numéro 1 - Université Toulouse
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NUMÉRO 1 2016 Il Campiello – Revue électronique jeunes chercheurs d’études vénitiennes NUMERO 1 – 2016 – ISSN en cours d’attribution http://blogs.univ-tlse2.fr/il-campiello/ https://www.facebook.com/IlCampielloRivista/ Directeur de publication Fabien COLETTI Comité de rédaction Fabien COLETTI – Azzurra MAURO – Sébastien MAZOU Université Toulouse – Jean Jaurès Département d’Histoire – Section d’Italien Équipes de recherche FRAMESPA – Il Laboratorio Écoles doctorales TESC – Allph@ La revue Il Campiello et ses contenus sont distribués sous licence Creative Commons – Not Commercial – No Derivative 4.0 International. Il est donc possible de télécharger, imprimer, photocopier et distribuer la revue et ses contenus à condition d’indiquer explicitement la paternité de l’œuvre, de ne pas l’utiliser à des fins commerciales et de ne pas la modifier. INTRODUCTION Introduction Le projet du Campiello plonge ses racines dans une journée d’étude organisée à l’université Toulouse – Jean Jaurès le 13 mai 2014 sous le titre Moyen-Âge finissant ou première modernité ? Contrôles et pouvoirs dans les espaces méridionaux, XV-XVIe siècles, fruit d’une collaboration entre des doctorants du département d’Histoire et de la section d’Italien. En l’absence de publication d’Actes, certains de ces doctorants ont souhaité poursuivre ce travail en commun qui s’était révélé riche et stimulant, en réduisant le domaine géographique exploré à Venise et son Etat – puis sa région – et en élargissant les périodes prises en considération pour s’étendre, idéalement, de l’antiquité à la plus immédiate modernité. Notre projet a été renforcé par les nombreuses rencontres faites lors de nos recherches à Venise même avec des jeunes chercheurs, de l’Archivio di Stato à la Marciana en passant par les bibliothèques universitaires, la Fondazione Querini Stampalia ou encore la Fondazione Cini. En effet, si les revues spécialisées dans l’Histoire ou la littérature vénitiennes ne manquent pas, aucune n’est spécifiquement conçue pour accueillir les travaux des doctorants, jeunes docteurs ou étudiants de Master qui fourbissent leurs armes à l’ombre de la Sérénissime. Ce Campiello pour jeunes chercheurs, à l’écart du plus large Campo de la recherche institutionnelle, veut donc être avant tout un lieu d’échanges et d’expérimentation pour dépasser nos fréquentes conversations informelles et contribuer ensemble au développement des études vénitiennes de demain. Les trois sections qui rythment le Campiello - littéraire, historique et historico-littéraire - s’inscrivent dans une démarche d’échange et de dialogue, débouchant sur une approche pluridisciplinaire. Ce choix naît d’une réflexion d’ordre méthodologique qui tire ses racines des récents travaux de Judith Lyon-Caen, Dinah Ribard, Antoine Lilti et Ivan Jablonka, entre autres. En montrant l’importance du texte littéraire et de son intervention dans le monde social et politique, ces études ont insisté sur la fluidité des bornes entre ces disciplines, tout en conservant leur spécificité. Par ailleurs, les études littéraires se sont toujours nourries du travail historique afin Introduction 5 d’enrichir la compréhension des textes. C’est pourquoi nous avons décidé de favoriser ce dialogue entre deux « disciplines voisines », histoire et littérature, tout en gardant la particularité de chacune en deux sections distinguées. Nous vous proposons ici un aperçu des contributions sélectionnées pour ce premier numéro. Section Histoire Alexandra Laliberté montre comment, à l’époque moderne, la République de Venise se situe à l’avant-garde de la lutte européenne contre les Ottomans en Méditerranée. Cela fait d’elle un interlocuteur privilégié pour les populations de l’Empire ottoman cherchant à s’émanciper, à l’instar des Grecs d’Epire et du Magne. Cependant les intérêts vénitiens et grecs divergent, la Sérénissime cherche avant tout à sauvegarder ses avantages commerciaux et rechigne à l’affrontement direct avec les Turcs et des Hellènes. La méfiance réciproque existante entre Vénitiens et Grecs rend toute collaboration difficile à instaurer malgré les rapports des représentants de la République qui soulignent l’intérêt d’une alliance avec les populations d’Epire et du Magne. Jérémy Fournet reste lui aussi dans les possessions maritimes vénitiennes. La conquête de la Crète par la République de Venise à la suite de la Quatrième croisade offre à cette dernière une base stratégique en Méditerranée orientale et une colonie d’exploitation. L’île se distingue des autres territoires du Stato da Mar par un processus de colonisation mis en place par la République. Néanmoins plusieurs problèmes se posent au gouvernement vénitien : d’abord les manquements de ses représentants et surtout les nombreuses révoltes de la population crétoise qui refuse de se plier à la domination vénitienne. Section Littérature Il semblait inévitable que, pour le premier numéro d’une revue jeunes chercheurs, la section Littérature soit en grande partie consacrée à l’un des aspects qui ont le plus marqué les dernières décennies d’études vénitiennes : la place accordée – ou, plutôt, conquise – par les voix 6 Il Campiello – n° 1 féminines au sein de la république des Lettres de la Sérénissime. Ainsi Valentina Manca, après être revenue sur le débat autour de la respectabilité de la poétesse et courtisane Veronica Franco (1546-1591) tel qu’il fut énoncé au XIXe et au XXe siècles, s’attarde sur le rôle social des hétaïres de la Renaissance et sur l’ambiguité avec laquelle ce rôle était perçu par leurs contemporains. Cette mise au point est le terrain sur lequel se développe son analyse des stratégies rhétoriques mises en place par Veronica Franco dans ses Terze Rime, oscillant etre séduction et affirmation de son caractère. Un parcours poétique qui permet ensuite à la poétesse de pleinement se présenter dans son recueil épistolaire comme une femme de Lettres, légitimant ainsi la rupture du silence imposé au genre féminin dans son ensemble. Comme l’on sait, il faut attendre le XVIIIe siècle pour retrouver à Venise un espace où puisse s’exprimer d’une manière large un protagonisme culturel féminin. Claudio Chiancone reconstruit le parcours d’une actrice oubliée de la vie littéraire du XVIIIe siècle, Fiorenza Ravagnin (1712-1796). Issue d’une famille récemment intégrée au patriciat vénitien, elle devient très jeune l’épouse, mais surtout tout aussi rapidement la veuve, de l’érudit Giambattista Recanati. Héritière d’une partie des livres de celui-ci, elle se transforme en agent commercial et s’associe à des entreprises éditoriales de prestige, jusqu’à devenir un mécène reconnu. Elle épouse en secondes noces le collectionneur Pietro Vendramin, avec qui elle a deux enfants. Cette alliance avec l’une des plus grandes familles de la République favorise son rapprochement avec les milieux de Lumières qui culmine avec sa souscription au Corriere letterario, anthologie de journaux et de textes progressistes. Elle décède au moment même où la Sérénissime République vit ses derniers moments. Soumise par Napoléon puis par le pouvoir autrichien, Venise serait alors cette ville morte que les futuristes vouent aux gémonies au début du XXe siècle. C’est pourtant un Marinetti (1876-1944) surprenant que nous dévoile Juliette Le Gall, dans un article qui explore la représentation littéraire de l’espace vénitien dans les œuvres du fondateur du futurisme et dans celles du poète symboliste Henri de Régnier (1864-1936). Un espace fractionné, dépourvu de centre de gravité, dans lequel l’irruption de la musicalité maintient la perception entre songe et réalité. Introduction 7 Section Mixte La figure féminine fait également l’objet de l’un de deux articles de la section historico-littéraire. En explorant le débat sur la position de la femme au XVIIe siècle, à partir de la célèbre Accademia degli Incogniti, Massimiliano Simone se penche sur des portraits d’héroïnes issues de l’histoire ancienne qui sont réalisés dans la Venise du Seicento. Tout au long de son étude, Simone ne cesse d’analyser le rôle et la valeur de femme, avec toutes ses ambigüités, chez les écrivains et les artistes au sein des Incogniti : à la double perspective historique et littéraire s’intègre également une réflexion sur les influences réciproques entre arts et littérature. La littérature comme objet de l’histoire émerge bien dans le deuxième article publié dans la section mixte. Par le biais du poète bergamasque Guidotto Prestinari, Stefano Pezzè nous ramène dans la Milan des Sforza, ramification extrême de la Serenissima entre XVe et XVIe siècles. Pezzè analyse douze textes de Prestinari tirés du Canzoniere, dont la nature politique et encomiastique permet d’éclairer le contexte historique de l’époque des premières Guerres d’Italie. Le corpus étudié montre bel et bien la condition d’un poète-sujet à la Serenissima « dans une position géographique de frontière ». Enfin, dans la section Recensions sont regroupés les compte-rendus que Il Campiello a eu le plaisir de publier au cours de l’année 2015, un travail de veille scientifique qui cherche à signaler huit ouvrages particulièrement notables publiés lors des deux dernières années. Nous vous souhaitons une excellente lecture de ce premier numéro, et nous attelons sans tarder à la réalisation du deuxième, à laquelle nous invitons bien sûr les jeunes chercheurs d’études vénitiennes à participer. Fabien COLETTI (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università degli Studi di Padova). Azzurra MAURO (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università degli Studi di Genova). Sébastien MAZOU (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università Ca’ Foscari Venezia). Introduzione Il progetto del Campiello nasce da una giornata di studi organizzata all’università di Toulouse – Jean Jaurès il 13 maggio 2014 e intitolata MoyenÂge finissant ou première modernité ? Contrôles et pouvoirs dans les espaces méridionaux, XV-XVIe siècles, frutto di una collaborazione fra dottorandi del dipartimento di Storia e della sezione d’Italianistica di quell’università. Di questa giornata non furono pubblicati gli atti, ma alcuni dei dottorandi coinvolti decisero di proseguire questo lavoro in comune rivelatosi ricco e stimolante. La scelta fu di ridurre l’area geografica sottoposta a inchiesta a Venezia e al suo Stato – poi alla sua regione – allargando nello stesso tempo i periodi presi in considerazione, che idealmente dovranno spaziare dall’Antichità alla più incalzante contemporaneità. Il nostro progetto è stato incoraggiato dai numerosi incontri con giovani ricercatori svoltisi durante le nostre ricerche a Venezia, dall’Archivio di Stato alla Marciana, dalle biblioteche universitarie alla Querini e alla Cini. Se non mancano, infatti, riviste specializzate nella Storia o nella letteratura veneziana o veneta, nessuna è specificamente concepita per accogliere il lavoro di dottorandi, giovani dottori di ricerca o anche studenti di magistrale che stanno forbendo le proprie armi all’ombra della Serenissima. Questo Campiello per giovani ricercatori, che si stende a qualche passo dal più largo campo della ricerca istituzionale, intende quindi prima di tutto essere un luogo di scambi e di sperimentazione per andare oltre le nostre frequenti discussioni informali e contribuire insieme allo sviluppo degli studi veneziani di domani. Le tre sezioni che ritmano il Campiello - letteraria, storica, storicoletteraria - s’iscrivono in una pratica di scambio e di dialogo, aprendosi su una prospettiva pluridisciplinare. Questa scelta nasce da una riflessione di natura metodologica che affonda le radici nei recenti lavori di Judith LyonCaen, Dinah Ribard, Antoine Lilti e Ivan Jablonka, per citare qualche esempio. Dimostrando l’importanza del testo letterario e della sua iscrizione nel mondo sociale e politico, questi studi hanno insistito sulla fluidità dei confini tra queste discipline, eppure conservandone la loro specificità. Peraltro gli studi letterari si nutrono da sempre del lavoro storico per Introduzione 9 arricchire la comprensione stessa dei testi. Ecco perché abbiamo scelto di sperimentare questo dialogo tra « discipline vicine », storia e letteratura, preservando comunque la peculiarità di ciascuna di esse in due sezioni distinte. Vi proponiamo qui un panorama dei contributi che abbiamo selezionato per questo primo numero. Sezione Storia Alexandra Laliberté mostra quanto, in epoca moderna, la repubblica di Venezia si situi all’avanguardia della lotta europea contro gli Ottomani nel Mediterraneo. Diventa così un interlocutore di primo piano per le popolazioni che cercano di emanciparsi dalla tutela dell’Impero ottomano, come i greci d’Epiro e di Maina. Tuttavia gli interessi veneziani e greci divergono: la Serenissima desidera prima di tutto la salvaguardia dei propri vantaggi commerciali ed è restia ad affrontare direttamente i Turchi e gli Elleni. La sfiducia reciproca fra Veneziani e Greci rende difficile avviare qualsiasi collaborazione malgrado i rapporti dei rappresentanti della Repubblica che sottolineano l’interesse di un’alleanza con le popolazioni d’Epiro e di Maina. Anche Jérémy Fournet dedica un saggio alle possessioni marittime veneziane. La conquista della Creta da parte della repubblica di Venezia dopo la quarta crociata offre a quest’ultima una base strategica nel Mediterraneo orientale e una colonia da sfruttare. L’isola si distingue dagli altri territori dello Stato da Mar da un processo di colonizzazione attuato dalla Repubblica. Ma il governo veneziano deve fronteggiare più problemi: gli errori dei propri rappresentati così come le numerose ribellioni della popolazione che rifiusta di sottomettersi alla dominazione veneziana. Sezione Letteratura Sembrava inevitabile che, per il primo numero di una rivista di giovani ricercatori, la sezione Letteratura sia in gran parte dedicata ad uno degli aspetti che più hanno segnato gli ultimi decenni di studi veneziani: lo spazio accordato alle – anzi, conquistato dalle – voci femminili nella repubblica delle Lettere veneziane. Così Valentina Manca, dopo essere 10 Il Campiello – n° 1 tornata sul dibattito attorno alla rispettabilità della poetessa e cortigiana Veronica Franco (1546-1591) nel modo in cui fu affrontato nell’Otto e nel Novecento, analizza il ruolo sociale delle etere rinascimentali e l’ambiguità con la quale era percepito dai loro contemporanei. È questo il quadro in cui la ricercatrice sviluppa il suo studio delle strategie retoriche attuate da Veronica Franco nelle sue Terze Rime, che oscillano fra seduzione e affermazione del proprio carattere. Un percorso poetico che autorizza poi la poetessa a presentarsi pienamente nella sua raccolta epistolare come una letterata, giungendo così a legittimare la rottura del silenzio imposto all’insieme delle donne. Bisogna aspettare il Settecento, come si sa, per ritrovare a Venezia uno spazio dove si possa esprimere un protagonismo culturale femminile. Claudio Chiancone ricostruisce il percorso di un’esponente dimenticata della vita letteraria del secolo XVIII, Fiorenza Ravagnin (1712-1796). Figlia di una famiglia integrata di recente nel patriziato veneziano, diventa molto giovane la moglie, ma altrettanto presto la vedova, dell’erudito Giambattista Recanati. Erede di una parte dei suoi libri, si trasforma in agente commerciale e si associa ad impresi editoriali di prestigio, fino a diventare una mecenate riconosciuta. Sposa in seconde nozze il collezionista Pietro Vendramin, col quale ha due figli. Quest’alleanza con una delle famiglie più importanti della Repubblica dà un ulteriore slancio al suo avvicinamento agli ambiente illuministi, che raggiunge il suo apice con la sua sottoscrizione al Corriere letterario, antologia di giornali e testi progresisti. Muore nei mesi in cui la Serenissima Repubblica vive i suoi ultimi momenti. Sottomessa da Napoleone e dal potere austriaco, Venezia sarebbe allora solo quella città morta vituperata dai futuristi all’inizio del Novecento. Juliette Le Gall ci svela però un sorprendente Marinetti (1876-1944), in un articolo che esplora la rappresentazione letteraria dello spazio veneziano nelle opere del fondatore del futurismo e in quelle del poeta simbolista francese Henri de Régnier (1864-1936). Uno spazio diviso, privo di un centro di gravità, nel quale l’irruzione della musicalità mantiene la percezione fra sogno e realtà. Introduzione 11 Sezione Mista La figura femminile è anche oggetto del primo dei due articoli della sezione storico-letteraria. Esplorando il dibattito sulla posizione delle donna nel XVII° secolo, partendo dalla celebre Accademia degli Incogniti, Massimiliano Simone si focalizza su dei ritratti di eroine della storia antica realizzati nella Venezia del Seicento. Lungo tutto il suo contributo Simone non cessa di analizzare il ruolo e il valore della donna, con tutte le sue ambiguità, in scrittori e artisti gravitanti attorno agli Incogniti. Alla doppia prospettiva storico-letteraria viene pure integrata una riflessione sulle reciproche influenze tra arti e letteratura. La letteratura come oggetto della storia emerge nel secondo articolo pubblicato nella sezione mista. Attraverso il poeta bergamasco Guidotto