Guerre et Paix. La Révolution dans l`ombre extérieur
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Guerre et Paix. La Révolution dans l`ombre extérieur
TEXTES CHOISIS. VIII. 1 VIII GUERRE ET PAIX. LA REVOLUTION DANS L’ORDRE EXTERIEUR Après avoir contribué à définir la liberté des peuples à disposer de leur sort, Merlin contribua à vider le principe d’une partie de son sens. La raison d’Etat, la haine et la peur de l’étranger, ainsi que le poids des usages le conduisit vite vers une politique extérieure qui privilégiait l’intérêt de la France. 1. L’affirmation d’un droit des peuples Rapport fait à l’Assemblée nationale au nom de son Comité de féodalité, le 28 octobre 1790, sur les droits seigneuriaux des princes d’Allemagne en Alsace ; par M. Merlin, député de Douay ; suivi du décret rendu en conséquence. Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale, Paris, imprimerie nationale, s.d., 44 p. in 8°. Extraits, p. 1-3, 2742. [A.Nationales, AD XVIIIA 51 Messieurs, Depuis plus d’un an, une question plus importante que difficile, agite vivement les esprits & sert de prétexte aux ennemis de la Constitution Françoise pour menacer notre repos, & afficher des espérances plus insensées encore que coupables. Il s’agit de déterminer l’effet que doivent avoir en Alsace les Décrets de l’Assemblée Nationale sur les droits dont les ci-devant Seigneurs territoriaux de cette Province jouissoient au moment de la révolution. Ces droits peuvent-ils être & sont-ils supprimés en Alsace, comme le sont dans les autres parties du Royaume, tous ceux de la même nature ; & en cas qu’ils le soient en effet, leur suppression doit-elle ou ne doit-elle pas donner lieu à des indemnités représentatives de leur valeur ? - Telle est, Messieurs, la question sur laquelle vous avez à délibérer ; - & vous sentez déjà qu’elle pourroit être résolue d’un seul mot, si mettant à l’écart tous ces traités, toutes ces conventions, fruits des erreurs des Rois ou des ruses de leurs Ministres, & reconnoissant qu’il n’y a entre vous & vos frères d’Alsace, d’autre titre légitime d’union que le pacte social formé l’année dernière entre tous les François anciens & modernes dans cette Assemblée même, vous vous attachiez sévèrement à n’être ici que ce que vous devez être, les organes inaltérables de la vérité, les défenseurs intrépides de la justice, les proclamateurs incorruptibles des droits sacrés & inaliénables des Nations. Mais ce n’est pas sous ce point de vue que la question a été agitée dans TEXTES CHOISIS. VIII. 2 tous les écrits qu’elle a fait naître jusqu’à présent ; & je serai obligé, pour vous la présenter dans son état actuel de discussion, de vous parler d’abord un langage que vous aurez peut-être de la peine à entendre ; car il est antique... C’est celui qu’on auroit parlé au commencement de l’année dernière ; & il y a eu, comme vous le savez, un intervalle immense entre le commencement & la fin de l’année dernière. Je vais donc, puisqu’il faut suivre dans l’examen de cette question, la route qui se trouve tracée devant moi, je vais consulter les actes passés dans le dernier siècle, relativement à l’Alsace, entre le Chef de la Nation Françoise & le Corps Germanique ; je vais y chercher, avec les yeux de l’ancien régime, quels sont sur l’Alsace, & les droits de la France, & les droits des Etats d’Empire qui y ont jusqu’à présent possédé des Fiefs autrefois appelés régaliens. [p. 3-27 ?] Si donc c’est au traité de Munster que la France est redevable de la possession de l’Alsace, nul doute qu’elle ne soit tenue d’exécuter fidèlement les conditions de ce traité, & par conséquent d’indemniser les possesseurs des droits qu’il réserve, qu’il maintient, qu’il garantit. Cependant, en examinant cette proposition de plus près, on la voit s’environner de doutes & se couvrir de nuages : elle est même évidemment fausse par rapport à une certaine classe des ci-devant possesseurs des droits dont il s’agit, je veux dire, par rapport à ceux d’entre eux qui sont nos Concitoyens. La raison en est aussi simple qu’évidente ; c’est qu’ils ont concouru à la formation de la Loi qui a détruit ces droits ; représentés dans l’Assemblée Nationale par des Députés légalement élus, ils ont coopéré dans son sein même, à l’expression de la volonté générale sur cette matière importante ; & ce seroit bien vainement qu’ils diroient aujourd’hui que leur volonté individuelle s’y est opposée : ils le diroient qu’on ne pourroit pas ajouter foi à leur allégation, parce que du moment où une Loi est formée par la majorité des voix, elle est censée le voeu de tous, & nul individu n’est recevable à dire : Ce voeu-là n’a pas été le mien, je m’y suis opposé, je m’y oppose encore. Admettre ici un autre principe, ce seroit, je ne dis pas seulement inviter tous les ci-devant Seigneurs de Bretagne, de Bourgogne, de Flandres, d’Artois, &c. à venir, leurs capitulations à la main, nous demander des indemnités qu’il seroit physiquement impossible à la Nation de leur payer ; mais ce qui est mille fois pis encore, ce seroit détruire la première base du contrat social, puisque nulle société ne peut exister si chacun de ses Membres ne se soumet pas, en y entrant, aux délibérations de la majorité. Il ne reste donc de difficulté que relativement aux Princes étrangers, qui, par l’effet de nos Décrets auxquels ils n’ont ni concouru ni pu concourir, sont privés de divers droits seigneuriaux qu’ils percevoient dans leurs terres d’Alsace, & que leur a formellement réservés non-seulement le traité de Munster, mais la bienveillance constante de nos Rois fréquemment exprimée par des Lettres Patentes très-connues. Ici, Messieurs, la question semble s’embarrasser & s’obscursir de plus en TEXTES CHOISIS. VIII. 3 plus : mais il est un moyen de la simplifier & d’en faciliter la solution, c’est de la poser clairement, & de déterminer, avec précision, les points fondamentaux dont elle dépend ; or, à cet égard, il y a une observation très-simple à faire, & la voici. Si le traité de Munster n’existoit pas, ou si ce n’étoit pas à ce traité que la France fût redevable de la possession de l’Alsace, notre question n’en seroit pas une, & personne ne viendroit ici réclamer une exception au Décret par lequel vous avez refusé des indemnités aux possesseurs de certains droits qui vous ont paru trop odieux pour n’être pas abolis purement & simplement. Les Princes de l’Empire, dans cette hypothèse, seroient à l’instar de tout propriétaire étranger du royaume qui, quoiqu’il ne participe en aucune manière à la formation des Loix émanées de la volonté nationale, ne laisse pas d’y être soumis pour raison de ses propriétés. Mais le traité de Munster existe, &, je l’ai déjà dit, il n’est pas plus permis dans une convention publique que dans une convention privée, de prendre l’utile, & de laisser l’onéreux. Dès-là, nécessité de reconnoître que si c’est par le traité de Munster que la France est devenue souveraine de l’Alsace, la France doit exécuter les conditions qu’il lui a imposées, & par conséquent fournir les indemnités dont nous parlons. C’est donc sur le traité de Munster que porte la question toute entière, & il est évident que la France doit des indemnités, si elle a eu besoin de ce traité pour devenir souveraine de l’Alsace ; comme il est évident qu’elle ne doit rien, si elle a pu le devenir sans le secours des stipulations qu’il contient. Qu’avons-nous donc à examiner en dernière analyse ? un seul point, un point infiniment simple, celui de savoir si c’est le traité de Munster qui forme le titre légitime de la France à la souveraineté de l’Alsace, ou, ce qui revient au même, si c’est à des parchemins diplomatiques que le peuple Alsacien doit l’avantage d’être François. Sans doute, Messieurs, il vous paroîtra fort extraordinaire qu’il faille remonter à des temps de guerre, de désolation & de tyrannie, pour trouver la cause de l’association de nos frères d’Alsace à la belle & heureuse constitution qui s’élève au milieu de nous. Nous ne le savons que trop, il a été un temps & il n’est pas si éloigné, où les Rois, habiles à profiter du titre de pasteurs des Peuples que leur donnent dans un autre sens les livres sacrés, disposoient en vrais propriétaires de ce qu’ils appeloient leurs troupeaux. Vendre, échanger, donner, céder par force des villes, des cantons, des provinces entières, tels étoient les jeux de leur puissance ou les sacrifices de leur foiblesse, tel étoit l’objet principal de leur