victor de Laprade. Puis il poursuit un travail considérable au service du Félibrige. Ses guides sont Mistral, Roumanille, le baron de Tourtoulon apôtre du groupement des nations latines et Léon de Berluc-Pérussis, un grand lettré avec lequel sa correspondance est abondante. En 1884, la Revue Lyonnaise cesse de publier les auteurs provençaux : qu’à cela ne tienne, Mariéton crée la Revue Félibréenne qui paraîtra jusqu’en 1909. Les contacts de Mariéton avec l’abbé Cerlogne Mariéton avait connu les particularités linguistiques de la vallée d’Aoste. Et l’on voit qu’il a des contacts avec l’abbé Cerlogne qui dès 1888 recevra la Revue Félibréenne. D’ailleurs, comme en témoignent divers échanges épistolaires, Paul Mariéton publie dans les six numéros annuels de cette revue de très nombreux articles d’auteurs représentant l’essentiel de la production en langue d’Oc : par exemple, plus de 80 articles en 1888 dont celui de Louis Zuccaro sur le dialecte 146 Paul Mariéton, ses relations avec l’abbé Cerlogne de la vallée d’Aoste et une Pastorale en dialecte valdotain due à l’abbé Cerlogne2. C’est dire combien de temps consacre-t-il à cette revue. Mais cela ne lui suffit pas : n’oublions pas les essais historiques, les chroniques, bibliographies ou biographies et les milliers de pages sur l’histoire des pays d’Oc et de ses écrivains depuis les Troubadours jusqu’à la fin du xixe siècle. Il ne néglige pas pour autant ses rapports avec l’abbé Cerlogne puisqu’en juillet 1893 il le remercie d’un « très intéressant envoi » dont il assurera une publication « avec tout le soin dont est digne votre patriotisme persévérant, éclairé et généreux »3. De même il saluera le « précieux Dictionnaire du dialecte valdotain dont la Revue Félibréenne rendra compte »4. Et cela n’empêche pas Mariéton d’assumer son travail de Chancelier du Félibrige (sorte de bras séculier de Mistral) et de publier nombre d’ouvrages : Un félibre irlandais : W.C. Bonaparte-Wyse, Lyon : Pitrat aîné, 1882 ; Frédéric Mistral, notice biographique, Paris : imprimerie félibréenne de Lucien Duc, 1889 ; Joséphin Soulary et la Pléiade lyonnaise, Paris : C. Marpon et E. Flammarion, 1884 ; Une histoire d’amour : Georges Sand et A. de Musset, documents inédits d’un voyage tumultueux à Venise, Paris : Société d’éditions littéraires et artistiques, 1903 (édition définitive) ; La terre provençale : journal de route sur une visite assez complète de la Provence, Paris : A. Lemerre, 1884 ; nouvelle édition, Paris : Société d’éditions littéraires et artistiques, 1903. N’oublions pas ses six recueils de poèmes publiés, à l’exception du sixième, à Paris, chez A. Lemerre : Souvenance (1884) ; La viole d’amour (1886) ; Hellas (3 volumes, 1889) ; Le livre de Mélancolie (1896) ; Hippolyta (1902) ; Les épigrammes (Paris : Mercure de France, 1909). Mais on ne peut omettre sa correspondance avec Mistral, de Berluc-Perrussis et autres et surtout ce qu’il affectionne, “son diario”, c’est-à-dire son journal personnel rédigé souvent dans le train ou bien entre 2 et 3 heures du matin ! À une époque où l’on ne dispose ni de TGV, ni d’avion, ni de téléphone portable, il dira : « Le PLM est mon domicile depuis 15 ans »5. Ajoutons à cela les voyages d’art en Belgique, en Grèce, en Hollande, en Suisse, en Angleterre ou en Italie. Ainsi, il sera le porte-parole des poètes français aux fêtes du sixième centenaire de Beatrix à Florence. Mais il n’est bon bec que de Paris, dit-on, et le Félibrige n’y échappe pas : Mariéton présidera les Félibres de Paris de 1899 à 1906. Cette composante importante du Félibrige rassemble des personnalités influentes puisqu’on y trouve des ministres, des auteurs en renom, français ou étrangers de marque. Le café Voltaire est le foyer ardent des idées félibréennes de la capitale. C’est à ce titre qu’il aura la charge d’organiser des voyages en Provence pour ce groupe. 147 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Ce n’était pas une mince affaire car il faut prévoir les discours, les inaugurations, les commentaires et tous les détails du voyage : transport, logement, subsistance, cérémonies … Et les imprévus ! Cela ne l’empêche pas de suivre l’actualité. Parle-t-on de la Vénus de Milo, il compose quelques vers6 : Elle apparut un jour au sein des mers de Grèce Dans la sérénité d’un éternel azur Et l’univers s’émeut quand la grande déesse Sur toutes les clartés dresse son galbe pur. Parfois ceci conduit à des anecdotes : en 1885 la famille princière roumaine Bibesco-Bracovan qui a sa demeure avenue Hoche à Paris se trouve dans son château d’Amphion près d’Évian sur les bords du Léman. Mariéton était un habitué des réceptions parisiennes. La princesse apprenant que ce dernier était à Évian avec un compagnon, invite les deux personnes. Or Mariéton avait emmené Mistral quelques jours à Évian pour se reposer. Les deux hommes participent ainsi à une sorte de croisière sur le yacht princier. Mistral chante son poème Le bâtiment (lou bastimen) et subjugue la brillante assemblée, en particulier une jeune fille, poétesse connue plus tard sous le nom d’Anna de Noailles qui chantera Mistral en maintes circonstances ! L’événement est relaté par Le Figaro de l’époque. Mais, bien entendu, les contacts avec l’abbé Cerlogne se poursuivent : jusqu’en octobre 1908, on relève divers échanges épistolaires avec l’abbé pour des « très intéressants envois… Je vais l’étudier et en parler dans une publication avec tout le soin dont est digne votre patriotisme persévérant éclairé et généreux. Très ravi que la Revue Félibréenne continue de vous agréer, je vous envoie mes respectueuses et cordiales sympathies en Sainte Estelle ». (25 juillet 1893)7 D’autres échanges ont lieu, par exemple cette carte de visite du 4 février 1905 « Avec mes compliments dévoués au fidèle mainteneur du dialecte valdôtain, au vénérable abbé Cerlogne ». Et surtout : « Mes compliments sincères, mon cher et savant confrère, pour ce précieux Dictionnaire de patois valdôtain qui m’arrive. La Revue Félibréenne va reparaître. Elle en rendra compte coume se dèu. (20-X-1908) »8. Une façon de saluer le travail considérable de l’abbé. 148 Paul Mariéton, ses relations avec l’abbé Cerlogne Mais croyez-vous que cela suffisait à notre hom me ? Certainement pas. Dans ses voyages en Pro vence, il avait été subjugué par ce que Louis xiv appelait « le plus beau mur de mon royaume » : je veux dire le théâtre romain d’Orange avec son mur célèbre. Les restaurations dues à l’architecte Caristie en 1825 avaient redonné à cet ensemble un lustre incomparable. On s’y efforce de donner des représentations théâtrales. À partir de 1899 Mariéton en deviendra l’unique chorège avec un directeur artistique associé. Vous pouvez imaginer la fièvre que procure ce travail. C’est grâce à lui que l’on assiste au triomphe de Mounet-Sully dans ŒdipeRoi, puis de Boudouresque dans Moïse. À partir de cette date, on a pu dire que ce théâtre fut ressuscité par Mariéton. Et n’oublions pas que ces soirées grandioses, mondialement appréciées de nos jours, peuvent être au dernier moment remises en cause par un orage, la pluie ou des bourrasques de vent ! Sans oublier les aléas des négociations avec tous les partenaires : Beaux Arts, Municipalité, Chemin de Fer, Directions des Théâtres parisiens, etc … Cette œuvre considérable de Mariéton n’a pas été oubliée et a été soulignée à plusieurs reprises : en 1937 par Charles Terrin dans la Revue de France du 15 août 1937, comme dans la revue Le Feu d’août 1939. Mais surtout rappelons que pendant ce temps, Mariéton s’activait toujours au sein du Félibrige, tant à Paris que dans tous les lieux géographiques concernés. Mais cette activité incorrigible est usante. En1909, Mariéton perd sa mère qu’il adorait : « en me quittant, elle a décoloré ma vie »9 écrit-il. Peu après, deux accidents de voiture viennent ébranler sa santé déjà minée par 25 années de vie fiévreuse. Il lutte encore 10 mois, mais il est à bout. En 1910, à son retour d’Orange, il s’alite : sa vie va lui manquer au moment où un très cher espoir lui faisait entrevoir enfin peut-être repos et tendresse. On l’installe au Chêne Vert près d’Avignon. Mistral écrit alors 149 Paul Mariéton, ses relations avec l’abbé Cerlogne CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne « Il y a des lieux sacrés et des fatalités pour les lieux ! Qui eût dit que Paul Mariéton, le suprême initié de la doctrine félibréenne trouverait un jour pour asile de santé le Chêne Vert, ce joli coin de Provence tout pénétré des chansons, des allégresses et des rêves des félibres de la première heure ? ». Il revient au château du Saix, la demeure familiale, mais ne croit plus à la guérison. On l’emmène à Nice où il décède le 24 décembre 1911 au soir, il n’avait que 49 ans et 2 mois. Ramené à Lyon, il repose au cimetière de Loyasse. Dernier trait de sa personnalité, par disposition testamentaire, ses papiers personnels, notes et travaux en cours généralement conservés au Saix mais non publiés seront détruits et brûlés : il faudra 2 jours. Mais ne restons pas sur une note triste ; rappelons à propos de Mariéton cette phrase d’Anna de Noailles dite au moment du Jubilé de Mistral : Paul Mariéton… abeille virgilienne du verger de Mistral10 ! Et surtout, unissons dans ce rappel le souvenir de l’abbé Cerlogne en citant Louis Zuccaro : « Poète et musicien, le curé de Champdepraz ne s’endort pas sur ses lauriers : il écrit en ce moment une longue étude philologique comparée sur son dialecte en homme compétent qui, tout humble prêtre de campagne qu’il est, sait le Français, l’Italien, le Provençal et l’Espagnol à merveille11 ». On ne peut mieux évoquer son souvenir. 150 n o t e s * Monsieur Claude Tourniaire était né en 1929 à Valréas/Vaucluse (enclave du Comtat venaissin). Ingénieur de son métier, il avait installé des usines dans de nombreux pays du monde. Malgré tout, il n’avait jamais oublié la langue de sa Provence natale, donnant des cours de langue provençale, organisant des expositions, des conférences et faisant participer l’Escolo de la Sedo, dont il était le Cabiscol, à la vie culturelle lyonnaise; cette école félibréenne rayonnait de telle sorte qu’elle représentait une enclave de Provence en pays lyonnais. Le Félibrige l’avait nommé “Maître d’œuvre” ; il ne manquait que très rarement le congrès annuel (Ste Estelle), aimable, souriant, modeste, devenant l’ami de tous ceux qu’il rencontrait lors des manifestations félibréennes. Il descendait régulièrement de Lyon à Aix-en-Provence pour participer aux séances de l’Écrit mistralien, pour l’actualisation du grand dictionnaire de Frédéric Mistral : Le Trésor du Félibrige. Il publia, en 2002, un ouvrage fort intéressant, Voile de soie, journal de voyage d’Hector Meynard / graineur (de vers à soie) de Valréas, de Marseille à Yokohama et retour 9 juillet - 8 décembre 1871. Claude Tourniaire est décédé le matin du 4 mars 2011 à Lyon et a été enseveli dans sa ville natale de Valréas le 9 mars, après une cérémonie religieuse célébrée en l’église NotreDame de Valréas. 1 Paul Mariéton d’après sa correspondance, par Critobule (pseudonyme d’Eugène Vial), 3 volumes, Paris : Georges Crès et Cie, 1920. Tome 1, page 10. 2 Copie de carte de visite envoyée par Mariéton à l’abbé Cerlogne, communiquée par le BREL d’Aoste. 3 Copie de carte de visite envoyée par Mariéton à l’abbé Cerlogne, communiquée par le BREL d’Aoste. 4 Copie de carte de visite envoyée par Mariéton à l’abbé Cerlogne, communiquée par le BREL d’Aoste. 5 Paul Mariéton d’après sa correspondance, tome 1, page 26. 6 La Viole d’Amour, de Paul Mariéton, Paris : A. Lemerre, 1886. 7 Copie de carte de visite envoyée par Mariéton à l’abbé Cerlogne, communiquée par le BREL d’Aoste. 8 Copie de carte de visite envoyée par Mariéton à l’abbé Cerlogne, communiquée par le BREL d’Aoste. 9 Paul Mariéton d’après sa correspondance, tome 1, pages 50-51. 10 Jules Charles-Roux, Le Jubilé de Frédéric Mistral, Paris : A. Lemerre, 1912. 11 Louis Zuccaro, « Lettre sur le dialecte de la Vallée d’Aoste », in : La Revue Félibréenne, n° 5 et 6, mai juin 1888, pages 134-135. 151 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie Claire Meul, Pierre Swiggers Vers 1880, dans une réunion mondaine où l’on dansait et où se trouvait aussi Gaston Paris, Paul Meyer aborda ce fervent ami de la France […], le professeur Nyrop, de Copenhague, par cette boutade : « Savez-vous pourquoi Gaston Paris est un plus grand philologue que moi ? C’est parce qu’il sait danser ». Il ne dansait pas, lui ; il ne jouait pas, lui ; il n’allait ni au spectacle ni au concert, lui. Toujours penché sur la tâche jamais achevée, toujours tendu vers le but jamais atteint, n’accordant pas au sommeil la part à laquelle il a droit et donnant au travail une partie de ses vacances comme une partie de ses nuits, il ne vivait que pour la science. (Thomas 1917: 434-435) Introduction Dans le cadre de ce colloque consacré à « Cerlogne et les autres », nous voudrions présenter une figure de savant qui a été en contact épistolaire avec l’abbé, de façon intermittente, au long d’une période de quelque vingt années, à en juger d’après les lettres conservées. Cet “autre” fut, en son temps, un savant de haute renommée internationale qui dans ses “contacts à distance” avec l’abbé 153 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne a fait montre non seulement d’une grande courtoisie, mais aussi d’un respect très sincère à l’égard de l’œuvre, à la fois littéraire et linguistique, de cette grande personnalité du Val d’Aoste. Une requête parisienne Dans la correspondance de l’abbé Cerlogne se trouve une missive, envoyée de Paris et datée du 16 octobre 1889, où on lit1 : Monsieur l’abbé, Je suis informé que vous imprimez un recueil de poésies en dialecte valdôtain au prix de deux fr. l’exemplaire. Je vous prie de vouloir bien m’en envoyer un exemplaire par la poste lorsque le volume aura paru. Je joins au prix indiqué 25 cent. pour l’affranchissement. Veuillez agréer, Monsieur l’abbé, l’expression de mes sentiments les plus distingués. Le signataire de ces lignes fut Paul Meyer, professeur à l’École des Chartes, co-fondateur et éditeur scientifique, avec Gaston Paris, de la revue Romania et collaborateur assidu, aux côtés de Gaston Paris, à la Revue critique d’histoire et de littérature. Paul Meyer, qui plus tard deviendra professeur au Collège de France, est resté en correspondance, bien que de manière sporadique, avec l’abbé Cerlogne. Au total, quatre missives de Meyer à Cerlogne ont été conservées, dont deux lettres (une de 1889, qu’on vient de citer, et une autre de 1895), une carte de visite2 et, enfin, une carte postale avec cachet du 4 mai 1908. Le lecteur trouvera en annexe une édition de ces quatre documents. Dans cette contribution, nous nous proposons de présenter la personnalité scientifique de ce correspondant de l’abbé Cerlogne et nous voudrions nous interroger plus en particulier sur les raisons de cette prise de contact d’un savant parisien affichant, comme on le verra, une attitude de jacobinisme linguistique avec un poète et grammairien-lexicographe non professionnel situé en territoire extra-hexagonal. Pour ce faire, il faudra creuser en-dessous de la correspondance, à intervalles, entre Meyer et Cerlogne. Paul Meyer : la philologie incarnée Qui est ce correspondant parisien de Cerlogne ? Nous présenterons d’abord le personnage d’après une saisie biographique “de l’extérieur”. Paul Meyer – officiellement Marie-Paul-Hyacinthe Meyer – naquit à Paris en 1840. Après des études au lycée Louis-le-Grand, il s’inscrivit à l’École des Chartes à la fin des 154 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie années 1850, alors le haut-lieu de la recherche scientifique en philologie, et y fit des études sous la direction du philologue et historien François Guessard. En janvier 1861 Paul Meyer obtint le diplôme de chartiste3. Après une carrière d’archiviste, d’abord à Tarascon dans le Midi4, où il put approfondir et mettre en pratique ses connaissances de l’occitan5, et ensuite à Paris, où il fut successivement employé de la Bibliothèque nationale – alors “impériale” – et des Archives Impériales, Meyer rentra dans le cadre enseignant et administratif de l’École des Chartes. Dès janvier 1865, il avait une charge partielle d’enseignement à l’École, et en 1878 il y fut nommé à temps plein comme chargé de cours. En 1882 il fut nommé professeur à l’École des Chartes, dont il devint aussitôt directeur. De