Alpis Graia - Interreg IIIA Alcotra
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Alpis Graia - Interreg IIIA Alcotra
Alpis Graia Archéologie sans frontières au col du Petit-Saint-Bernard PROGRAMME D’INITIATIVE COMMUNAUTAIRE INTERREG III A ALCOTRA 2000-2006 Alpes Latines COopération TRAnsfrontalière ITALIE - FRANCE INTERREG IIIA Alpis Graia LE COL DU PETIT-SAINT-BERNARD A L'EPOQUE ROMAINE Antonina Maria Cavallaro, Sylvie Crogiez-Pétrequin Le col du Petit-Saint-Bernard était l'un des nœuds routiers de l'antiquité. La route romaine remontait de Eporedia (Ivrée) à Augusta Praetoria (Aoste) où elle bifurquait pour rejoindre le Summus Poeninus (Grand-Saint-Bernard) et l'Alpis Graia (Petit-Saint-Bernard). Caractérisée par des ouvrages remarquables du point de vue conceptuel et technique, la “Routes des Gaules” rendait stable l'un des parcours de franchissement parmi les plus importants du secteur occidental des Alpes, le dotant de toutes les infrastructures nécessaires. D'imposants ouvrages, dont on garde de nombreux vestiges encore de nos jours dans les substructions, les ponts et les coupes de rochers, caractérisaient les points naturels les plus défavorables au passage d'un chemin. Les techniques de construction, encore visibles, ne sont pas analogues, en raison des exigences d'adaptation aux différentes situations géomorphologiques et des décalages chronologiques dans la réalisation des différents tronçons, auxquels on doit ajouter la nécessité d'un entretien constant et les aménagements qui se sont succédé aux cours des siècles. Gorge de Pré-Saint-Didier. Restes de culée du pont d'âge romain à proximité du pont médiéval. (A. Bryer) Au col du Petit-Saint-Bernard, l'ancien parcours longeait au Nord-Ouest l'actuelle route nationale. Au sommet se trouvaient des infrastructures affectées à la fourniture des services nécessaires au bon déroulement du voyage. Les routes romaines étaient dotées, en effet, d'un système efficace de services pour les voyageurs et leurs moyens de transport ; la difficulté des déplacements exigeait que les parcours soient équipés de gîtes d'étapes munis d'édifices : des mutationes, de simples haltes pour changer les chevaux, aux mansiones, des relais d'étape, pour héberger la nuit les voyageurs et abriter les animaux utilisés pour le 10 INTERREG IIIA Alpis Graia portage et la traction des véhicules. L'ancien parcours vers le col, connu et répéré dans son développement général, a fait l'objet, dans le tronçon qui monte au col, de prospections géophysiques, menées dans le cadre du projet Alpis Graia. La méthodologie appliquée, qui se base sur l'émission de courant électrique, permet de détecter dans le sous-sol toute anomalie - des vides ou des structures via la déviation des lignes de courant déterminée par la différente résistivité électrique des éléments constitutifs du sol. L'utilisation de cette méthodologie a permis d'identifier des traces d'un parcours routier d'origine romaine, vérifiées par des fouilles archéologiques successives. Zones à très haute résistivité Col du Petit-Saint-Bernard.Vue des ensembles A et B et du bâtiment C, enterré après les fouilles. (A. Zambianchi) Vestiges de chaussée identifiée à travers les prospections et les fouilles ENSEMBLE A Repérés et soumis à des sondages par des voyageurs anglais au XIXe siècle, les vestiges du bâtiment ont été mis au jour par Carlo Promis, le premier qui en a publié le plan en 1862. L'ensemble a fait l'objet, en outre, d'investigations archéologiques et d'importantes restaurations au cours de la première moitié du XXe siècle, qui ont été relayées par des interventions ultérieures, Accumulation de matériaux de construction de l’Antiquité tardive Col du Petit-Saint-Bernard. Image de la tomographie géo-électrique, appliquée dans le tronçon compris entre l'ensemble A et le bâtiment C. (P. Mauriello) 11 INTERREG IIIA Alpis Graia Col du Petit-SaintBernard. Plans des ensembles A et B et du bâtiment C. (Service des Biens Archéologiques) BATIMENT C Tracé de la “route des Gaules” ENSEMBLE A ENSEMBLE B Route actuelle critique et systématique de toutes les maçonneries de l'ensemble A est à l'étude, afin de mieux comprendre les rapports stratigraphiques entre les structures et, en particulier, de distinguer les parties restaurées de celles originales. jusqu'au années Soixante. Le bâtiment est interprété comme étant la mansio fonctionnelle dans la longue et difficile traversée du col. Le plan d'implantation de l'ensemble connu à l'heure actuelle présente un bâtiment composé de deux noyaux adjacents : le premier, à l'Ouest, avec accès sur la route romaine précédé de deux bases de colonne, comporte une cour centrale pour la halte des véhicules et des animaux avec, à côté, des locaux de service et d'accueil des voyageurs. La cour s'ouvre au Sud vers une pièce actuellement adjacente à la route nationale, tandis que le noyau oriental de l'ensemble comporte un ample espace rectangulaire, subdivisé à l'intérieur. Dans le cadre du projet Alpis Graia, le relevé ENSEMBLE B Il s'agit d'un petit bâtiment à plan quadrangulaire, inscrit dans une structure qui pourrait constituer un portique ; l'interprétation traditionnelle y a reconnu un fanum, soit un temple typique de la culture gallo-romaine. Le bâtiment, restauré simultanément aux structures de l'ensemble A, paraît interrompu par la route actuelle. Le relevé critique intéresse aussi ces structures. 