politique. Alors, sans doute, un traité par lequel un Monarque acquéroit de nouveaux sujets & aggrandissoit son domaine, étoit pour lui un contrat obligatoire ; nul prétexte ne pouvoit le dispenser d’en remplir les conditions ; & si, par exemple, Louis XIV ou Louis XV avoient voulu supprimer en Alsace les droits dépendans des fiefs régaliens, nul doute que l’un ou l’autre n’eût été tenu d’en indemniser les propriétaires. Mais aujourd’hui que la raison déchirant le bandeau de l’ignorance, a TEXTES CHOISIS. VIII. 4 appris à tous les hommes leurs véritables droits ; aujourd’hui que la souveraineté des peuples, si long-temps oubliée ou méprisée, est enfin consacrée avec éclat ; aujourd’hui que les Rois sont généralement reconnus pour n’être que les délégués, les mandataires des nations dont ils avoient jusqu’à présent passé pour les propriétaires & les maîtres ; qu’importent au peuple d’Alsace, qu’importent au peuple Français les conventions qui dans les temps du despotisme ont eu pour objet d’unir le premier au second ? Ce n’est pas à ces conventions qu’est dûe l’union qui s’est opérée entr’eux. Le peuple Alsacien s’est uni au peuple François parce qu’il l’a bien voulu. C’est donc sa volonté seule qui a ou consommé ou légitimé l’union. Et comme il n’a mis à cette volonté aucune condition relative aux fiefs régaliens d’Alsace, ne peut-on pas, ne doit-on pas même regarder les droits dépendans de ces fiefs, comme soumis à la règle générale suivant laquelle il ne peut être exigé d’indemnité pour l’anéantissement des impositions ci-devant perçues au profit de particuliers ? C’est ainsi, Messieurs, que vous avez repoussé par un il n’y a lieu à délibérer, la réclamation que la république de Gênes faisoit devant vous le 21 Janvier dernier, d’un article du traité par lequel elle prétendoit avoir cédé à la France la souveraineté de la Corse. Vous avez dit : “ Ce n’est pas en vertu de ce traité que le peuple Corse est uni à la France : son union est l’effet d’un consentement libre de sa part, & elle n’existe que depuis que ce consentement a été manifesté par l’envoi de ses députés à l’Assemblée Nationale : le traité qu’on réclame ne mérite donc aucune considération. ” - Et d’après ce raisonnement, voici ce que vous avez prononcé : “ L’Assemblée Nationale a décrété qu’attendu le vœu énoncé par les habitans de l’Ile-de-Corse de former partie de la Monarchie Françoise, il n’y a lieu à délibérer sur le mémoire de la ville de Gênes ”. Vous trouverez, sans doute, Messieurs, une grande analogie entre ce cas & celui sur lequel vous allez délibérer. - Comme le peuple Corse, le peuple Alsacien a manifesté clairement, l’année dernière, le vœu d’être uni à la France. Comme le peuple Corse, le peuple Alsacien a par ce vœu légalement & librement émis, purifié ce qu’avoit eu jusqu’alors d’injuste & d’illégal l’exercice que nos Rois avoient eu sur lui d’une souveraineté qu’ils ne devoient qu’à des conquêtes & à des traités. Comme le peuple Corse, le peuple Alsacien est devenu François parce qu’il y a consenti. - Et puisque vous avez décidé que le traité par lequel la Corse avoit été cédée de fait à la France, n’étoit pas même digne d’une délibération de votre part ; quel cas pouvez-vous faire aujourd’hui des conditions apposées au traité qui a transféré de fait à la France la souveraineté de l’Alsace ? Cependant ne hâtons pas encore notre jugement ; un premier apperçu pourroit nous entraîner dans l’erreur : revenons sur nos pas, & avant de prononcer, réfléchissons bien aux principes fondamentaux des associations politiques. Dans l’union d’un peuple à un autre peuple, il y a deux cas à distinguer. Ou ceux qui s’unissent à un peuple indépendant & souverain, forment seuls un Etat également souverain & indépendant, ou ils ne sont qu’une section TEXTES CHOISIS. VIII. 5 d’un Etat revêtu de ces caractères, & dont ils se détachent pour s’incorporer à un autre. Au premier cas, l’union n’a besoin que du consentement des deux peuples qui s’unissent. Les conventions de leurs Chefs sont indifférentes pour eux ; & si, en traitant ensemble par eux-mêmes ou par leurs Représentans respectifs, ils ne mettent à leur union aucune réserve, aucune condition, il n’y aura ni réserve ni condition à y ajouter d’après les Traités qu’il aura plu aux Rois ou Magistrats de l’un & de l’autre de faire entre eux. - Ainsi, que le peuple de Genève, par exemple, veuille s’unir à la France, il ne faudra, pour consommer cette union, que le vœu des Genevois eux-mêmes & l’aceptation des François. En vain, dans ce cas, les Magistrats de Genève traiteroient-ils pour leurs intérêts particuliers avec le Pouvoir exécutif de France ; un pareil Traité ne seroit certainement pas une loi pour les deux peuples réunis ; & tous deux pourroient, à la majorité des suffrages pris dans l’Assemblée de leurs Représentans légalement élus, prononcer sur les intérêts particuliers des Magistrats de Genève comme ils le feroient sur les intérêts des autres Citoyens, & sans aucun égard au Traité que je viens de supposer. - Je n’ai pas besoin de dire que c’est précisément à cette hypothèse que se rapporte votre Décret du 21 Janvier, concernant l’Isle de Corse : la chose se sent d’elle-même. Dans le second cas, c’est-à-dire si les habitans d’un pays qui voudroient s’unir à un peuple voisin, ne forment pas eux-mêmes un peuple, mais en sont seulement une section, les principes ne sont plus les mêmes, & la raison de cette différence est très-sensible. Il n’en est pas d’une section d’un peuple souverain, comme du corps de ce peuple même. Le corps, pour cela seul qu’il est souverain, peut, ou demeurer dans son état actuel, ou confondre sa souveraineté avec celle d’un autre peuple, dès que celui-ci veut bien le recevoir dans son association politique, s’identifier avec lui, & ne former ensemble qu’une seule Nation. Mais est-il au pouvoir d’une partie d’un peuple souverain, de se détacher de ce peuple, soit pour se constituer lui-même en peuple souverain, soit pour s’unir à un autre ? Ainsi, par exemple, la Bretagne ou la Bourgogne pourroient-elles aujourd’hui nous dire : Je ne veux plus être Françoise ; je renonce à votre association, & je vais, ou me gouverner moi-même & former un Etat séparé, ou m’affilier à une autre Nation ? Je vous le demande, Messieurs, regarderiezvous ce langage comme l’expression d’un droit légitime, & souffririez-vous qu’on le mît en exercice ? Non, certes ; & pourquoi ? C’est qu’on ne peut pas renoncer à une société politique, comme on le peut à une société privée. Une société privée se dissout du moment où l’un de ses Membres cesse de vouloir être associé. Mais pour rompre une société politique, il faut, & je ne parle ici que d’après l’Auteur du Contrat social1, il faut que tous les Citoyens s’assemblent, il faut qu’ils soient à cet égard d’un commun accord. Quelle en est la raison ? C’est qu’il est impossible qu’une Province, en se détachant de sa Nation, rétablisse les choses dans l’état où elles auroient été, si jamais il n’y avoit eu d’association entre l’une & l’autre. Ainsi, pour reprendre 1 . Livre III, chap. XVIII. TEXTES CHOISIS. VIII. 6 l’exemple que j’ai déjà proposé, si la Bretagne, & la Bourgogne prétendoient demain renoncer à la société qui existe entr’elles & les autres parties du tout nommé la France, la France leur diroit avec raison : “ Vous ne pouvez pas rompre malgré moi le Contrat social qui vous lie à moi comme il me lie à vous, parce que vous ne pouvez pas me rétablir dans l’état où j’étois à votre égard avant la formation de ce Contrat. Sur la foi de notre association, & la regardant comme indissoluble, j’ai supprimé entre vous & moi tout moyen d’attaque & de défense ; j’ai transporté sur vos frontières extérieures les forteresses qui précédemment me garantissoient de toute invasion de votre part ; je vous ai enrichie & fortifiée par des constructions de ports ; j’ai, par mille moyens divers, favorisé, vivifié, étendu votre commerce ; enfin, je vous ai comblé de tous les avantages possibles ; - & vous prétendez aujourd’hui m’abandonner ? Mais rendez-moi donc ces forteresses qui me séparoient autrefois de vous & que j’ai abattues pour vous recevoir dans mon sein ; détruisez donc & en même temps remboursez moi ce que m’ont coûté ces ports, ces arsenaux, ces boulevards redoutables que je n’ai pas élevés pour qu’on pût s’en servir contre moi ; comblez donc & en même temps remboursez-moi ce que m’ont coûté ces canaux que je n’ai pas creusés pour