l’excellent connaisseur de fonds de manuscrits dans les bibliothèques de l’hexagone et aussi en Angleterre6 – Meyer fut un des rares romanistes français du xixe siècle qui avait une bonne maîtrise de la langue de Shakespeare –, le jeune occitaniste s’affirmait progressivement comme un des grands spécialistes de l’histoire de la littérature occitane. En mai 1865 il donna sa leçon d’ouverture du cours d’histoire de la littérature provençale à l’École des Chartes, dont le texte fut publié dans la Revue des cours littéraires. En 1865 il fournit une édition, avec traduction partielle, du roman de Flamenca; cette édition reste toujours un instrument de référence. Paul Meyer et son ami Gaston Paris7 se partageaient, dans leur enseignement et dans leurs recherches, le domaine galloroman : le premier, enseignant alors à l’École des Chartes, s’occupait de la langue et de la littérature d’oc, le second, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, s’occupait du domaine d’oïl. Pour ces deux savants parisiens, il s’agissait de mettre en place la recherche scientifique française dans le domaine de la philologie (gallo-) romane; la notion de «recherche scientifique» impliquait, dans leur optique, l’adoption des «méthodes allemandes»8, c’est-àdire (a) l’intégration du dispositif Paul Meyer (photo tirée de Discours prononcés aux obsèques de M. Paul Meyer, Nogent-le-Rotrou, 1918) 155 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne de la grammaire historico-comparative, élaborée par Bopp et Grimm et magistrale ment appliquée aux données romanes par Friedrich Diez ; (b) l’application d’un cadre d’enseignement professionnel et scientifique, qui se concrétisait dans des exercices et des travaux pratiques tirant tout bénéfice de l’interaction entre un professeur dûment informé des méthodes scientifiques et des élèves-auditeurs directement confrontés avec l’étude de problèmes philologiques ; (c) le recours à un corpus (s’étendant continuellement) d’instruments de référence solides (mais néanmoins perfectibles). Pour cela, il fallait réorganiser l’enseignement supérieur et transformer la culture savante en France. L’université française s’était trop longtemps complue dans une pseudo-science, pratiquée par des amateurs, qui mettaient l’étalement des dons rhétoriques au-dessus de la recherche patiente de « faits ». Les écoles supérieures – tout particulièrement l’École des Chartes et l’École Pratique des Hautes Études, créée en 1868 – étaient les lieux propices à l’introduction du modèle scientifique allemand (cf. Swiggers 2000). Et Meyer et Paris se rendirent compte qu’il fallait aussi créer des organes de diffusion de ce nouvel esprit scientifique. En 1866 fut fondée la Revue critique d’histoire et de littérature 9, en 1872 la revue Romania 10 ; dans les deux cas, Meyer et Paris furent co-fondateurs. Gaston Paris et Paul Meyer s’associèrent dans un effort de mettre en place un enseignement de linguistique romane en France qui pourrait faire concurrence à la romanische Philologie d’outre-Rhin. En 1875 Meyer et Paris fondèrent la Société des Anciens Textes Français11, afin de garantir la mainmise française sur le patrimoine littéraire de la Francia12. Les éditions de la SATF devaient faire fonction de dépôt scientifique du riche patrimoine gallo-roman13. En 1876, à 36 ans seulement, Paul Meyer entra au Collège de France comme professeur de langues et littératures méridionales de l’Europe14. Si ce titre rappelle la charge de Claude Fauriel, le Gaston Paris (photo tirée de Cahiers de la Quinzaine, 5e série, n° 14 : Gaston Paris, Paris 1904) 156 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie contenu de l’enseignement de Meyer était fort différent de celui de son lointain prédécesseur. En effet, Paul Meyer mit à profit son enseignement au Collège de France pour familiariser le grand public avec les objectifs et les méthodes de la philologie la plus exigeante. En 1884, Meyer demanda d’être déchargé de ses fonctions au Collège de France ; voulant se consacrer davantage à son École des Chartes, il destinait ses fonctions au Collège à son disciple Alfred Morel-Fatio. Excellent éditeur de textes, littéraires et non littéraires, Meyer s’est signalé par la publication de la Chanson de la Croisade contre les Albigeois, édition qui fait encore référence aujourd’hui, par son édition de Girart de Roussillon, par son Histoire de Guillaume le Maréchal et ses éditions et travaux portant sur la Geste de Nanteuil (Gui de Nanteuil ; Aye d’Avignon ; Doon de Nanteuil, …). On lui doit en outre de très utiles descriptions de collections de manuscrits et de solides études portant sur d’anciens textes littéraires et non littéraires, en bas-latin, en ancien provençal et en ancien français. Mais c’est surtout dans les colonnes de la Romania qu’on saisit sur le vif la science et le tempérament de Paul Meyer : dans les nombreuses notes de phonétique et de morphologie historiques, dans ses remarques philologiques sur d’anciens textes provençaux et surtout dans les innombrables comptes rendus, toujours critiques et parfois cruellement sévères, à propos de travaux philologiques et historiques. Mais Paul Meyer était bien plus qu’un savant enfermé dans la solitude de son cabinet ou un rat de bibliothèque. Comme professeur au Collège de France il avait dû s’affronter à un public composite aux intérêts divergents15. En tant que philologue-historien, il a rempli de nombreuses fonctions scientifiques : en 1889-90 il fut président de la Société de l’histoire de France, et en 1910 président de la Section de Philologie et d’Histoire du Comité des travaux historiques et des Sociétés savantes. Comme président d’une commission pour la réforme de l’orthographe française16, il prit part à un débat qui divisait le public des intellec tuels français. Son action fut davantage remarquée lors de son intervention, en tant que philologue, dans l’affaire Dreyfus : un examen graphologique du fameux bordereau amena Meyer à affirmer l’innocence du capitaine d’origine juive. On n’oubliera pas enfin que ce grand provençaliste a entretenu une correspondance suivie avec la figure de proue de la renaissance occitane au xixe siècle, le poète rhodanien Frédéric Mistral17. Paul Meyer mourut le 7 septembre 1917 à Saint-Mandé, après une longue maladie. L’occitaniste de Paris était alors universellement reconnu comme un des plus grands romanistes de son temps : il était membre de plusieurs académies (Accademia dei Lincei; Accademia della Crusca; Istituto Lombardo; les académies nationales d’Espagne, de Belgique, d’Angleterre, etc.) et les universités d’Oxford et de Saint-Andrews lui avaient conféré le doctorat honoris causa. Ce profil biographique nous aide à comprendre, jusqu’à un certain point, les motifs qui ont pu justifier la prise, et le maintien, de contact de Meyer avec 157 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne l’abbé Cerlogne : le provençaliste de Paris s’intéressait au francoprovençal comme faisant partie de son domaine de recherche et son souci continu de documentation complète sur les ressources lexicographiques, grammaticales et littéraires pour l’étude des variétés gallo-romanes fut certainement la principale raison de ses missives, qui expriment sa volonté d’acquérir les publications de l’abbé valdôtain. Paul Meyer : un regard “centriste” sur la situation dialectologique de la Gallo-Romania Il n’en reste pas moins que l’historien de la linguistique s’étonne quelque peu de ce qu’on peut lire dans cette correspondance. Meyer y parle en effet, à deux reprises (documents 1 et 3) du « dialecte valdôtain ». C’est sans doute, aux yeux des francoprovençalistes et des romanistes d’aujourd’hui, l’évidence même, mais sous la plume de Paul Meyer il devait s’agir d’une formule utilisée un peu à contre-cœur. En effet, ce grand spécialiste de l’occitan fut, du moins dans sa face publique, un grand défenseur de (l’idée de) l’unité linguistique de la France et de l’indivision du domaine gallo-roman. Sur ce point de doctrine aussi, il procédait à l’unisson avec son ami Gaston Paris, qui, le 26 mai 1888, dans son discours devant la réunion des Sociétés savantes, avait soutenu que tous les efforts consacrés à la division en dialectes étaient futiles : « […] dans une masse linguistique de même origine comme la nôtre, il n’y a réellement pas de dialectes ; il n’y a que des traits linguistiques qui entrent respectivement dans des combinaisons diverses, de telle sorte que le parler d’un endroit contiendra un certain nombre de traits qui lui seront communs, par exemple, avec le parler de chacun des quatre endroits les plus voisins, et un certain nombre de traits qui différeront du parler de chacun d’eux. Chaque trait linguistique occupe d’ailleurs une certaine étendue de terrain dont on peut reconnaître les limites, mais ces limites ne coïncident que très rarement avec celles d’un autre trait ou de plusieurs autres traits […]. Il suit de là que tout le travail qu’on a dépensé à constituer dans l’ensemble des parlers de la France, des dialectes et ce qu’on a appelé des ‘sous-dialectes’ est un travail complètement perdu ». (Paris 1893: 4-5) Et visant spécifiquement les résultats de l’enquête de Charles de Tourtoulon et Octavien Bringuier (enquête de 187318 ; résultats publiés en 1876)19, Paris estime que la prétendue limite entre français et occitan n’est qu’une vue de l’esprit, une “muraille imaginaire” : « la science, aujourd’hui mieux armée, la renverse, et nous apprend qu’il n’y a pas deux Frances, qu’aucune limite réelle ne sépare les Français du Nord de ceux du Midi » (Paris 1893: 4-5)20. 158 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie Ce qui nous intéresse dans ce discours dogmatique (qui, il convient de le faire remarquer, ne rend aucunement justice aux conclusions nuancées de Tourtoulon et Bringuier, ces deux auteurs ayant insisté sur le fait que la ligne de démarcation « flotte sur presque tous les points de son parcours, entre deux centres de population »), ce n’est ni le caractère polémique (qui visait, au-delà des deux auteurs Tourtoulon et Bringuier, la Société pour l’étude des langues romanes de Montpellier et, plus en général, l’enseignement de la philologie romane à Montpellier)21, ni la présence de nombreux sophismes (confusion entre systèmes linguistiques et locuteurs / réseaux communicatifs ; confusion entre extension de traits linguistiques et détermination d’entités linguistiques ; enfin – comble d’incompréhension – le télescopage entre une délimitation linguistique sur un continuum et l’établissement de ruptures discrètes)22. Non, ce qui nous intéresse, c’est la référence à la science, aujourd’hui mieux armée, formule par laquelle Gaston Paris renvoyait ses auditeurs / lecteurs à son cercle d’amis et de collaborateurs, à l’École Pratique des Hautes Études et à l’École des Chartes : à Antoine Thomas, son ancien disciple, devenu son collègue, qui en 1878 avait été chargé d’une mission d’enquête sur les patois de la Creuse (travail dans lequel il avait montré qu’il n’y a pas de brusques transitions entre variétés linguistiques ; cf. Meyer 1879), à Jules Gilliéron, auteur d’un Petit Atlas phonétique du Valais roman, et qui par ses conférences à l’École Pratique des Hautes Études devait préparer l’esprit des Français à la grande entreprise que deviendrait l’Atlas linguistique de la France, dans lequel les entités “dialecte” et “patois” sont éclipsées par une entité plus palpable, à savoir le “mot” ; mais au-delà de ces deux références, Gaston Paris avait (surtout) en vue les travaux de son ami Paul Meyer, dans lesquels celui-ci s’était opposé à l’établissement de divisions dialectales. En effet, bien avant le discours de Gaston Paris en 1888 – qui, soit dit en passant, précède d’un an et demi la première missive de Meyer à Cerlogne – l’occitaniste de l’École des Chartes avait brandi le même discours jacobin(iste). Meyer avait critiqué, en 1877 (dans la Romania vol. 6) les résultats de l’enquête de Tourtoulon et Bringuier, non pas d’un point de vue empirique (alors que comme philologue Meyer tirait tout son prestige et toute son autorité de sa maîtrise approfondie des données factuelles)23, mais d’un point de vue théorisant et hautement catégorique24 : « J’ai eu l’occasion d’exprimer ici l’idée qu’en général et en théorie les dialectes d’une même langue n’ont pas de limites nettement perceptibles, qu’ils ne couvrent pas un espace de terrain clairement circonscrit, que dans le cas (qui est celui des langues romanes) où plusieurs dialectes ayant une même origine existent les uns à côté des autres, l’œuvre du philologue ne consiste pas à déterminer les caractères de chacun d’eux, mais à grouper certains caractères linguistiques de façon à constituer un dialecte avec chaque groupe de caractères ». […] « Je nie que pour aucun dialecte ou groupe de dialectes on puisse trouver une série de caractères existant simultanément en un espace déterminé et ne dépassant pas cet espace. En quelque 159 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie endroit qu’on place les limites, il y a aura toujours des caractères qui resteront en deçà et d’autres qui iront au-delà. Mais si on choisit un petit nombre de caractères, on pourra déterminer sur le terrain les points jusqu’où ces caractères se manifestent et la constatation de ces points est en soi très intéressante. Que l’on affirme ensuite que la ligne qui passe par ces points est la limite ou le lien de jonction de deux groupes de dialectes, c’est une affaire d’appréciation qui n’a qu’une importance secondaire. Ce qui est un résultat important, c’est d’avoir établi la limite géographique d’un certain nombre de caractères linguistiques ». (Meyer 1877: 630-631) Comme les traits servant à la délimitation ne se recouvrent jamais entièrement, la définition d’un dialecte est purement arbitraire : On pourra noter, non sans un brin d’ironie, que le jacobinisme linguistique25 de Meyer souffrait d’une vue de l’esprit typique du philologue, extrapolant l’examen de traits discriminatoires de manuscrits (en vue de l’établissement d’un stemma) à l’examen de traits de différenciation variable sur un espace marqué par une complexité d’interactions communicatives. « La division des dialectes romans de la France (y compris ceux de la Belgique et de la Suisse) en deux groupes : langue d’oil et langue d’oc, est commode et correspond passablement au développement de la littérature de ces mêmes pays. Cependant, à ne considérer que les faits linguistiques, elle peut n’être pas à l’abri de toute contestation. Ainsi en a jugé M. Ascoli, en proposant de former un nouveau groupe pour certains dialectes que jusqu’ici on avait coutume de distribuer entre la langue d’oil et la langue d’oc. L’objet des Schizzi franco-provenzali, où on reconnaît toute la précision, tout le talent d’exposition qui distinguent le savant auteur des Saggi Ladini, est de montrer que les dialectes romans de la Suisse occidentale, de la Savoie, du Nord du Dauphiné, d’une partie de la Bourgogne, de la Franche-Comté, du sud de la Lorraine, constituent un type linguistique spécial, ayant sa place à part dans la grande famille romane. À ce type, M. Ascoli donne le nom de « franco-provençal » en raison des caractères qui s’y rencontrent. Je dois avouer qu’il ne m’a pas paru que M. Ascoli ait pleinement démontré sa thèse, ni même qu’il y ait beaucoup d’utilité à ce qu’elle soit démontrée. Selon moi, ce qui importe le plus c’est de reconnaître en chaque pays les faits du langage ; ce qui importe le moins, c’est de déterminer des circonscriptions dialectales, opération qui ne peut se faire qu’à la suite d’un choix, toujours plus ou moins arbitraire, entre certains des faits étudiés ». (Meyer 1875: 374) Le grand philologue et éditeur de textes allemand, Hermann Suchier, tomba victime de la même erreur, du moins initialement26. L’affirmation catégorique de Meyer faite en 1877, à propos de l’enquête de Tourtoulon et Bringuier, s’appuya sur une “référence interne” : celle à son compte rendu, deux ans auparavant, des Schizzi franco-provenzali de Graziadio Ascoli. Et ici, nous entrons de plain-pied dans le sujet de notre communication. Ascoli (1874)27 avait essayé – et, dans sa conviction, avait réussi – de délimiter le francoprovençal comme un idiome historiquement indépendant présentant des caractéristiques propres ainsi que des traits partagés avec la langue d’oïl et d’autres avec la langue d’oc. Dans son travail, basé sur des sources écrites, sur des informations fournies par des collaborateurs et sur ses propres observations directes, il proposait une circonscription du domaine francoprovençal et explicitait sa démarche de délimitation, à partir de 22 caractéristiques (embrassant la phonétique, la morphologie et le lexique). La spécificité (et donc le statut autonome) du francoprovençal y est justifiée principalement en fonction du traitement de a tonique et a atone, et du a tonique en contact avec une consonne palatale. Dans la Romania vol. 4, Meyer publia un compte rendu, dans lequel il niait la possibilité de délimiter un dialecte en termes “ontiques” : « À mon sens, aucun groupe de dialectes […] ne saurait constituer une famille naturelle, par la raison même que le dialecte […] n’est qu’une conception assez arbitraire de notre esprit ». (Meyer 1875: 294). 