Prestinari, Stefano Pezzè ci conduce nella Milano degli Sforza, estrema ramificazione della Serenissima tra i secoli XV e XVI. Pezzè analizza dodici testi di Prestinari estrapolati dal Canzoniere, la cui natura politica ed encomiastica permette di illuminare il contesto storico dell’epoca delle prime Guerre d’Italia. Il corpus preso in esame analizza effettivamente la condizione di un poeta-suddito della Serenissima in una « posizione geografica di frontiera ». Infine vengono radunate in una sezione a parte tutte le recensioni che Il Campiello ha avuto il piacere di pubblicare nel 2015, che segnalano otto monografie di grande interesse pubblicate negli ultimi due anni. Vi auguriamo una buona lettura di questo primo numero, mentre da parte nostra ci accingiamo alla realizzazione del numero 2; invitiamo senz’altro i giovani ricercatori di studi veneziani a parteciparvi. Fabien COLETTI (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università degli Studi di Padova). Azzurra MAURO (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università degli Studi di Genova). Sébastien MAZOU (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università Ca’ Foscari Venezia). SECTION MIXTE Stefano Pezzè Tra il Leone e la Vipera. Guidotto Prestinari, poeta di confine Premessa filologica Nel corso del presente contributo verranno proposti dodici testi di Guidotto Prestinari. Per quanto riguarda la tradizione alcuni ragguagli seguiranno nel testo, ma è bene specificare fin da subito che, disponendo di un'unica attestazione manoscritta in parte idiografa e in parte autografa, l’edizione si basa esclusivamente su quest’unico importante testimone. In merito ai criteri ecdotici adottati, la destinazione del saggio mi ha spinto a muovermi in controtendenza rispetto alla propensione attuale, fortemente conservativa, preferendo invece privilegiare una maggior facilità di lettura (segue la stessa logica l’esclusione di un apparato, e alla discussione dell’unico intervento notevole sono dedicate le ultime righe di questa premessa); in linea di massima mi sono attenuto alla sempre valida Nota sulla grafia posta da Pier Vincenzo Mengaldo alla fine della sua edizione delle Opere volgari di Boiardo (Bari, Laterza, 1962, pp. 456-477) e a quella di Paolo Bongrani nell’edizione dei Canzonieri di Gaspare Ambrogio Visconti (Milano, Il Saggiatore, 1979, pp. C-CXIV). Nel dettaglio: 1) Elimino i dittonghi alla latina ae e oe; 2) Ammoderno a i il cultismo y; 3) Ammoderno il grafema j, ricorrente solo nei plurali delle parole in -io, rendendo -ij in -ii; 4) Distinguo u da v secondo l’uso moderno; 5) Elimino la h etimologica e pseudoetimologica (presente in massima parte in hor e composti); 6) Ammoderno i digrammi ch (troncha), ph (phenice) e th (thesoro); 7) Conservo x etimologica (extolle, influxo); 8) Conservo ct (victoria, extincto); 14 Il Campiello – n° 1 9) Rendo il latinismo -ti- con -zi- (precipitio>precipizio), e allo stesso modo tratto -entia (prudentia>prudenzia); 10) Mantengo i nessi -pt- (Neptuno), -dv- (advien), -bd- (subditi) e -nstr(monstri); 11) Mantengo i prefissi alla latina con- (constante) e trans- (transportasse); 12) Mantengo et e ad davanti a vocale; 13) Trascrivo chel e sel come ch’el e s’el (se pron. soggetto) e che ’l e se ’l (se articolo o pron. oggetto); 14) Riordino le maiuscole secondo l’uso moderno, oltre ad impiegarle per i termini con valore metaforico evidentemente antonomastico (Moro, Leon); 15) Trascrivo perché e poiché (con valore causale) e per che (con valore consecutivo) e poi che (con valore temporale). Nel quadro della poesia settentrionale a cavallo tra Quattro e Cinquecento, le voci in qualche modo rilevanti che ci sono arrivate sono effettivamente poche. Il bergamasco Guidotto Prestinari (1455-1527)1 non rientra certo in questo novero, e tuttavia la lettura delle sue rime traballanti, Decisamente carente la bibliografia dedicata al poeta: se ne occuparono per primi Carlo Lochis (C. LOCHIS, Guidotto Prestinari e di un codice delle sue poesie, «Bergamo o sia notizie patrie. Almanacco scientifico-artistico-letterario», LXXIII (1887), pp. 1-66), che riportò (interi o a stralci, in edizione diplomatica) un buon numero di testi prestinariani, tra i quali anche pressoché tutti quelli editi in questa sede, ed Elia Zerbini (E. ZERBINI, Di Guidotto Prestinari, «Giornale storico della letteratura italiana», XI (1888), pp. 475-477), che contribuì a definire gli estremi cronologici e diede qualche notizia biografica; su Guidotto cadde poi un silenzio critico di quasi un secolo, finché non se ne occupò Giorgio Dilemmi in un articolo del 1976 (G. DILEMMI, Le rime di Guidotto Prestinari, «Studi di filologia italiana», 34 (1976), pp. 187248, ora confluito in G. DILEMMI, Dalle corti al Bembo, Bologna, Clueb, 2000), il primo studio filologicamente rigoroso dedicato al poeta, corredato di un utile incipitario (la cui numerazione si segue in questo studio) e dell’edizione di alcuni testi, e in un più recente contributo (G. DILEMMI, Agli antipodi del Canzoniere: le Rime di Guidotto Prestinari, Varia struttura di un libro d’autore, in «Liber», «fragmenta», «libellus» prima e dopo Petrarca, a c. di F. Lo Monaco, L. C. Rossi, N. Scaffai, Firenze, Sismel - Edizioni del Galluzzo, 2006) che studia la strutturazione interna del manoscritto. 1 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 15 confinate in «una tradizione non certo massiccia o tentacolare»,2 ha il pregio di calare il lettore odierno nel drammatico scenario in cui il loro autore si trovò a barcamenarsi: vale a dire essere abitante di una città posta a due passi dalla Milano sforzesca (e in seguito francese) che tuttavia rappresenta l’estrema propaggine orientale della Serenissima, e tutto ciò nel contesto storico delle prime Guerre d’Italia. Nel canzoniere idiografo e autografo conservato alla Biblioteca dell’Accademia Carrara di Bergamo (scatola 59, fasc. 536, precedentemente Cartella X, fasc. 2), unico collettore significativo di rime di Prestinari,3 c’è di tutto, com’era prassi nei poeti occasionali a quest’altezza cronologica: testi di natura amorosa, ma anche storici, politici, filosofici, encomiastici, funerari, religiosi, burleschi e di invettiva. Alla diffrazione tematica si accompagna, prevedibilmente, anche una generale disorganicità del macrotesto, in cui sembra di poter riconoscere il disegno di «un compatto tessuto amoroso»4 solo fino al son. 26 (su un totale di 174 testi più 9 di corrispondenti), dopo di che il risultato è una messe inarticolata di testi della natura più varia, con la rara comparsa di brevi sequenze coerenti, di solito riconoscibili attraverso un nutrito numero di connessioni intertestuali. In sostanza, Guidotto aveva verosimilmente accarezzato l’idea di condensare la propria esperienza lirica in un canzoniere sul modello petrarchesco, ma per qualche motivo l’operazione (per quanto possiamo sapere allo stato attuale delle cose) è rimasta allo stadio iniziale, e quella che ci è arrivata non è che una semplice raccolta di rime, o poco più. Al di là di questo, comunque, si diceva che quanto importa in questa sede è principalmente reperire lacerti di un contesto storico-geografico al limite; per questo motivo, l’antologia di testi che propongo interessa esclusivamente componimenti di natura storica, politica ed encomiastica. Volendo cominciare secondo un criterio cronologico, sarà bene partire dagli anni che precedono la caduta del Moro, nei quali Guidotto parrebbe legato principalmente alla corte sforzesca: lo testimoniano i testi di corrispondenza indirizzati a membri di detta corte, quali Gaspare Ambrogio Visconti, di cui DILEMMI, Le rime cit., p. 99. Per una recensio accurata si veda ivi, pp. 101-120. 4 DILEMMI, Agli antipodi cit., p. 241. 2 3 16 Il Campiello – n° 1 fu anche maestro e coautore di un affettuoso scambio epistolare (63-64, poi incluso anche da Gaspare Ambrogio nel suo personale canzoniere),5 e Antonio Fileremo Fregoso, destinatario di un sonetto tardivo (172) in occasione della pubblicazione della Cerva bianca (1510). Il rapporto che lega Guidotto a Milano, non certo disinteressato, è documentato in una coppia di sonetti encomiastici (32 e 48) dedicati a Ermes Sforza e allo stesso Ludovico. Il primo, che ha come oggetto appunto il secondogenito (1470-1503) del defunto Galeazzo Maria, parrebbe fondarsi su un genuino sentimento di ottimismo nei riguardi del promettente rampollo della casata; di difficile datazione, si potrebbe intendere nel v. 11 una stoccata nei confronti del volgarizzamento landiniano (stampato, col titolo di Sforziada, da Antonio Zarotto nel 1490) dei Commentarii rerum gestarum Francisci Sfortiae di Giovanni Simonetta, già circolanti grazie alle due edizioni degli anni Ottanta (sempre per Zarotto, 1481-82 e 1486). In questo senso disporremmo se non altro di un terminus post quem, con quello ante quem facilmente situabile al 1494, anno della morte di Gian Galeazzo e della definitiva presa di potere dello zio Ludovico: in pratica, il sonetto andrebbe collocato nel quinquennio 1490-94. Se invece Guidotto avesse genericamente inteso il «vulgar» come un ipotetico termine di paragone peggiorativo, la forbice andrebbe di conseguenza allargata fino a comprendere anche il decennio precedente. 32 Al illustre Ermes Sforza Sì furon le radici al stabil ferme, ch’ancor vivendo sotto a verde scorza rinova qual fenice il magior Sforza, e pululando cresce il claro germe. Questa casa real non fia più inerme, ché di gloria e valor più ognor s’inforza; GASPARO VISCONTI, I Canzonieri per Beatrice d’Este e per Bianca Maria Sforza, ed. critica a c. di P. Bongrani, Milano, Il Saggiatore, Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, 1979, CXXVII-CXXXIII, pp. 93-98. 5 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 17 nè fia mai spenta lucida sua torza, ma ascende di virtù sin al ciel Erme. Goda, sì, goda quel divin Francisco, cui trionfo si canta in mille carte, non con vulgar, ma con stil alto e prisco; ché per costui s’extolle in ogni parte e si risviglia il gran stuolo sforcisco, cui sol bel nome altiero accende Marte. All’insistito riferimento al capostipite della dinastia fa da contraltare la totale assenza del nome di Ludovico, che pure di Francesco I era figlio, e che pure dal 1480 deteneva il potere de facto alle spalle del giovane Gian Galeazzo. Quanto il Moro fosse inviso a Guidotto sarà chiarissimo nei testi che seguiranno cronologicamente la sua caduta, ma che il rapporto non fosse amichevole si può dedurre anche dal sonetto che il bergamasco non poté esimersi dal confezionare in occasione della presa di potere di Ludovico (stavolta de iure) nel 1494: 48 A lo illustre Moro, Guidotto Prestinari Or sei pur gionto al destinato scanno che da’ primi anni ti predisse Sforza; et ora il Moro altier rinova scorza al fruttar più felice e fertil anno. Prosperi e venti a ben in meglio vanno, e ’l legno in alto mar più ognor s’inforza, dritto senza alternar poggia con orza, sicuro di Fortuna e d’ogni affanno. Adonque, mentre sei destro su l’ale, 18 Il Campiello – n° 1 segui il tuo buon destino, e qui memoria trionfal restarà di te immortale, ché di qualunque impresa alta victoria reportar dei, ché d’ordine fatale propizio il Ciel ti chiama a magior gloria. Poco più di un ossequio, apparentemente, e dall’insistito riferimento al fato (destinato, buon destino, ordine fatale) parrebbe che Guidotto più che gioire dell’evento se ne voglia fare una ragione. Nella fronte si presenta Ludovico nel suo nuovo ruolo con una metafora vegetale (il moro è il gelso) diffusa nei poeti di quella corte (cfr. p.e. VISCONTI, Pasitea, 23-24 «sotto un Moro a l’ombra/che di sua fama tutto il mondo ingombra» o BELLINCIONI, Ripresentazione di Pavia, 6, 8 «di manna un boticel sotto a un Moro») e si fa riferimento alle circostanze politiche contemporanee («a ben in meglio vanno»: forse si allude alla coincidenza favorevole tra l’alleanza con Carlo VIII e la morte di Gian Galeazzo in poco più di un mese); la sirma invece è deputata - in modo abbastanza didascalico - ad augurare al Moro il miglior governo possibile. Da notare l’impiego in entrambi i sonetti della rima in orza, con ben tre parole-rima in comune (scorza : Sforza : inforza), peraltro già petrarchesche (RVF 278), coincidenza comunque imputabile più ad un repertorio metrico tendenzialmente povero che a una precisa scelta di natura stilistica. Un moto di orgoglio, per la verità, traspare in modo abbastanza evidente in un sonetto tronco (72) scritto in seguito alla battaglia di Fornovo (1495): 72 Guidotto Prestinari, 1495 Ecco ch’el Gal gridar non s’ode più, ch’ensuperbito già tal mossa fé; or spenachiato d’ale e coda c’è, Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 19 e la gran voce gli è caduta giù. Non so se al rivolar sì l’ale su seran come fu in giù veloce il pè; il lui subito gir tal esser dé qual temerario ardir di Xerse fu. Dal italico ardor fuger non può, ché svigliarassi, anci svigliato è già novo Camillo, antico flagel suo. Chi senza freno scorre, e ben non ha risguardo fermo a ciò che seguir può, nel proprio lazo alfin gabato va. L’entusiasmo di Guidotto per la vittoria conseguita sul Gal dalla lega costituita da Milano e Venezia, comunque, doveva principalmente derivare, più che dalla compresenza di Ludovico, dall’ingresso in campo della Serenissima, il novo Camillo del v. 11 (Marco Furio Camillo, che sconfisse i Galli dopo il sacco di Roma del 390 a.C.). Rimarchevole, comunque, il riferimento all’italico ardor, sentimento non comune in un momento storico in cui le forze interne della penisola entravano spesso in conflitto tra loro. Proprio per questo, in effetti, era necessario optare per una potenza in cui riporre la propria lealtà, e alla definitiva scelta di Venezia sono dedicati quattro sonetti posti in posizione immediatamente successiva a quello appena riportato (76-77-80-81), solo uno (80) dei quali riporta in rubrica un’indicazione temporale; in ogni caso, l’intero gruppo pare ascrivibile al periodo del secondo conflitto, quando si ribaltarono le alleanze e Venezia fornì supporto al nuovo sovrano francese Luigi XII per porre fine alla dominazione sforzesca. 20 76 G. P. Driza il gran Gallo l’alta cresta or su, e con gran voce gallizando va; e tremebondo in sé racolto sta il fiero Serpe, che non fischia più, ma con il capo chino a terra giù, l’orechie agucia atento: a ciò si fa ch’altro reffugio al suo languir non ha ch’en pensar qual sarà, qual è, qual fu. Or, se una parte di la coda gli è tronca dal Gallo sol col grido suo, senza in lui mover pur sol ala o pè, che serà se ’l Leon, che tanto può, stende sue forze contra? Certo cre’, non li fia tempo dir nè sì nè no. 77 G. P. Il Leon, ripossato, or pur si desta dal longo sonno, e fieramente rugge, ché pargli ormai ch’el ferir tropo indugge squassando l’ale e la lanosa testa; e le gran branche adunche e ’l morso asesta, tal che tremando il squalido Angue lugge, e fischiando a sé stesso il sangue sugge, ché ’l mondo, la Fortuna e ’l Ciel l’infesta. Il Campiello – n° 1 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine Memore l’alto Re del tempo aretro, tanta superbia più non vol su saglia, donde l’expulse già giù al loco tetro, ma vòl che contra lui san Marco or vaglia: et a tal fin n’advien chi fuor di metro s’extolle, e nulla par d’altrui gli caglia. 80 G. P. nel ritorno dil Moro a Milano Tronco di coda, il lubrico Colubro sgombrò qual stral scocato di balestra, sé nascondendo in una tomba alpestra per ristorar il caso suo lugubro. Or, ritornato al bel paese insubro, scorre qual caval sciolto di capestra; se gli fia puoi, non so, Fortuna destra o come a Pharaon già nel mar Rubro; cre’ che la cieca sol gli ha aperto il passo, mostrandogli a l’entrar esser propizia per farlo al fin di coda e capo casso, ché vol, come fe’ già l’alta iustizia, precipite getarlo ancor giù al basso, ché intorno di venen l’aer avizia. 21 22 Il Campiello – n° 1 81 G. P. Svigliasi a l’arme il furibondo Marte, e giù da l’alto suo soggiorno piomba, e l’orribil suo strido ormai ribomba a la bataglia quinci in ogni parte; e ’l fabro scicilian mai non si parte, con fier ministri suoi, da l’atra tomba, ma par più ognor che a la focina incomba, ’doprando a far sagette ingegno et arte. Bolle la terra e ’l mar a varco a varco, e Bellona s’accinge ad aspra guerra l’atroce spada, il scudo, e’ strali e l’arco; e tutto ciò commove il Ciel in Terra solo per che si facia al fin san Marco trionfator di quanto Italia serra. Il primo sonetto, di cui va rilevata - come per il precedente - la particolarità di essere tronco,6 riprende anche la metafora animale del Gal, qui estendendola anche agli altri due attori della scena bellica: il fiero Serpe Ludovico, per la vipera viscontea mantenuta sullo stemma sforzesco, e il Leon di san Marco. Il testo parrebbe alludere alla precipitosa fuga verso Innsbruck del duca in seguito alla caduta di Milano (settembre 1499). Il La sperimentazione metrica è uno degli elementi più interessanti del manoscritto che ci è pervenuto: per un totale di 174 componimenti ci sono 8 sonetti caudati, 12 tronchi e 15 sdruccioli, cui vanno aggiunti due capitoli pastorali sdruccioli di discreta estensione (144 di 208 versi e 156 di 130). 