ruiner mon commerce en donnant au vôtre un trop grand essor ; en deux mots, redevenez ce que vous étiez, rendez-moi ce que j’étois avant notre association ; & si l’un n’est pas plus possible que l’autre, il faut que vous restiez avec moi, il faut que vous me demeuriez unie. Tout effort de votre part pour vous séparer de moi, seroit une infraction criminelle du Pacte qui nous lie, & je me ferois un devoir de le réprimer. ” Voilà, Messieurs, ce que la France pourroit dire à une de ses Provinces qui tenteroit de se séparer d’elle ; & si, pour faire mieux sentir la justice d’une pareille réponse, j’avois besoin de l’autorité des principes déjà professés dans cette Assemblée, j’invoquerois ce que vous disoit dans l’affaire du Parlemont de Rennes, à la Séance du 11 janvier 1790, M de Mirabeau l’aîné : “ Chacune des parties qui compose ce superbe Empire (ce sont ses termes), est sujette du tout, quoique leur collection et l’aggrégation de leurs Représentans soit souveraine. S’il étoit vrai qu’une des divisions du Corps politique voulût s’en isoler, ce seroit à nous de savoir s’il importe à la sûreté de nos Commettans de la retenir ; & dans ce cas, nous y employerions la force publique. ” Tenons donc pour constant qu’une Province ne peut pas rompre d’ellemême le lien qui l’attache au Corps de l’Etat dont elle fait partie, & que ce lien ne peut être rompu que du consentement de cet Etat. Ainsi, car il est temps de rentrer dans notre hypothèse précise, il semble que l’Alsace n’a pu être détachée de l’Allemagne en 1648, que du consentement du Corps Germanique. Et comme il est de l’essence d’un consentement de pouvoir se modifier & se fléchir au gré de celui qui le donne, il semble que le Corps Germanique a pu mettre au sien toutes les conditions qu’il lui a plu, tant pour son intérêt, que pour celui de ses Membres. Il semble, par conséquent que les conditions & les réserves stipulées par le Traité de Munster, en faveur des Etats d’Empire possessionnés en Alsace, sont obligatoires pour la France. TEXTES CHOISIS. VIII. 7 Il semble enfin, & toujours par conséquence des mêmes principes, que l’exécution de ces réserves & de ces conditions étant devenue impossible par leur incompatibilité avec la Constitution Françoise, il faut que la Nation les compense par une juste indemnité. Mais prenons y garde. Ces raisonnemens qui sont si justes, si exacts, en supposant que l’Alsace eût été avant le Traité de Munster, unie à l’Empire Germanique, comme la Picardie, la Champagne, l’Anjou, &c., l’étoient dèslors à l’Empire françois, perdroient toute leur justesse, toute leur exactitude, si cette supposition n’étoit pas vraie ; & il est bien à craindre qu’elle ne le soit pas. L’Empire Germanique nous présente-t-il, comme la France, comme l’Angleterre, une seule Nation, un seul Etat, une seule association d’hommes civilisés & réunis par un même pacte ? Non ; il ne nous offre qu’un composé d’Etats indépendans les uns des autres. A la vérité, il existe entr’eux une confédération qui a pour Chef l’Empereur, & pour centre la diète de Ratisbonne ; mais cette confédération n’empêche pas que chacun d’eux ne soit maître de ses alliances, que chacun d’eux ne puisse faire la guerre à ses coEtats, que chacun d’eux, en un mot, ne forme un corps de Nation séparé. Ainsi existent les Cantons Suisses ; réunis sous une seule confédération, ils ne composent pas pour cela un seul Peuple ; & chacun d’eux est indépendant de son voisin. Ainsi existent encore les Provinces-Unies des Pays-Bas. Et comme il dépendroit de la Hollande, de rompre la confédération qui l’attache à la Zélande, à la Frise, au pays d’Uutrecht ; Comme il dépendroit du Canton de Berne de ne plus communiquer avec les autres Cantons Suisses ; Comme il dépend enfin de tout Etat, confédéré avec d’autres, de s’isoler quand il lui plaît ; Il n’est pas douteux que chaque Etat de l’Empire Germanique ne soit maître de renoncer à la confédération générale qui lie entr’elles, mais qui ne fond pas ensemble, mais qui n’identifie pas, les différentes Sections de cette grande partie de l’Europe. Et delà, des conséquences très-simples. - C’est que les divers Etats dont étoit composée l’Alsace avant son union, ou plutôt avant sa fusion avec la France, n’ont pas eu plus besoin du consentement de l’Empire pour se rendre François que les Corses n’ont eu besoin, pour le même objet, du consentement des Génois. - C’est que le consentement donné de fait par l’Empire Germanique à l’union de l’Alsace à la France, est pour nous un titre aussi inutile, aussi surabondant, que le Traité par lequel la République de Gênes a cédé à Louis XV ses prétendus droits sur la Corse. - C’est que l’inutilité & la surabondance de ce consentement rendent nulles & sans effet toutes les réserves, toutes les conditions qui le modifient. - C’est que ces réserves & ces conditions étant nulles & sans effet, il ne reste aux Princes d’Allemagne aucun titre pour prétendre à une indemnité à raison de ceux de leurs droits seigneuriaux qui ont été abolis par les Décrets de l’Assemblée Nationale. Voilà, Messieurs, je ne crains pas de le dire, voilà ce que nous devrions TEXTES CHOISIS. VIII. 8 prononcer dans la rigueur des principes. Des Traités faits sans le concours des habitans de l’Alsace, n’ont pas pu assurer une existence légale à des droits que les habitans de l’Alsace n’avoient pas consentis. Des Traités faits sans le concours du peuple François, n’ont pas pu le soumettre à des indemnités pour raison desquelles il n’a pris aucun engagement. Et en deux mots, ce n’est point par les Traités des princes, que se règlent les droits des Nations. Mais si tel est, dans la discussion qui nous occupe, le cri d’une raison sévèrement juste, tel n’est peut être pas le conseil de cette équité douce & bienfaisante qui doit sur tout être prise pour guide dans les rapports d’une Nation avec ses voisins. Déjà l’Assemblée Nationale a manifesté hautement son intention de ne pas résilier indistinctement tous les traités faits avant la régénération de la France, entre les Monarques François & les Princes étrangers. Déjà, au contraire, elle a ratifié dans tout ce qui n’étoit pas opposé à ses principes de paix & de justice envers les autres Nations, le célèbre pacte de famille contracté en 1761, entre les Rois de France & d’Espagne. Déjà, par conséquent, elle a préjugé qu’elle pourroit prendre en considération les traités relatifs aux possessions des Princes d’Allemagne en Alsace, qui ne contrarieroient pas ses maximes, & pourroient se concilier avec la Constitution Françoise. Et sans doute, c’est pour ces traités un grand titre de recommandation auprès de l’Assemblée Nationale, que la bienveillance & l’amitié qui a toujours uni ces Princes à la Nation Françoise dans la personne de son auguste Chef, & dont les témoignages, cent fois réitérés, vivront à jamais dans une collection nombreuse de Lettres-Patentes. - Aussi avez-vous déjà annoncé, à cet égard, des dispositions très favorables, puisque, par votre Décret du 28 Avril, vous avez prié le Roi de prendre des mesures, pour qu’il vous fût remis un état des indemnités que les Princes d’Allemagne pourroient prétendre leur être dues par suite de l’abolition du régime féodal. Nous ne craindrons donc pas de contrarier vos vues, nous nous flattons même de les seconder, en vous proposant de ne pas refuser à ces Princes une indemnité qui, si elle n’est pas rigoureusement commandée par la justice, n’en sera que plus propre à manifester dans toute l’Europe, l’esprit d’équité, de paix & de fraternité qui vous animent envers les Puissances étrangères. 