12 INTERREG IIIA Alpis Graia BATIMENT C en raison de la précision par laquelle les pierres d'angle avaient été taillées, et de la technique mise en oeuvre, sa fonction peut être liée à l'accueil des voyageurs ainsi qu'à la pratique d'un culte. A l'issue des recherches, l'édifice a été enterré pour en assurer la conservation. Identifié, du coté opposé, grâce à une heureuse et accidentelle prise de vue photographique qui mettait en évidence un manteau herbeux différent correspondant à un rectangle parfait, le bâtiment C, situé au Nord-Ouest du probable parcours routier de l'époque romaine, a été découvert et mis au jour par une campagne systématique de fouilles, de 1998 à 2001. A l'heure actuelle, donc, le bâtiment est le seul, parmi ceux de la période romaine, qui nous ait été livré dans la forme que le temps lui a donnée. Les quatre murs du périmètre, dont il nous reste que les fondations, dessinent un plan rectangulaire de 18x8 m, dont le coté long est parallèle à l'axe routier ancien. Les murs sont constitués de pierres calcaires disposées en lignes régulières, soigneusement taillées sur la face visible. A l'intérieur, cinq bases quadrangulaires alignées, réalisées avec des dalles de schiste et des briques superposées, soutenaient probablement des piliers ou des colonnes sur lesquels s'appuyait la couverture de l'édifice. La quantité considérable de clous en fer de charpente et des tuiles en terre cuite indique l'existence possible d'un toit en bois et, peut-être aussi, d'une soupente en bois. Remontant au Premier Empire, Col du Petit-Saint-Bernard. Bâtiment C. Secteur Sud-Ouest. Vue générale une fois les fouilles terminées. (S.E. Zanelli) BATIMENT D A proximité de la frontière francoitalienne, sur le coté nord-occidental de la route ancienne, on distinguait il y a longtemps déjà une empreinte, constituée d'un léger ensellement du sol, d'un probable bâtiment enterré à plan rectangulaire, de 38x19 m. Connu au moins à partir de la moitié du XIXe siècle déjà, il était interprété par Carlo 13 INTERREG IIIA Alpis Graia Promis comme un possible campement des Salasses, peuple qui habitait la région avant l'arrivée des Romains. Des fouilles archéologiques, encore en cours dans le cadre du projet, ont mis au jour en correspondance avec l'angle sud-ouest de cette superficie délimitée par l'ensellement, un tronçon régulier d'une ample tranchée de fondation creusée dans la roche. La poursuite des recherches permettra de mieux comprendre la nature de l'ensemble, appelé traditionnellement vallum, dont la datation est à présent incertaine. BATIMENT E Fouillé partiellement, restauré plusieurs e fois pendant le XX siècle, le bâtiment en aval de la frontière franco-italienne a fait l'objet d'investigations récentes de la part de l'équipe française. Les dernières campagnes archéologiques, sur la base des anciens relevés et de la stratigraphie intacte dans une partie de l'édifice, ont confirmé l'existence d'un plan atypique en forme de croix, résultant de l'accumulation des aménagements successifs dont on a pu déterminer différentes phases : une Col du Petit-Saint-Bernard. Bâtiment E en cours de fouille. (N. Geroudet) 14 INTERREG IIIA Alpis Graia première, datée par la céramique et les monnaies du règne de Tibère (14-37 apr. J.-C.), correspond à l'édification du bâtiment liée à des plates-formes allongées en dalles de schiste superposées, à mettre probablement en relation avec la voie romaine. A l'extérieur du bâtiment, vers l'Est, une surface aplanie artificiellement et recouverte d'une petite couche de gravier surmonté de matériel romain a été mise au jour en profondeur : elle pourrait se référer à l'ancienne route. Une deuxième phase de construction de l'édifice, qui remonte au IIIe siècle, permet de mettre en évidence une réfection du bâtiment réalisée par une réutilisation des structures précédentes. Les techniques de construction se différencient nettement mais l'orientation générale des murs déjà existants semble être respectée. A la suite