160 « Il s’ensuit que le dialecte est une espèce bien plutôt artificielle que naturelle ; que toute définition du dialecte est une definitio nominis et non une definitio rei ». (Meyer 1875: 295) Dans son deuxième « Rapport sur les progrès de la philologie romane », publié en 1875, Meyer consacra un long paragraphe au Schizzi francoprovenzali : La réponse d’Ascoli ne se fit guère attendre ; déjà dans le tome 2 de l’Archivio glottologico italiano (donc avant la publication définitive du tome 3 complet, qui con tient les Schizzi), Ascoli inséra une réplique28 au « signor Paolo Meyer ». Le glottolo gue italien, bien plus linguiste que son contradicteur parisien, s’y montrait tout à fait conscient de la perspective méthodologique du dialectologue qui se voit confronté à un continuum divisible. Écartant l’objection de Meyer comme étant aprioriste, Ascoli faisait observer que toute délimitation dialectale est une typisation obtenue par un 161 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne complexe de caractéristiques29. Voici en résumé la leçon de géographie linguistique typologisante qu’enseignait Ascoli à son contradicteur parisien : «Muove il Meyer da un’obiezione d’ordine generalissimo. Nessun gruppo di dialetti, comunque si formi, costituirebbe mai, secondo la sentenza sua, una famiglia naturale, per la ragione, che il dialetto, il quale rappresenta la specie, altro non è egli medesimo se non una concezione, abbastanza arbitraria, della mente nostra. […] E la conclusione del nostro critico è questa: ‘Segue da ció, che il dialetto è una specie ben piuttosto artificiale che non naturale; che ogni definizione del dialetto è una definitio nominis e non una definitio rei […]». «[…] Si tratta dunque di una obiezione a priori, che ferirebbe il mio saggio del pari che un altro qualsifosse, concernente una qualunque serie di dialetti di una qualsivoglia regione del mondo; o anzi ferirebbe, come io credo, una classificazione qualsifosse di qualunque ordine di individui o di soggetti, reali o escogitabili. Ma tutta codesta obiezione terribilissima, tutta codesta disperazione di scernimenti che non sieno di necessità arbitrarj, tutto si risolve fortunatamente in un bel nulla. Un tipo qualunque, - e sia il tipo di un dialetto, di una lingua, di un complesso di dialetti o di lingue, di piante, di animali, e via dicendo, - un tipo qualunque si ottiene mercè un determinato complesso di caratteri, che viene a distinguerlo dagli altri tipi. Fra i caratteri può darsene uno o più d’uno che gli sia esclusivamente proprio; ma questa non è punto una condizione necessaria, e manca moltissime volte. I singoli caratteri di un dato tipo si ritrovano naturalmente, o tutti o per la maggior parte, ripartiti in varia misura fra i tipi congeneri; ma il distintivo necessario del determinato tipo sta appunto nella simultanea presenza o nella particolar combinazione di quei caratteri». (Ascoli 1876: 385-387) Dans le cas du francoprovençal, le profil typisé est obtenu par le croisement de caractéristiques (déterminantes). Les caractéristiques cruciales que le francoprovençal a en commun avec l’occitan (à savoir le maintien de a tonique et de a atone) sont désignées par les lettres A et B. Le phénomène qui consiste à modifier le a tonique après une consonne palatale (et que le francoprovençal a en commun avec le français) est désigné par C. La formule ABC est spécifique pour le francoprovençal, car elle réunit des caractéristiques qui apparaissent, de façon conjointe, seulement sur ce territoire. S’y ajoute le fait qu’en francoprovençal la palatalisation de a se produit aussi dans des syllabes non accentuées, ce qui donne la formule ABCa. 162 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie «Abbiamo dunque ormai la formola ABCa. Nella quale, la proprietà esclusiva è tale per sè stessa e per l’abondanza dell’elemento cui si riferisce, da bastare di per sè sola alla determinazione di un tipo distinto; ed essa ancora si aggiunge a tal complesso di proprietà che pur altrove ricorrono ma qui solo si congiungono (ABC), da bastare pur questo, e per le ragioni medesime, alla determinazione di un tipo distinto». (Ascoli 1876: 389) Ascoli reproche à Meyer sa critique injustifiée, à la fois basée sur un parti pris théorique (qu’aujourd’hui on pourrait appeler ‘typophobe’) et sur une argumentation qui passe à côté des faits empiriques réunis, qui de toute façon font ressortir une certaine unité dans l’espace30. «C’è qui nulla d’arbitrario? Son fatti questi, che il glottologo, quasi per suo comodo, trascelga fra i molti, per farne, come di sua invenzione, dei caratteri specifici? E questa doppia serie del duplice riflesso dell’A, non ha essa grandissima parte anche nel determinare acusticamente quella special parentela o somiglian za, per la quale avviene che i nativi del Vaud, dell’Aostano, della Savoja e delle finitime sezioni del dipartimento dell’Isera, a non toccar se non di questi territorj franco-provenzali, s’intendano fra loro con particolar facilità? […]». «E il vero del fatto nostro insomma è, che il ‘franco-provenzale’ forma un tutto continuo, anche nell’ordine geografico, così come io dico nella prima pagina del mio Saggio, accingendomi a descrivere partitamente codesto territorio». (Ascoli 1876: 389, 391) Meyer, qui se réserva le droit de clôturer le débat dans la Romania, s’est rabattu sur ses positions dans sa contre-réplique, sans fournir d’arguments factuels : « Je persiste à croire 31 que le parler roman pris dans sa forme populaire, abstraction faite de toute manifestation littéraire, est un ensemble que l’on n’est arrivé à diviser en idiomes que par des opérations arbitraires ». (Meyer 1876: 505) Et il s’engouffrait dans une déclaration ne laissant aucune place à une véritable approche de la variation géolinguistique : « Le parler roman n’offre que des limites extérieures, là où il confine à la mer ou à des idiomes non latins. De limites intérieures il n’en a pas ». (Meyer 1876: 505) 163 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Entêtement du philologue braqué sur ses manuscrits et aveugle à la réalité sur le terrain ? Oui, sans aucun doute. Et on doit constater qu’au bout du compte, les prêchi-prêcha aprioristes de Meyer n’ont pas eu l’effet escompté, du moins en ce qui concerne le statut du francoprovençal : celui-ci eut l’honneur, grâce à des travaux de romanistes allemands, suisses et français, d’accéder au statut d’entité gallo-romane à part entière32. Si Ascoli se savait déjà vainqueur dans le débat dialectologique, Charles de Tourtoulon ne savourerait sa vengeance que dans la tombe. En effet, Gaston Paris et Paul Meyer ont dû, malgré tout, se rendre à l’évidence d’une distinction entre dialectes (ou entre zones dialectales) et cela d’autant plus que leurs collègues d’outre-Rhin Hermann Suchier, Gustav Gröber et Wilhelm Meyer-Lübke, représentant la vénérable “science allemande”, s’étaient ralliés, plus ou moins ouvertement aux vues de Tourtoulon et Bringuier. Il est vrai que le “sous-dialecte marchois”, désignation que Tourtoulon avait choisie pour circonscrire la zone de transition entre oc et oïl, a dû mener une vie couverte de suspicions – conséquence néfaste du discrédit jeté par Paris et Meyer sur la compétence (et l’autorité) scientifique(s) de Tourtoulon et Bringuier – jusqu’à ce que le terme soit remplacé, définitivement, par celui de “Croissant”, introduit par et accepté sur l’autorité de Jules Ronjat. On y ajoutera le constat ironique que les travaux menés dans le sillage de l’ALF – entreprise que Paris et Meyer avaient cautionnée comme un projet devant montrer que la France était une tapisserie de parlers néo-latins aux « nuances et transitions insensibles » – aboutiraient à la reconnaissance d’aires dialectales à l’intérieur des zones d’oc et d’oïl … Morale et bilan de cette histoire. On peut dire, si on nous permet cette formule oxymorique, que Paul Meyer tomba victime de sa position tranchée sur la non-existence de frontières dialectales. En fait, la formule exprime un échec scientifique de taille : celui de ne pouvoir se rendre à l’évidence que toute entité géolinguistique (et en fait, toute entité scientifique d’une certaine complexité) est une entité polythétique et que ni l’enchevêtrement et superposition partielle de traits ni le polymorphisme de parcours sont en contradiction avec la possibilité de délimiter des (sous-)ensembles intégratifs. Échec qui, en même temps, escamote un déchirement intérieur, car Meyer (tout comme G. Paris) avait été, en tant qu’éditeur de textes médiévaux, confronté, journellement, à des manuscrits marqués par des traits attribuables à telle ou telle zone dialectale. Et dans leur pratique comme éditeurs de textes médiévaux, Meyer et Paris ne répugnaient pas à utiliser, dans un sens linguistique, des termes comme picard, wallon, anglo-normand, champenois, lorrain, limousin, auvergnat ou gascon. Paul Meyer et Cerlogne : réflexions sur une appréciation Toutefois, ni le bon danseur Gaston Paris ni le grand travailleur Paul Meyer n’ont vécu ce déchirement comme un clivage existentiel ; ils étaient, 164 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie tous les deux, des hommes du monde. Et c’est ici que nous pouvons faire le pas vers la correspondance Meyer – Cerlogne. Du point de vue scientifique, Meyer ne s’est guère intéressé au valdôtain33 ; il est peut-être significatif que, lorsqu’il rend compte de l’article d’Ascoli qu’il “oublie” de mentionner le Val d’Aoste dans la circonscription du domaine francoprovençal, alors que le glottologue italien en faisait explicitement mention. Mais la correspondance avec Cerlogne nous montre clairement que Meyer s’intéressait à l’œuvre de l’abbé valdôtain, non seulement pour ce qui concerne les travaux proprement linguistiques (grammaire34 et dictionnaire35), mais aussi quant à la production littéraire et journalistique en dialecte local36. Et la correspondance témoigne aussi de l’appréciation sympathique de la part du philologue parisien pour la production “du vaillant poète” du Val d’Aoste : en 1895, il commanda une dizaine d’exemplaires de sa Vie du petit ramoneur (1894)37 et à une époque où le Dictionnaire valdôtain de l’abbé Cerlogne était encore à l’état de manuscrit, Meyer se signala comme un des « premiers souscripteurs »38. Et, comme on l’a déjà remarqué, on ne peut que constater que Meyer n’a aucun problème à utiliser le terme dialecte dans ses lettres à l’abbé Cerlogne. En conclusion, derrière cette mince correspondance, amicale et nullement polémique, entre deux hommes très attachés aux manifestations du langage humain, se cache une histoire mouvementée et complexe d’antagonismes et de malentendus entre deux disciplines hautement “humanistes” : la philologie et la dialectologie. Édition des lettres de Paul Meyer avec l’abbé Cerlogne [1]16 octobre 1889 Monsieur l’abbé, Je suis informé que vous imprimez un recueil de poésies en dialecte valdôtain au prix de deux fr. l’exemplaire. Je vous prie de vouloir bien m’en envoyer un exemplaire par la poste lorsque le volume aura paru. Je joins au prix indiqué 25 cent. pour l’affranchissement. Veuillez agréer, Monsieur l’abbé, l’expression de mes sentiments les plus distingués. Paul Meyer Adresse : M. Paul Meyer 26, rue de Boulainvilliers Paris 165 Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne [2] La lettre que M. Paul Meyer envoya à l’abbé Jean-Baptiste Cerlogne. n o t e s La lettre concerne sans doute la publication, en 1888, de la Pastorala di Rei de l’abbé Cerlogne. 2 À notre avis, il faut dater cette carte de 1905 ou 1906, vu que Meyer y mentionne le cinquantenaire de la carrière de poète de Cerlogne ; or, l’abbé Cerlogne a commencé à écrire des poèmes en 1855. Il faut écarter, à notre avis, une possible confusion avec la publication du recueil Cinquantiémo anniverséro de 48 (en 1898). 3 Sa thèse pour le diplôme d’archiviste-paléographe était intitulée Recherches sur la langue parlée en Gaule aux temps barbares (ve-ixe siècle). La thèse ne fut jamais publiée comme livre et est restée à l’état de manuscrit. Aussitôt, après l’obtention du diplôme, Meyer fut envoyé à Londres afin d’acquérir des manuscrits pour la Bibliothèque nationale. 4 Cf. ses « Observations sur la publication de l’inventaire des Archives de Tarascon-surRhône », Bibliothèque de l’École des Chartes 6e série vol. I, 65-70. Ce n’est qu’à la fin de sa vie que Meyer publiera une partie de son édition de textes d’archives du Midi (Meyer, Documents linguistiques du Midi de la France, 1909). 5 Lors de son séjour à Tarascon, Meyer s’est lié d’amitié avec Frédéric Mistral. 6 Voir son premier « Rapport sur une mission littéraire en Angleterre et en Écosse », Archives des missions scientifiques et littéraires 2e série, vol. 3 (1866), 247-328, suivi par, e.a., un deuxième rapport (ibid., 2e série, vol. 4, 1867, 115-167), un troisième (ibid., 2e série, vol. 5, 1868, 139-272), la publication de « Notices et extraits du manuscrit 8336 de la bibliothèque de sir Thomas Philipps, à Cheltenham » (Romania 13, 1884, 497-541) et de « Notices sur quelques manuscrits de la bibliothèque Philipps à Cheltenham » (Romania 21, 1892, 209-303 ; voir aussi Manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques 34/1, 1891, 149-258 et Romania 37, 1908, 209-235), ainsi que d’une série d’articles sur « Les manuscrits français de Cambridge » (Romania 8, 1879, 305-342 ; Romania 15, 1886, 236-357 ; Romania 32, 1903, 18120 ; Romania 36, 1907, 481-452). En 1910-11 Meyer a publié trois notices sur des manuscrits du British Museum (Romania 39, 1910, 532-569 ; 40, 1911, 41-69 ; 40, 1911, 532-558). 7 Paul Meyer a connu Gaston Paris (1839-1903) dès 1858, quand Gaston Paris a commencé à suivre des cours à l’École des Chartes. Entre les deux jeunes romanistes s’est nouée une amitié inébranlable. 8 Meyer a toujours insisté sur l’apport “formatif” de la “discipline” scientifique qui caractérise la culture allemande (en l’opposant à la science française, dépourvue de “méthode”, mais manifestant un “goût supérieur” et “une intelligence vive et nette”. Cf. Meyer (1875: 369) : « L’Allemagne continue encore à tenir la tête, ici comme en d’autres directions. Elle domine par l’abondance et par la valeur moyenne de sa production. Sans doute, entre tant de publications romanes qui nous viennent d’outre Rhin, il en est peu qui s’élèvent au-dessus d’une respectable médiocrité, mais il faut aussi reconnaître que celles auxquelles toute valeur fait défaut sont infiniment rares. Rien d’excellent, rien de décidément mauvais. Tel est l’effet d’une forte discipline scientifique qui ne suffit pas assurément à susciter des œuvres de génie, mais qui du moins amène chacun à faire le meilleur usage possible de ses facultés ». 9 Les fondateurs furent Charles Morel, Hermann Zotenberg, Gaston Paris et Paul Meyer. La Revue critique, qui se voulait un organe d’information et de critique scientifique, avait pour devise : « Le livre seul est l’objet de la critique, l’auteur pour elle n’existe pas. On écartera avec la même sévérité la camaraderie et l’hostilité systématique, pour ne tenir compte que des seuls intérêts de la science ». (cf. Meyer 1906). 