2. Une guerre préventive L.a.s. de Merlin, à Messieurs les députés du département de la Moselle à l’Assemblée législative, chez Monsieur Merlin (de Thionville), datée de Douai, le 20 décembre 1791. [A.Nationales, F7 3683.5 TEXTES CHOISIS. VIII. 9 Douai, 20 Xbre 1791. Monsieur, je crois devoir vous adresser copie de deux lettres qui vous prémuniront contre les allarmes que pourroit inspirer le grand nombre de brabançons qui arrivent qui arrivent chaque jour dans ce département. Depuis la date de ces lettres, il s’est passé des évenemens qui, selon toute apparence, nous forceront à sortir, relativement aux Brabançons, de l’état de neutralité que je conseillois par celle de ces lettres qui est de moi. m. de Charost vient de me dire qu’une estaffette arrivée avant-hier à Bruxelles y avoit apporté la nouvelle d’un avertissement donné par l’empereur à tout le corps germanique de se tenir prêt à marcher contre la france ; et j’ai tout lieu de croire que sur cela m. de Charost est bien instruit. les Brabançons n’en iront pas moins leur train ; et il y a à parier qu’avant un mois ils seront maîtres chez eux. ils nous donneront luxembourg, si nous voulons reconnoître leur indépendance ce que surement nous aurons grand interêt de faire. leurs moyens sont très-puissans ; les Archiducs qui ne les connoissent pas encore ont déja perdu la tête. Bruxelles est sens-dessus-dessous. Namur est dépalissadée, et toutes les munitions qui s’y trouvoient viennent d’être transportées à Luxembourg. il paroit que les confédérés brabançons (c’est le nom qu’ils prennent) sont sûrs des trois quarts des troupes autrichiennes. J’ai l’honneur d’être avec un très-parfait attachement, Monsieur, votre très humble et très-obéissant serviteur. Merlin 3. Une guerre désirée L.a.s. de Merlin de Douai à Merlin de Thionville, datée du 18 janvier 1792. [B. Nationale, N.A.F. 245, f° 188. Douai, 18 Jer 1792. Monsieur, je suis bien reconnoissant de votre lettre du 14 et de celle qui l’a précédé, et je regrette inifiniment que le tems me manque pour entrer avec vous dans de grands détails. je vous dirai seulement 1°. que les brabançons paroissent maintenant hésiter à lever l’étendart, d’un côté, parce qu’ils craignent que nous ne fassions pas la guerre et qu’en ce cas ils ne demeurent seuls exposés aux forces de Léopold ; de l’autre, parce qu’ils ont, disent-ils, des renseignemens non équivoques sur un prochain départ du Roi, auquel cas ils ignorent ce que deviendroit la france et par conséquent TEXTES CHOISIS. VIII. 10 quels secours ils pourroient en tirer ; 2°. qu’ici comme à Paris les patriotes desirent la guerre autant que les aristocrates la redoutent ; 3°. que les émigrations continuent ou plutôt vont en quadruplant ; 4°. que le projet de congrès dont a dernierement parlé m. gansonné, au nom du comité diplomatique, existe si bien, qu’avant-hier on m’a sondé pour m’y faire entrer, proposition à laquelle j’ai répondu nettement que je ne connoissois pas, que je ne reconnoitrois jamais, le Roi présent ou absent, d’autre congrès en france que l’Assemblée Nationale ; 5°. que sans doute vous et vos dignes coopérateurs vous êtes déja concertés sur les mesures qu’il y auroit à proposer à l’Ass. N., si, comme on le craint, le Roi alloit encore nous manquer ; 6°. que j’ai trouvé le rapport du ministre de la guerre bien perfide sur une multitude de points, et qu’il seroit bon qu’on le dissequât en pleine assemblée nationale. mille amitiés. Merlin 4. Merlin, censeur des généraux Lettre de Merlin à M. Louis de Noailles, datée de Douai, le 1er juin 1792. Publiée dans L’Ami Jacques du lundi 4 juin 1792, n° 53. [Cette lettre fut également insérée au Moniteur du 8 juin 1792, réimpression, t. XII, p. 595, n° 160. A M. Louis Noailles. Douai, le Ier juin, l’an 4 de la liberté. Je viens de lire, mon cher et ancien collègue, dans le N° 150 de la Gazette Universelle, la lettre que vous y avez fait insérer, sur les motifs de votre démission. Je ne suis pas militaire ; mais vos motifs m’ont étonné, & m’ont presque fait croire à certaines intentions que les plus ombrageux de nos anciens collègues vous prêtoient au milieu de vos sorties patriotiques, dans l’Assemblée constituante. Vous dites d’abord que le soldat n’a été trahi que par sa lâcheté, à la malheureuse affaire de Mons. Par sa lâcheté ! Dites plutôt par les combinaisons et les propos perfides de quelques individus, qui heureusement sont arrêtés ou fugitifs, et dont un juré militaire, assemblé ici-même, commence aujourd’hui le procès. J’ai vu quelques-unes des preuves de ces combinaisons et de ces propos ; je puis vous assurer qu’elles ne sont pas équivoques. Vous vous plaignez de ce que la Loi ne donne pas au général, avec la TEXTES CHOISIS. VIII. 11 plus grande latitude d’autorité, l’appui et les moyens de la faire respecter : c’est-à-dire, que tout à la fois vous méconnaissez et l’article XI du titre Ier du code pénal militaire, et la fermeté du brave Général Luckner, et la docilité avec laquelle le soldat français obéit toujours à qui sait le commander2. Vous parlez de violences commises à Querenain par quelques volontaires ; et d’abord vous vous écriez que toute l’armée est dans la dissolution la plus complète ! Je laisse à penser si cette conséquence honorera beaucoup votre logique ; pour moi, j’aimerais que la réputation de votre ouvrage n’en souffrît pas, et que quelque mauvais plaisant ne vînt pas vous dire à ce propos : Quand on a peur, on n’y voit pas si bien. -Ensuite vous vous scandalisez de ce que les juges ordinaires ne pourront punir, selon vous, que de quelques jours de prison, les pillages et les vols commis à Quérenain. Mais vous qui avez coopéré au code pénal, vous devez vous rappeler que la peine de ces crimes, dans les circonstances ou vous les exposez, doit être de seize années de fers. Vous parlez des insultes faites à Madame Nash dans la ville d’Orchies. Ces insultes seront vengées par la loi ; je vous en réponds : mais gardez-vous de croire qu’elles soient aussi graves que vous les peignez. Rabattez les trois quarts et demi de ce que vous en dites ; il y aura encore à disputer sur le reste. Ce sont cependant ces excès, c’est la crainte d’être confondu avec les misérables qui les commettent, qui vous déterminent à abandonner votre poste. C’est comme si, effrayé des crimes que je suis appelé à punir, je désertais le tribunal sur lequel m’ont placé les suffrages de mes concitoyens, sanctionnés par le roi : c’est comme si, par la crainte d’être confondu avec les juges insouciants ou anti-patriotes qui sont répandus sur toute la surface du royaume, je me dépouillais du pouvoir dont la loi m’a investi... Que croyez-vous donc qu’on dût penser de moi, si je prenais un parti aussi lâche ?... Ce qu’il y a de plus inconcevable dans vos motifs, c’est que, selon vousmême, l’importante partie de l’armée que vous commandiez, est dans le meilleur état de discipline, d’activité et de subordination ; c’est que vous aimez votre patrie, c’est que vous voulez défendre la liberté... Tout cela est de l’Hébreu pour moi ; mais, dans mon gros bon sens, je prie Dieu qu’il ne nous prodigue ni de pareils patriotes ni de pareils défenseurs de la liberté française. Signé Merlin, Président du tribunal criminel du département du Nord. 2 . Le sixième régiment de dragons, qui est en garnison ici, offre une preuve de cette vérité. Il n’y avait dans ce corps, il y a un mois, ni discipline, ni instruction, depuis un mois que M. Duval est descendu du grade de maréchalde-camp pour le commander comme colonel, ce corps est aussi discipliné et aussi instruit que le meilleur officier puisse le désirer. Pour en venir là, M. Duval n’a laissé aucune faute impunie, soit de la part des soldats, soit de la part des officiers, et jamais il n’a éprouvé la plus légère résistance, le plus léger murmure. TEXTES CHOISIS. VIII. 12 5. Un nouveau droit de conquête Convention nationale. Rapport fait à la Convention nationale, au nom du Comité de salut public, sur la Belgique et le pays de Liège, par Ph.-Ant. Merlin (de Douai), séance du 2 vendémiaire an IV, Paris, imprimerie nationale, vendémiaire an IV, 22 pages in 8°. [B.Nationale, 8° Le38 2121 Discussion sur la réunion de la Belgique et du pays de Liège à la république française. Merlin (de Douai), au nom du comité de salut public : Représentants du peuple, depuis que, par le courage et la bravoure des armées du Nord et de Sambre-et Meuse, la république est rentrée en possession de la Belgique et du pays de Liège, les habitants de ces contrées vous ont plusieurs fois rappelé qu’ils étaient devenus Français dès les premiers mois de 1793, et plusieurs fois ils vous ont demandé l’exécutiondes décrets qui leur avaient accordé cet avantage. [...] Cette question, comme vous le voyez, est complexe ; en l’analysant, elle se réduit aux trois points suivants : 1° Quel est le parti que nous commande la justice envers les Liégeois et les Belges ? 2° Que veulent, à cet égard, les intérêts de la république française ? 