d'une période d'abandon et de destruction, plusieurs foyers sont implantés au courant du IVesiècle, indiquant une réoccupation partielle et temporaire du site. Le relevé du bâti des murs est en cours afin de mieux saisir les différentes phases chronologiques du bâtiment et la portée des restaurations. La nature même de cet édifice demeure encore inconnue : poste de contrôle, auberge, édifice lié aux activités agricoles ? La localisation particulière du site implique une fréquentation en dehors du cadre de vie habituel à l'époque romaine : le Petit-Saint-Bernard était un lieu d'étape et de renouvellement constant de ses occupants. L'analyse faunistique des ossements et des dents d'animaux retrouvés lors des dernières campagnes archéologiques confirmerait cette situation : les morceaux de viande semblent avoir été choisis sur la base de l'aspect pratique. Aucun indice n'existe en faveur d'un abattage des animaux sur le site. D'une façon étrange, les espèces sauvages représentées sont très variées mais quantitativement très rares ; la plupart des espèces présentes appartient à la triade domestique composée du bœuf, du porc et des caprinés. Col du Petit-Saint-Bernard, bâtiment E. Nummus de Constantin (Lyon, 316 apr. J.-C.), rarissime. D. Buste de Constantin et tête de cheval. R. Représentation du Soleil avec le bras droit levé, tenant un globe de la main gauche. (M. Amadry) 15 INTERREG IIIA Alpis Graia LE CROMLECH DU COL DU PETIT-SAINT-BERNARD Franco Mezzena, Laurence Pinet A cheval de la frontière, la route moderne qui franchit le col du PetitSaint-Bernard et relie la Vallée d'Aoste à la Haute-Tarentaise traverse un monument qui avait déjà attiré l'attention des historiens et des savants des temps passés. Depuis sa découverte au XVIIIe siècle, le cercle de pierres dressées est généralement considéré comme étant un cromlech ou une enceinte funéraire protohistorique, mais les interrogations qu'il soulève encore de nos jours sur sa fonction et sur son âge n'ont pas trouvé de réponses définitives. Le site, dans son aspect actuel, compte 54 monolithes, soit 49 pierres dessinant la circonférence du cercle, dont seulement 37 sont dressées. Celles-ci sortent d'une dizaine de centimètres du sol actuel ; dans l'ensemble elles sont plus larges que hautes et s'amincissent vers le sommet. Les faces larges sont disposées parallèlement à la circonférence du cercle. Large seuil de diffluence glaciaire façonné par les glaciers pléistocènes, le col se situe au sein de deux ensembles structuraux très différenciés selon la composition géologique : vers le Nord-Ouest la zone subbriançonnaise, dite « zone des brèches de Tarantaise », composée de calcschistes, marnes noires schisteuses et de calcaires noirs; vers le Sud-Est la zone briançonnaise constituée d'affleurements de grès et conglomérat mentionnée sous le terme générique de houiller. Entre les deux zones s'insère une langue de dolomies cargneulisées sur laquelle le cromlech a été implanté. Le recrutement des monolithes résulte d'un choix qui ne reflète pas la variété Col du Petit-Saint-Bernard. Vue générale du cromlech. (F. Mezzena) 8 INTERREG IIIA Alpis Graia Les fouilles de la dernière année n'ont pas permis de trouver de rapport entre ces couches sûrement datant de l'Enéolithique et l'implantation du cromlech, à cause d'un grand fossé de comblement de matériel de guerre entre les deux. De nouveaux sondages pourront peut-être éclaircir la situation. A présent, l'étude du relevé précis réalisé en 1997 et l'analyse systématique des monolithes visent à reconstruire d'un point de vue théorique, si possible, le plan originel du monument. pétrographique du col : tous issus des roches tendres du houiller, ils pourraient ainsi provenir des versants orientaux dominant le cercle ainsi que du col même. Les sondages archéologiques effectués dernièrement, visant la datation du monument, ont confirmé une situation très perturbée par des événements récents : un état de conservation déjà fortement compromis par le passage de la route nationale qui a entraîné la suppression de certaines pierres, a été accentué par les bouleversements de la deuxième guerre mondiale et par les fouilles du siècle passé. Il paraît désormais certain que de nombreux menhir ont été déplacés de leur position d'origine. La seule nouvelle donnée produite par les recherches est la découverte, au centre du cercle, de plusieurs dépôts de couples de pierres de forme polygonale et arrondie associées à une pointe de flèche pédonculée en silex, qui fait remonter cet événement au début de l'Enéolithique, vers le IIIe millénaire av. J.