6 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 23 dileggio di Guidotto è qui evidentemente sfrontato, visto che non solo si limita a far riferimento alla facilità con cui i Francesi hanno costretto il duca a battere in ritirata («senza in lui mover pur sol ala o pè»), ma aggiunge pure che un potenziale intervento veneziano non gli lascerebbe scampo («non li fia in tempo dir nè sì, nè no») qualora dovesse decidere di rientrare nel conflitto; premonizione, del resto, che puntualmente si avverò l’anno successivo. Lo stesso Leone è protagonista del sonetto successivo, nel quale è ritratto come principale antagonista del Serpente, che da fiero è qui degradato a squalido. Il testo costituisce la naturale prosecuzione del precedente, in cui l’intervento veneziano era solo auspicato; qui, al contrario, la Serenissima dispiega il proprio potere militare contro lo Sforza («fieramente rugge», di petrarchesca memoria: cfr. RVF 256, 7 «e ’n sul cor quasi fiero leon rugge»), che ormai ha perso ogni supporto («ché ’l mondo, la Fortuna e ’l Ciel l’infesta»): da notare come Fortuna e Ciel fossero parole-chiave anche nel già visto sonetto 48, rispetto al quale - a questo punto - è mutato ogni buon proposito. A sancire poi il disprezzo dell’autore interviene, nella prima terzina, addirittura il riferimento biblico (Gen. 3, 14-15) al serpente cacciato al «loco tetro» (stavolta con dantismo, cfr. If. VII, 31 e le stesse rime a retro : tetro : metro). Il terzo sonetto della corona, agevolmente databile ai primi mesi del 1500 grazie alla rubrica, affronta il brevissimo recupero della città da parte del Moro, miseramente fallito il 10 aprile quando venne fatto prigioniero dai francesi a Novara. Guidotto recupera l’immagine del serpente «tronco di coda» già impiegata nel son. 76 (vv. 9-10: «coda […] tronca»), quando Ludovico era stato costretto alla fuga in Austria (la «valle alpestra») dalla calata di Luigi XII. Allo stesso modo, si vede come viene ripresentato il trittico del testo precedente mondo-Fortuna-Ciel, sempre nella sirma: la Fortuna è «la cieca» che ha reso apparentemente agevole il rientro del duca a Milano, ma solo «per farlo alfin di coda e capo casso», ossia per finirlo, 24 Il Campiello – n° 1 compito che a quanto pare spetterebbe a Venezia (76, 12-13: «che serà se ’l Leon, che tanto può/stende sue forze contra?»); il Ciel è l’«l’alta iustitia» di Dio («l’alto Re» di 77, 9), la spinta provvidenziale verso la definitiva caduta del Moro, che di nuovo (77, 11: «donde l’expulse già giù al loco tetro») rigetta la superbia di Ludovico, e si adopera per «precipite getarlo ancor giù al basso»; il mondo, infine, è nell’explicit, ed è reso malsano dalla presenza del duca, che «di venen l’aer avizia». Rilevante, poi, come al rimando biblico della cacciata del serpente se ne vada ad aggiungere qui un altro, ossia l’episodio del mar Rosso che si richiude sull’esercito egiziano (Es. 14, 26-28); ma già Dilemmi, a questo proposito, aveva notato come in Prestinari «i testi biblici ed evangelici si piegano a repertorio di figure e fatti memorabili».7 Il sonetto che chiude la micro-sequenza è anche quello più difficilmente riconducibile ad un episodio o periodo particolare, dati gli elementi abbastanza generici del suo contenuto; sembra comunque ragionevole supporre che il conflitto cui si fa riferimento (con il triplice ricordo di Marte, Vulcano e Bellona) sia lo stesso a cui sono dedicati i tre testi precedenti. Va registrata la nota positiva dell’ultima quartina, in cui si profetizza una vittoria veneziana dai toni provvidenziali; ed effettivamente la Serenissima uscì dalla guerra arricchita dei territori ricevuti dal re francese in cambio dell’appoggio nel trattato anti-sforzesco. Sfortunatamente, nel giro di pochi anni il precario equilibrio delle alleanze interne ed esterne alla penisola portarono Venezia a trovarsi isolata contro tutte le potenze italiane e straniere nel 1508 (accordo di Cambrai). Della disastrosa situazione è specchio una canzone di Guidotto dell’anno successivo all’accordo (come registrato dalla rubrica), quando la repubblica vide i propri territori in terraferma passare progressivamente sotto il controllo nemico. 7 DILEMMI, Le Rime cit., p. 99. Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 25 145 Yesus. Consolatoria di Guidoto di’ Pristinari, citadino di Bergomo, a’ Veniziani per la rotta del campo suo a Triviglio, e perso tutta terra ferma fin ad Trevigi, de anno 1509 Venezia mia, ben ch’io mi veggia indegno di alcun consiglio o di arricordo darte, ché mal pò dar chi d’ogni valor manca; pur in me sviglia Amor sì ingegno et arte che mi stringe a mostrar, per qualche segno, mia servitù che in te non mai fia stanca; che sola a dir, et a scriver m’affranca con gran baldanza, onde s’io forsi troppo fallassi in presunzion, facia ei mia scusa, e se mia voglia accesa, in ciò mal usa, me transportasse a qualche duro intoppo col stil debil e zoppo, conoscer dei che questo sol procede da un cor non finto, e da immutabil fede. Se avessi un stil di accomodate rime, come si converrebbe a la gran doglia, per me concetta, di tua iniqua sorte, fareiti udirla in me più che si soglia udir, in cui più di doler s’estime, poco lontana da l’orribil morte; e se non, ché pur par che mi conforte che variando suo corso il fier destino debba sortir ancor miglior fortuna, nè rinovarsi volte tre la Luna che facia ribombar ogni confino tuo nome pellegrino, 26 creggio che già sarei di vita privo, ma questa speme sola mi tien vivo. Su adunque, ormai, non ne tener più in forse, ma ad un raccogli le fiorite genti spiegando ancora l’alto tuo vessillo, sì che liete ne fian le fidel menti, cui voler mai altrove non si torse sol te attendendo qual novo Camillo; nè fia l’animo lor giamai tranquillo, fin che non veggian da benigna stella qualche prospero influsso a tuo soccorso, per cui si venga a puor sì forte morso che volga indietro la crudel procella, e s’oda la novella che tu sia risalita al grado primo et a maggior, sì com’io dritto istimo. Riconcigliatti ben prima con Dio tenendo gli toi casti in religione, e ben purgati d’ogni menda ria, e ti sia soprattutto la magione di Lui ricomandata, e ’l tuo desio pronto sempre a serbar ogn’opra pia; che ti fia questa più libera via di poter poi, sicura, prender l’arme, e vincitrice uscir d’ogni alta impresa, cussì che chi verrà tieco a contesa e con copioso stol contra te s’arme sentirà tristo carme; ché essendo Dio per te, chi te fia contra? Il Campiello – n° 1 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine E se pur fia, sarà qual pesce a lontra. Rinova in te la cortesia primiera, sgombrando l’avarizia et ogni orgoglio, con dismisura ch’alti stati abbassa, e fa’ salir giustizia al primo soglio, carità riducendo ancor qual era, ché senza lei virtù qualunque è cassa; nè mai fa’ che ti trovi stanca o lassa le liti a terminar, con un fin presto, che i subditi ciò in fede e in amor tiene: onde che avinti con sode catene gli terrai, se in ciò il cor sempre avrai desto, ponendovi un tal sesto che l’oprar tuo fia in terra e in ciel laudato, e vederai più ognor ampliarti il Stato. Con tal proponimento allarga il freno sicuramente a l’ordinate squadre, cortese aprendo il rico tuo tesoro, et uscir ne vedrai prove leggiadre, volgendo a te suo sguardo il ciel sereno benignamente dal supremo coro; ché, cangiando vicenda, un tal ristoro, per quel ch’io scerna, ancor dar ti promette che fia maggior assai di quel che hai perso; e ben che alor ti fusse alquanto averso, non fian però sue grazie a te interdette: ma fel sol perché elette le conosca da Lui, ch’ogni ben dona, e non già per virtù d’altra persona. 27 28 Non pensar che un tal caso il summo Giove mai permettesse a tua total ruina, ma per darte di sé qualche arricordo che, benché ascesa fussi in gran regina, solo il credessi Re che tutto move, et a cui dar e tuor sta, e parco e ingordo; o forsi (e mei con tal pensier m’accordo) che ’l fruttar mei notassi de toi greggi, qual d’apprezzar e qual da non far conto: ché, se mai più aggiongessi a simil ponto, tu sappia da immandrar qual che tu aggreggi e qual che tu dispreggi, ne sia più a disgreggiar qual fusti or orba, ché per un rio sovente un gregge ammorba. Or su, che fia in favore ogni pianeta, invita i passi ove il fato ti chiama, svigliando arditamente il tuo valore, e vieni a chi t’aspetta e tanto brama, ché nullo - come sai - tuo venir vieta, ma stan nemici non senza terrore, ché acquistarai vettoria con più onore che non avresti se stato propizio ti fusse Marte ne la prima zuffa; per che dirassi: «Ancor che fatto truffa gli abbiano i suoi fra piciol interstizio, fuor del comun giudizio s’è ancor riffatta, e con maggior possanza, et ha cacciati i suoi nemici in Franza». Il Campiello – n° 1 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 29 Canzon, vedrai in un sublime trono, colei che sòl dar legge a tutto il mondo, e spero ancor darà più che mai desse. Dille che a l’alta ispedizion s’appresse, sì che a l’Itaglia levi il grave pondo, che è per tuffarla al fondo se ’l suo soccorso ratto non le rende, ché vita e morte sol da lei depende. La canzone si apre fin dall’incipit nel segno di Petrarca (RVF 128, 1 «Italia mia, benché ’l parlar sia indarno»; ma la memoria probabilmente andava anche al Dante di Pg. VI, 127 «Fiorenza mia, ben puoi esser contenta»), che fornisce anche lo schema metrico su cui è costruita, identico a RVF 53 (rispetto alla quale però Guidotto aggiunge una stanza). Entrambi i richiami sono poi anche di natura contenutistica: Spirto gentil è destinata a una figura del partito filo-colonnese nella lotta tra le famiglie romane (vv. 71-73: «Orsi, lupi, leoni, aquile et serpi/ad una gran marmorëa colomna/fanno noia sovente»), immagine che nel bergamasco ha la sua corrispondenza in Venezia contro il resto delle potenze italiane ed europee: corrispondenza rimarcata nel congedo, evidentemente architettato su quello petrarchesco.8 Anche Italia mia, per il resto, è canzone riferita ad un conflitto tra signori dell’area lombardo-padana (benché la critica sia rivolta principalmente all’impiego di mercenari tedeschi), ed è quindi evidente il gioco di richiami messo in versi da Guidotto. S’è visto dunque, nei testi riportati fino a questo momento, come Prestinari avesse ben chiaro da che parte stesse la propria lealtà nel quadro 8 RVF 53, 99-106 «Sopra 'l monte Tarpeio, canzon, vedrai/un cavalier, ch'Italia tutta honora,/pensoso piú d' altrui che di se stesso./Digli: Un che non ti vide anchor da presso,/se non come per fama huom s' innamora,/dice che Roma ognora/con gli occhi di dolor bagnati et molli/ti chier mercé da tutti sette i colli». 30 Il Campiello – n° 1 politico italiano, una lealtà che viene mantenuta anche nel momento di massima crisi per la Serenissima. C’è, tuttavia, un secondo polo del canzoniere in cui la fedeltà politica del poeta viene a fondersi con un genuino sentimento di affetto: Bergamo. La città natale di Guidotto occupa senz’altro una posizione di assoluto rilievo nel cuore del bergamasco, che infatti le dedica testi non solo di fedeltà e di incoraggiamento, ma anche di severa critica dei costumi, come in un sonetto posto in apertura alla raccolta. 3 In urbem Bergomum, G. P. Miserabil cità, dove sei gionta? A sì calamitoso et infelice Stato, che durtà sol parlar ne lice, E chi ben opra scende, e mal sormonta. Crudel etade, a che ti fai sì pronta, Al mal propizia, al ben persecutrice? Deh cangia stile, e fatte ormai felice, E monstra a ben servire e scordar l’onta! Temp’ è ben d’adulcir le fiere voglie, E d’amorzar ormai l’accesa vampa Che dil salir al Ciel par che ne spoglie, E ridur nostra vita a meglior stampa, Fin che ’l spirto sustien le fragil spoglie E che in noi luce ancor celeste lampa. Naturalmente, alla pars destruens costituita dal severo giudizio cui è consacrata la fronte corrisponde anche una sirma construens, con un genuino invito rivolto alla miserabil cità a riscuotersi dal decadimento che l’atterra e a perseguire piuttosto il bene; il sonetto è stato anche riportato da Lochis, che Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 31 più che una critica di natura morale preferisce leggervi un lamento politico.9 Va segnalato inoltre che il sonetto è acrostico, per quanto il significato della frase che si viene a comporre rimanga abbastanza oscuro: «Ma se cadete c’è fe’», forse da interpretare con la speranza che i cittadini, una volta toccato il fondo dell’abisso morale verso cui pericolosamente tendono, troveranno la forza di risollevarsi. Gli stessi toni sono riscontrabili in un sonetto tronco, come il precedente indirizzato alla città fin dalla rubrica: 51 A la città di Bergomo, Guidoto Pristinaro Pratica ognun non so qual porà più: l’un dice: «Quel è buon, quel val, quel può», l’altro: «Questo è miglior», quel: «No no no, ché egli non gli era e ’l patre rebel fu». Stannosi attenti con l’orechie su, aspettando ciascun si facia il suo, nè più si sguarda al danno come al pro, ove ogni cosa cade a terra giù. Ahi patria dolce, vedi come va il tuo governo, ch’ogi in te non è sol ben, ché quel non vol, l’altro non sa; se non ti reffa quel che pria ti fé, certo il tuo stato a gran pericol sta, ché più non regna carità nì fé. LOCHIS, Guidotto Prestinari cit., p. 22: «E veramente erano ben tristi quei tempi per la nostra città; poiché essa in pochi anni mutò padroni un’infinità di volte e vide il suo territorio corso e devastato da masnade svizzere, spagnuole, tedesche e francesi». 9 32 Il Campiello – n° 1 Qui la critica a Bergamo è indirizzata ad un’evidente inerzia decisionale («ché quel non vol, l’altro non sa»), e in merito va segnalata la prima quartina per il vivace discorso diretto. Ma anche qui, comunque, è ribadito nella sirma l’auspicio che la situazione venga raddrizzata quanto prima, o la città correrà seri pericoli; significativo, poi, che in chiusura venga ripreso il motivo religioso, e in particolare la carità già vista in 145, 61 («carità riducendo ancor qual era») nella parte della canzone dedicata alle vie da percorrere per uscire dalla situazione critica. Tre testi più avanti il poeta pone un sonetto caudato estremamente enigmatico, quasi alla burchia, uno dei pochissimi testi di Guidotto ad aver suscitato l’interesse degli studiosi (a causa, come vedremo, del destinatario). 54 Domino Leonardo presbytero florentino, G. P. Poni per cui si fiuta ove si trulla a’ bergamaschi, e intenderai luor schermi; e tien’ a doi de trei ben gli ochi fermi, e ’l sapor gustarai di la medulla; sin che Valcava t’hebbi u’ si transtulla fra quelli boschi solitarii et hermi, per varii monstri e mille strani vermi fusti balordo, et ancor posto in culla. Non so se sei fadapio o sterco in petto, che ritener ti puossa e poggia et orza, con penna in man a scriver per diletto; e quando il gran Neptuno l’ira smorza a doprar l’ongie alora, a far giubetto de’ tuoi compagni se ti fesser forza; Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 33 ché pur sol di la scorza rico saresti da far fodre a veste, et opra sempre aresti sin le feste. Nell’interpretazione puntuale della lettera evito di addentrarmi, tanto il testo è oscuro: parrebbe, tuttavia, possibile ricavare da alcuni elementi («fusti balordo», «Non so se sei fadapio o sterco in petto») un generale atteggiamento di scherno nei confronti del destinatario, e che tale scherno possa essere motivato dalla provenienza geografica (considerato il riferimento ai bergamaschi nella prima quartina). Ho scritto prima che il sonetto è uno dei pochi a risultare citato in un discreto numero di studi, e il fatto è principalmente dovuto a un’errata identificazione del destinatario; più d’uno, infatti, ha voluto riconoscere il Leonardo florentino in Leonardo da Vinci, che in effetti nel torno d’anni in cui Guidotto scriveva si trovava a Milano alla corte del Moro. Il fraintendimento, per quanto è dato sapere, risale a un errore tardo-ottocentesco nello scioglimento dell’abbreviazione (“pbro” con “b” titulata, in effetti di difficile lettura) posta nel manoscritto tra i due termini: errore probabilmente psicologico, nel senso che si è voluto mettere Leonardo da Vinci dove effettivamente non c’era allo scopo di dare maggior peso specifico alla produzione di Guidotto per la presenza di un destinatario illustre. Il peccato originale fu di Gustavo Uzielli,10 che volle sciogliere in PHO (a intendere philosopho) in uno studio dedicato a Leonardo da Vinci, nonostante una decina di anni prima già Lochis11 avesse rinunciato, G. UZIELLI, Ricerche intorno a Leonardo da Vinci, Torino, Loescher, 1896, p. 520. C. LOCHIS, Guidotto Prestinari cit., pp. 43-44: «ma tra il nome Leonardo e florentino vi è un’altra parola abbreviata, che non abbiamo potuto leggere: forse significa patritio o forse petro. Quel nome di Leonardo ci fece subito balenare l’idea che il nostro Prestinari avesse diretto la sua poesia al gran Leonardo da Vinci […] Ma la lettura del Sonetto, che per la sostanza e per la forma non si capisce come possa riferirsi a quel grand’uomo, ci persuase ad abbandonare tale pensiero: e lo facemmo proprio con dispiacere, perché sarebbe stato interessante l’aver potuto trovare una relazione tra il nostro poeta e il celebre artista 10 11 34 Il Campiello – n° 1 a malincuore, alla prestigiosa identificazione, preferendo leggere un più cauto «patritio o forse petro». L’errore di Uzielli venne ripetuto in seguito da Angelo Mazzi12 in un articolo sul rapporto tra Leonardo e l’area bergamasca, che riprendendo il sonetto dal predecessore sciolse direttamente PHO in filosofo, e Luca Beltrami,13 che invece mantenne l’abbreviazione; infine, la svista è sopravvissuta fino ad anni molto più vicini a noi, dato che il sonetto è riportato (con PHO nella rubrica) anche nella monografia su Leonardo di Carlo Vecce.14 Per quanto mi riguarda, condivido senza dubbio la lettura presbytero di Giorgio Dilemmi,15 peraltro confermata rapidamente da una scorsa al Cappelli.16 Chi sia dunque il religioso fiorentino schernito da Guidotto rimane un mistero; quanto conta è stabilire che non si tratta di Leonardo da Vinci, che certo gli ordini non li prese mai. L’ultimo testo che riporto conclude anche la micro-sezione su Bergamo, essendo una canzone rivolta alla città, come specificato dalla rubrica, in un momento storico di crisi. 