3° Est-il prudent, est-il politique, dans les circonstances actuelles, de prononcer définitivement ? Sur la première question, il est un pricipe qui seul suffit pour décider , c’est que les contrats sont obligatoires entre les nations comme entre les particuliers. Lorsque les Liégeois et les Belges ont eu voté leur réunion à la république, et que vous eûtes accepté ce voeu, dès ce moment-là même il a existé entre eux et le peuple français, au nom duquel vous les aviez réunis, un contrat qu’il ne dépend plus de vous de rompre ou de ne pas exécuter. Serait-il en votre pouvoir de détacher de la grande société qui forme la république française, le département du Nord, celui du Pas-de-Calais, celui des Haut et du Bas-Rhin ? Non certes. Eh bien ! en principe les habitants de ces quatre départementsn’ont pas plus le droit de rester Français, comme ils le sont depuis un siècle, que les Belges et les Liégeois n’en ont de le devenir. Ne serait-ce pas d’ailleurs insulter à la loyauté nationale, que de vous supposer capables de rendre à leurs anciens maîtres des hommes dont vous avez vous-mêmes brisé les fers, et que vous-mêmes avez appelés à la jouissance des bienfaits de la liberté ? Et qu’on ne dise pas que, sans les remettre sous le joug de leurs anciens maîtres, on pourrait ne pas les rendre Français ; qu’il suffirait pour cela de les former en république séparée, et qu’isolés ils seraient qussi libres que dans les TEXTES CHOISIS. VIII. 13 système de réunion à la France. Cette idée, nous le savons, plaît beaucoup aux amis de l’Angleterre, qui entrevoient dans son exécution un moyen infaillible de donner incessamment la guerre civile à la Belgique, de l’amener par-là sous la domination d’un nouveau stathouder que la maison de Brunswick tient tout prêt, et surtout de rompre sans le moindre effort, en nous séparant physiquement de la Hollande par un état intermédiaire, les liens de l’alliance qui unit la république batave à la république française, alliance dont le gouvernement anglais a bien calculé les suites aussi heureuses pour nous et nos amis, que funestes pour lui et ses partisans. Mais de quelques sophismes que l’on cherche à colorer cette proposition machiavélique, ils ne feront jamais fléchir le principe que j’ai déjà retracé. Les Belges ont acquis, par un contrat formel, le droit de devenir Français ; ce droit ne peut leur être ôté, ni par les combinaisons du cabinet de Londres, ni par les regrets du cabinet de Vienne ; et puisque nous avons pris l’engagement de les en faire jouir, il faut qu’ils en jouissent effectivement, ou que nous subissions la honte du parjure. Voudrait-on encore, par des injures, nous dispenser de l’exécution de nos engagements ? Oserait-on encore répéter cette infâme assertion, que les Belges et les Liégeois ne sont pas dignes de la liberté, qu’ainsi nous ne sommes pas liés par l’obligation que nous avons contractée de la leur assurer à jamais ? Ne dirait-on pas, à de pareils propos, ou qu’il n’y a en France ni vendéens, ni chouans, ni royalistes, ou que, parce qu’il y en a malheureusement, il faut que la France, cédant au voeu d’une misérable minorité, cesse d’être une république et reprenne ses anciens fers ? Sans doute, les partisans de l’Autriche ont tout employé pour faire haïr le nom français dans la Belgique ; sans doute, il s’est trouvé dans ces pays des agents de la république elle-même, qui, par leurs vexations et leurs injustices, ont fait tout ce qui était possible pour révolter les habitants contre la France, et pour leur faire regretter jusqu’au despotisme autrichien. Mais la masse du peuple, attentive à discerner ce qui émane de la représentation nationale d’avec ce qui se fait par des agents prévaricateurs, n’en reste pas moins attachée à la cause de la liberté, et les coeurs n’en demeurent pas moins tournés vers la France ; comme en France même les patriotes, vexés par la tyrannie décemvirale, au nom d’une république qui n’existait pas encore, n’en sont pas moins demeurés fidèles aux principes du gouvernement républicain. [...] Il n’y a donc ni raison ni prétexte qui puisse nous affranchir envers les Belges et les Liégeois, de l’obligation que nous nous sommes imposée de les rendre citoyens français : et si quelque chose peut nous enorgueillir à cet égard, c’est que cette obligation a été solennellement reconnue et proclamée dans cette enceinte, même à l’époque où la victoire semblait avoir abandonné nos drapeaux. Voici ce que porte le décret que vous avez rendu à ce sujet le 30 avril 1793, environ quize jours après l’entière évacuation de la Belgique. “ La Convention nationale, sur la demande faite par un de ses membres, TEXTES CHOISIS. VIII. 14 que la Convention déclare qu’elle n’entend pas nuire au droit des pays réunis à la république française, et que jamais elle ne les abandonnera aux tyrans avec lesquels elle est en guerre, passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que les contrées réunies font partie intégrante de la république. ” Je pourrais m’arrêter ici : ce que la justice nous commande, nous devons le faire, sans réfléchir aux avantages ou aux inconvénients qui peuvent en résulter. Mais il y a plus, et il est impossible à tout homme de bonne foi, de ne pas sentir qu’ici l’intérêt même de la république s’accorde avec son devoir, et que, dans cette circonstance comme dans toute autre en général, il lui importe beaucoup d’être juste. Il importe en effet à la république que la maison d’Autriche ne rentre pas dans un pays qui, le remettant en contact perpétuel avec nous, continuerait par cela seul d’être ce qu’il est depuis un temps infini, c’est-à-dire la cause et le théâtre de deux ou trois guerres aussi longues que sanglantes, par chaque siècle. Il importe à la république que la maison d’Autriche ne rentre pas dans un pays qui, le remettant en contact perpétuel avec nous, continuerait par cela seul d’être ce qu’il est depuis un temps infini, c’est à dire la cause et le théâtre de deux ou trois guerres aussi longues que sanglantes, par chaque siècle. Il importe à la république que la maison d’Autriche ne trouve plus dans les richesses de ce pays de quoi nourrir son ambition, et troubler sans cesse le repos de l’Europe. Il importe à la république de multiplier ses moyens de défense contre des gouvernements qui, même après avoir posé les armes qu’ils portent aujourd’hui contre elle, resteront toujours ses ennemis secrets, et ne seront longtemps occupés qu’à épier le moment favorable pour lui déclarer une nouvelle guerre. Il importe à la république de faire pencher en sa faveur la balance du commerce, d’enlever aux Anglais plusieurs branches de celui qu’ils font avec tant d’avantage, et par conséquent de ne pas laisser échapper de ses mains les incalculables profits que lui promet la possession d’un pays dont les productions excèdent constamment de deux tiers les besoins de son immense population : de ne pas se priver de ceux que lui assurent la libre navigation de fleuves, de rivières et de canaux qui ont toujours passé pour les plus grandes sources de prospérité publique ; d’entretenir immédiatement avec la république batave des relations qui s’affaibliraient chaque jour et s’anéantiraient bientôt, s’il n’existait pas entre les deux peuples un voisinage immédiat, et si le rapprochement des cœurs n’était pas sans cesse garanti par le rapprochement des localités. Il importe à la république de se former un arrondissement tel que le Nord et le Midi puissent se balancer et se contenir réciproquement; tel que la commune centrale du gouvernement ne se trouve plus aussi éloignée qu’elle l’est actuellement du centre des pays gouvernés ; tel, en un mot, qu’en étendant le rayon de Paris au Nord, le rayon de Paris au Midi reste dans son ancien état. Il importe à la république (et ici j’appelle spécialement l’attention de ses véritables amis, car il s’agit de déjouer une intrigue déjà peut-être trop TEXTES CHOISIS. VIII. 15 accréditée, et qui ne tend à rien moins qu’à la démembrer ou à la perdre) ; il importe à la république que les Belges et les Liégeois ne soient libres et indépendants qu’autant qu’ils seront Français. Pourquoi ? Parce que s’ils formaient une république à part, elle serait trop faible pour résister aux attaques de ses anciens maîtres, et que par suite elle ne pourrait pas nous servir de barrière contre nos ennemis naturels ; parce que s’ils s’associaient avec les Provinces-Unies, et que par là ils ajoutassent leur puissance territoriale à la puissance maritime de celles-ci, il pourrait, un jour ou l’autre, sortir de cet amalgame des résultats dont nous n’aurions pas à nous louer ; parce que, surtout dans cette dernière hypothèse, ce serait donner un avantage immense aux intrigants, que dis-je ! aux conspirateurs qui, à une certaine