-C. Des dépôts identiques, datés de la même époque, ont été retrouvés en Vallée d'Aoste dans l'aire de culte mégalithique de Saint-Martin-de-Corléans (Aoste) et dans les nécropoles de Vollein et de Villeneuve. Plan du cromlech. (Service des Biens Archéologiques) 9 INTERREG IIIA Alpis Graia OCCUPATIONS ET CIRCULATIONS PRE-ROMAINES AUTOUR DU COL DU PETIT-SAINT-BERNARD ; PREMIERS RESULTATS D'UNE ETUDE ARCHEOLOGIQUE ET SEDIMENTAIRE DE LA MONTAGNE ALPINE Pierre-Jérôme Rey Le col du Petit-Saint-Bernard constitue l'un des principaux points de franchissement historique des Alpes occidentales, à la croisée de plusieurs itinéraires intra alpins, au pied du versant sud-est du massif du Mont-Blanc. Bien attestée à partir de l'Antiquité par les textes comme par l'archéologie, sa fréquentation pendant les périodes antérieures demeurait extrêmement mal perçue. La possibilité d'un travail de longue durée, offerte par le projet Alpis Graia, a permis d'effectuer une recherche sur les premières circulations et occupations humaines à l'échelle des deux versants du col. Le caractère ténu des vestiges recherchés, les aspects très contrastés de la moyenne et haute montagne alpine, la faiblesse des connaissances préexistantes, impliquent la nécessité de travailler de manière extensive dans une aire géographique vaste. Couvrant l'intégralité des deux versants du col, la zone de travail retenue s'étend des vallées de l'Isère et de la Doire Baltée jusqu'aux glaciers du Rutor et du Miravidi, de 800 à 3500 m d'altitude. D'une superficie de près de 1500 kilomètres carrés, l'espace étudié recouvre partiellement ou totalement le territoire de 8 communes. Afin de faire face aux obstacles spécifiques de la prospection archéologique, en moyenne et haute montagne il a été choisi d'employer une méthode caractérisée par la multiplication de petits sondages manuels dans des secteurs sélectionnés suivant deux critères principaux : une topographie favorable pour l'occupation humaine et un contexte sédimentaire permettant à la fois la conservation et l'accessibilité des vestiges. Pendant les sondages, la lecture attentive des coupes stratigraphiques permet d'établir rapidement un diagnostic archéologique détaillé et offre de multiples possibilités d'observations et d'échantillonnages. 3 INTERREG IIIA Alpis Graia Près de 510 emplacements répartis à toutes les altitudes ont été retenus à l'issue d'une première sélection ; 69 de ces emplacements ont fait l'objet d'un ou plusieurs sondages qui offrent un aperçu plus ou moins lacunaire de la dynamique sédimentaire depuis la fin de la dernière glaciation (étude Bernard Moulin). 14 nouveaux sites ont été découverts et une trentaine d'autres sondages ont livré des résultats archéologiques significatifs. (P.-J. Rey) 4 INTERREG IIIA Alpis Graia Des indices lithiques isolés ont été recueillis assez haut en altitude sur le versant français, à proximité du col, sur la commune de Séez. Des fragments de quartz hyalin qui témoignent d'un débitage d'éclats ont été découverts à Bourg-Saint-Maurice, au Plan de Beaupré (2130 m). Dans le secteur des Cinq Lacs, toujours sur la commune de BourgSaint-Maurice, une lame retouchée en silex d'une dizaine de centimètres de long, a été retrouvée à près de 2600 m d’altitude. Cet objet dont la facture évoque le Néolithique final, constitue un des plus anciens témoins de la fréquentation des hautes altitudes dans cette partie du massif alpin. Plus bas, souvent en dessous de 1000 m, de multiples indices montrent la présence des populations néolithiques. La découverte de deux sites néolithiques en plein air et sous abri vers 1900 m d'altitude, sur le flanc sud du Dou de Sermons au lieu-dit La Commune (Séez), sur le chemin du col, témoigne d'occupations qui pourraient remonter au Ve millénaire avant notre ère. Séez, Dou de Sermons. Sondage 9. Abri sous roche occupé au Néolithique. (P.-J. Rey) Des occupations du Bronze final et de la culture de Hallstatt ancien sont documentées au Châtelard de Bourg-Saint-Maurice par des structures d'habitat constituées d'une série d'empierrements horizontaux. Le mobilier archéologique très fragmenté, comprend des tessons de céramique et de la faune, de nombreux fragments de galets chauffés, quelques outils de percussion et de mouture. De l'autre côté du col, à Pré-Saint-Didier, au lieu dit Pian del Bosco, plusieurs Bourg-Saint-Maurice, Châtelard. Sondage 2. Armature de flèche en quartz hyalin taillé, attribuée au Néolithique final. (P.