138 A la patria sua di Bergomo posta quasi in assidio da nemici. Guidoto Pristinaro Patria dolce, non senza gran dolore mi trovo quand’io penso a le calamitati ove or sei avolta, fiorentino»; prudenza, quella di Lochis, non condivisa da chi l’ha succeduto, evidentemente entusiasmato all’idea di aver trovato una simile «relazione». 12 A. MAZZI, Schizzi di Leonardo da Vinci riguardanti il territorio bergamasco, «Bollettino della civica biblioteca di Bergamo», VII, 2, 1913, pp. 45-82). 13 L. BELTRAMI, Documenti e memorie reguardanti la vita e le opere de Leonardo da Vinci, Milano, Treves, 1919, p. 208. 14 C. VECCE, Leonardo, Roma, Salerno, 1998, p. 131. 15 DILEMMI, Le Rime cit., p. 104. 16 A. CAPPELLI, Dizionario di abbreviature latine ed italiane, Milano, Hoepli, 1912, p. 263. Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine ché già solevi a l’altre puor terrore con puoter alto e ’mmenso, et or ogni virtù par ti sia tolta. Risvigliati una volta a chi t’han fatto e fanno tanto oltraggio, col cuor ardito e saggio, rimembrandoti gli altri tempi e danni, vindica l’onte de’ presenti affanni! Dov’è il saper? ove il consiglio antico de gli ecelsi tuoi Padri, la magnanimità, l’ingegno e l’arte? Ove il valor, d’ogni viltà nemico, de quei spirti legiadri che te tenean famosa in ogni parte? E ’l bellicoso Marte che ti suol esser già propitio tanto? Extincto è ’l primo vanto, in gran procella senza guida e scorta, et in te ogni speranza è quasi morta. Non ti smarir, ma ognor più ferma e salda, con grande e constante animo, ché sai che sei già stata a pegior porto; dal pigro gielo or ti riscote e scalda, ché quel forte e magnanimo chi te diffese già non è ancor morto. Non longi è ’l tuo conforto che ti vien a sgombrar tanta paura; adunque t’assicura, ché sai che l’acqua, la tempesta e ’l vento 35 36 sovente abonda, e scema in un momento. La fideltate ogn’altra dote avanza, ma nulla o poco giova chi non l’adopra ne le cose adverse; la prudenzia de l’omo, e la constanza alor si vede, e prova quando prosperità sono sommerse. Se ’l ti rimembra Xerse, con grande impeto e furia in Grecia venne, ma presto gli convenne con gran vergogna e clade fuggir vinto, lasciando il campo quasi tutto istinto. Se non afferma chi molesta altrui, e tal comincia assalto ch’è superato ne l’istremo ponto, scioco, fuor di se stesso è ben colui che per volar troppo alto precipite nel mar si trova gionto; chi crede di far conto senza l’oste, sovente il fa due volte, cussì a le genti stolte avenirà del temerario ardire, e cadran sopra lor le Furie dire. Fra tutte l’altre vai col capo altiero, ché insino al cielo tocchi, magnifica, superba e trionfante, tal che qua giù non è verun guerrero, con quanti artiglii scocchi, Il Campiello – n° 1 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine ch’a pigliarte per forza sia bastante; nullo fia sì arrogante che te ispugnar, se fe’ si serba, ardisca, e chi salir s’arrisca tant’alto ove altri mai non fecer prove, gli scontrerà come a’ giganti Giove. Non ti curar, quantunque tutte intorno ti fian le membra oppresse, pur che la testa invitta si conserbe; ma ricerca ben dentro al tuo soggiorno, non aspettar le presse, come già festi ne le guerre acerbe; e sterpa le mal erbe che non san mai fruttar in tutto l’anno, e i tarli che non fanno che roder sempre, e ’l morso lor non dorme cercando ogn’altro trar a sé conforme. Fa’ che toi figlii sian uniti insieme, scordandosi l’offese con un eguale amor e una sol voglia, sì che a guardarsi indietro alcun non treme venendosi a le prese contr’a’ nemici quando ti fan doglia; nulla fia che ti toglia, serbando ciò, gli vettoriosi onori, e vedran toi signori che stata sei fidel sin al essizio guidardonando il tuo leal servizio. 37 38 Non è svigliato ancor, ma s’el si desta, l’aligero Leone che sbigottisce ogni animal terreno, solo squassando la lanosa testa e l’Aquila e ’l Dragone farà tremar morzando il fier veneno; e vedrai poner freno a’ barbari che entraro a sì gran corso, e, fiacato il lor dorso, in breve tempo per qualunque varco non altro s’udirà che «Marco! Marco!». Non è chi possa contra al stabil trono del sublime senato, al cui vessillo e terra e mar s’inchina; ché men potenti fur di ciò che or sono, e di minore stato, nè però furon spinti a la marina; ma a’ nemici la schina fer più volte voltar senza ristoro. Or, c’han più impero et oro, cre’ che terran tutta l’Itaglia in briglia, e sarai tu la più diletta figlia. Canzon, in alto colle una città vedrai turbata in vista, tutta pensosa, e trista; dille che viva lieta, e non pavente, insino a tanto che san Marco sente. Il Campiello – n° 1 Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine 39 La canzone riprende lo schema metrico da Che debb’io far? (RVF 268), il planctus per la morte di Laura; evidente, dunque, che rispetto all’altra canzone riportata qui Guidotto impiega la fonte soltanto da un punto di vista stilistico (è da registrare l’aggiunta, inoltre, di tre stanze). Come noto fin dalla rubrica, il contenuto articola una consolatoria rivolta alla patria dolce (iunctura anche in 51, 9), che non scivola nel patetismo ma incita da subito alla riscossa contro i nemici: «l’Aquila e ’l Dragone», ancora secondo la consolidata metafora animale, vale a dire Massimiliano I e Massimiliano Sforza, il figlio del Moro artefice - con l’omonimo imperatore - di un’effimera riconquista del ducato milanese tra il 1512 e il 1515. Manca naturalmente il Gallo, che in quest’occasione si trovava alleato del Leone veneziano, di cui ancora una volta viene auspicato l’intervento; e l’intervento ci sarà, quando le truppe francesi e venete riprenderanno l’area lombarda e restaureranno il dominio transalpino sul ducato, lasciando che Bergamo rientrasse definitivamente fra i territori della Serenissima. Il 1515, dunque, è l’anno che segna, oltre alla conclusione di un ventennio terribile per il capoluogo orobico, il momento in cui possiamo presumere che Guidotto (ormai sessantenne) abbia deciso di abbandonare la tematica storico-politica - e al 1515 è datato un sonetto (103) dedicato al podestà di Bergamo Domenico Contarini dai toni decisamente entusiastici - e di dedicarsi alla produzione religiosa di cui abbonda l’ultima sezione del manoscritto. I pochi testi che ho riportato non permettono, ovviamente, alcuna considerazione di poetica; ma, a mio avviso, tratteggiano una panoramica abbastanza chiara di quello che - come ho scritto all’inizio di questo contributo - voleva dire essere un suddito della Serenissima in una posizione geografica di frontiera, durante il periodo storico più incandescente dell’intero Rinascimento. Massimiliano Simone Tra animato e inanimato. Figure di eroine nella Venezia Incognita Con la pubblicazione, nel 1633, della Galeria delle donne celebri1, ad opera di Francesco Pona, a Venezia si assiste a un rinnovato interesse verso alcune figure di eroine riprese dalla storia antica. Nel corso del Seicento, nella Serenissima, le descrizioni riservate a donne ‘esemplari’ trovano un terreno fertile per la propria fortuna presso letterati ma anche artisti strettamente legati all’Accademia degli Incogniti, attraverso una compulsiva produzione pittorica per committenti privati. Una simile attenzione verso la figura femminile si era manifestata nel Boccaccio, ma anche nelle opere di altri autori stampate a partire dalla fine del Quattrocento. Particolarmente interessante risulta, però, il ‘caso incognito’ per la riflessione che si innesta sul ruolo e sul valore della donna, alla luce dei discorsi che si tenevano in accademia, generatori, talvolta, del risentimento da parte delle ammesse a prendervi parte (caso eccezionale per l’epoca) in qualità di ascoltatrici e autrici2. A partire da questo circolo culturale il dibattito si evolve e si modula secondo schemi narrativi e stilemi che toccano temi e conducono a riflessioni dicotomiche. Si evidenziano inflessioni fortemente misogine associate a vere e proprie esaltazioni del gentil sesso, sia attraverso un sensuale indugiare sulla bellezza del corpo femminile, sia tramite l’esaltazione di alcune eroine che vantano un’anima virile ingabbiata in un « petto di donna3 ». Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Brescia, Bartolomeo Fontana, 1633. Gli Incogniti vantavano tra le ascoltatrici Elena Lucrezia Cornaro Piscopia, Arcangela Tarabotti, Zenobia Porto, la letterata Sara Copia, la cantante Barbara Strozzi e la pittrice Artemisia Gentileschi. Cfr. Monica MIATO, L’Accademia degli Incogniti di Giovan Francesco Loredan. Venezia 1630-1661, Firenze, Leo S. Olschki Editore, 1998, p. 107-113. 3 Si fa riferimento alla figura di Lucrezia: cfr. Giovan Francesco LOREDANO, Degli scherzi geniali del Loredano parte prima, Venezia, Giacomo Sarzina, 1637, p. 89. 1 2 Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 41 Partendo dall’analisi di alcuni esempi letterari, che si focalizzerà in particolar modo intorno ai personaggi di Lucrezia e Artemisia, il contributo si propone di approfondire i rapporti tra la letteratura e le arti figurative, che sembrano restituire a queste figure qualità immortali. La parte focale della riflessione ruoterà intorno alla visione della donna in ambito incognito, sottolineando le ascendenze misogine radicate nel pensiero dell’accademia veneziana. 1. Figure di eroine nella letteratura ‘incognita’ Si è già citato l’esempio della Galeria delle donne celebri del Pona, a cui si aggiunge la pubblicazione, appena un anno prima, e sempre in seno agli Incogniti, degli Scherzi geniali del Loredano4, fondatore dell’Accademia. Ma è rintracciabile la presenza di talune ‘donne celebri’ pure in altra produzione accademica5. La Galeria del Pona è suddivisa in tre parti (corrispondenti a tre categorie morali) all’interno delle quali sono presentati i racconti delle donne, collocate nel testo in base alla loro inclinazione di lasciva, casta o santa. Vi troviamo infatti descritte in ‘pitture’ « Le quattro lascive » (Leda, Elena, Derceto, Semiramide); « Le quattro caste » (Lucrezia, Penelope, Artemisia, Ipsicratea); e « Le quattro sante » (Maddalena, Barbara, Monica, Elisabetta regina d’Ungheria), in una scala che dalla perversione conduce alla santità, secondo il principio fondante basato sull’opposizione vizio – virtù6. Giovan Francesco LOREDANO, Degli scherzi geniali del Loredano, Venezia, Giacomo Sarzina, 1632 (parte I) - 1634 (parte II). 5 Si veda, ad esempio, La Lucerna di Francesco Pona (edita a Venezia nel 1626 presso l’editore Tommasini), in cui è presente il personaggio di Cleopatra. Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 103-119. 6 Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 119. 4 42 Il Campiello – n° 1 Il padre fondatore del genere narrativo delle biografie femminili era stato il Boccaccio col suo De mulieribus claris, che nella dedicatoria dell’opera indicava come esempi di virtù etiche le donne pagane, dalle quali le cristiane avrebbero avuto molto da imparare7. La riflessione si estese nel Discorso della virtù feminile e donnesca del Tasso8, attraversando il XVI secolo sino ad arrivare a Le vite delle donne illustri della Scrittura Sacra del canonico lateranense Tomaso Garzoni, stampate a Venezia nel 15869. Il Garzoni, contrariamente al Boccaccio, attinge alla Bibbia, in cui può reperire una vasta gamma di exempla per le sue biografie, senza descrivere caratteri eccezionali, ma convertendo le vite ordinarie delle donne bibliche in illustri10. Pur seguendo l’ordine cronologico come criterio narrativo, fondamentale è la netta divisione operata dal Garzoni tra le donne caste ed esemplari - che riescono a mantenere la propria integrità morale - e le donne oscure e laide, perverse e dedite a coltivare il vizio11. Ecco affacciarsi, a questo punto, la medesima categorizzazione adottata dal Pona, che rispecchia – particolare non trascurabile - la condizione delle donne nel XVII secolo12, alle quali si presentavano tre alternative di vita: sposarsi, chiudersi in convento o avviarsi Giovanni BOCCACCIO, « De mulieribus claris » (1370 ca.), in Pier Giorgio Ricci, La letteratura italiana (Storia e testi), Milano-Napoli, Ricciardi, 1965, p. 20-24. 8 Torquato TASSO, Discorso della virtù feminile, e donnesca del Sig. Torquato Tasso, Venezia, Bernardo Giunti, 1582. 9 Tomaso GARZONI, Le vite delle donne illustri della Scrittura Sacra. Con l’aggionta delle vite delle donne oscure e laide dell’uno e l’altro Testamento. E un discorso in fine sopra la nobiltà delle donne, Venezia, Domenico Imberti, 1586. Per una ricostruzione esaustiva circa la produzione delle opere biografiche femminili si veda: Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 103-119. 10 Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 117-118. 11 Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 118. 12 Cfr. Monica MIATO, L’Accademia degli Incogniti di Giovan Francesco Loredan. Venezia 16301661, Firenze, Leo S. Olschki Editore, 1998, p. 109. 7 Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 43 alla prostituzione. A sua volta una tale distinzione diviene un chiaro riflesso delle tre uniche condizioni possibili per le donne, ovvero quella di puttana, monaca o moglie. Esiste, però, un’altra corrispondenza interessante con un’opera di poco anteriore a quella dell’autore incognito. Ne La Galerìa di Giambattista Marino13, infatti, compaiono le descrizioni dei dipinti raffiguranti sei delle dodici donne celebri catalogate da Pona: si tratta di Leda, Elena, Semiramide, Lucrezia, Artemisia, Maddalena. E il programma mariniano sembrerebbe costituire il modello per la Galeria delle donne celebri. Come nota Fabrizio Bondi, a partire dal titolo dell’opera emerge la volontà del Pona di rifarsi al Marino, perpetuata dall’ordinamento dei racconti sotto la definizione di pitture. Da questa raccolta l’autore incognito aveva, molto probabilmente, tratto ispirazione per risolvere un problema strutturale, volendosi mostrare all’altezza dell’ingegnosa soluzione che aveva adottato per organizzare le storie all’interno della sua opera precedente, la Lucerna (1626)14. Il Marino, infatti, rifacendosi presumibilmente al modello garzoniano, nella prima parte del volume dedicata alla pittura, aveva suddiviso la sezione dei ritratti di donne celebri in tre sottosezioni: Belle, caste, e magnanime; Belle, impudiche, e scelerate; Bellicose, e virtuose. 1.1 Lucrezia Malgrado le analogie strutturali, il racconto del Pona si distanzia, almeno a un primo livello di lettura, dal significato morale espresso dal Marino. Una tale disparità connotativa si palesa nel ‘ritratto’ di Lucrezia15. Il Giovan Battista MARINO, La Galeria, Venezia, Giovan Battista Ciotti, 1619-1620. Fabrizio BONDI, « Belle infedeli. Una traduzione francese della Galeria delle Donne Celebri di Francesco Pona (1632) », in Davide CONRIERI (a cura di), Gli Incogniti e l’Europa, Bologna, I libri di Emil, 2011, p. 11-39. 15 Cfr. Liv. I, 57-58: l’episodio narra la vicenda di Lucrezia, moglie di Collatino, che viene violata da Sesto Tarquinio, figlio dell’ultimo re di Roma Tarquinio il Superbo, il quale si era invaghito di lei. Dopo aver spiegato l’accaduto al marito, al padre e agli amici, la donna si uccise trafiggendosi il petto con un pugnale. 13 14 44 Il Campiello – n° 1 Pona dedica a quest’eroina una vera e propria tragedia in prosa. In essa il nodo psicologico della donna innocente che macchia la propria purezza col tradimento ‘forzato’ del proprio consorte, è risolto (o dissimulato) da una trovata morbosamente geniale16: Lucrezia in un primo momento accetta le avances di Sesto Tarquinio, introdottosi nelle sue stanze, poiché viene colta in uno stato di semi-incoscienza, nel momento in cui si sta risvegliando. È lei stessa a narrare nel suo monologo rivolto al padre e al marito, attraverso un procedimento analettico, di aver scambiato, in un primo tempo, Sesto per il consorte Collatino: Quindi ecco, indi a cert’hora semisvegliata, o sento, o parmi di sentire, persona che mi accarezzi. Il sonno, provocato dallo essercitio maggior del solito, nel comando della Famiglia per lo accoglimento di Sesto impiegata, si era oltre il consueto tenacemente impossessato di me: onde né desta né addormentata, mi volgo; e sì come era con voi l’animo, gettai un braccio col vezzo solito Maritale intorno il collo della persona, che mi toccava, e dissi: «O Collatino, mia vita!». A me pareva tra tanto di toccar il Cielo col dito, mentre il sonno replicandomi le forze de’ suoi papaveri sopra li occhi, maggiormente mi occupava, legando i sensi, ma lasciando la immaginativa vagare, con una fruttione mirabile di casta felicità, mentre uno spesso scoccar di baci m’invogliava d’altro nettare.17 Dopodiché la narrazione si sposta sull’epilogo tragico della vicenda, in cui Lucrezia, terminata la ricostruzione dei fatti, si uccide trafiggendosi il petto con un pugnale. Diversa è la narrazione nella Galerìa mariniana, in cui, dopo un’iniziale celebrazione senz’ombre dell’eroina, introdotta nel primo madrigale a lei dedicato, nel secondo componimento si affaccia una prima riserva sulla sua pudicizia, che prelude al sorprendente ribaltamento dei versi che seguono18: Fabrizio BONDI, « Belle infedeli. Una traduzione francese della Galeria delle Donne Celebri di Francesco Pona (1632) », in Davide CONRIERI (a cura di), Gli Incogniti e l’Europa, Bologna, I libri di Emil, 2011, p. 18-21. 