1 [2] Paris, 16 avenue La Bourdonnais 18 octobre 1895 Monsieur l’abbé, j’ai reçu le petit livre intitulé La vie du petit ramoneur et je l’ai lu avec plaisir. J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint un mandat postal de cinq francs vous priant de m’envoyer en échange une dizaine d’exemplaires de cet ouvrage. Veuillez agréer, Monsieur l’Abbé, l’hommage de mes sentiments les plus dévoués. Paul Meyer [3] [carte de visite, à dater sans doute de 1905] Avec ses bien sincères remerciements à M. l’abbé Cerlogne pour Les étapes de la vie et pour les journaux qu’il a bien voulu lui envoyer. M. Meyer se joint de tout cœur à ceux qui ont célébré le cinquantenaire du vaillant poète qui a si bien su mettre en valeur et expliquer le dialecte valdôtain. Si M. l’abbé Cerlogne se décide à imprimer son Dictionnaire valdôtain, M. Meyer s’honore [de] se compter parmi les premiers souscripteurs. [4][carte postale avec cachet du 4 mai 1908] 16, avenue La Bourdonnais - Paris Monsieur l’abbé, J’ai eu l’honneur, à la date de ce jour, de vous adresser ma souscription (cinq francs) pour votre Dictionnaire Valdôtain. Veuillez agréer mes compliments et tous mes vœux pour le succès de votre ouvrage. Paul Meyer 166 167 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie Le titre de la revue faisait écho à celui de la revue viennoise Germania, créée en 1855. D’après le modèle anglais de l’Early English Text Society; cf. Meyer (1875: 379) : « Par suite d’un heureux concours de circonstances la Société pour la publication des anciens textes français […] a été fondée au commencement de cette année. […] Nous espérons faire pour la France ce que l’Early English Text Society a fait pour l’Angleterre. […] Nous voulons seulement qu’on puisse étudier commodément nos anciens textes. Par suite, […] le niveau des études françaises (soit grammaticales, soit littéraires) s’élèvera ». Cf. aussi : « Nous pensons qu’il n’est pas d’œuvre plus vraiment nationale que celle à laquelle nous voulons nous consacrer. Nous faisons appel pour nous aider, non seulement à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des langues et des littératures romanes, mais encore à tous ceux qui aiment la France de tous les temps, à tous ceux qui croient qu’un peuple qui répudie son passé prépare mal son avenir, à tous ceux qui savent que la conscience nationale n’est pleine et vivante que si elle relie dans un sentiment profond de solidarité les générations présentes à celles qui se sont éteintes ». (Meyer 1875: 379). 12 Cf. le passage suivant dans Meyer (1875: 378) : « Le progrès de la philologie est, pour la France, bien plus que pour un autre pays, lié à la publication des textes. C’est que peu de nations possèdent un passé littéraire aussi riche que le nôtre, et ont été aussi lentes à le faire connaître. Faute de textes, que l’on sait exister, mais qui restent inédits, mainte recherche linguistique ou littéraire est empêchée, ou n’aboutit qu’à des résultats tout à fait provisoires. C’est actuellement une nécessité pour les philologues de consacrer une grande part de leur temps et de leurs efforts à préparer des éditions. Mais les éditeurs qui entendent leur métier sont peu nombreux et procèdent avec une sage lenteur ; car nous ne sommes plus au temps où toute personne ayant une certaine connaissance de la paléographie se pensait en état d’éditer un texte roman ». 13 On lira à ce propos les propos significatifs de Meyer dans son « Rapport sur les progrès de la philologie romane ». (Meyer 1875). 14 Sa leçon d’ouverture fut publiée dans la Romania (Meyer 1876) ; elle portait comme titre « De l’influence des troubadours sur la poésie des peuples romans ». 15 Toutefois, Meyer préférait faire ses cours au Collège de France devant un public d’élèves intéressés ; comme le rapporte Léger (1917: 443), il « échangea le bruyant amphithéâtre pour la discrète salle des langues ». 16 Voir le texte de synthèse publié en 1905 : Pour la simplification de notre orthographe. Mémoire suivi du Rapport sur les travaux de la commission chargée de préparer la simplification de l’orthographe française (Paris : Delagrave). Cf. « Rapport de P. Meyer sur la simplification de l’orthographe », dans Enseignement chrétien. Revue d’enseignement secondaire 24, 1905, 161-178. 17 Voir l’édition annotée de J. Boutière, Correspondance de Frédéric Mistral avec Paul Meyer et Gaston Paris (Paris : Didier, 1978). 18 Voir le dossier aux Archives nationales (F17 2943), sur la mission ayant pour but d’étudier la limite entre la langue d’oc et la langue d’oïl. 19 Cf. leur Étude sur la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d’oïl (Paris, Impr. nationale, 1876). Voir aussi la communication de Charles de Tourtoulon (« De la géographie des patois de la France »), devant l’Association française pour l’avancement des sciences. Compte rendu de la 5e session, Clermont-Ferrand 1876 (Paris, 1877), p. 669-670. Lors de l’exposition universelle de Paris en 1878, trois cartes de l’ouvrage de Tourtoulon et Bringuier furent exposées (cf. Catalogue spécial de l’exposition des Sciences anthropologiques, Paris, 1878). Sur l’enquête de Tourtoulon et Bringuier, ses résultats et la “réception” auprès de linguistes et de philologues, voir Pop (1950), Brun-Trigaud (1990; 1997), Chevalier (1997), Décimo (1997), Martel (1997). 20 Voir aussi la conclusion ahurissante de Paris (1894) : « la question de l’existence d’une langue d’oc est toute théorique et métaphysique : on peut être bon français et bon félibre et penser tout ce qu’on veut sur ce point ». 21 Tourtoulon publia dans le tome premier de la Revue des langues romanes (1870) une « Note sur le dialecte provençal et ses sous-dialectes » ; il est revenu sur la classification des dialectes dans le tome 34 de la Revue des langues romanes (1890), p. 130-178. Signalons encore que dans la même revue, de Montpellier, Louis Roque-Ferrier a résumé les résultats de la mission de Tourtoulon et Bringuier (Revue des langues romanes 11 [1877], p. 156). 22 Pour un examen des points faibles dans l’argumentation de Gaston Paris et de la contradiction entre son positionnement comme analyste de textes médiévaux (à caractère dialectal) et comme observateur du paysage linguistique de la France, voir Desmet – Swiggers (1996). 23 Cf. Thomas (1917: 433) : « Se défiant des théories, il s’attache aux faits et interdit à sa plume les envolées aventureuses. Il souscrirait volontiers à cette pensée, formulée par d’autres : une vérité qu’on généralise n’est déjà plus une vérité. Mais que de vérités particulières il a lumineusement dégagées dans les sujets divers, grammaires, éditions de texte, histoire littéraire, auxquels il a appliqué l’effort de sa critique pénétrante ? ». 24 Charles de Tourtoulon a entretenu une correspondance suivie (consacrée majoritairement à la question de la délimitation des dialectes) avec Gaston Paris et Paul Meyer (corres pondance conservée à la Bibliothèque nationale). 25 On trouve la première expression de ce jacobinisme dans les articles que Meyer a consacrés à l’Histoire de la langue française de Littré (Meyer 1863, 1864), mais la formulation y est donnée par une sorte d’attribution à l’autorité de Littré. 26 Voir son compte rendu de l’ouvrage de Tourtoulon et Bringuier dans Zeitschrift für romanische Philologie 2 (1878), p. 325-327. Une décennie après, Suchier, dans sa contribution au Grundriss der romanischen Philologie (cf. Suchier 1888 ; trad. fr. Suchier 1891) acceptera la ligne de démarcation tracée par les deux auteurs montpelliérains. 27 Afin d’éviter tout malentendu possible, signalons que les Schizzi franco-provenzali d’Ascoli étaient déjà imprimés, et circulaient comme une partie déjà imprimée du tome 3 de l’Archivio glottologico italiano en 1874 ; toutefois, en tant que contribution parue comme article dans le tome 3 entièrement achevé de l’Archivio glottologico italiano, le texte doit être daté officiellement de 1878 (année de publication du tome 3 complet). En 1875, Meyer a déjà donné un compte rendu des Schizzi (dans la version publiée “en avant-première” en 1874, mais signalée déjà comme devant figurer dans le tome 3 de l’Archivio) et la réplique d’Ascoli à ce compte rendu (ainsi qu’au « Rapport sur les progrès de la philologie romane ») a été rédigée en 1875 et a été insérée encore par Ascoli dans le tome 2 de l’Archivio (1876), donc avant la publication complète et définitive du tome 3 ! 28 L’auteur résume lui-même son anticritica à la fin de son travail : «Il signor Meyer non tocca, dunque, non avverte, non corregge, non aggiunge alcun singolo fatto. Dedica la massima parte del non lungo articolo a obiezioni teoriche, le quali son dovute parermi originate da una sintesi temeraria, tal cioè che punto non somigli a quelle sintesi sobrie che devono precedere e accompagnare ogni analisi razionale, e ne sogliono riuscire assai robustamente dilatate. S’aggiunge un’obiezione d’ordine geografico, che è la mera 10 11 168 169 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne negazione di una verità patentissima; e finalmente s’aggiungono alcune obiezioni d’ordine più propriamente dialettologico, le quali non hanno ragion d’essere se non quando si supponga che io abbia detto o mostrato cose del tutto contrarie a quelle che in effetto, e in manifestissima guisa, io dissi o mostrai». (Ascoli 1876: 394). 29 Les travaux de dialectométrie ont démontré la validité empirique (et théorique) de la typisation comme procédure dialectologique : cf. pour un exposé clair et une argumentation irréfutable, Goebl (1986, 1992). 30 Ascoli fait remarquer aussi que Meyer avait donné une représentation faussée de ses vues en ce qui concerne l’extension du domaine francoprovençal (Ascoli 1876: 390-391). 31 L’italique est nôtre … 32 Sur la définition du francoprovençal comme branche gallo-romane, cf. Tuaillon (1972) et Gardette (1983). 33 À notre connaissance, Meyer n’a guère rendu compte de travaux consacrés au dialecte valdôtain ; notons aussi que les écrits de l’abbé Cerlogne n’ont pas fait l’objet de comptes rendus dans la Romania. 34 Cf. le document 3 de la correspondance : « … qui a si bien su mettre en valeur et expliquer le dialecte valdôtain ». 35 Cf. les documents 3 et 4, où il est question du dictionnaire. 36 Cf. les documents 1, 2 et 3, où il est question de la production littéraire de l’abbé Cerlogne et de journaux (valdôtains). 37 Cf. document 2. 38 Cf. document 3 ; en 1908 Meyer souscrivit effectivement à l’ouvrage (cf. document 4). r é f é r e n c e s Ascoli, G.I., «Paul Meyer e il francoprovenzale». Archivio glottologico italiano 2. 385-395, 1876. Ascoli, G.I., «Schizzi francoprovenzali». Archivio glottologico italiano 3. 61-120, 1878. Bemont, Ch., « Paul Meyer (1840-1917) ». Revue historique 126. 3-6, 1917. Bloud, D., Discours prononcés aux obsèques de M. 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Tuttavia, non va dimenticato che Rousselot fu innanzitutto un dialettologo e, dallo studio dei dialetti della sua regione natale, per risolvere problemi noti con metodologie inedite, approdò ai laboratori di fisiologia del tempo, in particolare quello di Marey a Parigi, come suggeritogli dal suo direttore di tesi, il celebre romanista Gaston Paris. Rousselot appartiene alla schiera degli ecclesiastici eruditi di cui la Valle d’Aosta offre ricca testimonianza. Alcuni tratti della sua biografia meritano di essere rapidamente ricordati in quanto sono determinanti nell’evoluzione dello studioso: l’amore per la Charente dove nacque, la fedeltà alla sua scelta di vita religiosa non esente da qualche contrasto con la gerarchia ecclesiastica, un certo anticonformismo non frequentissimo tra i religiosi: c’è in lui qualcosa di rivoluzionario rispetto al clergé di provincia del suo tempo; una indomabile curiosità, una capacità di lavoro stupefacente malgrado una certa fragilità fisica. La Charente e i dialetti costituirono un campo di indagine prediletto. La vita e l’opera di Rousselot sono profondamente radicati nella sua regione natale, punto di partenza del suo itinerario scientifico, una provincia che, se non comprese (e non accettò) il suo genio, fu comunque all’origine del suo sviluppo. 172 173 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Il desiderio di conciliare fede e scienza in un’epoca in cui molti non ne vedevano la compatibilità non contribuiva a metterlo in buona luce presso i suoi superiori. La sete di conoscenza e l’amore per la ricerca spiegano come fosse attratto dai centri dove si elaborava il sapere: dopo brevi periodi di insegnamento nei seminari locali, qualche screzio con i suoi superiori ecclesiastici e i sopraggiunti problemi di salute determinano la partenza per Parigi. Il possesso di Diplomi statali quando era proibito agli ecclesiastici e l’ammirazione incondizionata per le università tedesche in piena guerra 1915-18 fanno di lui un filogermanico controcorrente. Il suo non conformismo stupefacente poteva difficilmente essere compreso e accettato in provincia; la sua reputazione di modernista era sospetta e non certo adeguata ad un ecclesiastico (Baudet, 1986). Tutti elementi che contribuiscono a delineare un profilo per lo meno inconsueto, una personalità originale e innovativa dotata di un innegabile talento tecnologico (Galazzi, 1993), un precursore che ha aperto nuove vie alla ricerca, uno studioso carismatico che seppe attrarre allievi e colleghi da ogni parte del mondo. All’origine, la dialettologia era la ragion d’essere delle ricerche fonetiche intraprese. Scandalizzato dai libri di cattiva filologia che cercavano le ragioni dei cambiamenti nelle lettere e non nella parola viva, si diede ad un’esplorazione sistematica e meticolosa del patois della sua regione natale ponendo le basi della fonetica diatopica. Complice una malattia che lo costrinse ad un periodo di riposo in famiglia, ascoltando il modo di parlare della madre, molto diverso dal suo, scoprì l’importanza della fonetica genealogica. Dall’incontro della fonetica storica con la fisiologia sperimentale scaturì la fonetica sperimentale, una nuova scienza che gli permise di studiare i movimenti degli organi fonatori mettendo in luce le cause determinanti nell’evoluzione dei suoni. La fonetica dialettologica Rousselot viene considerato, con Gilliéron [1854-1926], il fondatore della dialettologia scientifica in Francia. Nella « Leçon d’ouverture al Collège de France » del 1922, egli narra come, disgustato dai cattivi libri di filologia romanza, venne quasi casualmente a rivoluzionare la tradizione: « En 1869-70, jeune professeur de cinquième, je faisais mes délices de Brachet et de Bailly. Or un jour, l’esprit plein de mes lectures, mais assailli d’objections et de doutes, j’en174 L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale tendis, de la bouche d’un maçon de la Creuse, le patois de la Souterraine voisin du mien malgré la distance, mais plus archaïque. J’y trouvai les formes qui me manquaient pour rattacher au latin le patois de Cellefrouin. Et je vis que la phonétique devait prendre pour base, non des textes morts, mais l’homme vivant et parlant ». (Rousselot, 1922: 6) Questa folgorazione è all’origine delle sue incessanti peregrinazioni all’ascolto dei dialetti locali, durante le quali si forgiò eccezionali capacità di osservazione e un finissimo udito: « Plus tard, en 1879, lorsque j’eus à choisir une thèse, excité par les lacunes inévitables du travail de M. M. Bringuier et de Tourtoulon sur la limite géographique de la langue d’oc et de la langue d’oïl, je m’acheminai sur les traces des deux savants de Montpellier, allant de clocher en clocher, écoutant des sujets choisis et notant les différences. À mesure que j’avançais, je voyais les sons évoluer avec une régularité parfaite, et je compris que la phonétique devait aussi être géographique ». (Rousselot, 1922: 6) Un dato biografico, la malattia che lo costrinse a tornare per mesi in seno alla sua famiglia, ebbe un’importanza determinante sull’evoluzione della sua riflessione: « À mon retour, c’est dans ma famille que je reçus le complément à mon initiation. […] J’écoutais tout le monde et surtout ma mère, qu’il me semblait entendre pour la première fois, tant mon patois différait du sien. J’étendis la comparaison à celui de mes camarades de Cellefrouin et de leurs parents. En tenant compte des différences d’âges, les variantes qui m’étonnaient se trouvèrent être les mêmes. Ainsi me fut rendu sensible l’effet de la génération dans la transmission du langage, et j’eus la conception d’une phonétique généalogique ». (Rousselot, 1922: 6-7) Dopo il 1880, trapiantato nel fecondo ambiente parigino, vedrà dispiegarsi il suo talento scientifico: « Trop faible pour reprendre ma classe, je fus transplanté à Paris. Paris ! quel merveilleux champ de culture pour les germes scientifiques ! ». (Rousselot, 1922: 