-J. Rey) 5 INTERREG IIIA Alpis Graia Un sondage a permis d'identifier plusieurs niveaux d'occupation protohistoriques profondément enfouis mais pauvres en vestiges. A la base de cette séquence s'ouvrait une grande fosse rubéfiée par le contact direct avec le feu de 1,25 m de large et 30 cm de profondeur, remplie de pierres et de dépôts de combustion. Ce type de structure évoque un four à pierres chauffantes. Le mobilier essentiellement céramique livré par le comblement, permet d'avancer une datation de l'Age du Bronze dans l'attente d'une datation C14 plus précise. Même si l'élaboration des données, les analyses sédimentologiques et environnementales ne sont pas achevées, quelques observations sur les résultats obtenus peuvent être soulignées. L'occupation des zones d'altitude dès la fin de la Préhistoire a été mise en évidence sur le versant français. Si le passage du col du Petit-Saint-Bernard est maintenant attesté dès le début du Néolithique moyen, le contrôle des circulations par des sites de hauteur en pied de versant semble prendre brutalement de l'importance durant des périodes relativement courtes, la première à la phase moyenne du Bronze final, les plus importantes au Hallstatt ancien et au cours de l'Antiquité. sondages ont révélé un site de hauteur terrassé, dont la première et la plus importante occupation remonte à la période de Hallstatt ancien, ainsi que quelques éléments plus récents appartenant au deuxième Age du Fer et à l'Antiquité. Ce site barre la plus accessible et la moins élevée des voies d'accès au col sur le versant valdôtain. Enfin sur la commune de La Thuile deux sites protohistoriques ont été découverts à l'amont du hameau de Grande Golette vers 1520 m d'altitude, sur l'itinéraire du col. Le plus important se trouve juste au-dessus du hameau de Grande Golette, en contrebas de la route actuelle. La Thuile, Grande Golette. Sondage 1. Structure de combustion de l'Age du Bronze. (P.-J. Rey) 6 INTERREG IIIA Alpis Graia Issues de l'échantillonnage systématique d'un espace limité, les données recueillies permettent une première approche globale de la dynamique de l'occupation humaine. Trois phases importantes d'occupation des zones basses et des alpages ont été mises en évidence : le Néolithique sur le versant français, le premier Age du Fer et le Haut Empire romain sur les deux versants. A l'issue des deux premières années du projet, les résultats obtenus révèlent la richesse et la complexité du patrimoine archéologique des Alpes. Ils illustrent la pertinence d'une démarche volontariste d'étude et de valorisation du patrimoine, dans les régions à l'écart des grands travaux d'aménagements rarement abordées par les archéologues. Morgex, Molliex. Sondage en cours de fouille. (P.-J. Rey) 7 INTERREG IIIA Alpis Graia LA FREQUENTATION DU COL DU PETIT-SAINT-BERNARD DE LA PREHISTOIRE AU MOYEN AGE Jacques-Louis de Beaulieu Afin de valoriser le col du point de vue de son histoire et de son utilisation au cours des millénaires, il est indispensable de connaître l'évolution de l'environnement et, en particulier, les rythmes de l'occupation pastorale et les pratiques agraires qui se sont succédé. Des analyses paléoenvironnementales, destinées à la reconstitution des systèmes agricoles et pastoraux depuis la préhistoire et, par conséquent, à la compréhension des dynamiques d'occupation de cet espace montagnard ont été associées aux méthodes historiques et archéologiques. Basées sur les analyses polliniques, pédoanthracologiques et paléoentomologiques, les études de l'environnement du passé permettent de comprendre l'évolution du couvert végétal compte tenu des variations climatiques. A l'aide de l'analyse des pollens fossiles qui se sont déposés et stratifiés au cours des millénaires, notamment, il est possible d'isoler des indices qui nous renseignent directement ou indirectement sur l'activité de l'homme dans ce milieu : la présence de pollens appartenant à des plantes directement apportées par l'homme Col du Petit-Saint-Bernard. Carottage du Lac de Torvéraz . (M. Segard) Grain de pollen de Plantain, indicateur pastoral. (Y. Miras) 1 INTERREG IIIA Alpis Graia Extraction et détermination semblables à des moustiques, conservées dans les sédiments des lacs. Pour ce qui concerne spécifiquement la pratique agropastorale, le processus d'anthropisation qui ressort des analyses encore à l'étude résulte rythmé, bien qu'en présence d'indices contradictoires : une première période clé située au Néolithique final est suivie par le premier véritable seuil d'expansion de l'anthropisation du Bronze final ; un deuxième seuil se réfère aux Ier-IIIe siècles apr. J.