17 Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 8889. 18 Tale ribaltamento è presente pure in Adone XI, 53-54: cfr. Giovan Battista MARINO, La Galeria (a cura di Marzio PIERI e Alessandra RUFFINO), Trento, La finestra, 2005, p. 308310. 16 Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 45 Feci col sangue estinta L’honestà viè più candida, e più pura. Ciò solo in parte oscura La mia loda, il mio pregio: Ch’assai di me più forte Non bastasse il dolore a darmi la morte.19 Il terzo madrigale si trasforma in una dura invettiva contro Lucrezia, alla quale non viene concesso nessuno sconto di pena: LUCRETIA, s’al’adultero Romano Cedi senza contrasto, Loda di nome casto Da giusta morte ingiustamente chiedi. Se sforzata gli cedi, Qual follia, col morire Portar la pena del’altrui fallire? Inuano dunque inuano Morendo aspiri ad immortali honori, Ch’o scelerata, o forsennata môri. 20 Per poi continuare nei due componimenti successivi con piglio accusatorio, concludendo con una topica allusione all’avidità di oro della donna: Donna, a torto di diè l’etate antica Titolo di pudica; Ché se quel sen piagasti, Che fu d’osceno amor sozzo ricetto, Non già però lasciasti Di goderne illegittimo diletto. Se voleui lodata esser da noi, Deveui prima ucciderti, e non poi! 21 Giovan Battista MARINO, La Galeria (a cura di Marzio PIERI e Alessandra RUFFINO), Trento, La finestra, 2005, [10a.], p. 308, 3-8. 20 Ibidem, p. 309, 1-10. 21 Ibidem, p. 309, 1-8. 19 46 Il Campiello – n° 1 Fosti crudel, non saggio, Quando il bel seno ignudo A vïolar con violento oltraggio Latino Re, prendesti. Oh con quanto minor difesa e scudo Espugnato l’hauresti, Se l’hauessi tentato D’oro più tosto, e non di ferro armato! 22 Il Marino sembra rifarsi all’interpretazione della vicenda data dai Padri della Chiesa, che avevano duramente condannato un simile comportamento. Già Sant’Agostino23, infatti, aveva espresso delle manifeste perplessità sull’onestà della donna, accusando i ‘giudici romani’ di non conoscere il concetto di virtù proprio in ragione della loro scelta di vederne un modello esemplare in Lucrezia. Secondo Agostino, una donna che conserva il proprio onore - essendo stata costretta a concedersi contro la sua volontà - non ha motivo di togliersi la vita: agendo in questo modo non fa altro che ammettere la propria colpevolezza. 22 23 Ibidem, p. 310, 1-8. Cfr. Aug. Civ. Dei I, 19. Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita Guido Cagnacci, Lucrezia, olio su tela, 114,5x112 cm, 1635-1640 circa, Londra, Collezione privata 47 48 Il Campiello – n° 1 Guido Cagnacci, Lucrezia, olio su tela, 87x66 cm, 1657 circa, Lione, Musée des Beaux-Arts Diversi ancora sono l’atteggiamento e il tono riservati dal Loredano all’eroina Lucrezia. Nei suoi Scherzi geniali, di poco posteriori alla Galeria Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 49 poniana, si rilevano delle sostanziali ed interessanti difformità. Se permane una sorta di ‘sovrabbondanza’ barocca nella scrittura, che rende la narrazione legata attraverso la manierizzazione dei caratteri (gettando un velo sul senso morale del racconto, cui si unisce la narrazione attraverso il monologo della protagonista)24, diversa è la presentazione dell’historia, il cui racconto vero e proprio è preceduto da una dedicatoria e dalla presentazione dell’argomento che fornisce un breve riassunto della vicenda. Nel caso di Lucrezia, la dedicatoria del Loredano è rivolta proprio al Pona, cui viene riservato un canonico elogio, tipico escamotage letterario che giustifica l’obbligata dichiarazione di falsa modestia e la presa di distanza assunta dall’autore nell’associare il proprio nome alla storia raccontata. Quest’incipit offre l’occasione al Loredano per incitare il Pona a riscrivere la storia di Lucrezia25. Si cede poi spazio al soliloquio di Lucrezia, che comincia in medias res con la confessione al padre, al marito e a Bruto della violenza subita da parte di Sesto Tarquinio: qui è assente, però, la descrizione del suicidio, e l’episodio si conclude col congedo dell’eroina dai suoi cari. Rispetto al racconto del Pona, quello del Loredano risulta sicuramente meno interessante da un punto di vista contenutistico, poiché è più ingabbiato nella riproposizione della fonte classica. Tuttavia, oltre all’emergere delle connotazioni virili di Lucrezia, interessante è l’incessante difesa, declamata dall’eroina, della propria integrità morale. La donna pronuncia un discorso ‘profetico’, che preannuncia la sorte letteraria a cui andrà incontro: è un destino in cui verrà rimessa in discussione la propria innocenza. Le penne de più celebri ingegni m’haverebbono sollevata all’immortalità, ed alla gloria. La mia Castità haverebbe inspirato furore a gli spiriti divini de’ Poeti. La mia virtù haverebbe dato meraviglia alla verità dell’Historia. Hora, che ne diranno? La passione, e l’interesse, ha mille facce, e mille lingue. La verità è sempre necessaria, ma non s’attrova sempre nell’Historia. Hanno l’oro, e’l piombo gli Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 119. 25 Giovan Francesco LOREDANO, Degli scherzi geniali del Loredano parte prima, Venezia, Giacomo Sarzina, 1637, p. 81. 24 50 Il Campiello – n° 1 Scrittori per compartire le lodi, e i biasimi. Tarquinio haverà ancor egli i suoi partigiani. Gl’huomini senza virtù, non sono però senza amici. Ha grandissimo seguito il vitio. Sono rari coloro, che habbiano perfetti i caratteri della bontà. Danneranno forse la mia innocenza. Diranno, che i vezzi sono l’esca d’Amore, che le pannie amorose non prendono i cuori ritrosi. 26 Il Loredano giustifica la ‘sventura’ di Lucrezia come conseguenza del suo eccesso di bellezza: la virilità del suo animo unita a una « somma bellezza27 » diventano un’« esca di tutti i mali28 ». Lucrezia si mostra consapevole di essere connotata, suo malgrado, da un fascino lascivo, proprio delle donne dissolute compiacenti verso la propria avvenenza. Dietro un tale fraintendimento si giustifica lo stupro subìto: S’io fossi stata bella, non haverei forse provate l’ingiurie di quel crudele. La bellezza, ch’eccede hà introdotto il comando nella fierezza de’ cuori più barbari. La violenza non hà dominio nel bello. La venustà d’un bel volto hà in se spiriti così divini, che conciliano riverenza, e divotione. È un ritratto della beltà celeste, che rapisce alla sua contemplatione i pensieri, e le menti. Le mani non v’arrivano con la loro rapacità. 29 1.2 Artemisia Per fornire un secondo significativo modello di eroina (ma l’analisi potrebbe estendersi a molte altre figure celebrate all’interno della produzione incognita), la pittura di Artemisia30, narrata all’interno della Galeria del Pona, filtra un forte atteggiamento misogino, che veniva ben celato o sottilmente alluso nel racconto di Lucrezia. Già l’attacco evidenzia lo scetticismo poniano assunto nei confronti di questa donna, che non si spiega come un’« anima dotata delle più rare Ibidem, p. 92-93. Ibidem, p. 89. 28 Ibidem, p. 88. 29 Ibidem, p. 89. 30 Cfr. Aul. Gell. X, 18: per perpetuare la memoria del fratello e marito scomparso, il re di Caria Mausolo, Artemisia II fece costruire in suo onore una sepoltura monumentale ad Alicarnasso: il celebre Mausoleo, una delle sette meraviglie del mondo. La sofferenza provata per la morte del proprio consorte la indusse a berne le ceneri. 26 27 Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 51 eccellenze » possa entrare « à dar vita a una fanciulla », definendolo un « error grave della Natura ». Il Pona vede infatti il sesso femminile come « fragile, imbelle, e facile a piegarsi nel vizio »31. Come spiegare un tale atteggiamento? Se nel caso di Lucrezia il dogmatico suicidio, conseguente alla violenza subita, lasciava trapelare un’ambiguità nel suo epilogo (interpretazione, peraltro, avvalorata da un approccio diacronico che prende le mosse dalla visione patristica) che rimetteva in discussione la sua virtù, ad Artemisia non si può recriminare nulla. Sembra che l’autore si ostini, pertanto, a trovare una giustificazione a tale comportamento, altrimenti non decifrabile – dal suo punto di vista - se associato a una femmina. Ecco che viene dato spazio a una descrizione del personaggio, connotato da virtù e inclinazioni mascoline32, dedito alla caccia e alla scherma: La scherma, il ballo, la lotta, con Vergini ammaestrate in ciascun di questi esercitij. Vestiva l’armi talvolta, e coperta la fronte di grave elmetto (…) rappresentava una Pallade, all’hor ch’è irata.33 Interessante è la presenza del tema del travestimento, caratteristico della letteratura barocca, che qui contribuisce a restituire virilità al personaggio34. Il Pona continua dicendo che « Di rado prese l’ago, o’l filo 35», Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 113. A tal proposito, si tenga presente che nel 1595 usciva a Francoforte una dissertazione latina (Disputatio nova contra mulieres, qua probatur eas homines non esse, s. l. [Francoforte], 1595), di autore ignoto, in cui si sosteneva la tesi che le donne sono prive di anima, che esse non appartengono affatto alla razza umana e che pertanto debbono essere considerate escluse, altrettanto delle bestie, dalla redenzione salvifica in Cristo e dalla vita eterna (Cfr. Giorgio SPINI, Ricerca dei libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel Seicento italiano. Nuova edizione riveduta e ampliata, Firenze, La Nuova Italia, 1983, p. 219-232). 33 Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 114115. 34 Per una ricognizione sulla pratica del travestimento in terra veneta, nel corso del XVI e XVII secolo, vedasi: Giovanni SCARABELLO, « Le “Signore” della Repubblica », in Il Gioco dell'amore: le cortigiane di Venezia dal Trecento al Settecento. Catalogo della mostra (Venezia, Casinò municipale Ca' Vendramin Calergi, 2 febbraio-16 aprile 1990), Milano, Berenice, 1990, p. 11-35. 35 Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 115. 31 32 52 Il Campiello – n° 1 all’epoca attività connotative della figura femminile, e introducendo il disagio provato nell’approcciarsi la prima volta con l’altro sesso, reso attraverso la descrizione della sua prima notte di nozze: Nell’accostarsi la prima sera allo Sposo, ella svenne, perche la novità del caso, la cangiò in pietra quanto a sensi: la vergogna trahendola fuor di se.36 Sebastiano Mazzoni, Sofonisba (?), olio su tela, 113,5x98,8, 1640-1660 circa, Londra, Walpole Gallery La narrazione procede con la morte del consorte Mausolo e la costruzione del mausoleo. A questo punto si giunge all’epilogo della vicenda, con la scelta di Artemisia di bere le ceneri del marito per seppellirle « nelle sue viscere37»: si compie la metamorfosi mascolinizzante del personaggio, che sconfigge i Rodiani come un grande condottiero. Scegliendo di inghiottire le ceneri del consorte, si può dire che Artemisia si appropri, difatti, del potere e della forza spirituale di Mausolo, capo dotato di qualità straordinarie. 36 37 Ibidem, p. 115-116. Ibidem, p. 123. Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 53 Il curioso parallelo che si crea tra il tempio in pietra, luogo inizialmente deputato ad accogliere le ceneri del defunto, e il tempio del ‘petto’ della regina, era già stato tratteggiato dal Marino nella sua Galerìa, in cui ancor più chiaramente si delinea l’aspetto petrifico dell’eroina, quasi volendo sottolinearne il carattere inanimato: Duo cor’, duo corpi – una vil pietra unire. Hor dentro il viuo tempio del mio petto Haurai tomba, e ricetto; 38 La forza d’animo e il coraggio di Artemisia sono tali da renderla quasi irreale. Sia il Marino che il Pona esasperano il racconto rispetto al modello offerto dalle fonti classiche39, rimarcando il carattere tragico dell’episodio ed esaltando la virilità d’animo dell’eroina, secondo moduli tipicamente barocchi. 2. Donne-statue e immortali Così come si potrebbero fornire altri numerosi esempi di storie di eroine, da Agrippina a Cleopatra, da Elena a Semiramide, l’estensione della riflessione sull’inverosimiglianza e sull’irrealtà della donna, propria del milieu incognito, potrebbe rivelarsi particolarmente fruttuosa. All’interno della produzione accademica, i diffusi rimandi alla bellezza delle carni femminili generano un continuo gioco descrittivo e qualificativo reso attraverso l’uso di una terminologia convogliata a celebrare una gamma connotativa che spazia dalla durezza della pietra al candore e alla morbidezza del miele. Per fornire qualche esempio, a tal proposito, si può citare il caso de La rete di Vulcano del Pallavicino40, dove viene assunto un simile atteggiamento nei confronti di Venere, attraverso il passaggio dalla condizione umana a quella di una statua di cera. Il passaggio è motivato dalla perfezione fisica della dea, Giovan Battista MARINO, La Galeria (a cura di Marzio PIERI e Alessandra RUFFINO), Trento, La finestra, 2005, [6.], p. 306, 6-8. 39 Cfr. Aul. Gell. X, 18. 40 Ferrante PALLAVICINO, La rete di Vulcano, Venezia, Guerigli, 1640. 38 54 Il Campiello – n° 1 che così prepotentemente si allontana dal naturale. Il suo corpo risulta costituito esteriormente di cera, mentre all’interno si può gustare il suo (…) dolcissimo miele: Hebbe agio di satollarsi, necessitato al sodisfar a quella, che si mostrava al tutto insatiabile. Era necessità il gustare dolcissimo miele, nell’interne parti di quel bellissimo corpo, che al di fuori, e nella morbidezza, e nel candore, mostrava d’esser di cera.41 Ma ancora nel terzo libro la dea è percepita come una scultura, un oggetto di insuperata perfezione, che riacquista al tatto le caratteristiche di un corpo animato: Mostrando desiderio di assicurarsi, se apparivano al tatto quelle fila, che non comparivano a gli occhi, palpavano la morbidezza di quelle carni, che d’alabastro riuscivano alla pruova, non meno di durezza, che di candore.42 Tali osservazioni portano ad interrogarsi sulle connessioni esistenti con le teorie espresse intorno alla natura della donna il cui ruolo fu, senza dubbio, centrale nel contesto dell’accademia veneziana: a questo proposito uno studio più strutturato e approfondito potrebbe condurre a nuove interessanti considerazioni. Sempre all’interno degli Incogniti si inscrive il racconto del Loredano, che nelle sue Bizzarrie accademiche43 dedica appunto una ‘bizzarria’ alla figura dell’ateniese Amicleo, il quale, innamoratosi della statua della Venere di Cnido scolpita da Prassitele, si congiunge con essa lasciandovi impresso il segno della propria incontinenza. In questo caso vi è uno scarto ulteriore, in cui si legittima il congiungimento di un essere umano con una statua di marmo, talmente bella da causare l’innamoramento di un giovane che non può fare a meno di consumarvi un rapporto sessuale44. Ibidem, libro I, p. 88. Ibidem, libro III, p. 204-217. 43 Giovan Francesco LOREDANO, Bizzarrie accademiche, Venezia, Giacomo Sarzina, 1638. 44 La fonte di questo racconto è un dialogo Degli amori di Luciano, ma non bisogna dimenticare che anche Arnobio narra la storia di Pigmalione innamoratosi di una statua di 41 42 Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 55 Siamo di fronte al contrappasso dallo stato di donna a quello di statua: se le figure femminili descritte sono talmente belle – per qualità che siano morali e/o fisiche - da non poter appartenere al genere umano, a loro volta le statue che le rappresentano - o meglio che le incarnano - toccano una bellezza e una ‘verità’ tali da restituire quel naturalismo che le riconduce alla condizione umana. L’intento di rendere in arte il naturalismo nella rappresentazione dei corpi era già radicato, peraltro, in un artista come Tiziano45. Non stupisce, quindi, che un pittore come Sebastiano Mazzoni46, strettamente legato all’Accademia degli Incogniti e attivo a Venezia a partire dalla metà XVI secolo47, nella sua raccolta di sonetti Il tempo perduto. Scherzi sconcertati, pubblicata nel 166148, tramite la celebrazione fittizia riservatagli da Jacopo Fiore in alcuni versi inviati al pittore, affermi: Afrodite conservata dai Cretesi: cfr. AA. VV., Libertini italiani. Letteratura e idee tra XVII e XVIII secolo (a cura di Alberto BENISCELLI), Milano, Rizzoli, BUR, 2012, p. 317-321. 