7) Rousselot, Pierre-Jean 175 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Pierre-Jean Rousselot dans son laboratoire au Collège de France A Parigi, avido di sapere, seguì corsi al Collège de France, alla Sorbona, all’Ecole des Chartes, all’Institut Catho lique, all’Istituto des Arts et Métiers, alla Salpétrière, dove si nutrì della parola dei maestri incontestati della filologia romanza del tempo (Paris, Meyer, Darmesteter, Gilliéron) e della filologia indo-europea (Mic hel Bréal, d’Arbois de Jubainville, Bergaigne); si ini ziò alla fisica con Branly e Becquerel, alla fisiologia con Déjerine e frequentò Koenig tecnico costruttore di Hel mholtz, il fondatore dell’acustica. Nella capitale, l’appassionato Abate di provincia, seguace di Gaston Paris e Paul Meyer, giunge nel cuore del vivace dibattito attorno alla situazione dialettologica della Romania1. La spinta determinante che diede una svolta alla sua vita, venne da Gaston Paris, nel 1885: « Une expérimentation mécanique, me dit M. Gaston Paris, peut seule donner la sécurité. On a fait des essais dans le laboratoire de Marey. Voyez… ». (Rousselot, 1922: 7) L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale tica viene iscritta tra le materie all’Institut Catholique: è la prima cattedra di fonetica al mondo. Nel 1897 un laboratorio di fonetica sperimentale è annesso alla cattedra di Grammaire comparée di Bréal al Collège de France. Ma la cattedra di fonetica tardò tanto che lo studioso morì (nel 1924) prima di poter prenderne possesso. Nel frattempo, l’inchiesta nella valle del Son, interrotta per ragioni di salute, riprendeva nel 1886-87 e si concludeva nel 1889-90. Cruciale appare, nell’ottica degli studi dialettologici, la fondazione della Revue des patois gallo-romans (in collaborazione con Gilliéron, nel 1887). Il primo Tomo si apriva con un articolo programmatico firmato da Rousselot « Intro duction à l’étude des patois », una vera pietra miliare della ricerca dialettologica sul campo. È nota la fine dell’impresa dei due studiosi che, per non essere riusciti a coinvolgere il grande pubblico, cessò la pubblicazione nel 1993 e confluì per così dire nel Bulletin de la Société des parlers de France al quale Rousselot collaborò assiduamente. Fin dal primo numero della Revue des patois gallo-romans, appaiono con chiarezza le preoccupazioni metodologiche esposte con lucida consapevolezza. In un’epoca di fervore dialettologico, molti appassionati benintenzionati solcavano la Francia a piedi, in bicicletta o a cavallo, in una sorta di crociata volta a salvare i dialetti. La raccolta dei dati sul campo veniva sovente affidata a corrispondenti locali volontari (maestri, curati, appassionati) senza particolare formazione. Talora gli studiosi stessi si lanciavano sul territorio oggetto di indagine. (Pop, 1950; Auroux, 1979) Rousselot presta un’attenzione sostenuta al protocollo sperimentale: delimitazione dell’oggetto di analisi, selezione degli informatori e, non da ultimo, profilo dei trascrittori. Questi svolgono infatti un ruolo centrale che richiede particolari requisiti: « Et c’est ainsi que je fus amené à construire un inscripteur électrique à membrane (notre 1er enfant de troupe, 1886), qui, amélioré avec le temps, a pu enregistrer de fort loin les bruits des canons et des sous-marins, et aujourd’hui la parole à distance ». (Rousselot, 1922: 8) « Sans une éducation spéciale de l’oreille, on n’entend bien que les sons auxquels on est habitué. (…) Dans l’intérêt de la science, le transcripteur devrait signaler toutes les circonstances qui peuvent montrer jusqu’à quel point il est capable de bien entendre les sons et de les bien noter ». (Rousselot, 1887:18) A Parigi, Rousselot inizia il suo non facile itinerario accademico come Chargé du Cours d’histoire de la langue française all’École des Carmes nel 1887 prima che fosse rivelato al mondo il suo genio fonetico. Nel 1889, la fone- Anche la selezione degli informatori è tutt’altro che semplice quando si hanno in vista la rappresentatività e la validità delle informazioni raccolte. La preferenza va alle persone semplici, non letterate: 176 177 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale « Il faut savoir dans quelle mesure ceux que l’on observe parlent patois. Les personnes qui parlent uniquement patois deviennent de plus en plus rares. Il n’y a guère qu’elles pourtant qui soient des témoins absolument sûrs. Une personne qui parle ordinairement français, bien que le patois ait été sa langue maternelle, pourra fournir des renseignements exacts sur les mots ; mais elle ne méritera qu’une confiance limitée pour les constructions et la syntaxe ». (Rousselot, 1887: 20) Nel primo numero della rivista viene presentata una grafia “scientifica” volta a dare un’immagine “esatta” della pronuncia dei suoni che sono la componente essenziale dei patois. Si tratta dell’alfabeto che servirà poi a Gilliéron per l’Atlas linguistique de France. La delicatezza quasi “diplomatica” della strategia di raccolta dei dati è sottolineata con chiarezza: Nella realtà, Rousselot cercherà di superare i limiti posti dall’uso di un alfabeto proponendo il metodo grafico al fine di trascrivere le sfumature sonore delicate e fuggenti, impercettibili all’orecchio umano, dando un’immagine “fisiologica” dei movimenti degli organi della parola durante la fonazione. È il preludio alla fonetica sperimentale che avrebbe assorbito vieppiù le sue energie. « Il faut un art bien subtil, une diplomatie bien exercée, pour amener sans violence les formes que l’on recherche ». (Rousselot, 1887; 19) Come pure è sottolineata la cautela nell’analisi del “materiale provocato”: « Quelque moyen que l’on emploie, il ne faut pas oublier qu’il y a une différence à établir entre les faits que l’on a provoqués et ceux qui se sont produits spontanément ». (Rousselot, 1887: 19) L’ideale per la raccolta di dati autentici ed affidabili è la conversazione libera, in un contesto di familiarità: « Il y a plusieurs manières de recueillir les mots d’un patois. Toutes n’ont pas la même valeur. Mais souvent on n’a pas le choix. La meilleure, c’est le tête à tête avec des parents ou des amis. Grâce au laisser-aller de la conversation, on peut faire les observations les plus profondes, recueillir les faits les plus curieux, pénétrer dans les secrets de la syntaxe. Alors tout est précieux à noter : les fautes, les hésitations, les corrections. […] On peut demander des traits de chronique locale, des contes, des dictons, des proverbes, le nom des objets que l’on a sous les yeux ». (Rousselot, 1887:18-19) tenendo sempre presente l’incidenza dei parametri sociolinguistici: « Les renseignements que l’on fournit sur un patois n’obtiennent leur pleine valeur que si l’on fait connaître le lieu d’origine, l’âge, la condition, les habitudes de langage, les antécédents du sujet observé ». (Rousselot, 1887:19) 178 L’alphabet Gilliéron / Rousselot è fondato su una classificazione acustica. Rispetto al suo avversario, l’API, va sottolineato il suo carattere vernacolare (Bergounioux 1996; Galazzi 1996). Si caratterizza per l’uso dell’alfabeto latino con i valori presenti nella lingua francese e per il ricorso a diacritici. Dai laboratori di fisiologia, di acustica e di medicina del tempo, prese ispirazione per mettere a punto una ricca serie di apparecchi che furono applicati all’analisi del suono: « inscripteur de la parole, palais artificiel, explorateurs de la langue, des lèvres, de la respiration, du larynx… ». Il metodo grafico, gli apparecchi e l’analisi dei tracciati ottenuti sono illustrati nella prima parte della celebre Tesi che rendeva conto di anni di ricerca e di tenaci tentativi. Nel 1891: Les modifications phonétiques du langage étudiées dans le patois d’une famille de Cellefrouin (Charente), thèse per il Dottorato ès lettres alla Sorbonne (Prix Volnay 1892), opera prodigiosa che segna una vera rivoluzione negli studi linguistici : « Ce que je propose au lecteur, c’est donc… comme une promenade dans un laboratoire de phonétique… ». (Rousselot, 1891: 5) Rousselot ha visitato 200 comuni e frazioni della sua regione interrogando più di 470 individui di cui 14 selezionati ai fini del lavoro di tesi che presenta le trasformazioni fonetiche riscontrate nell’idioletto di cinque generazioni all’interno della sua famiglia completato da dati raccolti sul campo nel comune di Cellefrouin. La tesi portò, agli occhi di Antoine Meillet, una vera rivoluzione nella linguistica. Si tratta di un’opera di importanza capitale non solo per la fonetica sperimentale ma anche per gli studi dialettologici ai quali servì da modello. Occorre sottolineare che il metodo orale preconizzato da Rousselot non era ancora molto apprezzato in Francia. Dopo la pubblicazione delle Modifications, una rete di intellettuali francesi di diverso orizzonte (da Brunot a Jousse a Tarde), avrebbe considerato Rousselot come un grande nome della scienza francese2. 179 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne A partire dal 1891, il laboratorio portatile di Rousselot venne utilizzato per esplorazioni filologiche: nel 1891 fu trasportato nella regione di Angoulême; nel 1892, all’università de Greifswald e a Berlino; nel 1893-94-95, di nuovo a Greifswald; nel 1897-98, a Marbourg; nel 1903, a Koenigsberg. Nel 1895, richiesto da Joseph Loth, percorre la Bretagna francese. Più tardi sarà a Londra. L’abbé Meunier ne porterà uno simile a Nevers, Hubert Pernot a Chio, Léonce Roudet a Nancy, M. Schmitt à Chicago…. (Rousselot, 1922: 9) Rousselot e Cerlogne: una relazione “scientifica” La corrispondenza dell’Abate Cerlogne contiene due lettere indirizzate all’Abbé Rousselot nel 1887. Se ne possono trarre alcune informazioni interessanti che ci permetteranno di ampliare la nostra riflessione. Venuto a conoscenza di quella che definisce « votre lettre (1er mars 1887) relativement aux Patois Gallo-Romans » (Willien, 1974: 838) e che supponiamo essere il testo inaugurale della Rivista omonima, nel dicembre dello stesso anno, Cerlogne prende l’iniziativa di contattare il collega inviandogli una poesia in dialetto valdostano. Nella stessa lettera gli rende nota, oltre alla sua attività poetica dialettale che dura dal 1854, anche la sua paziente azione di raccolta « de tous les mots qui nous sont communs avec le dictionnaire français, des mots qui nous sont propres avec l’italien et avec le latin – environ 7000 – sans compter ceux qui sont propres à notre dialecte et que nous recueillons à mesure qu’ils se présentent ». (Willien, 1974: 838) Cerlogne confida a Rousselot il cruciale ostacolo della resa ortografica delle poesie in vista della loro pubblicazione; ragione che lo ha spinto a comporre non senza fatica « une petite grammaire3 », frutto di una ricerca solitaria, « aussi parfaite que peut l’être le travail d’un seul, d’un vieillard de 60 ans ». (Willien, 1974: 838) Dalla seconda lettera, si evince che Rousselot ha inviato in dono una « Grammatichetta spagnola » dalla quale Cerlogne ha tratto profitto per i suoi studi. La preoccupazione di Cerlogne relativamente alla resa ortografica delle poesie non aveva nulla a che fare con un progetto linguistico: lo scopo era che potessero essere lette e non solo in valle d’Aosta. 180 L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale Nel 1884, l’Abate Bérard si offrì di aiutare Cerlogne a pubblicare le poesie utilizzando una sua trascrizione. Proposta inaccettabile per Cerlogne che da molti anni rifletteva al miglior modo di rappresentare i suoni del patois attraverso la scrittura. (Willien, 1974: 566) Questo cruccio che lo rodeva come un tarlo spiega forse il fatto che il semplice curato di campagna osasse rivolgersi allo studioso d’oltralpe che, per l’ardore mostrato nello studio dei patois considerati come un patrimonio culturale dell’uomo oltre che per il contributo scientifico dato alla causa, appariva come il riferimento più sicuro e autorevole in materia. Nel 1889, il Ministère de l’Instruction Publique manda Rousselot a studiare i patois delle Alpi italiane. Questa missione di studio, che lo consacra negli ambienti della ricerca scientifica non sempre accoglienti nei confronti degli ecclesiastici, è all’origine dell’incontro tra i due. Nel dicembre 1889, il “Corriere delle Alpi” pubblica in due puntate (il 12 e il 19 dello stesso mese), una lettera-testimonianza dell’Abate Rousselot sulle sue “escursioni filologiche” nella regione alpina italiana. Lo studioso ricorda “l’amabile ospitalità e graziosa collaborazione” ricevuta a Venaus e, in riconoscenza, esprime il suo pensiero sui dialetti di quel “paesello alpestre” e della valle di Susa4. Nell’articolo « L’S devant T, P, C dans les Alpes » pubblicato nella miscellanea Études Romanes dédiées à Gaston Paris le 30 décembre 1890 (25ème anniversaire de son Doctorat ès lettres) par ses élèves français et ses élèves étrangers des pays de langue française, Rousselot cita le esplorazioni fatte nelle valli alpine italiane tra il settembre e il dicembre 1899, e i materiali di prima mano raccolti personalmente o avuti da indigeni incontrati sul suo cammino, senza tuttavia indicare alcun nome.5 Nella corrispondenza di Cerlogne con il Conte Costantino Nigra troviamo diverse tracce di questo passaggio. In una lettera inviata al Conte il 24 settembre 1896 scriveva: « Mr l’abbé Rousselot, a dit, en présence de Mgr notre Evêque que le lexique de l’abbé Cerlogne valait de plus que celui de M. le Chanoine Bérard, un savant de la cité d’Aoste ». (Willien, 1974: 858) Nella risposta ad una lettera di Costantino Nigra del 1897, insiste: « Monsieur l’Abbé Rousselot est venu dans la vallée pour prendre des notions sur notre dialecte, prenant des mots par-ci par-là de tout un peu, et surtout pour voir le lexique du Chanoine Bérard, et après l’avoir visité il dit à Monseigneur pendant le dîner, que le lexique du Chanoine ne valait pas celui de Cerlogne qu’il avait vu le jour avant ». (Willien, 1974: 862) 181 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Se non ci è stato possibile reperire le missive giunte dalla Francia, tuttavia la Revue des patois gallo-romans reca traccia della relazione scientifica e umana tra Rousselot e Cerlogne. Nella rubrica Chroniques del tomo III (1890: 238) si legge: « Le poète du Val d’Aoste, M. l’abbé Cerlogne, annonce une édition de ses œuvres, dont quelques-unes ont un réel mérite littéraire. M. Cerlogne pourrait aussi nous donner un glossaire et une grammaire des patois des environs d’Aoste. Il possède des notes très nombreuses où il nous a permis de puiser l’an dernier, et il a une connaissance très étendue et très méritoire de son patois ». E ancora: « Je reçois à l’instant, trop tard pour en parler comme je souhaiterais, les Poésies en dialecte valdôtain, de M. l’abbé J.