-C., à mettre en relation avec l'implantation de la station routière romaine. Un troisième seuil, caractérisé probablement par des cultures céréalières, dont la datation pour l'instant remonte au Moyen Age, tandis qu'on assiste à une rupture de la pression agropastorale peu après le XIIe siècle. Reconstitution des assemblages subfossiles Etapes de développement des Chironomidae: la capsule de la tête, conservée dans les sédiments du lac, permet l'identification de l'espèce. (Y. Miras) (céréales, seigle, sarrasin) ou bien de plantes existant à l'état naturel mais favorisées par l'homme et ses activités s'accompagnent souvent de la diminution de grains de pollens d'arbres et d'arbustes. La datation par la méthode du C14 de ces couches de pollens permet donc de reconstituer l'environnement dans les différentes périodes. Il est possible, ensuite, de comparer les résultats avec l'étude des variations des espèces d'insectes : chaque espèce, en effet, habite dans un milieu précisément caractérisé du point de vue climatique et environnemental ; sur la base donc de l'espèce la plus représentée, il est possible de reconstruire l'environnement correspondant. Dans le cadre du projet Alpis Graia, l'équipe de chercheurs a entrepris une étude des capsules des têtes de larves de Chironomidae, des insectes Assemblages subfossiles Reconstitutions paléoenvironnementales et paléoclimatiques La variation des espèces de Chironomidae permet la reconstitution de l'évolution de l'environnement et du climat. (Y. Miras) 2 A C D B F ITALIE E FRANCE Col du Petit-Saint-Bernard. Localisation du cromlech (F) et des vestiges des bâtiments d’époque romaine : ensembles A et B, bâtiments C, D, E. (CTR, traitement graphique Service des Biens Archeologiques) INTERREG IIIA Alpis Graia Col du Petit-Saint-Bernard. Vue des ensembles A et B, du bâtiment C (enterré après les fouilles) et du cromlech. (A. Zambianchi) www.alpisgraia.org [email protected] En couverture: dessin du cromlech du Petit-Saint-Bernard (d’après PROMIS, Le Antichità di Aosta, 1862, tav. II, fig. K) REGION AUTONOME VALLEE D'AOSTE COMMUNE DE LA THUILE Imprimé par: Tipografia Valdostana Aoste 2005 " Merci, toi qui m'as protégé tout au long de mon chemin, ô Jupiter Pœninus ". C'est probablement avec une phrase de ce genre que les pèlerins et les voyageurs de l'Antiquité s'adressaient à Jupiter protecteur des sommets et des cols. Reliant entre elles les deux parties de l'Empire romain, les cols alpins ont toujours représenté un système de communication essentiel aux échanges économiques et culturels entre les communautés de l'antiquité. La barrière de montagne, et en particulier celle des Alpes avec ses sommets entre l'Italie et la France, les plus hauts et les plus inaccessibles de l'entière chaîne, ne constituait pas un obstacle à rebuter les voyageurs dans leur marche. Mais en tout état de cause c'était un devoir de remercier les divinités qui leur avaient permis, encore une fois, de dépasser cette limite physique. Cette introduction devrait contribuer à faire comprendre l'importance de récupérer les témoignages de la "culture" liés aux activités et à l'utilisation des cols alpins. Leur fréquentation est documentée dès la plus lointaine antiquité, comme si l'humanité se pressait contre les coulées de glace qui se retiraient pour y placer les signes de sa conquête et de sa découverte. Ainsi les premiers intrépides avancèrent entre les montagnes et finirent par trouver les voies et les espaces les plus aptes à franchir ces obstacles naturels et communiquer avec les communautés limitrophes, tout à fait curieuses et intéressées par de drôles de marchandises qui arrivaient de quelque pays lointain. Cette attitude a permis que les cols alpins aient toujours représenté un lieu unissant les communautés. Encore de nos jours, ces cols, pendant leur ouverture, attirent ceux qui transitent à travers ces routes montant les pentes des monts. Outrepassé le joint culminant, où la vue embrasse les deux versants, le terrain s'aplanit et s'élargit sur un panorama d'une beauté envoûtante, d'après quoi on redescend vers d'autres vallées et des nouvelles sonorités vocales. Les hommes ont voulu laisser une trace de leur passage sur ces cimes, comme au col du Petit-Saint-Bernard. Ils y ont ainsi construit des ouvrages d'architecture, soit des temples pour remercier les Dieux, soit des abris (mansiones) pour offrir à ceux qui avaient affronté le fatigant parcours un repos bien mérité. Les traces de cette présence, encore en partie visibles, sont aujourd'hui menacées par le changement des habitudes des voyageurs qui peuvent désormais s'y rendre en voiture. Une plus grande rapidité réduit cependant la possibilité de comprendre le territoire et les merveilles historiques encore présentes. Merveilles, par ailleurs, qui sont subdivisées de manière pratiquement équivalente entre l'Italie et la France et qui, jusqu'à aujourd'hui, ont fait l'objet de l'intéressement et de l'engagement de communautés scientifiques et de structures administratives différentes. Le projet Alpis Graia, financé par la communauté européenne et les