45 Carlo GINZBURG, « Tiziano, Ovidio e i codici della figurazione erotica nel Cinquecento», in Miti emblemi spie. Morfologia e storia, Torino, Einaudi, 1986, p. 133-157: Carlo Ginzburg pone la sua attenzione su una lettera inviata da Tiziano stesso a Filippo II in cui, promettendo al sovrano di inviargli un dipinto avente per soggetto Venere e Adone, nel descrivere l’opera esalta la perfezione con la quale è riuscito a rendere l’ammaccatura della carne causata dal sedere, sostenendo che il colpo del pennello si può dire del tutto identico a quelli che suole fare la Natura. 46 Si veda la monografia dedicata al pittore di Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999. 47 Non è chiara la data del trasferimento del Mazzoni a Venezia. La presenza di un documento datato 1661, sottoscritto dal Mazzoni, ci informa che il pittore in quella data risiedeva a Venezia da ventidue anni (secondo questa testimonianza il pittore dovette arrivare nella città intorno al 1639), ma è anche vero ch’egli risulta registrato all’Accademia del Disegno di Firenze durante il quinto decennio del Seicento (1640, 1643-1644, 1646), la cui immatricolazione risale al 7 settembre 1638. Possiamo supporre, pertanto, che in questo periodo non risiedesse ancora regolarmente in laguna, ma che lavorasse già a Venezia (cfr. Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 20-22). 48 L’opera è una raccolta di poesie che il pittore, strettamente legato all’Accademia degli Incogniti del Loredano, dedica a Marc’Antonio Chiodo. Molti componimenti sono indirizzati agli artisti contemporanei; altri, scritti da pittori e scultori in lode dell’autore, sono rivolti direttamente al Mazzoni, che indirizza loro una risposta in versi; altri ancora sono autoritratti caricaturali. Si tratta di ‘finzioni’ letterarie, dietro le quali si cela la penna del 56 Il Campiello – n° 1 Le Bellezze hor’ vegg’io MAZZON’ risorte Grata mercè del tuo Divin Pennello, Che ben’ tù puoi qual’ Prometeo novello, Dar ai corpi insensati anima e sorte.49 Ancor più sintomatico è il fatto che tale affermazione sia contenuta in un sonetto volto a esaltare un quadro del Mazzoni raffigurante Artemisia50, che come una fenice risorge dalle ceneri grazie al « Divin Pennello » del pittore: E te più fortunata ove sol’ lice, Dal rigor dell’oblio, che hora ti accoglie, A un Penello Immortal’ surger’ Fenice.51 All’immortalità sono quindi destinate queste eroine: a suggellare la gloria eterna interviene il ‘pennello’ di un pittore. Tale imperitura celebrazione sembra opporsi al senso di finitezza legato al destino di queste creature, la cui storia conduce spesso a un finale drammatico e, inevitabilmente, alla morte. Ed è emblematico il caso di Artemisia, che beve le ceneri del marito; dietro la sua storia viene a galla una chiara allusione alla dissoluzione del corpo dopo la morte, ma anche alla metempsicosi subita da Mausolo che rivive nel corpo della consorte. Mazzoni in una sorta di autocelebrazione della sua pittura, che fu anche autore di alcune opere letterarie (Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 11-22). 49 Sebastiano MAZZONI, “La Pittura Guerriera” e altri versi sull’arte, Massimiliano ROSSI (a cura di), Sommacampagna, Cierre, [1661] 2008, p. 78, vv. 5-8. 50 Risulta difficile associare al sonetto il quadro corrispondente realizzato dal Mazzoni. Lorenzo Finocchi Ghersi vi vede celato il ritratto di Sofonisba, conservato alla Walpole Gallery di Londra, da lui interpretata come Artemisia; Annalisa Varvara, invece, lo ha accostato a un’Artemisia proveniente da una collezione privata di Venezia. Questa seconda ipotesi risulta più convincente. (cfr. Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 94-95 e 108-109). 51 Sebastiano MAZZONI, “La Pittura Guerriera” e altri versi sull’arte, Massimiliano ROSSI (a cura di), Sommacampagna, Cierre, [1661] 2008, p. 78, vv. 12-14. Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 57 3. Spunti analitici: i ‘ritratti letterari’ e la componente misogina Se ai madrigali della Galerìa mariniana riguardanti queste ‘feminae illustres’ non è possibile associare una tela o un pittore per una mancanza di riferimenti che ne permettano una sicura identificazione, è innegabile come le loro storie incontrino una diffusione e una fortuna tali da divenire uno dei soggetti privilegiati degli artisti, molti dei quali attivi a Venezia. Basti pensare a Guido Reni, Guido Cagnacci, la cui evoluzione stilistica rispetto al modello del maestro bolognese si manifesterà durante il suo soggiorno veneziano, e ancora Pietro Negri, Padovanino, Luca Ferrari e il già citato Sebastiano Mazzoni. Di quali connotazioni si caricano questi ritratti? Come si declina la materia pittorica sulla tela? Essa diventa materica o più liquefatta, restituendo talvolta carnagioni livide in cui scompare il chiaroscuro. Nel corso del Seicento, poi, a Venezia continuava il rapporto stretto tra pittori e meretrici che posavano in qualità di modelle per gli artisti, la cui presenza è rintracciabile in molti temi iconografici dei dipinti barocchi. Si piegano a questo discorso i temi biblici e i ritratti di Cleopatre e Veneri52. È forse possibile identificare le figure di queste eroine fissate sulla tela con quelle delle cortigiane veneziane contemporanee? Uno studio sui rapporti e sul dialogo che intercorre tra la produzione artistica e quella letteraria potrebbe condurre a una corretta interpretazione di una tendenza culturale di così grande portata; non va poi trascurato il fatto che molti tra i nomi dei pittori menzionati sono strettamente legati all’Accademia degli Incogniti il cui fondatore, Giovan Francesco Loredano, fu un grande collezionista di opere d’arte53. Già Carlo Dionisotti aveva osservato il « vantaggio, per il Marino e per l’Italia, di una gara in cui la poesia fosse alleata delle arti figurative 54», in un proficuo interscambio tra le due dimensioni, fissando un criterio di rappresentazione Cfr. Giovanni SCARABELLO, « Per una storia della prostituzione a Venezia tra il XIII e il XVIII sec. », in Studi Veneziani, XLVII, 2004, p. 78-86. 53 Cfr. Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 27. 54 Carlo DIONISOTTI, « La galleria degli uomini illustri », in Cultura e società nel Rinascimento tra riforme e manierismi (a cura di Vittore Branca e Carlo Ossola), Firenze, Olschki, 1984, p. 449-461. 52 58 Il Campiello – n° 1 letteraria dell’arte visiva. La ‘letteratura’ seicentesca vuole presentarsi, in qualche modo, come manifesto di tale tendenza, in una cultura attratta dalla digressione ecfrastica55: non stupirà il fatto che essa diventi portavoce di una fenomenologia pittoricistica radunata dal Getto56 per il romanzo veneto dell’età barocca57. Come nota Fabrizio Bondi, in Pona « la scrittura – in prosa e in poesia - imita la pittura nella sua ipostasi retorica, non tanto gareggiando con tele esistenti, ma convocando piuttosto, quasi per compensazione, il maggior numero possibile di alleate tra le arti plastiche e figurative 58». Un ultimo aspetto rilevante coinvolge l’interpretazione della componente misogina, costantemente presente nei testi analizzati. Emblematico è il caso del Pona: nella Galeria mostra apertamente, come si è visto, un atteggiamento maschilista nei confronti del personaggio di Artemisia; ma ancora più interessante è l’esempio di Lucrezia, soprattutto se raffrontato alla fonte latina dell’Ab Urbe condita di Tito Livio. Se nell’autore latino la donna è presentata come forte e risoluta, diverso è il ritratto restituitoci dal Pona, in cui si allude al suo carattere di ambiguità, di fascino lascivo. In Livio, infatti, Lucrezia si assolve dalla colpa, anche se si autopunisce uccidendosi, e ordina in prima persona al marito e al padre di vendicarla. Sono questi ultimi, insieme agli amici presenti alla confessione, ad assolverla, in base al principio secondo il quale se manca l’intenzione non vi è alcuna colpa, in quanto pecca il corpo e non la mente: (…) mentem peccare, non corpus, et unde consilium afuerit culpam abesse59 Sebastiano MAZZONI, “La Pittura Guerriera” e altri versi sull’arte, Massimiliano ROSSI (a cura di), Sommacampagna, Cierre, 2008, p. XIII. 56 Giovanni GETTO, « Il romanzo veneto nell’età barocca », in Vittore BRANCA (a cura di), Barocco europeo e Barocco veneziano, Firenze, Sansoni, 1963, p. 197 . 57 Fabrizio BONDI, « Belle infedeli. Una traduzione francese della Galeria delle Donne Celebri di Francesco Pona (1632) », in Davide CONRIERI (a cura di), Gli Incogniti e l’Europa, Bologna, I libri di Emil, 2011, p. 20-21. 58 Ibidem, p. 25. 59 Liv. I, 58: « non è il corpo che pecca, ma la mente, e quindi, se manca l’intenzione, non si può parlare di colpa ». 55 Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 59 In Pona, invece, non solo Lucrezia non ha la forza di impartire ordini ai familiari in merito alla vendetta da infliggere a Sesto Tarquinio (è infatti il marito Collatino ad annunciare il suo desiderio di vendetta) ma, una volta terminato il suo racconto, sviene60. Inoltre, nella fonte liviana è del tutto assente l’iniziale accondiscendenza del personaggio verso il suo stupratore, che la sorprende nel dormiveglia. Sembra quasi che sotto un’apparente esaltazione della donna si celi un substrato di perentoria condanna contro la stessa. Senza contare la totale decontestualizzazione che subisce il testo classico: nella tragedia antica, infatti, la morte inflitta col pugnale rappresentava un modo nobile di morire, in contrasto con l’uccisione per impiccagione, propria dei personaggi abietti61. In questo caso si può dire che il personaggio subisca una trasmigrazione letteraria nel contesto contemporaneo veneziano. Se si considera il nome stesso dell’eroina, si può facilmente risalire a un’omonimia diffusa nell’onomastica delle cortigiane veneziane, tra le quali il nome di Lucrezia risulta tra i più diffusi come pseudonimo utilizzato per offrirsi ai molteplici amanti62. 4. Conclusioni Come avviene in altra produzione incognita (si prenda il caso della Trilogia del Glisomiro di Girolamo Brusoni63), si può notare un dualismo di Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 9394. 61 A tal proposito si veda il testo di Nicole LORAUX, Façons tragiques de tuer une femme, Paris, Hachette, 1985. 62 Antonio BARZAGHI, Donne o cortigiane? La prostituzione a Venezia, documenti di costume dal XVI al XVIII secolo, Verona, Bertani Editore, 1980, p. 40-54. 63 La cosiddetta Trilogia di Glisomiro di Girolamo Brusoni è composta da tre romanzi seriali: La gondola a tre remi, Venezia, Francesco Storti, 1657, il Carrozzino alla moda. Trattenimento estivo, Venezia, Recaldini, 1658, La peota smarrita, Venezia, Gasparo Storti, 1662. Per una riflessione sul ruolo della donna nella Trilogia brusoniana si veda il testo di Federica AMBROSINI, « Il cosmo femminile nella trilogia di Glisomiro di Girolamo Brusoni», in Gino BENZONI (a cura di), Girolamo Brusoni. Avventure di penna e di vita nel Seicento veneto (Atti 60 60 Il Campiello – n° 1 fondo nella posizione assunta verso le figure femminili: se da un lato sembra che le donne incarnino un modello di indipendenza e di affrancamento dagli uomini, dall’altro le stesse rimangono intrappolate entro le convenzioni e i limiti della morale seicentesca. Anche nel passaggio strutturale ripreso dal Pona, attraverso la redenzione dal vizio alla virtù, possiamo notare come in fondo queste figure di ‘caste’ non siano portatrici di valori totalmente positivi. Ma, soprattutto, non riescono a compiere la loro ascesa dalla perversione alla santità. Viene a crollare, in questo modo, il sistema messo in piedi dal Garzoni. Un simile dualismo si riflette all’interno della stessa Accademia degli Incogniti: se infatti questa dette voce alle donne, dando loro la possibilità di esprimersi, è pur vero che non mancarono momenti di attrito con le personalità maschili che vi appartenevano64. Le donne ne escono sempre sconfitte, rimanendo ingabbiate in un severo controllo sull’etica che non concede loro molta libertà d’azione e non risparmia nessuna condanna ai loro sbagli. L’esempio ‘incognito’ resta un affascinante caso di studio per l’ambiguità che si cela dietro una libertà d’espressione e di pensiero che occulta, talvolta, segnali di omologazione. Come nota Federica Ambrosini nel suo saggio sulle voci femminili in terra veneta65, per le donne ‘letterate’ era indispensabile crearsi una solida trama di amicizie maschili, in grado di offrire un’autorevole protezione dai detrattori. Il rapporto che intercorse tra la monaca Arcangela Tarabotti e il fondatore dell’accademia, Giovan Francesco Loredano, riflette queste del XXIII Convegno di Studi Storici - Rovigo, 13-14 novembre 1999), Rovigo, Minelliana, 2001, p. 107-121. 64 Una di queste dispute ebbe per protagonista la monaca veneziana Arcangela Tarabotti, la quale si risentì col Loredano per un discorso contro le donne letto davanti agli accademici, lanciandogli contro accuse di millantata misoginia (cfr. Monica MIATO, L’Accademia degli Incogniti di Giovan Francesco Loredan. Venezia 1630-1661, Firenze, Leo S. Olschki Editore, 1998, p. 113-120). Degli esempi ulteriori di dispute consumatesi in ambito accademico e che vedono coinvolta la Tarabotti vengono narrate nel testo di Giorgio SPINI, Ricerca dei libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel Seicento italiano. Nuova edizione riveduta e ampliata, Firenze, La Nuova Italia, 1983, p. 219-232. 65 Cfr. Federica AMBROSINI, « Voci e presenze femminili in terra veneta tra XIV e XVIII sec. », in Studi Veneziani, L, 2005, p. 257-266. Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita 61 ambivalenze. Se costui sostenne la Tarabotti e la sua attività letteraria, d’altro canto sembra che contribuì pure a bloccare la pubblicazione della Tirannia paterna e dell’Inferno monacale, a dimostrazione del fatto che il Loredano poteva concedere alla sua amica e protetta fama, ma non libertà. Una simile serie di fatti ed eventi induce a pensare che se nel Cinquecento Venezia era stata uno dei centri della misoginia italiana (a livello di produzione letteraria), spesso si è voluto vedere nel Seicento una possibilità di cambiamento, in cui le cose sembrerebbero migliorare, grazie al lancio di lavori letterari di decisa intonazione femminista66. Ma si tratta di un cambiamento solo apparente. La donna, malgrado la sua presenza sulla scena del dibattito colto, porta avanti una battaglia dalla quale è destinata a uscire – nuovamente - sconfitta. Cfr. Giovanni SCARABELLO, « Per una storia della prostituzione a Venezia tra il XIII e il XVIII sec. », in Studi Veneziani, XLVII, 2004, p. 86-89. 66 SECTION LITTÉRATURE Valentina Manca Da donna di piacere a donna di lettere: la retorica epistolare al servizio del discorso proto-femminista di Veronica Franco 1. Introduzione: Veronica Franco, cortigiana e scrittrice Stefano Bianchi, in suo recente saggio, rileva come Veronica Franco sia stata l’unica poetessa dell’area veneta a veder pubblicati in vita i propri componimenti nella forma di una raccolta1, per poi meravigliarsi dell’: «omissione della Franco (e anche di Chiara Matraini) dal novero delle donne poetesse che nel Cinquecento italiano ebbero la fortuna di vedere la loro opera pubblicata a nome proprio2» in diversi studi. In quanto cortigiana, infatti, un pesante pregiudizio morale gravava sulla sua persona così come su quella di altre autrici coeve che con lei condividevano tale condizione- in particolare Gaspara Stampa e Tullia D’Aragona – impedendo a molti critici di andare oltre l’aspetto biografico. Nell’Ottocento, dopo un silenzio durato secoli, grazie all’interesse storico di Arturo Graf e di Giuseppe Tassini emergono i primi studi dedicati all’autrice, dove però, come amaramente constaterà più tardi Benedetto Croce, «il nome di Veronica Franco è sempre accompagnato, in fronte ai libri che di lei trattano, dalla qualifica di cortigiana3». Cfr. Stefano BIANCHI, La scrittura poetica femminile nel Cinquecento veneto: Gaspara Stampa e Veronica Franco, Roma, Vecchiarelli Editore, 2013, pp. 90-91. Per quanto riguarda, invece, il “primato”di Veronica Franco nell’ambito della produzione epistolare femminile cinquecentesca, si veda Adriana CHEMELLO, «Il codice epistolare femminile. Lettere, “libri di lettere” e letterate nel Cinquecento», in Gabriella ZARRI (a cura di), Per lettera: la scrittura epistolare femminile tra archivio e tipografia sec. XV- XVIII, Viella, Roma, 1999, pp. 38-42. 2 Cfr. Stefano BIANCHI, op. cit., p. 91. 3 Benedetto CROCE, «Studi sulla letteratura critica», in Quaderni della Critica, XIV, luglio 1949, p. 46. 