-B. Cerlogne. C’est un volume petit in-80 de 158 pages, imprimé chez M. Louis Mensio, à Aoste. Les pièces qu’il contient sont de valeur inégale ; mais plusieurs sont charmantes. Je signalerai en particulier les suivantes : Marenda a Tsesalet, lo Berdzé et lo Ramoneur, la Bataille di vatse, le Quatro seison, que j’ai entendues avec tant de plaisir débitées par l’auteur lui-même. La transcription, faite pour les valdôtains, est insuffisante pour les linguistes ; mais elle est régulière et se prête à une étude méthodique. Je donnerai prochainement l’équivalent scientifique de la graphie de M. l’abbé Cerlogne. De la sorte, ce recueil poétique pourra servir à la phonétique ». Chroniques, Tomo III (1890) : 312 Del resto, Cerlogne e il suo editore e mentore, il Canonico Noussan, erano perfettamente coscienti della divaricazione dell’alfabeto adottato rispetto a quello “scientifico”. Durante la correzione delle bozze in vista della pubblicazione delle Poésies si legge in una lettera del Chanoine Noussan à Cerlogne del 20 février 1890: « Voyez surtout le patois même et les règles de la prononciation. Il me semble que cela ira en règle; lors même que M. Rousselot n’approuverait pas toute notre manière de faire ». (Willien, 1974: 845 ) La trascrizione adottata non era fatta per soddisfare gli austeri criteri di scientificità di Rousselot i cui destinatari erano i linguisti. All’alba del xx secolo, sembra che le relazioni tra i due ecclesiastici fossero cessate. In una lettera del 1904 al Conte Nigra, sempre a proposito di 182 L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale litigiose questioni di trascrizione relative a in, im, questioni già sollevate a suo tempo da Rousselot che Cerlogne indica ancora come “Directeur de la Revue des Patois Gallo-Romans” benché a questa data non esistesse più, Cerlogne scriveva: « Ce Monsieur, qui me serait un peu obligé, ne m’a pas fait connaître le résultat de ses recherches, n’ayant plus eu de ses nouvelles. Peut-être dans ses ouvrage (sic) que, depuis 1890 il aura mis au jour, aura-t-il donné de in la prononciation ». (Willien, 1974: 869) Si leggono tra le righe la delusione e l’amarezza di chi aveva atteso inutilmente riscontri all’accoglienza e all’aiuto offerti durante la missione in Valle d’Aosta. Sul silenzio di Rousselot, possiamo solo aggiungere che, dopo il 1890, fu impegnato su più fronti – tra i quali la scrittura della sua monumentale opera in due volumi Principes de phonétique expérimentale [1897-1901] – a difesa e illustrazione della nuova disciplina, la fonetica sperimentale denigrata da molti, e delle sue innumerevoli applicazioni. Per concludere Rousselot è stato, con Gilliéron, un pioniere della dialettologia francese e come tale venne riconosciuto da Cerlogne. In un secolo appassionato dalla salvaguardia dei patois ha innovato profondamente ed in modo significativo il campo mettendo a punto una metodologia d’indagine scientifica innovativa. Convinto della centralità del suono negli studi linguistici spostò sempre più i suoi interessi verso la fonetica sperimentale giungendo ad adattare e a creare strumenti organizzati in un vero e proprio laboratorio portatile che venne messo al servizio delle inchieste dialettologiche. La creazione della Revue des patois gallo-romans nel 1887, fu un avvenimento importante, carico di promesse che furono poi in parte disattese. L’articolo inaugurale, di carattere programmatico « Introduction à l’étude des patois » (T.1: 1-22) si impose come un riferimento sicuro che ancora oggi conserva tratti di modernità. Pur restando tutta la vita un ardente appassionato degli studi dialettologici, dopo il naufragio della Revue des patois gallo-romans investì sempre maggiormente il suo genio tecnologico nelle numerose applicazioni della fonetica sperimentale (linguistica, insegnamento, patologia della parola, canto, balistica…) che portò avanti con una tenacia e un’energia poco comuni, che difese pugnacemente e che illustrò attraverso due riviste La Parole e la Revue de Phonétique (Galazzi, 2002: 61-77). 183 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Dalle numerose testimonianze di Colleghi e di allievi di tutto il mondo, emerge l’immagine di uno studioso del tutto privo di arroganza, umile, accogliente, aperto ad ogni incontro, ad ogni nuovo problema che venisse posto come sfida alla sua intelligenza, in uno stato permanente di stupore di fronte alla meravigliosa complessità della natura. Vorrei concludere con una riflessione scaturita dall’ascolto degli interventi di matrice linguistica presentati durante il Convegno. La corrispondenza dell’Abate Cerlogne con personalità del mondo scientifico e culturale contemporaneo, ricomposta da numerosi tasselli talora esigui, ha messo in evidenza l’esistenza di una rete di scambi, di collaborazione e di dibattito, in uno spazio scientifico nel quale le frontiere non erano coupures bensì coûtures tra studiosi di paesi diversi, impegnati nella salvaguardia dei patois visti come parte del patrimonio culturale dell’umanità. L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale bibliographie Auroux, Sylvain, La catégorie du parler et la linguistique, in : « Romantisme », n° 25-26, pp.157-178, 1979. Baudet, Jacques, L’abbé Pierre-Jean Rousselot (1846-1924) ses relations avec la Charente dans sa vie et son œuvre scientifique, in : « Société Archéologique et Historique de la Charente », Bulletins et Mémoires, pp. 46-68, 1er trimestre 1986. B ergounioux , Gabriel (éd.), Enquêtes, corpus et témoins en France, hier et aujourd’hui, in : « Langue française », n° 93, 1992. Bergounioux, Gabriel, Phonétique et dialectologie au xixème siècle, in : «L’Analisi Linguistica e Letteraria», Milano anno IV, 1, pp. 27-46, 1996. Durand, Marguerite, L’œuvre dialectologique et phonétique de l’Abbé Rousselot, in : « Orbis », n° 1, pp. 245-253, 1952. Galazzi, Enrica, Le son à l’école. Phonétique et enseignement des langues (fin xixème – début xxème siècle), La Scuola, Brescia, 2002. Galazzi, Enrica, Machines qui apprennent à parler, machines qui parlent : un rêve technologique d’autrefois, in : « Études de Linguistique Appliquée », pp. 73-84, Avril-juin 1993. Galazzi, Enrica, L’alphabet phonétique international à ses débuts. Transcription universelle et variations, in : «L’Analisi Linguistica e Letteraria», Milano anno IV, 1, pp. 47-64, 1996. n o t e A questo proposito si veda, in questa stessa sede, l’interessante contributo di C. Meul e P. Swiggers. 2 Il metodo di Rousselot appariva innovativo agli occhi di molti studiosi di discipline diverse. Citeremo a titolo di esempio il giudizio di Gabriel Tarde, « Si l’on veut faire de la sociologie une science vraiment expérimentale et lui imprimer le plus profond cachet de précision, il faut […] généraliser la méthode de l’Abbé Rousselot en ce qu’elle a d’essentiel », (1898) Les lois sociales. Esquisse d’une sociologie, Édition en ligne, page 65, note 2. 3 Cerlogne pubblicherà la sua Petite Grammaire nel 1894 e il Dizionario del dialetto Valdostano nel 1907. 4 Ringrazio vivamente il Signor Ettore Caffo che mi ha gentilmente trasmesso questi documenti. 5 Come “modesto complemento alla sapiente ricerca dell’abate Rousselot” si pone l’articolo di Luzzatto del 1896. Sono grata ad Alexis Bétemps di avermelo segnalato. 1 184 Galazzi, Enrica, La physiologie du son entre médecine et sciences du langage : l’écriture de la parole, in : « Écriture et Anatomie, Médecine, Art, Littérature » (a cura di G. Dotoli), Atti del Convegno Internazionale , Monopoli-Capitolo, 2-5 ottobre 2003, pp. 53-79, Schena editore, Fasano (Bari), 2004. L auwers , Peeters, S imoni -A urembou , Marie Rose, S wiggers , Pierre (éds), Géographie linguistique et biologie du langage : autour de Jules Gilliéron, Peters, Leuven, 2002. Luzzatto, Leone, Contributo allo studio del dialetto valdostano, in : «Romania» XXV (1896) riedito da Alexis, Bétemps in : « Nouvelles du Centre d’Études Francoprovençales » n° 62, pp. 14-21, 2010. Meunier-Crespo, Mariette, La constitution d’un corpus oral, parcours initiatique en linguistique, Centre d’études Linguistiques, Linguistique-dialectologie (CEL) Université Jean Moulin – Lyon III: EA 1663. 185 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Pop, Saver, La Dialectologie. Aperçu historique et méthodes d’enquêtes linguistiques. Première partie. Dialectologie romane. Louvain, 1950. Revue des patois gallo-romans, recueil trimestriel publié, par J. Gilliéron et l’abbé Rousselot, 5 vol : gr. in-8° en 21 fascicules, dont les 8 premiers à Paris (Champion) et Neuchâtel (Attinger) et les suivants chez Welter (Paris), 1887-1893. Roullet, Stefania, Le dictionnaire du patois valdôtain d’Édouard Bérard, Le Château, Aoste, 2005. Rousselot, Pierre-Jean, L’étude des patois, in: « Revue des patois gallo-romans », Tome I, Paris, p. 3, Neuchâtel, 1887, et sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/ bpt6k929839. Rousselot, Pierre-Jean, Chroniques, Revue des patois gallo-romans, passim. Rousselot, Pierre-Jean, L’S devant T, P, C dans les Alpes, in : « Études Romanes dédiées à Gaston Paris le 30 décembre 1890 (25 ème anniversaire de son Doctorat ès lettres) par ses élèves français et ses élèves étrangers des pays de langue française », pp. 475-485, Paris, Bouillon, 1891. Rousselot, Pierre-Jean, Les modifications phonétiques du langage étudiées dans le patois d’une famille de Cellefrouin (Charente), Welter, Paris, 1891. Rousselot, Pierre-Jean, De vocabulorum congruentia in rustico Cellae Fruini sermone, 59 p., gr. in-8°. Thèse secondaire pour le doctorat ès lettres, Paris, Welter, 1892. Rousselot, Pierre-Jean, La Phonétique expérimentale, Leçon d’ouverture du Cours professé au Collège de France, 3 décembre 1922, 24 p., Paris, Boivin, 1922. Willien, René (a cura di) Noutro dzen patoué, L’École Valdôtaine, nos 7 et 8, Numéros dédiés au patois valdôtain, 2 volumes, Aoste, février 1974. Pichot parlo la lengo de ta maire Mireille Toselli-Bosqui Chers amis, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de défendre les langues maternelles de nos pays. Le patois d’Avignon, du Luberon et des Alpilles fait partie des meilleurs souvenirs de mon enfance. Mes grands-parents paternels Toselli avaient une bastide, un grand verger et une vigne au sud de la ville, touchant l’abbaye de Saint-Ruf hors les murs. …et c’était encore la campagne. “Papé” m’apprenait le nom provençal des plantes qu’il me faisait cueillir dans le jardin ou dans les garrigues. Il en faisait un usage savant pour agrémenter la cuisine ou pour nous soigner. Ma “grand” me chantait les Noëls de Nicolas Saboly et me menait voir les crèches des églises ainsi que les pastorales. Les Pastorales, c’était la joie ! surtout celle de Maurel parce que les acteurs nous encourageaient à participer au spectacle en chantant avec eux. ....La pastorale Maurel fut créée en 1844, au numéro 7 de la rue Nau à Marseille où se trouvait le Cercle Catholique d’Ouvriers, dirigé par l’abbé Julien et dont Antoine Maurel était membre. Né en 1815 à Marseille, Antoine Maurel fut tour à tour tonnelier, doreur, ouvrier miroitier, comptable puis directeur du dépôt de Mendicité. La Pastorale Maurel, pièce théâtrale et musicale tout en langue provençale, c’est l’annonce de la naissance du Christ faite aux bergers, “li pastre” (d’où Pastorale), qui préviennent à leur tour les gens du village. Tout cela bien sûr en patois…. Malheureusement la Mission de France, celle qui accueillait les petits ramoneurs n’est pas pour le patois des poissardes1. Dois-je avouer que j’ai fait mes études secondaires au lycée de jeunes filles d’Avignon et que j’ignorais absolument que le provençal pouvait s’écrire ! Dans les années 1944–1950, en classe de latin-grec il n’a jamais été question d’écrivains provençaux ni de troubadours. 186 187 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne L’apparition de poètes tels que Frédéric Mistral et Théodore Aubanel, de conteurs comme Roumanille, la création du félibrige nous a été occultée. Pourtant ce fut un événement littéraire important surtout lorsque l’on vit en Provence. Après être restée 20 ans au Musée Requien d’Histoire naturelle et à la direction des antiquités préhistoriques, j’ai été nommée archiviste de la bibliothèque et des collections du Palais du Roure c’est-à-dire dans l’hôtel des BaroncelliJavon, où j’ai enfin découvert les richesses des langues d’oc et la gentillesse des félibres qui m’ont parrainée. Actuellement à Avignon il faut aller dans les marchés pour échanger quelques mots de patois avec les paysans ou les vieux Avignonnais. Nicolas Saboly, maître de chapelle à l’église Saint-Pierre à Avignon, est le seul auteur et compositeur à avoir très bien survécu depuis le xviie siècle. Les éditions Aubanel ont eu la bonne idée d’éditer, avant de fermer leurs portes, non seulement ses Noëls mais aussi ceux de Notre-Dame des Doms, suivis de ceux des “Rèire”, des Félibres et quelques Noëls inédits, en tout 263 pages avec les musiques. Les auteurs Joseph Clamon, le docteur Pansier et G. Ramette avaient mis de l’ordre dans ces archives éparpillées. De nombreux musiciens, formés dans la classe du professeur André Gabriel au Conservatoire à rayonnement régional du Grand d’Avignon, poursuivent la popularité de tous ces Noëls par de fréquents concerts. Et tant que Noël sera chanté et accompagné de ses traditionnels desserts, dans toute la Provence sa langue résonnera. Depuis 1941 le provençal a le droit d’entrer à l’école mais hélas c’est surtout ce désir de centralisation à outrance avec ses lois et ses méthodes draconiennes qui prive nos Régions des particularités et des différences qui font leur charme. Elles sont soeurs mais il ne faut pas qu’elles soient moulées dans le même moule comme des santons. L’Académie française se comporte mal : j’ai sous les yeux la séance publique annuelle tenue le jeudi 19 décembre 1974, (quel anniversaire fatal !) le discours de Mr André Chamson, Réception imaginaire de Joseph d’Arbaud, poète et gentilhomme de Camargues « Laissez-moi donc vous raconter la vie d’un poète dont une partie de la France, mais une partie seulement, a célébré cet été les 100 ans de présence au monde. Ce poète, bien peu d’entre vous le connaissent. Il s’appelle Joseph d’Arbaud et s’il fut un écrivain français de premier rang, il a fait son oeuvre en provençal c’est-à-dire dans un de ces parlers maternels qui ont ajouté à la gloire de notre littérature ». Je dis merci à André Chamson. 188 Pichot parlo la lengo de ta maire À l’époque de Frédéric Mistral et de son journal l’Aïòli qui paraissait tous les 7, 17, 27 de chaque mois de 1891 à 1899, de très nombreux articles ont paru pour essayer de faire rentrer la langue provençale à l’école. Le père Savinian, frère des Écoles Chrétiennes (1844–1920), avait été désigné par le Félibrige pour présenter devant les membres du Congrès scolaire qui se tenait à Paris, le système qu’il pratiquait avec grand succès : se servir des idiomes locaux pour enseigner le français. Il fut soutenu par Anfons Martin, laïque, Inspecteur primaire de la Drôme. Mais leur démarche n’a pas eu de suite ! Il convient de noter que Jean-Baptiste Cerlogne est arrivé à Marseille en 1837 et que Frédéric Mistral n’avait alors que 7 ans. Nous devons donc éliminer tout ce qui concerne la renaissance de la langue provençale et le Félibrige créé en 1854. Les petits ramoneurs dits “les savoyards” sont accueillis par la Mission de France qui veille à leur confort physique et moral car ces enfants sont séparés de leurs parents. Les membres de la Mission leur parlent français, ce qui est exceptionnel à Marseille où dans la première moitié du xixe siècle 80% de la population parlent le Marseillais (le provençal de Marseille). Pour pratiquer leur métier et aller un peu partout dans les demeures riches ou pauvres, il leur fallait crier dans la rue : « ramonage des cheminées du haut en bas » et arriver dans les maisons où il fallait se faire comprendre. Si comme Jean-Baptiste on est doué, on apprend facilement la langue du pays. JeanBaptiste un jour avait donné du front à la pointe d’un clou qui sortait de la cheminée ; les poissardes1 l’entourent, le questionnent : « Què, ti siès fa mau ? De mante siés ? Et toun pèro et ta mèro ? Que mascarèu de pèro manda luin acquèo paouvre picion ». (Willien page 77) Phonétiquement l’enfant a découvert le marseillais. Malheureusement la Mission de France n’est pas pour le patois des poissardes1 et n’a pas compris le rôle des Oblats de Marie Immaculée (créé par Eugène de Mazenod sous le nom de Missionnaires de Provence en 1816 et approuvée par le Pape Léon xii sous le nom de Oblats de la très Sainte et Immaculée Vierge Marie le 17 février 1826) qui eurent pour mission de rechristianiser les campagnes de Provence, et à la demande de Mazenod de prêcher en provençal, et d’évangéliser un peuple fort perturbé par l’époque sanglante et tourmentée de la Révolution de 1789 et les attaques de Napoléon contre l’Église. Le Pape Léon xii soutiendra la Mission créée par de Mazenod et dira : « Je sais le bien qu’elle fait… Je veux la favoriser ». Le petit ramoneur va au catéchisme, à la messe le dimanche et il est admis à la première communion. Pour cette cérémonie, un bel habit lui a été offert 189 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne par la Mission de France ainsi qu’à ses petits camarades et on les amène ensuite au Palais épiscopal où ils sont présentés à « sa Grandeur Monseigneur l’Évêque » (qui était Monseigneur de Mazenod). Plus tard Eugène de Mazenod dira : « Il parait que les enfants avaient retenu la pensée que je leur avais inculquée, que chacun d’eux allait être l’objet et le sujet d’un grand miracle… au moment où je faisais sur leur front le signe de la croix avec le Saint-Chrême ». Aux enfants marseillais qui avaient de la peine à prononcer le français, l’Évêque disait : « Pichot parlo la lengo de ta maire ». Est-ce que Jean-Baptiste Cerlogne a été inscrit au Félibrige ? Pour l’instant les archives restent muettes. À Maillane, mon professeur de provençal Henri Moucadel a consulté les listes de correspondants de Mistral et n’a rien trouvé. Actuellement une grande partie des personnes qui veulent efficacement sauver la langue provençale ne porte ni pervenche, ni cigale (emblèmes du Félibrige). Elle dirige pourtant soit lou Prouvençau à l’Escolo, soit l’Unioun Prouvençalo, soit l’Astrado Prouvençalo, soit la Fédération Parlaren Vaucluso… etc…. Qu’es acò lou Felibrige ? Comment a-t-il commencé ? C’est la question que le professeur Émile Ripert, auteur de La Renaissance provençale a posé à Mistral qui a répondu : « Les poètes ouvriers qui ont attiré votre attention, n’eurent aucune influence sur les futurs Félibres. Les nuées politiques socialistes, humanitaires etc… flottaient bien loin de nos idylles provençales. Nous les Primadié nous étions fils de terriens, propriétaires vivant sur nos terres, ne parlant que la langue provençale, conservateur fidèle de toutes les traditions du pays, nous étions comme dû l’être Virgile, les vrais enfants du sol, les vrais autochtones… Nous ne parlions que provençal et nous étions heureux de retrouver chez les uns, chez les autres, les mêmes idées et coutumes familiales. Nous étions comme un îlot ethnique ayant échappé à la vague centralisatrice et représentant un microcosme, la nationalité provençale, terrain tout prêt pour une renaissance. Comme documentation philologique et historique, lors de notre départ (1845-50-54), Raynouard, Fauriel, Diez, nous étaient inconnus. En somme toute notre étude consistait à écouter les paysans, les illettrés surtout, et à faire de leur langue l’instrument de notre résurrection littéraire et nationale. 