partenaires italiens (Région Autonome Vallée d'Aoste et commune de La Thuile) et français (S.I.V.O.M. de Haute-Tarentaise), se propose de mettre en commun ces ressources matérielles et intellectuelles afin de prédisposer un programme commun pour la valorisation des vestiges archéologiques présents sur le col. Cette action commune se concentre sur l'intégration de la recherche historique qui servira à la diffusion de ces connaissances et à la valorisation des traces qui vont de l'époque préhistorique à nos jours. Après une phase d'études exhaustives il s'agira de mettre en œuvre un projet d'aménagement de l'ensemble du territoire historique du col afin de rendre unitaire la gestion d'un lieu divisé par une frontière. L'intention des partenaires est de faire comprendre aux voyageurs modernes la valeur et l'histoire du lieu qu'ils sont en train de traverser, de montrer comment un obstacle physique peut être interprété pendant les siècles et comment il peut redevenir un lieu de communication entre les peuples. INTERREG IIIA Alpis Graia LA DEFENSE DU COL DU PETIT-SAINT-BERNARD ENTRE L'EPOQUE MODERNE ET L'EPOQUE CONTEMPORAINE Nathalie Dufour, Andrea Vanni Desideri LE SYSTEME DEFENSIF ENTRE LE XVIIe ET LE XVIIIe SIECLE l'ennemi, parfois comme carrefour de traversée des armées, parfois comme objet de restauration face à des conflits importants. Son dernier usage coïncide avec les opérations de guerre d'avril 1794, documentées, quand les troupes républicaines françaises, conduites par le général Dumas, réussirent à percer la ligne de résistance piémontaise sur le col parvenant à rejoindre La Thuile. Un document cartographique de la fin du XVIIe siècle représente une série de zones fortifiées empêchant la traversée du col et barrant les routes valdôtaines du fond de la vallée. Le système est subdivisé en deux dispositifs, un dispositif de première ligne près de l'Hospice et un autre plus en retrait qui se développe, au-dessus de La Thuile, entre le Col du Parc, Theraz, Plan Praz, le Col Croix et le Col Saint-Charles. Un premier plan de défense basé essentiellement sur les retranchements en haut de La Thuile a été établi en 1629 par le comte de Savoie Charles-Emmanuel Ier, mais l'amélioration et l'extension des retranchements existants et la construction du dispositif de première ligne sembleraient à attribuer à l'initiative de Thomas de Savoie Carignano au début de la quatrième décennie du XVIIe siècle, en prévision de la guerre du Monferrato contre la France. Les fortifications du Petit-Saint-Bernard participent, à différent titre, aux événements militaires des époques successives, parfois étant percées par Le système de défense du duché d'Aoste à la fin e du XVII siècle avec les unités fortifiées de l'Allée Blanche, du Petit-Saint-Bernard, de La Thuile et du Valgrisenche. (P. Sibilla, La Thuile. Vita e cultura in una comunità valdostana. 1. Uno sguardo sul passato, Torino 1995). 16 INTERREG IIIA Alpis Graia La méthode archéologique d'analyse et de relèvement de campagne, appliquée dans le cadre du projet Alpis Graia de façon expérimentale à un contexte moderne et contemporain, a permis de reconstruire le développement du système défensif, malgré la faible consistance des restes dans certains points et de lire les modifications et les consolidations réitérées sur les données stratigraphiques tout en possédant des informations écrites très limitées. Le système de défense avancée était assuré par les Retranchements sardes, une ligne continue, décrivant un arc de cercle, centré sur le torrent Reclus, qui barrait complètement le vallon du côté français, aussitôt en aval de l'Hospice du Petit-Saint-Bernard. La ligne défensive, Phase I Phase II Plan et élévation de la Redoute Sarde auprès du Col de Traversette. (Traitement graphique : E. Donato) formée d'installations de diverse nature et consistance mais bien intégrées entre elles, a été réalisée en exploitant chaque élément naturel favorable et en intégrant les points faibles de la morphologie avec des tranchées et contrescarpes artificielles. La Redoute Sarde, bâtie sur le sommet de la falaise au Nord du Col de REDOUTE VIADUC (UT 22) VIADUC (UT 21) POUDRIERE (UT 18) BARAQUEMENT (UT 17) BASTION (UT 16) ABRI NATUREL (UT 11) COURTINE (UT 13) TRANCHEE (UT 12) COURTINE (UT 2) VESTIGES DE COURTINE (UT 3) TRANCHEE (UT 9) BASTION (UT 8) BASTION (UT 4) Vue des Retranchements Sardes depuis l'Ouest. (A. Vanni Desideri) 17 INTERREG IIIA Alpis Graia Traversette, ferme l'extrémité orientale de la ligne défensive. L'édifice consiste en un baraquement subdivisé en deux zones fonctionnelles différentes, l'une pour le logement des officiers, fournie de cheminées, l'autre affectée comme chambrée des