époque de la révolution, se sont flattés de faire entendre aux départements du Nord et du Pas-de-Calais qu’ils avaient droit et intérêt de se détacher de la France pour se réunir à leurs anciens frères des Pays-Bas, et réaliser avec eux l’antique projet de confédération des dix-sept provinces ; parce que, dans tous les cas, la république française pourrait un jour essuyer, de la part du gouvernement même républicain des Liégeois et de Belges, un acte d’ingratitude dont la trèsmoderne diplomatie lui fournirait l’exemple... je veux dire qu’usant de leur droit de souveraineté, et profitant de quelques embarras momentanés dans lesquels se trouverait la république française elle-même, et qu’ainsi, en dernière analyse, nous nous retrouverions dans la même position que si nos ennemis étaient restés maîtres de la Belgique et du pays de Liège. Il importe enfin à la république, et il lui importe par-dessus tout, de dissiper les craintes que la malveillance et l’inertie se sont accordées à repandre sur la suffisance du gage actuel de nos assignats, et par conséquent d’ajouter à ce gage les domaines que le clergé et la maison d’Autriche possédaient dans le pays de Liège et dans la Belgique ; domaines si considérables, si riches, si multipliés, que les calculs les plus modérés en portent la valeur à plus des deux tiers de la somme totale de nos assignats en circulation. Ces considérations, je le sais, s’appliquent avec une égale force à tous les pays conquis par les armes de la république ; et l’on ne manquera pas d’objecter que, puisqu’elles ne nous déterminent pas dès à présent à prononcer la réunion de tous ces pays, elles ne devraient pas non plus nous faire adopter celle de la Belgique et de l’état de Liège. Cette objection amène naturellement l’examen de la troisième question que j’ai annoncée : Est-il prudent, est-il politique de prononcer dès aujourd’hui, et définitivement, sur le sort du pays de Liège et de la Belgique ? Assurément il n’est personne parmi nous qui ne tienne invariablement à cette grande vérité, souvent proclamée à cette tribune, et toujours couverte de l’approbation la plus générale, que l’affermissement de la république et le repos de l’Europe sont essentiellement attachés au reculement de notre territoire jusqu’au Rhin ; et certes, ce n’est pas pour rentrer honteusement dans nos anciennes limites, que les armées républicaines vont aujourd’hui, avec tant d’audace et de bravoure, chercher et anéantir, au-delà de ce fleuve redoutable, les derniers ennemis de notre liberté. TEXTES CHOISIS. VIII. 16 Mais nous respectons les traités ; et puisque, par ceux que nous avons conclus, avec la Prusse et la Hesse, le règlement définitif du sort des pays qui longent la rive gauche du Rhin est renvoyé à l’époque de la pacification générale, ce n’est point par des actes de législation, c’est uniquement par des actes de diplomatie, amenés par nos victoires et nécessités par l’épuisement de nos ennemis, que nous devons nous assurer la conservation de cette barrière formidable. Il n’en est pas de même du pays de Liège et de la Belgique. Nous ne sommes liés à leur égard par aucun traité extérieur, et nous n’avons besoin pour prononcer définitivement sur leur sort que de consulter leur droit et notre intérêt. - Or, leur droit est d’être Français, et notre intérêt est qu’ils le soient. Loin de nous la pensée qu’il soit prudent et politique de nous réserver un moyen de faire la paix avec la maison d’Autriche, aux dépens des peuples belges et liégeois ! Je l’ai déjà démontré, la république française ne peut, en aucun cas, abandonner ses amis, ses enfants adoptifs ; et nos braves armées nous répondent que jamais nos ennemis ne reprendront un ascendant capable de nous faire souscrire une paix honteuse, et qui par là même serait illusoire, puisqu’elle remplacerait nos ennemis à notre porte, et remettrait dans leurs mains les plus puissants moyens d’agression. La question se réduit donc à ce seul point : A cet égard, je demande si, pour la réunion de la Savoie, nous avons attendu le consentement du roi de Sardaigne ? Je demande pourquoi vous exigeriez aujourd’hui ce que vous n’avez pas exigé alors ? - Je demande si nos ennemis sont plus redoutables aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 1792 ? - Je demande si, en 1792, nos conquêtes étaient plus affermies qu’elles ne le sont aujourd’hui ? - Je demande s’il n’est plus vrai aujourd’hui, comme en 1792, que la république doit remplir ses engagements, ménager ses intérêts, et se procurer tous les moyens possibles de prospérité ? Sans doute nous voulons la paix ; elle nous sera aussi agréable qu’elle est nécessaire à nos ennemis ; et tout en faisant exécuter la loi du 10 thermidor dernier, qui va donner à nos armées des renforts immenses, nous ne négligeons aucun moyen politique de mettre fin, le plus promptement possible, à une guerre qui a fait des plaies si profondes à l’agriculture, au commerce, à l’humanité entière. - Mais on se tromperait étrangement, si l’on craignoit que l’ouvrage de la pacification fût entravé par l’exécution instantanée des décrets de réunion de la Belgique et du pays de Liège à la république française ; il est bien évident, au contraire, qu’il n’y a pas de voie plus courte ni plus efficace pour dérouter et pour rompre toutes les chicanes diplomatiques, pour prévenir toutes les longueurs qu’elles amènent, pour fixer et concentrer toute l’attention de nos ennemis, tant sur leurs vrais moyens de négociations avec nous, que sur le parti qu’ils ont à prendre envers d’autres puissances ; pour les faire enfin jouir promptement eux-mêmes du repos après lequel toute l’Europe soupire depuis si longtemps. Frappé de cette grande considération, votre comité de salut public s’est cru obligé d’examiner si, outre la réunion de toutes les parties de la Belgique, qui l’ont votée en grande majorité, c’est-à-dire, de la Flandre, du Tournaisis, du TEXTES CHOISIS. VIII. 17 Hainaut, du Brabant, du pays de Namur, il ne devait pas aussi vous proposer celle du Limbourg, du Luxembourg, dont les habitants n’ont pas encore été réunis en assemblées primaires, depuis que ces deux provinces, restant ce qu’on appelle les Pays-Bas autrichiens, sont au pouvoir de la république. Cette question nous a paru devoir être considérée sous deux rapports ; c’est-à-dire, premièrement, de la maison d’Autriche à la république française, ensuite de la république française aux habitants du Limbourg et du Luxembourg. Sous le premier aspect, nulle dificulté pour la réunion ; d’une part, nos traités avec la Prusse et la Hesse n’y mettent aucun obstacle ; de l’autre, nous avons déjà prouvé qu’il est pour la république française du plus pressant intérêt de n’avoir aucun point de contact avec la maison d’Autriche, et conséquemment de ne lui rendre aucune de ses possessions en-deçà du Rhin. Et d’ailleurs, quel serait le Français assez lâche pour remettre au pouvoir du plus puissant ennemi de sa patrie, cette place fameuse, la plus forte de l’Europe qui seule protège une grande partie de nos frontières, et dont le retour en nos mains est d’autant plus naturel, que c’est au génie de Vauban et à l’or de la France, autant qu’aux miracles de la nature, qu’est dû ce formidable appareil de défense qu’elle déploie à l’œil étonné du tacticien qui ose en méditer l’attaque. Sous le second aspect, la réunion devrait nécessairement être ajournée, si elle ne pouvait avoir lieu sans que les habitants du Limbourg et du Luxembourg devinssent par là même citoyens français : car, pour le devenir, il faudrait au moins qu’ils en fissent la demande, non pas comme ils l’on faite jusqu’à présent par des adresses et des pétitions, mais par des délibérations prises légalement en assemblées primaires. Mais déjà vous avez senti que, pour s’indemniser des maux et des dépenses de la plus injuste de toutes les guerres, ainsi que pour se mettre en état d’en prévenir une nouvelle par de nouveaux moyens de défense, la république française pouvait et devait, soit retenir à titre de conquête, soit acquérir par des traités, des pays qui seraient à sa convenance, sans en consulter les habitants. C’est ainsi que, par un décret formel, en restituant à une nation devenue notre plus fidèle amie, son propre territoire délivré de la présence du maître qui la tenait asservie, vous avez conservé à la république la possession incommutable de la Flandre hollandaise, de Maëstricht, de Venlo et de leurs dépendances. C’est ainsi que, par un autre décret, pour le prix de la restitution des provinces enlevées à l’Espagne par la bravoure des armées des Pyrénées, vous avez acquis à la république la partie espagnole de l’île Saint-Domingue. Ce que l’intérêt de la république vous a déterminés à faire par ces deux décrets, l’intérêt de la république exige que vous le fassiez encore relativement au Limbourg et au Luxembourg. Ainsi, sous le second aspect, comme sous le premier, nul doute que vous ne deviez réunir ces deux provinces ; ce sera ensuite au corps législatif à déterminer, d’après le vœu qui sera émis par les habitants de l’une et de l’autre, TEXTES CHOISIS. VIII. 18 l’époque à laquelle ils jouiront de la plénitude des droits de citoyens français. Représentants du peuple, votre comité de salut public vous a dit sa pensée tout entière ; il est convaincu que la justice, la politique, l’accélération de la paix, et surtout la restauration de nos finances exigent la réunion de la Belgique et du pays de Liège au territoire de la république française ; maintenent c’est à vous à prononcer. 