190 Pichot parlo la lengo de ta maire Mais les savants, les érudits, ne furent pas nos maîtres, ce n’est que plus tard que nous fîmes leur connaissance ». Lorsque Mistral a fait son grand Trésor du Félibrige, dictionnaire provençalfrançais embrassant les divers dialectes des langues d’oc modernes (1878: 2 volumes – 1196 et 1165 pages), en y joignant aussi quelques mots francoprovençaux, il prit l’attache de nombreuses personnes qui lui envoyaient des fiches sur des sujets très précis comme la batellerie du Rhône ou d’autres thèmes. Il écrivait régulièrement à ses amis Paul Meyer et Gaston Paris qui le conseillaient. D’ailleurs en février 1895 Mistral écrivait à Dévoluy « J’ai fait dans mon trou de Maillane ce que j’ai pu pour rendre un peu de vie à notre Provence adorée mais ce qui a fait resplendir mon œuvre c’est que des aides bénévoles ont apporté leur sarment au feu que j’ai allumé ce qui fait que les Félibres (je parle des vrais) avaient la foi dans leur mission ». Dans La Revue félibréenne, publication littéraire franco-provençale, sous la direction de Paul Marieton, chancelier du Félibrige, on trouve dans l’année 1887-1888, numéro mai-juin, un article signé Louis Zuccaro Lettre sur le dialecte de la vallée d’Aoste : « Probablement ce dialecte aura de l’analogie avec ceux de la Savoie et de la Suisse romande. Je l’ignore. Je laisse décider la question à quelqu’un de vos savants lecteurs. Je me borne à vous transcrire ici le début d’une gracieuse pastorale, parole et musique de l’Abbé Cerlogne que l’on devrait compter parmi les Félibres. Poète et musicien, le curé de Champdepraz ne s’endort pas sur ses lauriers, il écrit en ce moment une longue étude de philologie comparée sur son dialecte ». C’est grâce à Paul Marieton que J.-B. Cerlogne a compris la renaissance Mistralienne, car ses séjours à Marseille – soit à Mission de France, anti-patoisante, soit plus tard à l’Hôtel des Princes – ont pu perturber et freiner son approche des félibres ! Entre 1888 et 1905 on peut noter 8 correspondances entre l’Abbé Cerlogne et Marieton et le 9 mars 1889 Marieton écrit de Lyon « Monsieur l’Abbé et éminent Félibre ». (voir René Willien page 839) Autrefois Félibre pouvait être un titre et Jean-Baptiste Cerlogne le méritait ainsi d’ailleurs que le chanoine Bérard. Mme Silvana Presa dit dans son livre avec quel soin et quel amour le poète avait mis son matériel typographique portable dans ses bagages pour imprimer lo Dzan-pouro armanaque di velladzo, pe l’an bisestil 1892. Il faut savoir que le premier soin des Primadié fut de décréter la publication en 1855 du premier Armana Prouvençau. On peut dire que Cerlogne a été le Primadié du francoprovençal au Val d’Aoste. 191 Pichot parlo la lengo de ta maire CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Lorsque l’Église a réalisé qu’il fallait, pour se rapprocher du peuple et lui apporter le réconfort dont il avait besoin, s’adresser à lui dans sa langue maternelle ainsi que le faisait déjà Eugène de Mazenod, Évêque de Marseille, le Pape Pie ix a proclamé le dogme de l’Immaculée Conception et demanda de le faire connaître dans toutes les langues. Un prêtre de la Compagnie de Saint-Sulpice l’abbé Site avait été chargé de diffuser cette information. En Auvergne l’Abbé Jarsaillon, musicien, tout désigné pour l’écrire dans le patois d’Ambert nous dit avoir adopté la graphie phonétique. Je pense que l’abbé Cerlogne a dû tenir le même raisonnement. D’ailleurs lorsque le chanoine Bérard, bien avant, lui a demandé de traduire La parabole de l’Enfant prodigue il avait réalisé cette traduction en 15 jours seulement. Pour en revenir au Félibrige il convient ici à Saint-Nicolas d’évoquer un homme, un ami d’une grande valeur, professeur d’histoire et géographie au lycée de Gap en 1948, le majoral Paul Pons, Capoulié (président) du Félibrige en 1989 à la Sainte Estelle de Périgueux, secrétaire général de la Société d’Études des Hautes-Alpes et président de l’Escolo de la Mountagno créée par l’Abbé Pascal en 1881. Dans son étude sur le provençal haut-alpin Paul Pons fait l’éloge de 4 hommes fondateurs et animateurs qui ont été l’âme de ce foyer culturel de la Haute-Durance : l’Abbé Guillaume, Georges de Manteyer, l’Abbé Pascal et Edmond Hugues. Paul Pons nous renseigne sur toutes les découvertes qui ont été faites dans ce terroir et sur l’ancienneté de la littérature haut-alpine. Nombreuses sont les manifestations organisées depuis 1881. Les 13, 14 et 15 mai 1882 il y a eu les Jeux floraux de la latinité à Gap en présence de Vasile Alecsandri, le grand poète couronné à Montpellier en 1878, chef de file de la renaissance littéraire roumaine, et des hommes d’action, écrivains provençaux alpins Léon de Berluc Pérussis et Paul Arène. La Sainte Estelle, fête du Félibrige, s’est déroulée à Gap le 26 mai 1886, en présence de Frédéric Mistral qui prononça, dans cette nature alpine fleurie, un discours sur la tragique désertification des campagnes, vrai cri du cœur du poète : « Les Félibres vous apportent le printemps, le gay-savoir, la poésie. La poésie n’est-ce pas le printemps de l’âme ? Malheur à la Nation qui perd sa poésie car dans la poésie comme dans le printemps il y a le renouveau de la sève, l’allégresse d’un peuple, il y a la jeunesse et il y a l’entrain. Et ce printemps de l’âme qu’est-ce qui la conserve dans l’esprit, dans les veines de notre homme du peuple, si ce n’est cette langue de la famille et du terroir dans laquelle l’aïeul lui disait ses vieux contes, dans laquelle son père lui donnait ses conseils, dans laquelle il riait avec ses amis d’enfance, dans laquelle ils se parlaient à l’ombre d’un buisson avec sa bonne amie, dans laquelle, en un mot, tous ses sentiments, toutes ses pensées puisent les couleurs vives de la nature et du vrai… ». 192 J’ai gardé pour la fin le Père Xavier de Fourvières (1853-1912) qui a traduit les Évangiles – a écrit les méditations sur les Évangiles (Espigueto), a recueilli des chants d’église provençaux avec leur musique, a rédigé une grammaire avec guide de la conversation, un dictionnaire Le Petit Trésor du Félibrige à la portée de toutes les bourses et de bien d’autres œuvres. Le Père Xavier de Fourvières, fier du parler de sa mère « linguam nostram, in qua nati sumus » dit Saint Luc. On peut rêver d’une rencontre de Xavier et de Cerlogne et pourquoi pas à Champdepraz dans sa vigne. Xavier aussi avait une vigne dans un terrain inculte au pied de l’Abbaye de Frigolet à Saint Martin. La pioche était son remède. Il travaillait avec fougue et il avait l’impression de gagner son dîner. Il était l’ami des bergers. Son récit des journées passées dans la montagne aux sources du Verdon est une merveille. Les gens de Chanole le réclamait à leur curé le Père Ripert « Oh ! Fès-nous mai véni lou bouen paire Savié ». Berger, Paul Pons aurait aussi aimé l’être : « Iéu qu’auriéu tant ama de treva lis ermas, que tant me chalariéu de carreja la biasso, perqué m’as embarra moun Diéu coume un marrias ? Perqué siéu pas neissu coume tu dins la jasso ? moi qui aurais tant aimé courir les landes, qui aimerais tant porter la besace, pourquoi m’as-tu enfermé mon Dieu comme un vaurien ? Pourquoi ne suis-je pas né comme toi dans l’étable ? Paul Pons au maître berger Laugier Et toi poète Cerlogne qui as connu, enfant, le dur métier de ramoneur à Marseille, tu aurais aussi préféré garder les chèvres : LE BERGER À l’ombre de ces petits mélèzes Sur le gazon, allons nous asseoir, Nous trairons deux petites écuelles, De lait, pour notre dîner. Près du toit couvert de paille Au son du fifre, maintenant chantons. Du lait, la chèvre en donne : Maman nous fait des habillements. LE RAMONEUR Des villes et de leurs grandes richesses, Qu’on ne vienne plus m’en parler... 193 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Nous constatons, au xixe siècle, en Provence, le rôle très important des prêtres dans le maintien de la langue provençale ; il en est de même dans la vallée d’Aoste pour le maintien de la langue francoprovençale grâce à l’abbé JeanBaptiste Cerlogne, le chanoine Bérard et bien d’autres. Cerlogne, Mistral : même combat ? Joseph-Gabriel Rivolin Il en est de même en Provence pour le maintien de la langue provençale grâce au Père Xavier de Fourvières, l’abbé Pascal, l’abbé Guillaume et bien d’autres également qui ont suivi l’exemple de Monseigneur Eugène de Mazenod. Eugène de Mazenod fut canonisé Saint par la voix du Pape Jean Paul ii en 1995. C’est à lui que l’Église de Marseille a dû sa résurrection. Il fallait après la Révolution de 1789 tout refaire. Il refit tout. L’Ordre de Oblats de Marie Immaculée, en prêchant en Provençal, a maintenu notre langue provençale. Quant à Mistral, il a su dire humblement « Pèr lou noum de Prouvènço, ai fa ço que poudiéu ». n o t e 1 Poissarde : femmes qui utilisent le langage du bas peuple. Est-il possible, est-il opportun d’établir un parallèle entre l’abbé Jean-Baptiste Cerlogne et Frédéric Mistral ? Ces deux personnages sont souvent rappelés ensemble : Cerlogne est connu comme le “Félibre valdôtain”, appellation qui l’assimile aux poètes provençaux du cercle mistralien ; étant né quatre ans avant Mistral (1826) et mort quatre ans avant lui (1910), il est tout à fait son contemporain ; ils sont tous les deux considérés les principaux représentants, voire les fondateurs (plutôt le restaurateur, pour ce qui est de Mistral), des littératures dialectales respectives : le poète provençal fonde le Félibrige en 1854, le valdôtain écrit sa première composition en francoprovençal en 1855. Est-ce qu’il existe effectivement des analogies entre ces deux poètes, ou bien ces parallélismes sontils superficiels ? La réponse que je vais essayer de donner à cette question ne prétend pas à être exhaustive, mais se propose de mettre en lumière quelques éléments qu’il serait opportun d’approfondir, sur un aspect important de leur œuvre et de leur biographie : le rapport entre la poétique et la politique. a) Frédéric Mistral La fortune critique de l’œuvre mistralienne est liée essentiellement au poème Mirèio, que Lamartine présenta triomphalement en 1859 dans les milieux littéraires parisiens, tout en faisant de son auteur une sorte de prototype de poète “primitif”, selon un stéréotype romantique qui n’avait pas grand-chose à voir avec la réalité. Loin d’être une sorte de pâtre illettré à l’inspiration rustique, Mistral, licencié en droit, avait une solide culture littéraire, qui s’était formée sur les auteurs grecs et latins, ainsi que sur les manuscrits médiévaux contenant les œuvres des écrivains de langue d’oc. Il y a plus : bien que lancé par le patriarche du Romantisme, l’intrigue de Mirèio ne correspond qu’apparemment aux canons de la poésie romantique. Son inspiration et sa forme sont rigoureusement classiques. C’est une tragédie grecque, 194 195 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne Cerlogne, Mistral : même combat ? dont l’héroïne est soumise à une destinée cruelle, qui l’écrase à cause de la violation de l’ordre naturel des choses dont elle se rend coupable1. L’incipit du poème, en 12 chants, reflète fidèlement la structure des poèmes épiques gréco-latins : annonce de l’argument, invocation à la divinité. Mistral lui-même s’y déclare explicitement « humble élève du grand Homère », plutôt que d’Ossian2. à une aspiration séparatiste, il prône la libération par rapport à la domination française et reflète l’altérité de la France par rapport à la Provence : altérité soulignée par l’usage du provençal, langue “nationale” d’une nation différente de la française, donc légitimée, d’après l’idéologie nationaliste du xixe siècle, à revendiquer son indépendance. La suite de l’œuvre mistralienne s’oriente, par contre, vers des thèmes plus proprement romantiques. Les poèmes La Countesso (1866)3, Calendau (1867)4, Nerto (1884)5, la tragédie La Rèino Jano (1890)6 etc. se caractérisent notamment par l’attention consacrée à la couleur locale, à l’évocation du Moyen Age, aux traditions populaires : l’intérêt de Mistral est tourné vers les coutumes vivantes, mais aussi et peut-être davantage vers le passé : il a un regard de philologue et d’ethnographe qui se manifeste pleinement dans le Trésor du Félibrige (1880-1886)7 et la fondation du Muséon Arlaten8. Le nationalisme provençal de Mistral s’encadre dans un contexte fortement conservateur, qui reflète la mentalité du milieu social des notables avignonnais et camarguais, propriétaires fonciers et éleveurs de manades, la classe d’appartenance de Mistral lui-même : les « pastre et gènt di mas » auxquels il s’adresse dans le prologue de Mirèio 10. Le dernier ouvrage important de Mistral, le Pouèmo dou Rose, paru en 1897, qui ouvre au symbolisme, renoue avec l’inspiration classique, en ce sens, qu’il est possible d’y décerner l’affirmation d’une supériorité de la civilisation latine par rapport à la “barbarie” du Nord9 : c’est l’issue d’un parcours à la fois poétique et idéologique qui s’est développé dans les années précédentes, quand Mistral a progressivement élargi ses perspectives à la Catalogne et aux autres Pays de la Méditerranée qui partagent avec la Provence l’héritage gréco-romain. Le mythe réactionnaire de l’“Empire du Soleil” représente l’aboutissement d’un parcours fédéraliste qui avait pris son essor dans les pages du poème Calendau, une allégorie de la Provence “assiégée” par la France et délivrée par un pêcheur qui n’est autre que le double du Félibre, dont la mission est justement celui du poète “vate” qui indique au peuple le chemin à suivre. Le milieu social d’où est issu Jean-Baptiste Cerlogne est foncièrement différent de celui de Mistral, bien qu’il soit tout autant lié à la terre : il est né au sein d’une famille pauvre, il a été ramoneur, puis garçon de cuisine à Marseille et cuisinier au Séminaire d’Aoste avant d’entreprendre la mission sacerdotale. Au début de son parcours de séminariste sa culture est élémentaire, les seuls écrivains dont on est sûr qu’il a lu quelque chose sont le Lamartine des Méditations et Boileau : un auteur romantique et un classique. Au vu de sa production littéraire, toutefois, si on peut lui coller une étiquette, c’est peut-être celle d’écrivain “réaliste”, dont la plume se laisse cependant entraîner par une verve ironique, satyrique, voire sarcastique11. Le leitmotiv de ce parcours est représenté par la langue, qui est le véritable pivot autour duquel se développe l’idéologie de la “raço”. Mistral veut rendre une pleine dignité littéraire à une langue au passé prestigieux, réduite en son temps à l’état dialectal, à laquelle il attribue un rôle politique d’opposition par rapport au français, langue de colonisation dans le Midi. Le poème Calendau marque une étape successive : il correspond 196 b) Jean-Baptiste Cerlogne Décrivant une réalité plutôt prosaïque, ses poèmes les plus réussis tournent le plus souvent autour des thèmes de la convivialité, de la fête, de