troupes, sans portes mais avec des fenêtres fusiliers, jouant le rôle de façade défendue. Au pied de la paroi rocheuse sur laquelle se dresse la Redoute Sarde, une grande enceinte en pierre, munie de structures défensives et de locaux de service, constituait probablement un campement temporaire défendant le Chemin des canons, une succession de voies pavées, viaducs et rampes, assurant les ravitaillements et les communications entre les positions avancées et les arrières. Sur le versant opposé, à l'Ouest du Reclus, la ligne défensive est complétée par le secteur structurellement moins dense, composé d'éléments diversifiés, terminant avec un baraquement en ruine. Les Retranchements du Prince Thomas représentent aujourd'hui encore l'élément le plus visible du dispositif défensif qui se développe entre le col du Petit-Saint-Bernard et La Thuile. Un imposant système central de bastions avec tranchées et courtines d'où pilonner au fusil la route longeant le cours de la Doire de La Thuile barrait complètement l'accès à la cuvette de Petosan. Le petit fort de Plan Praz, fonctionnellement lié aux Retranchements et relié avec eux, se situe sur un plateau à une altitude intermédiaire par rapport aux fortifications du Col Croix. La structure, en pierres sèches bien conservées, dont les traces de modifications successives sont bien évidentes, consiste essentiellement en une courtine à plan quasiment en étoile dotée de hautes meurtrières et à l'arrière fournie de baraquements. Enfin, des installations de campagne ou des noyaux de postes d'observation se distribuent de manière diffuse le long de la route qui jusqu'en 1873, quand fut terminée l'actuelle Route nationale 26, constituait la seule liaison avec le col. Elévation d'un des viaducs du Chemin des canons. (Photo et traitement graphique : A. Vanni Desideri) 18 INTERREG IIIA Alpis Graia LE SYSTEME DEFENSIF ENTRE LE XIXe ET LE XXe SIECLE Le système défensif le plus tardif autour du col du Petit-Saint-Bernard se définit entre la fin du XIXe siècle et les années Quarante du XXe siècle ; le renfort de cette ligne se réfère à une période caractérisée par l'élaboration de projets de défense territoriale sur une grande échelle sur les deux versants opposés français et italien. Calotte du bunker central. (N. Dufour) Sur le versant italien, qui à cette époque et jusqu'à la rectification de la frontière en 1947 comprenait tout le plateau du col, l'engagement économique prévu en 1931 par les lignes directrices conceptuelles et techniques de ce qui aurait dû devenir le Mur des Alpes, le Vallo Alpino, se réduit considérablement déjà en 1938 laissant inachevées des tours blindées et les substituant avec un nombre plus modeste de casemates en béton. Le système était organisé avec des ouvrages de défense passive distribués le long de la ligne de frontière et diversifiés en réseaux de barbelés, retranchements en béton et barrières antichars, intégrés de manière opportune entre eux. La défense active était assurée par des postes armés et blindés pour l'emploi des Photo aérienne à basse altitude des barrages antichar. (M. Foli) Du côté français un premier groupe de fortifications, composé de trois forts à des niveaux altimétriques différents au dessus de Bourg-Saint-Maurice, et une position avancée près du poste de frontière sont intégrés dans la troisième décennie du XXe siècle, selon les projets Maginot, avec des infrastructures de défense active et passive disséminées sur le territoire. 19 INTERREG IIIA Alpis Graia armes automatiques lourdes et l'artilleries. Le barycentre de tout le système était le bunker central près du cromlech, le seul qui a échappé aux destructions imposées par l'armistice. Le bâtiment, à deux étages superposés complètement enterrés, situé à cheval de la frontière actuelle, était fourni d'un tunnel rectiligne et coaxial qui permettait d'effectuer des communications phototéléphoniques entre le centre de défense et les bouches à feu de la totalité de l'ensemble de fortifications. Deux groupes de casemates à l'Est et à l'Ouest et une centrale au Sud pouvaient donc communiquer avec le bunker sans utiliser la radio, qui pouvait être facilement interceptée par l'ennemi. Les casemates, situées à protection de points stratégiques, se composaient d'une pièce rectangulaire en béton enterrée ou creusée dans la roche, dont la voûte était en berceau avec une meurtrière et des niches destinées aux matériaux. Un observatoire camouflé dans un alpage contrôlant les positions avancées françaises, et un poste armé dissimulé dans un édifice imitant le style traditionnel local de construction, complétaient le système défensif italien. Bunker central. (Traitement 3D : E. Donato, A. Vanni Desideri) 20