6. Fierté française face à la fierté espagnole. Les négociations avec l’Espagne M.a.s. d’une lettre de Merlin, au nom du Comité de salut public (signatures autographes de Merlin d.d., Thuriot, Treilhard, Prieur de la Marne, Eschassériaux, Delmas, Guyton, Cochon, Richard...), aux représentants du peuple près l’armée des Pyrénées orientales, s.d. [16 vendémiaire an III-7 octobre 1794] [A.Nationales, AF III 61, dossier 243, plaquette 1, pièce 4 paris, 16 vendémiaire de l’an 3 de la Répub. franç. une et ind. Les Représentans du peuple composant le comité de salut public de la convention nationale de france, Aux Représentans du peuple près l’armée des Pyrénées orientales, Le général Dugommier3 vient de nous consulter sur une lettre de Simonin4. C’est à vous que nous devons notre opinion. Le Peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe une partie de son territoire ; mais il pèse dans sa sagesse les propositions d’un ennemi vaincu, obligé de fuir sur son propre sol. la Nation espagnole possède au suprême degré l’art de cacher ses desseins. elle est en possession de proposer et de différer pour profiter des conjonctures. pour la déjouer, il faut continuer de la battre. la terreur est dans toutes les armées des despostes coalisés. chaque jour les français se signalent par des victoires de nature à étonner l’univers. Si l’espagnol députe près de vous, développez la dignité, la grandeur et la fermeté qui conviennent à un peuple vraiment digne de la liberté. la position topographique de l’Espagne lui impose l’obligation de solliciter l’indulgence et le retour de l’amitié de la France. Son intérêt commercial le veut impérativement. un orgueil de famille lui a fait oublier ses traités et ses calculs. nos conquêtes doivent rappeler son gouvernement à un système mieux entendu. le souvenir des guerres sanglantes avec l’Angletterre, 3 . Dugommier était alors commandant en chef de l’armée française aux Pyrénées orientales. 4 . Simonin, payeur des prisonniers de guerre français en Espagne avait reçu, le 15 fructidor, une “ visite distinguée ” au cours de laquelle on lui avait fait des propositions de paix. Il en rendit compte au général Dugommier dans une lettre datée du 4e jour sans culotide de l’an II (A.Nationales, AF III 61, dossier 243, pl. 1, pièce 3). TEXTES CHOISIS. VIII. 19 le plan évident de cette nation de dominer sur la méditerranée, la crainte fondée de l’Espagne de perdre toute existence politique, si elle persévère, rendent trèsvraisemblable ce que contient la lettre de Simonin à Dugommier. la réponse à cette lettre doit être faite par le général Dugommier, et conçue en ces termes : " La France veut tout ce qui s’accorde avec son intérêt et sa dignité. " écoutes et transmets les propositions. "toute démarche doit être faite auprès des Représentans du Peuple près de l’armée que je commande. la correspondance ne peut s’engager qu’avec eux. les proncipes l’ordonnent." instruisez nous. observez bien que tout doit se passer de votre part en conférences et que c’est au comité de Salut public à poser les bases. l’intention de l’Espagne ne doit pas être connue. les dispositions offensives doivent se faire avec plus d’activité que jamais. Amis, Juliers est à nous. l’armée de Sambre et Meuse a battu les autrichiens, les Prussiens, les Hollandais et les Anglais au nombre de plus quatrevingt mille hommes. Les avantages de cette victoire sont bien supérieurs à ceux résultans de la bataille de Fleurus. Sous peu de jours, le Rhin sera notre seule barrière. la Nation n’a jamais été aussi plus grande. nous sommes avec la plus sincère cordialité, vos collègues composant le comité de salut public. Merlin d.d., Thuriot, Treilhard, Prieur de la Marne, Eschassériaux, Delmas, Guyton, Cochon, Richard... 7. Négocier avec le roi de Naples M.a.s. de Merlin, au nom du Comité de salut public (avec signatures autographes de Merlin d.d., Dubois-Crancé, Lacombe du Tarn, Laporte, Reubell, Boissy, Marec, Chazal et Fourcroy), à Lallemant, envoyé de la République française à Venise, datée du 5 germinal an III (25 mars 1795). [A.Nationales, AF III 89, dossier 381, pièce 25 Paris, 5 germinal, an 3, de la Rép. le Comité de s. p. Au citoyen Lallemant, envoyé de la Rép. fr. à Venise. Nous avons reçu hier, citoyen, ta lettre du 10 ventôse. Les détails qu’elle renferme de ton entretien avec le Résident de Naples, nous donnent lieu de croire que le gouvernement napolitain ne tardera pas à faire ses ouvertures de paix, et que probablement il les a déjà faites. Nous n’aimons pas les longueurs ni les tracasseries diplomatiques. la TEXTES CHOISIS. VIII. 20 célérité avec laquelle nous avons conclu avec la Toscane en est la preuve. toujours conséquens à ce principe, nous desirons, si le Roi de Naples veut franchement traiter avec nous, le faire promptement ; et nous t’adressons, pour le cas où tu recevrais des ouvertures véritablement officielles, des pleins pouvoirs qui t’autorisent à conclure, avec les instructions qui doivent te diriger. Nous n’avons pas besoin de te dire qu’il ne convient nullement à la dignité nationale que tu fasses les premiers pas pour annoncer que ces pouvoirs te sont parvenus. mais tu auras soin de rechercher et de saisir habilement la première occasion qui pourra se présenter pour te faire faire là dessus des questions auxquelles tu répondras de manière à ne pas compromettre ton caractère et à ne pas laisser échapper le moyen d’entrer promptement en négociation. Signé Merlin (d.d.). Dubois-Crancé. la combe (du Tarn). laporte. Reubell. Sieyes. Boissy. Marec. Chazal. Fourcroy5. 8. Les exigences de la France envers le roi de Naples M.a. de Merlin, au nom du Comité de salut public (avec signatures autographes de Merlin d.d., Dubois-Crancé, Lacombe du Tarn, Laporte, Reubell, Sieyès, Boissy, Marec, Chazal et Fourcroy). Instructions à Lallement, 5 germinal an III (25 mars 1795). [A.Nationales, AF III 89, dossier 381, pièce 27 bon à expédier. 5 germinal, an 3 de la Rép. signé Merlin (d.d.). Dubois-Crancé. Lacombe (du Tarn). Laporte. Reubell. Sieyès. Boissy. Marec. Chazal. Fourcroy.6 instructions pour le citoyen Lallement envoyé de la République française près celle de Venise, dans la mission qui lui est confiée par le Comité de Salut public pour la pacification entre la République française et le gouvernement napolitain. le citoyen Lallement fera d’abord connoître au plénipotentiaire du Roi de Naples la législation de la diplomatie française, et pour cet effet il lui mettra sous les yeux la loi du 30 ventose dernier, qui, en développant les attributions que celles des 14 frimaire et 7 fructidor de l’an 2, avoient déja données au Comité de Salut public, a fait disparoitre toutes les incertitudes qui pouvoient s’élever sur la manière de procéder dans les négociations entre la Rép. fr. et les gouvernemens étrangers. il lui fera remarquer que par cette loi, le Comité de Salut public en 5 6 . Tous les noms des personnes invitées à signer sont écrits par Merlin. . Tous les noms des personnes invitées à signer sont écrits par Merlin. TEXTES CHOISIS. VIII. 21 traitant soit par lui-même, soit par ses Agens, est autorisé à le faire de deux manières, l’une ostensible, l’autre secrette, suivant la nature des conditions et les intérêts des puissances contractantes. cette observation l’amenera naturellement à proposer un article préliminaire que le gouvernement