la vie simple des paysans, des bergers et des ramoneurs, des traditions populaires vécues de l’intérieur, sans aucun souci de type ethnographique12. Le contenu de ses écrits en vers et en prose reflète son expérience de vie, qui lui a inspiré une philosophie sociale plutôt simpliste. Celle-ci trouve d’ailleurs des échos dans sa formation pastorale, théologique et scripturaire, qui se reflète explicitement dans quelques compositions à sujet religieux13 : il y a les riches et les pauvres, dans une réalité figée, dont le quotidien est fait de petites misères14, où les riches sont normalement des égoïstes et les pauvres doivent en tout cas prendre patience et renoncer, en ce bas monde, à prétendre à changer les choses15. La Justice est affaire à Dieu16, qui dans sa sagesse infinie a établi une fois pour toutes qu’il y a des rois et des princes légitimés à dicter les règles que leurs sujets sont tenus à respecter et appliquer : y compris quand elles provoquent des conséquences négatives, voire inhumaines, comme la guerre. Ancien soldat de la première guerre d’indépendance italienne, Cerlogne a bien connu la réalité des champs de bataille, constaté la lâcheté des officiers et éprouvé les sentiments d’un combattant, allant de la fierté du devoir accompli et des actes de courage, à la détresse, à la terreur, à l’horreur de la mort17. De la vision schématique qu’il s’est fait de la société, il tire des conséquences pessimistes d’ordre politique : s’il y a des intermédiaires entre les princes et 197 Cerlogne, Mistral : même combat ? CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne leurs sujets, notamment les politiciens, membres des organes représentatifs – représentatifs des intérêts des riches, bien sûr, dans un système électoral censitaire tel que celui de l’époque – ce sont immanquablement des profiteurs, des voleurs, des oppresseurs des pauvres et des petites gens. D’où la polémique constante et hargneuse contre tout gouvernement faiseur d’impôts18, contre le libéralisme et l’anticléricalisme19, mais aussi contre le modernisme en milieu clérical20, la Démocratie Chrétienne, la tolérance religieuse vis-à-vis des protestants et des juifs21, la franc-maçonnerie, le socialisme et même les progrès techniques (les allumettes, les écrémeuses et les automobiles notamment)22. Seule concession à la modernité, l’ode Au chemin de fer, qui l’associe curieusement à Giosuè Carducci, lequel voit dans la locomotive le symbole du triomphe de Satan, c’est-à-dire de la raison et de la science contre l’obscurantisme clérical23. Le conservatisme et l’esprit réactionnaire de Cerlogne correspond tout à fait à celui de son milieu ambiant, qui est fortement conditionné par l’attitude politique de Pie ix : une attitude qui serait ultérieurement aigrie par l’annexion des États pontificaux par l’Italie libérale et par le « non expedit » pontifical24. On remarquera la contradiction entre la fidélité absolue à la fois à l’Église la plus réactionnaire et à la monarchie savoyarde devenue italienne (celle qui a dépouillé le pape de son pouvoir temporel), s’exprimant dans ses nombreuses poésies dédiées aux membres de la maison royale25. Cette sorte de schizophrénie des obédiences est d’ailleurs une constante de la société valdôtaine et de la politique locale de l’époque, tiraillées entre la défense des valeurs traditionnelles d’un côté – la monarchie, l’Église, la langue et la culture françaises – et, de l’autre, la pratique de valeurs nouvelles, prônées – voilà la contradiction – par l’indiscutable monarchie elle-même : le Statut, le libéralisme, le Risorgimento qui oblige à devenir Italiens et à se reconnaître dans celle que Cerlogne définit « euna lenga étrandzëre »26. C’est sur la langue et sur le sentiment national que je veux m’arrêter : on a vu un Mistral opposant le provençal au français dans une perspective conservatrice de l’ordre social, en fonction cependant d’un discours séparatiste ou, tout au moins, fédéraliste. Pour Cerlogne, c’est tout le contraire : le patois est à la fois – paradoxalement – un moyen de transmission de valeurs traditionnelles et d’expression de contenus contestataires de l’ordre social : une contestation d’ailleurs stérile, fataliste, sans espoir positif d’aboutissement à un changement social quelconque. En aucun cas, chez Cerlogne, le patois ne représente une forme d’opposition au français, bien au contraire27. S’il prend une position que nous pouvons définir politique, c’est plutôt en faveur de son maintien en Vallée d’Aoste. Dans La Valdoteina, la position de Cerlogne est claire : le patois est un allié, non un adversaire du français, il sert à populariser un combat culturel qui, en cette même période, se déroule à d’autres niveaux, institutionnels et d’opinion publique. Si le patois est « La lenga de ma mére », le français est « la langue de nos pères (…) langue du pain ». Le sort du patois et du français sont étroitement enlacés : « Quand s’en ira le patois, le français suivra de près », écrit Cerlogne (c’est plutôt l’inverse que nous sommes en train de constater, mais en invertissant les facteurs le résultat ne change 198 pas). L’ennemi est ailleurs : « La culture du dialecte serait utile pour conserver le patriotisme et préserver notre langue française des invasions piémontaises » – l’italien n’était pas encore là, mais il allait arriver. c) Conclusion Il y aurait encore bien d’autres choses à dire sur le parallélisme entre le champion du Félibrige provençal et notre Félibre à nous, mais je crois que les considérations faites jusque-là suffisent pour pouvoir affirmer que ces deux personnages n’avaient pas grand-chose en commun, au-delà de la passion qu’ils dédièrent à la défense et à l’illustration de leurs langues maternelles : l’une, au passé illustre, qu’il s’agissait de faire renaître à ses anciennes splendeurs ; l’autre, tellement peu prestigieuse qu’elle dut attendre l’invention du franco-provençal par Ascoli, dix-huit ans après la première poésie de Cerlogne, pour avoir un nom. Je m’arrête là, mais si vous me le permettez je voudrais quand-même dire à titre personnel, pour conclure, qu’à la vision universaliste de Mistral, centrée sur un « Empèri dou Soulèu » dont certains aspects sont quelque peu inquiétants, je préfère celle que Cerlogne attribuait aux petits ramoneurs : « Heureux donc, écrit-il, ces enfants de la Vallée au cœur simple. Ils ignorent la politique qui gâte tout, toujours et partout. Pour eux le Piémont, la Suisse, la France, sont comme leur chaumière, leur toit paternel. Ils ont deux patries : celle qui les a vus naître et celle qui leur donne du pain ; ou plutôt tous les pays sont leur patrie. De manière qu’ils semblent résumer en eux l’utopie de la République Universelle telle qu’on pourrait l’imaginer : sans ambition, sans prépotence, sans tyrannie et sans révolte, sans rien de ce qui se voit aujourd’hui »28. n o t e s 1 Mireille, fille d’un riche propriétaire, tombe amoureuse de Vincent, fils d’un pauvre vannier. Face au refus de son père de consentir au mariage, elle s’enfuit du mas familial pour se rendre en pèlerinage à l’église des Saintes Maries de Mer, dans le but d’obtenir une intervention miraculeuse capable de fléchir le véto paternel. Frappée d’insolation dans la plaine de la Crau, elle meurt en arrivant au sanctuaire, expiant ainsi sa double faute : la désobéissance à son père et la violation de l’ordre social établi sur la différence des classes. 2 « Cante uno chato de Prouvènço. / Dins lis amour de sa jouvenço, / A travès de la Crau, vers la mar, dins li blad, / Umble escoulan dóu gran Oumèro, / Iéu la vole segui » (Mirèio, chant ier). 3 Une comtesse (la Provence) est emprisonnée par sa sœur (la France), qui a répandu la fausse nouvelle de sa mort. 4 Le pêcheur Calendal délivre la jeune fée Estelle, descendante des anciens sires des Baux, dont il est amoureux, de la persécution du comte Sévéran ; autrement dit, le Félibre délivre 199 CERLOGNE ET LES AUTRES - voyage auprès des savants qui ont connu cerlogne la Provence humiliée par la France. Évocation féérique des gloires moyenâgeuses de la Provence. 6 Ouvrage s’inspirant de la vie de Jeanne d’Anjou (1326-1382), comtesse de Provence et reine de Naples dès 1343, mise à mort sur l’ordre de son cousin et héritier Charles d’Anjou. 7 Dictionnaire provençal-français, enrichi de précieuses notices philologiques, étymo logiques, historiques et ethnographiques. 8 Musée des arts et traditions populaires de Provence, réalisé à Arles entre 1897 et 1909 par Mistral, qui consacra notamment le montant du Prix Nobel, obtenu en 1904, à son aménagement. 9 Centré sur la vie des bateliers du Rhône, dont le rôle traditionnel avait été brisé par l’introduction des bateaux à vapeur dès les années 1830, le poème développe parallèlement le thème de l’amour du prince d’Orange, venu du Nord recouvrer ses racines provençales, pour l’Anglore, personnification de la civilisation du Midi. 10 « Vole qu’en glòri [Mirèio] fugue aussado coume uno rèino, e caressado / Pèr nosto lengo mespresado, / Car cantan que pèr vautre, o pastre e gènt di mas » (Mirèio, chant ier). 11 La veine ironique de Cerlogne s’exprime dans des compositions teintées d’une amère critique sociale, telles que Tsanson de Carnaval (1893) ou E viva la cocagne (1893) ; mais aussi, d’une manière inattendue, dans des compositions comme La Pastorala (1861), véritable abrégé d’orthodoxie catholique sur le thème de l’Incarnation aux accents tendres et parfois émouvants, qui, traitant de la naissance de l’Enfant Jésus, se clôt sur la phrase « De sa veneuva achuremen / Lo dzablo l’est pa trop conten ». 12 Cfr. par exemple Marenda a Tsesalet (1855), Euna bella fëta (1856), Lo berdzé et lo ramoneur (1857), La Bataille di vatse a Vertozan (1858), Fête de Saint Grat (1858), Le quatro sèison (1859), Megnadzo de Monseur Abonde (1866) 13 A Marie (1852), Le mois de Marie (1852), Marie à l’âme pieuse (1852), L’infan prodeuggo (1855), Tobie (1859), La Pastorala (1861), Pastorala di Rei (1888), La Noutre-Dama de la Becca de Nouna (1893), Chant catholique (1894), le recueil Le chant du cygne (1908). 14 Cfr. par exemple Le s-ou et le dove comére (1887). 15 Cfr. La Pastorala: « Son esemplo [de l’Enfant Jésus] no fet comprendre / Qu’in ci mondo n’en a souffri, / Et no s-ingadze tseut a prendre / Lo tsemin dret di Paradi. / Ci que meprise le pleisi, / L’or et l’ardzen l’est son ami ». 16 Episode du Jugement dernier (1857). 17 Les étapes de la vie (1902), La guerre (1859), Dz’i vu de bataillon (1903). 18 Cfr. Imitation de la Marseillaise (1887). 19 Cfr. Una veillà ci lo compére (1857), I Comandamenti del liberalismo (1884), Lo sindzo et la colomba (1889), Apologue (1894), M. Griffe-Pren et Tone-Baille (Tsanson de Carnaval) (1896). L’attitude négative vis-à-vis de la politique de son temps est bien documentée dans l’ouvrage incontournable de R. Willien, Cerlogne (1826-1910), Aoste 1974, qui comprend tous les écrits de l’abbé, y compris les inédits dont l’auteur a pu avoir connaissance, une biographie et une bibliographie très détaillées. 20 La conversion de M. Orsières (1855). 21 Protestant (1857). 22 Cfr. par exemple La Priorà (1909), « La leumiëre élèitrique » dans Conte de Dzan-Pouro (1906), et la pièce sans titre, datée de 1900 (incipit : « Ara que noutro siècle arreuve fét sa coursa »), publié dans Les étapes de la vie ( R. Willien, Cerlogne cité, pp. 449-452). 23 Cfr. le poème Lo tsemin de fer (1886), ibidem, pp. 134-147 : son inspiration n’a naturellement 5 200 Cerlogne, Mistral : même combat ? rien à voir avec le poème de Giosuè Carducci Inno a Satana (1863). 24 Le « non expedit » est la formule par laquelle l’Église exprime une prohibition due à des raisons d’opportunité. On l’évoque en particulier pour indiquer la défense aux catholiques de participer à la vie politique de l’État italien à la suite de la prise de Rome. Édicté en 1874, confirmé en 1877 et en 1888, atténué par Pie x lors des élections de 1904, il ne fut formellement révoqué par Benoît xv qu’en 1919. 25 A S A. Royala lo Duc de Veulla et a S. A. Imperiala Letitia Bonaparte (1888) ; A Sa Majesté la Reina d’Italie Marguerita de Savoué. A Gressoney (1889) ; A Sa Majesté la Reine d’Italie lors de son second séjour à Gressoney (1890) ; La Marguerite (1891) ; A leurs Majestés Humbert et Marguerite à l’occasion de leurs noces d’argent (1893) ; Dédié à Sa Majesté la Reine (1894) ; A Leurs Altesses Royales Emmanuel de Savoie, Duc d’Aoste, et Hélène d’Orléans, Princesse de France (1895) ; Noces de Leurs Altesses Royales le Prince Victor Emmanuel de Savoie et la Princesse Hélène Petrowich Niegosz (1896) ; A Sa Majesté Victor iii (première chasse) (1902) ; A S. M. Victor iii notre auguste souverain lors de son passage à Vieyes (1903). 26 La Valdoteina (1862) : « Nà, nà, no volen pa p’euna lenga étrandzëre / Renié de plein dzor cella que no prèdzen / (…) A coutë de la France, i meiten di montagne / No s-en todzor prèdzà, no prèdzeren français ». 27 Cfr. La Valdoteina citée. 28 Vie du petit ramoneur (1895), dans R. Willien, Cerlogne cité, p. 324. 201 L’Abbé Jean-Baptiste Cerlogne (Archives du Centre d’Études. Fonds René Willien) Table des matières Allocution de bienvenue ..................................................................................................................................................5 Laurent Viérin Assesseur à l’éducation et à la culture de la Région autonome Vallée d’Aoste Allocution de bienvenue ..................................................................................................................................................7 Davide Sapinet Syndic de la commune de Saint-Nicolas Allocution de bienvenue ..................................................................................................................................................9 Christiane Dunoyer Présidente du Centre d’études francoprovençales “René Willien” Un inédit de Cerlogne : l’Immaculée-Conception ............................................................................11 Alexis Bétemps Cerlogne et Henry ....................................................................................................................................................................23 don Ivano Reboulaz Marius Thomasset, ami et disciple de Cerlogne .................................................................................39 Lidia Philippot Cerlogne, le chanoine Bérard et quelques autres “amis” ........................................................45 Tullio Omezzoli « Vos fidèles sujets de l’antique Vallée… » Cerlogne e i Savoia .....................................55 Gustavo Mola di Nomaglio L’abbé Bionaz, l’ami de ses dernières années ..............................................................................................87 Emanuela Lagnier Un commercio di parole. Alcune riflessioni etnografiche sul carteggio Nigra-Cerlogne .....................................................................................................................................99 Gianpaolo Fassino Salvioni, Cerlogne e il francoprovenzale della Valle d’Aosta ...........................................121 Lorenza Pescia Jules Jeanjaquet (1867-1950). Un fondateur du Glossaire des patois de la Suisse romande en Vallée d’Aoste .............................................................................................................133 Federica Diémoz Paul Mariéton, ses relations avec l’abbé Cerlogne ..........................................................................145 Claude Tourniaire Table des matières Un correspondant parisien de Cerlogne : Paul Meyer, ou la philologie face à la dialectologie ............................................................................................................153 Claire Meul, Pierre Swiggers L’Abbé Pierre-Jean Rousselot [1846-1924]: dalla dialettologia alla fonetica sperimentale ........................................................................................173 Enrica Galazzi Pichot parlo la lengo de ta maire ...........................................................................................................................187 Mireille Toselli-Bosqui Cerlogne, Mistral : même combat ? ....................................................................................................................195 Joseph-Gabriel Rivolin Achevé d’imprimer au mois de novembre 2011 sur les presses de l’Imprimerie Testolin Sarre