1 64 Il Campiello – n° 1 Tale orientamento generale dei critici dell’epoca potrebbe essere riconducibile alla volontà dell’autrice di non «celare o di velare la professione sua di cortigiana4», come invece fecero le già citate Tullia d’Aragona e Gaspara Stampa, urtando quindi la sensibilità dei più moralisti. In ogni caso, sebbene fino alla prima metà del Novecento siano stati accordati una maggiore attenzione e un posto di maggior rilievo alla produzione poetica di Gaspara Stampa rispetto a quella di Veronica Franco, sarebbe scorretto omettere che anche per la poetessa padovana, specie tra i suoi contemporanei, la condizione di cortigiana fu un ostacolo al pieno riconoscimento di letterata5. Inoltre, proprio nel saggio di Arturo Graf – Un cortigiana fra mille: Veronica Franco – si assiste alla difesa della sincerità della cortigiana veneziana sulla sua vita e, allo stesso tempo, alla condanna degli artifici escogitati da Tullia d’Aragona al fine di nascondere il più possibile la natura di alcuni commerci da lei intrattenuti. Scrive, infatti, Arturo Graf: Per quel tanto che noi sappiamo della sua vita: per quel tanto che dell'indole sua ci rivelan gli scritti, ella doveva essere donna di un pensar risoluto, di un sentir vivo, di un procedere franco, e di parole e di modi, per quanto la professione glielo consentiva, semplici e schietti: una natura gioconda, impulsiva, spontaneamente affettuosa. Per tutti questi rispetti io non mi perito di porla molto sopra a quella leziosa, a quella svenevole di Tullia d'Aragona, che essendo cortigiana, dava aria di duchessa, di musa, di ninfa, tutta contegno, e tutta schifiltà.6 Come rileva Riccardo Scrivano, nonostante Graf nel suo saggio si soffermi ancora molto più sulla cortigiana che non sulla poetessa, egli ha il merito di mettere in luce una caratteristica che sarà la chiave di volta nella successiva scoperta del valore artistico della scrittura di Veronica Franco, Ivi, p. 47. Cfr. Stefano BIANCHI, op. cit., pp. 10-11. 6 Arturo GRAF, Attraverso il Cinquecento. Petrarchismo ed antipetrarchismo. Un processo a Pietro Aretino. I pedanti. Una cortigiana fra mille: Veronica Franco. Un buffone di Leone X, Torino, Loescher, 1916 (Ristampa 1888), p. 348. 4 5 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 65 ossia quella sincerità, accompagnata da una schiettezza nell’espressione dei propri sentimenti, tanto apprezzata da Croce nel secolo successivo7. Tuttavia, rispetto al riconoscimento della virtuosità morale di Veronica Franco consistente nell’ammissione e addirittura nell’elogio della propria condizione di cortigiana, Luigi Russo, contemporaneo di Croce, prende le distanze dalle posizioni di Graf e del critico abruzzese. Russo, infatti, come Graf constata che: «Veronica Franco è una cortigiana dichiarata, ed essa stessa nella sua poesia non cerca nemmeno di dissimulare tale suo stato, come pur fa invece la famigerata Tullia d’Aragona8» lasciando però trasparire dal tono usato come tale affermazione – a differenza di quanto avviene per Graf e Croce – suoni più come un monito alla cortigiana che non ricorre neppure alla dissimulazione per occultare la sua immorale condizione piuttosto che come un riconoscimento di virtù nella sincerità. Del resto, poco più avanti, il critico formulerà nei confronti della poetessa-cortigiana un giudizio volto al ridimensionamento della scrittura di Veronica Franco a semplice «fenomeno sociale9». Russo, in particolare si scaglia contro il Salza che aveva osato accostare il nome di Veronica Franco a quello di Gaspara Stampa i cui versi reputa nettamente superiori rispetto a quelli della cortigiana veneziana, tanto da farlo protestare per tale vicinanza «sconveniente10» poiché: «la Gasparina è veramente poetessa, mentre la Veronica Franco si serve dei suoi capitoli soltanto per un lustro, si direbbe, quasi giornalistico, o per uno snob di società11». In ogni caso, per non dimenticare come in linea generale anche il Graf nel suo saggio abbia lanciato solo un timido segnale di rivalutazione di Veronica Franco e l’abbia considerata ancora e soprattutto nelle vesti di Cfr. Riccardo SCRIVANO, «La poetessa Veronica Franco», in Riccardo SCRIVANO (a cura di), Cultura e letteratura nel Cinquecento, Roma, Edizioni dell’Ateneo, 1966, pp. 198-199. Si veda inoltre Elvira FAVRETTI, «Rime e lettere di Veronica Franco», in Giornale Storico della Letteratura Italiana, vol. CLXII, fasc. 523, 1986, p. 358. 8 Luigi RUSSO, «Veronica Franco e la “corruttela” del ‘500», in Osservatore politico letterario, VI, 1958, p. 39. 9 Ivi, p. 40. 10 Ibidem. 11 Ibidem. 7 66 Il Campiello – n° 1 cortigiana – seppur non con l’asprezza di Russo – si può citare l’ironia del critico nei confronti della presunta leziosità delle cortigiane oneste tutte, e in particolare di quella di Veronica Franco che invitava gli spasimanti a coltivare gli studi per appagare lo spirito e non solo i sensi12. Graf, infatti, inizia definendo la lettera XVII da cui è tratto il passaggio citato come: «il più curioso documento che immaginar si possa del gran concetto in che ella ha lo studio e la coltura13», per poi esclamare: «Strane meretrici davvero, e non meno strani spasimanti, che dovevano fare un apposito corso di studi e dar con profitto gli esami prima di poter entrar loro in grazia! Le Diotime e le Aspasie del tempo antico non credo chiedessero tanto14». Russo cita lo stesso passaggio dalla lettera XVII allineandosi al tono derisorio di Graf, quasi ricalcandone le parole: «Ahimé! Queste cortigiane oneste tenevano cattedra vera e propria di letteratura, e si appagavano molto delle conversazioni con gli eruditi e con gli accademici, e mandavano i loro amanti a fare un corso scientifico di humanae litterae!15». In conclusione, senza voler passare in rassegna tutti gli studi critici su Veronica Franco che si sono concentrati sulla peior pars16 della vita dell’autrice17, si può dire che Croce sia stato il primo a riscattarla dalla marginalità cui era stata condannata e ad aprire le porte a nuovi orizzonti critici che guardassero alla cortigiana veneta non più solo come a un elemento di interesse per la storia del costume, ma anche e soprattutto come a un significativo tassello nel mosaico della vasta produzione letteraria cinquecentesca. Dopo di lui, come già accennato sopra e come rileva Favretti, sarà Scrivano negli anni Sessanta a «privilegiare la scrittrice in Veronica Franco18» Veronica FRANCO, Lettere familiari a diversi, a cura di Stefano BIANCHI, Roma, Salerno Editrice, «Minima», 1998 pp. 59-61. 13 Arturo GRAF, op. cit., p. 300. 14 Ivi, p. 301. 15 Luigi RUSSO, op. cit., p. 41. 16 Ivi, p. 46. 17 Per una puntuale ricostruzione degli studi critici su Veronica Franco cfr. Riccardo SCRIVANO, op. cit. pp. 197-206; cfr. Elvira FAVRETTI, op. cit., pp. 355-359. 18 Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 358. 12 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 67 esplorando e riconsiderando tutta l’opera dell’autrice, dalle Rime ai sonetti, passando per le Lettere19. Più recentemente, negli ultimi trent’anni, la poesia e la prosa della cortigiana-poetessa hanno suscitato l’interesse di critici stranieri, perlopiù in area anglo-americana e nell’ambito di una rilettura in chiave femminista20, come del resto anche per altre autrici italiane del Cinquecento21. In ogni caso, anche in ambito nostrano l’interesse per la Veronica Franco scrittrice, non più solo cortigiana, si è fatto più vivo dagli anni Ottanta e in particolare dal decennio successivo, grazie alle ricerche, in particolare, di Maria Luisa Doglio, Stefano Bianchi, Adriana Chemello e V. Riccardo SCRIVANO, op. cit., pp. 197- 222. V. Ann Rosalind JONES, «City Women and Their Audiences: Louise Labé and Veronica Franco», in Margaret W. FERGUSON, Maureen QUILLIGAN, Nancy J. VICKERS (edited by), Rewriting the Renaissance. The Discourse of Sexual Difference in Early Modern Europe, London-Chicago, The University of Chicago Press, 1986, pp. 299-316; Margaret F. ROSENTHAL, «A Courtesan’s Voice: Epistolary Self-Portraiture in Veronica Franco’s Terze Rime», in Elizabeth C. GOLDSMITH (edited by), Writing the Female Voice. Essays on Epistolary Literature, Boston, Northeastern University Press, 1989, pp. 3-24; M. F. ROSENTHAL, «Veronica Franco's Terze Rime: the Venetian Courtesan's Defense», in Renaissance Quarterly, Vol. 42, N. 2 (Summer, 1989), pp. 227-257; M. F. ROSENTHAL, The Honest Courtesan : Veronica Franco, Citizen and Writer in Sixteenth-Century Venice, Chicago, University of Chicago Press, 1992; Patricia PHILIPPY, « “Altera Dido”: The model of Ovid’s Heroides in the poems of Gaspara Stampa and Veronica Franco», in Italica, vol. 69, n. I, (spring 1992), pp. 1-18; Gabriele NICCOLI, «Autobiography and Fiction in Veronica Franco’s Epistolary Narrative», in Canadian journal of Italian studies, vol. XVI, n. 47, 1993, pp. 129- 142; G. Niccoli, «Eros and the Art of Self-Promotion in Veronica Franco's Terze rime», in Annali di Italianistica, 1988, pp. 52-62; Danilo AGUZZI-BARBAGLI, «Dialettica femminista di Veronica Franco», in John T. BREWER (ed.), Proceedings: Pacific Northwest Council on Foreign Languages, Twenty-eight Annual Meeting (April 23-25, 1977), Corvalis, Oregon State University Press, pp. 84-87; Meredith K. RAY, «The Courtesan’s Voice: Veronica Franco’s Lettere Familiari», in M. RAY(ed.), Writing Gender in Women’s Letter Collections of the Italian Renaissance, Toronto, Toronto Univeristy Press, 2009, pp. 123-155; Paul LARIVAILLE, La vie quotidienne des courtisanes en Italie au temps de la Renaissance (Rome et Venise, XVe et XVIe siècles), Paris, Hachette, 1975; François RIGOLOT, « Montaigne et Veronica Franco : de la courtisane à la femme de lettres », in Montaigne Studies, XV (1/2-2003), pp. 117-130. 21 Cfr. Stefano BIANCHI, op. cit., p. 9. 19 20 68 Il Campiello – n° 1 Tatiana Crivelli22. Inoltre anche la vivificazione degli studi biografici risale a quegli anni, soprattutto per i contributi di Alessandra Schiavon e Marisa Milani23. 2. La cortigiana onesta nella Venezia del Cinquecento Dopo questo breve excursus sulla fortuna critica di Veronica Franco si intende procedere a una breve analisi della condizione della cortigiana nel milieu in cui la moderna etera operò. Tale riflessione vorrebbe, infatti, porsi come introduzione alla problematica della fatica della donna per affermarsi nel mondo delle lettere e delle strategie cui deve ricorrere per veder legittimata la propria ambizione. V. Stefano BIANCHI, La scrittura poetica femminile, op. cit.; Cesare CATÀ, «Un Rinascimento tra Petrarca e passione. Il Neo-platonismo “corporeo” della poesia di Veronica Franco», in La Parola del testo. Semestrale di filologia e letteratura europea dalle origini al Rinascimento, II, 2009, pp. 359-378; Adriana CHEMELLO, op. cit. pp. 3-42; Tatiana CRIVELLI, «“A un luogo stesso per molte vie vassi”: note sul sistema petrarchista di Veronica Franco», in T. C., Giovanni NICOLI e Mara SANTI, L’una et l’altra chiave: figure e momenti del petrarchismo femminile europeo. Atti del convegno internazionale di Zurigo (4-5 giugno 2004), Roma, Salerno Editrice, 2005, pp. 79-102; Marcella DILIBERTI LEIGH, Veronica Franco, donna, poetessa e cortigiana del Rinascimento, Priuli & Verlucca, Ivrea 1988; Maria Luisa DOGLIO, «Scrittura e “offizio di parole” nelle Lettere Familiari di Veronica Franco», in M.L. DOGLIO, Lettera e donna. Scrittura epistolare tra Quattro e Cinquecento, Roma Bulzoni, 1993, pp. 33-48; Dacia MARAINI, Veronica, meretrice e scrittora, Milano, Bompiani, 1992; Valeria PALUMBO, Veronica Franco, la cortigiana poetessa, Villorba, Edizioni Anordest, 2011; Alvise ZORZI, Cortigiana veneziana, Veronica Franco e i suoi poeti, 1546-1591, Rizzoli, Milano 1993. 23 Alessandra SCHIAVON, «Per la biografia di Veronica Franco. Nuovi documenti», in Atti dell’Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, CXXXVII, 1978-1979, pp. 243-256; Marisa MILANI, «L’“incanto” di Veronica Franco», in Giornale storico della letteratura italiana, n. 162, 1985, pp. 250-263; M. MILANI, «Da accusati a delatori: Veronica Franco e Francesco Barozzi», in Quaderni veneti, XXIII, 1996, pp. 9-34; Matteo MANCINI, «Tre documenti inediti di Veronica Franco», in La Rassegna della letteratura italiana, XCVIII, n.3, 1994, pp. 123-125; Stefano BIANCHI, «Nota biografica», in Veronica Franco, Rime, Milano, Mursia, 1995, pp. 33-34. 22 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 69 In questa prospettiva si vedrà come lo stato di cortigiana e quello di donna di lettere siano intimamente collegati, tanto da coincidere e rendere difficile se non impossibile e inutile voler parlare della Veronica Franco scrittrice censurandone la natura di cortigiana. Su questo Gabriele Niccoli è senz’altro il critico che maggiormente ha inteso e meglio esplicato la necessità di non disgiungere la letterata dalla cortigiana e viceversa, sostenendo come sia importante insistere sulla biografia guardando all’opera letteraria: I critici, dall'Ottocento fino al Croce ed oltre, hanno insistito sul rilievo della componente biografica nell'opera della scrittrice cinquecentesca. Sarebbe forse necessario insistervi di più; meglio vedervi le modalità storiche secondo cui tale componente si trasforma in materia d'arte. La letterata veneziana propone se stessa come protagonista assoluta della propria poesia e delle sue prose, elabora episodi scelti da una prospettiva singolarmente realistica della propria vita di cortigiana onesta nel mondo veneziano del secondo Cinquecento. Da questa presa di posizione risulta prima di tutto, ed anzi come motivo informatore generale, il tentativo di un tipo di emancipazione femminile.24 Tornando, quindi, al primo stadio di questo percorso, ci ritroviamo a parlare della cortigiana e della capillare diffusione della prostituzione in Italia nel Cinquecento, tanto da creare il «mito della cortigiana italiana del Rinascimento25». Come rileva Graf poggiandosi sulla testimonianza di Sperone Speroni26, il radicale mutamento di percezione nella società rinascimentale di tale figura sociale – che va nella direzione di un netto miglioramento – è riscontrabile già dal cambiamento stesso di denominazione: non più meretrici ma cortigiane. Scrive, infatti, il critico: «Il Rinascimento fiorito chiama dunque con nome onorifico la donna che l'età precedente chiamava con nome d'infamia; […] Ma qui non si tratta di un semplice mutamento di nome, come potrebbe a prima giunta sembrare, e come, a torto, lo Speroni vorrebbe lasciar credere. Sotto il nome mutato c'è Gabriele NICCOLI, «Strategie retoriche e finzioni auto confessionali nelle lettere familiari di una letterata del Cinquecento», in In forma critica. Realtà sociale, I, (gennaio 2003), p. 1. 25 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit., pp. 195-201. 26 V. Sperone SPERONI, «Discorso contro le cortigiane», in Opere di M. Sperone Speroni degli Alvarotti tratte da' mss. originali, Venezia, Occhi, 1740, cc. 1r-32r. 24 70 Il Campiello – n° 1 la cosa anch'essa mutata; e se la cortigiana rimaneva pur sempre una peccatrice, non era più la peccatrice di prima27». Al «mutamento di nome28» corrisponde dunque «la cosa anch’essa mutata29», e questo mutamento a livello sociale può certamente trovare esplicazione nella diffusione del Cortegiano di Castiglione, dove la donna di palazzo, al pari del suo compagno, è: «persona ornata d'ogni pregio e virtù, persona compita, della cui conversazione nessuno s'ha a vergognare, come essa non s'ha a vergognare della sua qualità30». Jacob Burckhardt, nel suo celebre saggio La civiltà del Rinascimento in Italia, addirittura accosta la moderna figura della cortigiana a quella antica delle etère, decantandone la finezza della conversazione e dell’istruzione di quelle tra loro più note31. Sulla stessa lunghezza d’onda, Russo sostiene di voler nobilitare le cortigiane comparandole alle «etere o alle Aspasie che furono nell’antica Grecia32», preceduto in tale intento da Graf33. Di parere diverso è invece Croce, il quale non concorda su questo punto con Burckhardt e suggerisce come sia più appropriato collocare la cortigiana nel suo tempo, e quindi nel culto dell’individualità rinascimentale e del conseguente «risorto sentimento valore della vita terrena34», di cui il critico svizzero parla diffusamente nel suo saggio35. In ogni caso, che le si voglia considerare creature mitiche o terrene, il potere sociale di cui godettero queste donne è un fenomeno largamente documentato dalle testimonianze dei contemporanei, in primis i viaggiatori stranieri e in generale i forestieri di passaggio, affascinati dalla liberalità della città lagunare in materia di tolleranza. A questo proposito, nel suo Journal de Arturo GRAF, op. cit., p. 225. Ibidem. 29 Ibidem. 30 Ibidem. 31 Cfr. Jacob BURCKHARDT, La civiltà del Rinascimento in Italia, Firenze, Sansoni Editore, 1955, pp. 430-432. 32 Luigi RUSSO, op. cit., pp. 41-42. 33 Cfr. Arturo GRAF, op. cit., pp. 276-281. 34 Benedetto CROCE, op. cit., p. 47. 35 V. Jacob BURCKHARDT, op. cit., pp. 144-186. 27 28 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 71 voyage en Italie (1580) Montaigne, nella sua tappa a Venezia, rileva la presenza di centocinquanta cortigiane e il lusso del loro tenore di vita: Il n’y trouva pas cette fameuse beauté qu’on attribue aus Dames de Venise ; et si vit les plus nobles de celles qui en font traficque ; mais cela luy sembla autant admirable que nulle autre chose d’en voir un tel nombre, comme de cent cinquante ou environ, faisant une despense en meubles et vestemens de princesses ; n’ayant autre fonds à se maintenir que de cette traficque; et plusieurs de la noblesse de là mesme, avoir des courtisanes à leurs despens, au veu et sceu d’un chacun.36 Certamente qui lo scrittore francese, quando parla di «meubles et vestemens de princesses», si riferisce allo sfarzo ostentato dalle «cortigiane oneste», ossia coloro che, rispetto alle colleghe meno fortunate perché in relazione con uomini di bassa condizione sociale, godevano di maggiori privilegi e prestigio, in virtù dei loro contatti con i notabili della città. In questa categoria rientrava la stessa Veronica Franco, la quale, da sempre a contatto con le alte sfere del potere, fin dal principio della sua carriera di cortigiana si era impegnata per entrare nelle grazie di nobili, politici e letterati. Riguardo a questi ultimi, si può dire che essi erano principalmente oggetto delle mire di Veronica Franco – così come di altre cortigiane oneste – innanzitutto per ragioni di natura pratica: come osserva Graf, in una società in cui « tutti eran colti, e in cui l'ingegno e la coltura erano tenuti sommamente in pregio, anche le cortigiane, se volevano aver seguito, bisognava si ponessero in grado di soddisfare al gusto comune [… ]37 »; in secondo luogo perché esse stesse erano “figlie del Rinascimento” e dunque amanti delle arti e delle belle lettere, cui si dedicavano talvolta con esiti felici, come nel caso di Tullia d’Aragona, Gaspara Stampa e ovviamente Veronica Franco. Un indizio dell’interesse a coltivare tali relazioni si può cogliere, del resto, nella sua frequentazione del circolo dell’intellettuale, nonché suo protettore, Domenico Venier, e dall’omaggio che la Franco rende a Michel de MONTAIGNE, Journal de voyage en Italie, éd. par F. RIGOLOT, Paris, PUF, 1992, p. 69. 