napolitain n’aimeroit pas vraisemblablement de rendre public, et qui, par cette raison, pourra faire la matière d’une convention secrette. cet article ou plutôt cette condition sine quâ non de toute négociation, doit avoir pour objet les indemnités que la République française est en droit d’attendre du gouvernement napolitain. le citoyen Lallement fera valoir les torts du gouvernement napolitain envers la République française, la facilité que la République française a d’en tirer une vengeance éclatante, en se portant, soit sur Naples, soit sur la Sicile, soit sur l’îsle d’elbe, soit sur tous ces points à la fois ou successivement, et par conséquent l’interet qu’a le Roi de Naples de se hater d’offrir à la Rép. fr. l’indemnité qu’il lui doit pour arrêter toute hostilité de sa part. Cette indemnité, le citoyen Lallement la portera à cinq cens mille quintaux de bled de la meilleure qualité, qui seront transportés sous pavillon et sous escorte napolitaine partie dans le port de Villefranche, partie dans celui de Marseille, partie dans celui de cette et partie dans celui de Toulon ; et cela dans le mois de la ratification du traité ostensible par la Convon nale. le citoyen Lallement pourra, s’il éprouve à cet égard des difficultés qui lui paroissent insurmontables ou de nature à allonger la négociation, se relacher sur le transport du bled, et réduire l’article dont il s’agit à un engagement de la part du Roi de Naples de tenir à la disposition de la Rép. fr., dans un ou plusieurs lieux désignés de ses états, la quantité de bled dont il vient d’être parlé. il pourra aussi se relacher sur cette quantité, et la faire descendre à trois cens mille quintaux. Mais il se tiendra ferme sur cette dernière quantité, ainsi que sur le terme de la livraison, et si on lui fait à cet égard quelque objection, il répondra par l’exemple du grand duc de Toscane qui, pour obtenir la paix de la Rép. fr., a commencé par lui fournir une quantité de bled égale à celle que les Anglais nous avoient enlevées, sans sa participation et contre son gré, dans le port de Livourne. il annoncera au surplus que si cet article préliminaire n’est pas consenti dans les quinze jours qui suivront l’échange des pleins pouvoirs respectifs, la république ne s’en tiendra pas à la condition qu’il impose et qu’elle deviendra plus exigeante à mesure des retards qu’éprouvera la négociation. Voice au surplus les articles qui devront composer le traité ostensible. 1°. il y aura paix, amitié et bonne intelligence entre la République française et le Roi de Naples. 2°. en conséquence toutes hostilités cesseront et la neutralité demeurera rétablie entre les deux puissances contractantes, à compter du jour de la ratification du présent traité. 3°. le Roi de Naples renonce à tout acte d’adhésion, consentement ou TEXTES CHOISIS. VIII. 22 accession à la coalition armée contre la Rép. fr. ; et il s’engage spécialement à ne s’opposer ni directement ni indirectement aux opérations militaires de la République française dans les parties de l’italie actuellement en guerre contre elle. 4°. les français qui ont été expulsés des états du Roi de Naples seront réintégrés sans délai dans leurs possessions et établissemens de commerce ou art. tout ce qui a pu être confisqué sur eux leur sera rendu ; et il sera libre à tous négocians ou artistes français de former dans lesdits états tous les établissemens qui seront à leur convenance. 5°. les prisonniers de guerre seront rendus de part et d’autre sans répétition quelconque. 6°. il sera fait incessamment entre les deux puissances contractuelles un traité de commerce propre à étendre les relations qui existoient entre la nation française et la nation napolitaine avant la guerre, et qui dès-à-présent sont rétablies. le citoyen Lallement mettra dans cette négociation toute l’activité qui lui sera possible, et il n’oubliera jamais qu’il traite au nom d’un grand peuple dont les interêts et la dignité ne doivent être compromis en aucun cas et sous aucun prétexte. Donné à Paris, au Palais national, le 5 germinal l’an 3 de la Rép. fr. une et indiv. 9. La frontière du Rhin L.a.s. de Merlin de Douai à Merlin de Thionville, datée du 8 fructidor an III. [B. Nationale, N.A.F. 245, f° 212 Paris, le 8 fructidor, l’an 3 de la République française une et indivisible, 2 h. du matin. j’ai reçu, mon brave ami, ta lettre du 1er fructidor, et j’y ai lû avec le plus vif interêt, ainsi que mes collegues Sieyes, Boissy, etc., ce que tu m’écris de ta conférence de Basle. nous pensons tous ou presque tous comme toi sur la rive gauche du Rhin, et si le gouvernement à venir ne dévie pas de nos principes actuels, je te réponds que cette rive nous restera. mais il faut passer le Rhin et le passer bien vite. alors, il sera facile de traiter avec l’autriche ; et s’il faut sacrifier la bavière, ma foi, nous sauterons le bâton. la conservation de nos conquêtes est un assez grand avantage pour en passer par là. j’ai reçu ce soir tes deux dépêches apportées par un courier extraordinaire ; les mesures ont été prises à l’instant, et les réponses partent avec cette lettre. adieu mon ami, je t’embrasse de tout mon cœur. Eugène a besoin de différentes choses, notamment de pantalons ; je te prie de les lui faire acheter en tenant note de tes déboursés que je te remettrai. il a dû partir aujourd’hui un courier pour te porter l’acte constitutionnel. je voudrois bien que l’acceptation de l’armée du Rhin pût être annoncée bientôt TEXTES CHOISIS. VIII. 23 par une belle lettre de ta façon. ce seroit un des moyens les plus propres à déjouer les complots qui nous menacent encore. un nouveau prairial s’organise, à ce qu’on prétend ; et il y a lieu de croire que l’établissement de la constitution sera précédé de quelque nouvelle secousse. adieu encore une fois, je t’embrasse de nouveau. Merlin p.s. j’embrasse Reubell et Rivaud. 10. Le traité de Tolentino M.s. du Ministre de la Justice Merlin au général Bonaparte, datée du 11 ventôse an V er (1 mars 1797). [A.Nationales, AA 13, dossier 542 Bur. part. minute Exped. le 11 Ventôse an 5 Au Général Buonaparte Vos succès chaque jour plus rapides en italie, Général, fixent tous les regards de la politique et ouvrent une nouvelle carriere à la philosophie. les arts et les sciences réclament une foule d’objets précieux qu’ils ont crées et qui longtems détournés de leur véritable destination doivent rentrer aujourd’hui dans le domaine de la liberté source première de tout ce qu’ils offrent de beau et d’utile. Je suis chargé de mon coté par le Directoire Executif de vous inviter à faire comprendre dans les envois dont vous ordonnerez le transport en France les poinçons des caractères de langues étrangères de l’imprimerie de la propagande que Rome possède et qui forment une collection infiniment précieuse : je joins à ma lettre le mémoire présenté au Directoire sur cet objet par le Directeur de l’imprimerie de la République qui se trouve placée dans les attributions de mon Ministère ; vous savez à quel usage ces caractères ont originairement servi, et vous sentirez que les envoyer à Paris le dépôt le plus riche des connaissances humaines, c’est mettre entre les mains du Gouvernement de puissans moyens de propager les principes de la philosophie, les créations des sciences, les découvertes du Génie, et d’accélérer le développement de tout les germes de raison et de bonheur qui appartiennent à l’humanité. Je profite avec empressement de cette occasion, Général, pour unir ma voix à celle des amis de la liberté que le récit de vos victoires frappe d’admiration et pénetre de reconnaissance. vous marchez sur les traces des Guerriers de l’antiquité qui si longtems ont illustré l’italie ; mais plus heureux et plus digne d’éloges vous abattez les ennemis de votre pays, vous affermissez les fondemens de la gloire et de la prospérité, en même tems que vous portez TEXTES CHOISIS. VIII. 24 aux peuples d’inestimables bienfaits. continuez à parcourir votre honorable carriere ; les Détracteurs de la liberté essayeront encore peut etre de flétrir les lauriers dont vous êtes couvert, mais c’est le destin de la gloire de voir l’envie obstinée à la suivre ; Qu’importe les laches manœuvres et les cris injurieux au Général français dont l’armée campe aux pieds du Capitole ? il s’est préparé dans les cœurs de tous les vrais Républicains un triomphe qui ne peut plus lui être ravi, et que consacrera l’hommage de l’équitable postérité. S. et f. M