37 Arturo GRAF, op. cit., p.238. 36 72 Il Campiello – n° 1 Montaigne nel corso della sua sosta a Venezia e di cui troviamo riscontro nel diario di viaggio tenuto dall’autore transalpino: «Le Lundi à souper, la Signora Veronica Franco, gentifemme Venitienne, envoya vers luy pour lui presenter un petit livre de Lettres qu’elle a composé. Il [Montaigne] fit donner deux escus audict home38» dove Veronica Franco viene menzionata semplicemente come «gentifemme», a indicare forse la volontà di riconoscerne la fisionomia di letterata piuttosto che quella di cortigiana39. Tornando poi al contesto generale di “gloria” delle cortigiane oneste al tempo – reso dalla vastità della portata del fenomeno – si possono citare le testimonianze di Ortensio Lando il quale ne attesta l’innumerabilità40, e di Giordano Bruno nella critica libertina del Candelaio (1582) che, seguendo la tradizione retorica umanistica del paradosso e rifacendosi ai Paradossi (1544) di Ortensio Lando, procede con un rovesciamento dell’ordinaria prospettiva morale all’elogio paradossale della prostituzione e alla lode delle città in cui tale fenomeno è maggiormente tollerato, se non incoraggiato, ossia Roma, Napoli e Venezia per l’appunto41. A proposito di quest’ultima, infatti, il Nolano la antepone alle altre città in materia di liberalità nei costumi: «per magnanimità e liberalità della illustrissima Republica […] le puttane sono esempte da ogni aggravio; e son manco soggette a leggi che gli altri42» mettendo in evidenza la condizione privilegiata di cui beneficiano qui le cortigiane a livello economico e fiscale. Nel testo di Bruno l’elogio paradossale non è semplice esercizio erudito da umanista ma strumento di satira che, dietro l’apparente elogio della corruzione dilagante nell’Italia del tardo Cinquecento, intende condannare non tanto la lascivia dei costumi quanto l’ipocrisia dissimulatrice della società post-tridentina. Michel de MONTAIGNE, op. cit., p. 68. Cfr. François RIGOLOT, op. cit., pp. 125-126. 40 Cfr. Ortensio LANDO, Sette libri de cathaloghi à varie cose appartenenti, non solo antiche, ma anche moderne, Vinegia, Gabriel Giolito de' Ferrari, e fratelli, Vinegia, appresso Gabriel Giolito de Ferrari et fratelli, 1552, p. 23. 41 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit. pp. 36-40 e 186-193. 42 Giordano BRUNO, Candelaio, Torino, Einaudi, 1964 [1582], p. 135. 38 39 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 73 Facendo un considerevole balzo nel tempo, Paul Larivaille nel XX secolo procede anch’egli a una sorta di elogio paradossale della cortigiana – non spinto dall’intento di una critica morale come nel caso di Bruno – ma dall’interesse storico per la maggiore libertà di cui queste donne godettero rispetto alle altre, al punto di dire che: «les courtisanes sont les principales béneficiaires de l’étroite brèche ouverte dans les préjugés antiféminins et du changement de mentalité qui s’amorce au temps de la Renaissance italienne43» e a considerarle protagoniste della «timide émancipation de la femme qui se dessine alors44». Tuttavia, lo stesso Larivaille si pronuncia cautamente rispetto all’ipotesi di un Rinascimento del tutto favorevole alla causa femminile45, prendendo le distanze da Burckhardt che invece lo dipinge nei termini di un’epoca-eldorado per la donna. A detta del filosofo, infatti, non ci sarebbe stata distinzione tra l’educazione della donna e quella dell’uomo, così come identiche sarebbero state le possibilità di accedere al mondo delle belle lettere e della politica, esemplificando questo nuovo modello muliebre con la figura della virago46, in cui però solo qualche cortigiana onesta e le donne delle classi sociali più elevate potevano identificarsi. In sintesi, per dirla con Larivaille, anche se nel secolo ci furono : «plus de poétesses que n’en avait connu jusqu’à là l’humanité entière et qu’il faut voir là indice indéniable d’une certaine émancipation de la femme, le tableau est toutefois moins brillant que ne l’affirme Burckhardt47». Del resto, non mancano testimonianze di contemporanei sugli attacchi, spesso feroci, subiti dalle cortigiane oneste perennemente in bilico tra gloria e infamia, e quindi costrette a macchinare i più sottili stratagemmi per mantenersi in equilibrio in una condizione di costante instabilità. Paul LARIVAILLE, op. cit., p. 18. Ibidem. 45 Ivi, pp. 10-17. 46 Cfr. Jacob BURCKHARDT, pp. 426-431. 47 Paul LARIVAILLE, p. 11. 43 44 74 Il Campiello – n° 1 La stessa Veronica Franco fu il bersaglio della maldicenza di Maffio Venier48, poeta dialettale, che si scagliò contro la cortigiana in un sonetto caudato dal titolo Veronica, ver unica puttana, cui la Franco rispose nel capitolo XVI delle Terze Rime, comunque costantemente livellate sul tono dell’autodifesa e della tenzone49. Per rimanere nell’ambito della scrittura veneta, Lorenzo Venier redasse due poemi satirici: La Zaffetta e La puttana errante, rispettivamente ai danni di Angela Zaffetta ed Elena Ballerina50. Più in generale, dalla satira e dal sarcasmo di cui furono oggetto le cortigiane in La cortigiana di Pietro Aretino, e in particolare nei suoi Ragionamenti51 – in cui l’autore traccia uno spietato ritratto della pochezza spirituale e della disonestà delle cortigiane, specie di quelle «oneste» – così come, tra gli altri, Andrea Alciato, Fausto Andrelini, Ludovico Bigi, Teofilo Folengo e Sperone Speroni che furono aspri detrattori delle cortigiane52, emerge ancora una volta un quadro non del tutto roseo come superficialmente potrebbe apparire. Le cortigiane, poi, oltre a subire attacchi letterari, erano anche spesso pagate con la stessa moneta dai loro amanti-in particolare quelli risentiti per un imbroglio – ovvero con brutti tiri giocati alla loro persona, che spesso degeneravano in brutali umiliazioni fisiche, talvolta anche pubbliche53. Senza volersi attardare sulle miserie della loro condizione, già ampliamente documentate54, si potrà citare la testimonianza diretta di Veronica Franco, la quale, nella famigerata lettera XXII ad una madre che si era rivolta a lei affinché la aiutasse ad avviare la figlia alla carriera di cortigiana, così descrive i fattori degradanti del suo mestiere: «Darsi in preda di tanti, con rischio di essere dispogliata, d’esser rubbata, d’esser uccisa […] infermità contagiose e spaventose; mangiar con l’altrui bocca, dormir con gli V. Manlio DAZZI, Il libro chiuso di Maffio Venier: la tenzone con Veronica Franco, Venezia, Pozza, 1956; cfr. Alvise ZORZI, op. cit., pp. 91-111. 49 V. Margareth F. ROSENTHAL, «Veronica Franco's Terze Rime», op. cit. pp. 227-257. 50 Cfr. Arturo GRAF, op. cit. p. 255; Stefano BIANCHI, La scrittura poetica femminile, op. cit., p.11 51 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit., pp. 47-64. 52 Cfr. Arturo GRAF, op. cit., p. 255. 53 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit., pp. 126-135. 54 Ivi, pp. 126-135, 149-168, 176-186 e 197-198. 48 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 75 occhi altrui, muoversi secondo l’altrui desiderio […] ma poi se s’aggiungeranno ai rispetti del mondo quei dell’anima, che perdizione e che certezza di dannazione è questa?55» riassumibili in un’unica parola: servitù, come ella stessa scrive56. Ancora una volta, Larivaille procede con prudenza sulla fortuna delle cortigiane osservando come «pour une courtisane à qui la fortune sourit, il en est des milliers qui végètent un temps, en butte aux brimades et aux tromperies de clients plus rusés et cyniques qu’elles57». Conclude, poi, proprio con l’esempio di V. Franco : «Veronica Franco elle-même, la plus grande et la plus célèbre des courtisanes vénitiennes de la Renaissance, doit provoquer en duel l’auteur de poèmes injurieux à son égard pour sauver sa réputation […] et doit faire face de son mieux à une dénonciation auprès du tribunal du Saint-Office58». 3. Da donna di piacere a donna di lettere Il punto di partenza: la cortigiana onesta La vita della cortigiana sembra quindi essere contraddistinta da una straziante e continua esposizione alla tempesta di mille rischi e tormenti, in cui soltanto poche riescono a barcamenarsi. Tuttavia, le poche che riuscivano nell’impresa potevano contare su una visibilità sociale invidiabile, apportatrice di legami e occasioni utili al raggiungimento di quella stabilità tanto agognata e più difficilmente conquistata dalle compagne meno ingegnose e «virtuose». Quest’ultima parola risulta essere la caratteristica essenziale della cortigiana onesta che abbia delle ambizioni, come nel caso di Veronica Franco. Nell’ambito del quadro generale assai desolante delineato dalla Franco nella lettera XXII, la donna non tralascia infatti di avvertire che Veronica FRANCO, Lettere, op. cit, p. 74. Ibidem. 57 Paul LARIVAILLE, op. cit., p. 197. 58 Ivi, p. 198. 55 56 76 Il Campiello – n° 1 riuscirà nella «profession delle cortigiane» soltanto chi «abbia maniera e giudizio e conoscenza di molte virtù59», come è stato nel suo caso, per l’appunto. Da ciò si evince come sia essenziale ostentare e pubblicizzare tali virtù per fare il grande salto60 come afferma Niccoli: «in her Rime, our courtesan-poet conducts a discourse of self-promotion and selffashioning61». A tale proposito, l’autrice adotterà come prima strategia quella della scelta di un genere particolarmente adatto al suo disegno di emancipazione sociale: l’epistola in versi. Il recupero del capitolo in terza rima – radicato nella poesia cortigiana di fine ‘400 e in quella giovanile dell’Ariosto62 – le permette, infatti, di sfruttarne la discorsività al fine di lasciar spazio alla voce e al pensiero femminili di emergere in quella che Croce definì una raccolta di lettere in versi63. Posto che il nostro obiettivo è quello di delineare l’evoluzione di tale presa di parola femminile da scrittura ancora intima e personale nelle Terze Rime a pubblica rivendicazione nelle Lettere, si tratterà qui di selezionare i passaggi più significativi del percorso di maturazione della voce di Veronica Franco da virtuosa cortigiana onesta nei primi capitoli, passando per quelli dove nell’ambito di una guerra di parole con detrattori e uomini brutali mira a rivendicare più apertamente le virtù morali e intellettuali delle donne, pervenendo infine allo stadio di serena presentazione di sé, nell’epistolario, come donna di lettere ormai affermata e rispettata. In quest’ottica esemplare della prima fase di tale viaggio verso il riscatto sociale della cortigiana, appare il capitolo II delle Rime, scritto in risposta alla languida dichiarazione d’amore del suo amante favorito, ossia Marco Venier. Al «petrarchismo stucchevole», come definito da Bianchi, che caratterizza il capitolo I di Venier, V. Franco oppone la concretezza di un amore terreno così come la richiesta di prove d’amore e non solo a parole, lusinghe di cui si dice «avvezza [e] delusa». Scrive dunque al suo amante: Veronica FRANCO, Lettere, op. cit., p. 73. Cfr. Gabriele NICCOLI, «Eros and the Art of Self-Promotion», op. cit, pp. 52-62. 61 Gabriele NICCOLI, «Autobiography», op. cit., p. 130. 62 Cfr. Stefano BIANCHI, «Introduzione», op. cit., pp. 27-28. 63 Cfr. Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 361. 59 60 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 77 Certe proprietari in me nascose vi scoprirò d’infinita dolcezza, che prosa o verso altrui mai non espose, con questo, che mi diate la certezza del vostro amor con altro che con lodi, ch’esser da tai delusa io sono avvezza: più mi giovi con fatti, e men mi lodi.64 Ben consapevole del suo ruolo di cortigiana che non rinnega, anzi esalta ammantandolo di un alone di sincerità e nobiltà, puntualizza come per «fatti» non intenda regali preziosi bensì la pratica di una virtù, intesa come esercizio delle lettere. Ecco dunque, che in un duplice movimento argomentativo, la cortigiana cerca insieme la distinzione dalla massa delle colleghe più venali e l’approvazione di un uomo «gentile e virtuoso» dimostrandogli parità al fine che egli la consideri meritevole di esser guardata non solo come discepola di Venere, ma anche di Febo. Scrive quindi a Venier: Di mia profession non è tal atto; ma ben fuor di parole, io’l dico chiaro, voglio veder il vostro amor in fatto. Voi ben sapete quel che m’è più caro: seguite in ciò com’io v’ho detto ancora, ché mi sarete amante unico e raro. De le virtuti il mio cor s’innamora, e voi, che possedete di lor tanto, ché con tal mezzo vi vegga bramoso d’acquistar meco d’amador il vanto: siate in ciò diligente e studioso, e per gradirmi ne la mia richiesta non sia il gentil vostro ozio unqua ozioso.65 In un calibrato gioco di alternanza fra dovere e piacere, dopo aver lanciato l’appello allo studio V. Franco alleggerisce il tono di saggia 64 65 Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 57. Ivi, pp. 58-59. 78 Il Campiello – n° 1 dispensatrice di consigli non perdendo di vista la sua fisionomia di amante e tornando, quindi, a promettere «le delizie d’amor» per poi tornare nel finale a reclamare la virtuosità dell’amato: dolcemente congiunta al vostro fianco, le delizie d’amor farò gustarvi [… ] Così dolce e gustevole divento Quando mi trovo con persona in letto, da cui amata e gradita mi sento, che quel mio piacer vince ogni diletto […] Fate che sian da me di lei vedute Quell’opre ch’io desio, ché poi saranno le mie dolcezze a pien da voi godute.66 Se nel capitolo II Veronica Franco si presenta come cortigianapoetessa, desiderosa della stima dei letterati cui promette di appagare sensi e spirito, già nel capitolo I del Venier si può cogliere una testimonianza di quanto i suoi sforzi per promuovere tanto la cortigiana, quanto la letterata non sono vani: La penna e ‘l foglio in man prendete intanto, e scrivete soavi e grate rime, ch’ai poeti maggior tolgono il vanto[…] A Febo è degno che si sodisfaccia Dal vostro ingegno, ma da la beltate A Venere non meno si compiaccia.67 La tappa intermedia: la rivendicazione della virago Tuttavia, in virtù degli attacchi frequenti da parte di letterati alle cortigiane cui più sopra si è accennato, Veronica Franco mostra anche l’altro aspetto della sua personalità: quello combattivo di un’autentica virago al fine di mettere in luce l’altra caratteristica – insieme alla saggezza – che le 66 67 Ivi, pp. 60-61. Ivi, pp. 53 e 55. Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 79 permetterà di guadagnarsi il rispetto degli uomini. Nella società rinascimentale, infatti, non c’è ancora spazio per la valorizzazione della differenza femminile. Le donne, in una sorta di degré zéro del cammino verso l’emancipazione, per essere considerate alla pari dei loro compagni devono annullare la propria femminilità e allinearsi al modello maschile. Nell’ambito, quindi, di un’ostentazione di virilità dietro cui si cela il disegno di far parlare la femminilità, seppur camuffata, la Franco dà vita a un gruppetto di capitoli polemici – XIII, XVI, XXIII e XXIV – per dimostrare «her familiarity with satiric debate68». I capitoli XVI e XXIV sono, ai nostri fini, quelli più significativi, in quanto in essi alla volontà di dar sfoggio della padronanza di un genere tradizionalmente maschile si aggiunge, dapprima, la difesa personale della Franco della propria dignità di donna, per poi passare ad un discorso di portata universale sulla rivendicazione del valore delle donne tutte, specie nel XXIV. Nel capitolo XVI Veronica controbatte al violento sonetto caudato di Maffio Venier, in un modo che a Favretti è parso blando69. In realtà il non eccedere in ingiurie fa parte di quel progetto tanto a cuore della Franco, ossia dar prova, al contempo, di virilità e cortesia, dosando sapientemente attacco e riposo, condanna e perdono. Del resto il modello comportamentale di riferimento è quello del Cortegiano di Castiglione70 e la virago può parlare e agire da uomo, ma non deve dimenticare di essere una donna. Per tale ragione, quindi, la parte finale della lettera sarà dedicata alla ricerca della riconciliazione in virtù di quella clemenza femminile tanto acclamata dalla trattatistica del tempo, e di quella saggezza cortigiana che rifugge dai conflitti. In ogni caso, nelle prime due parti del capitolo Veronica Franco mira a demolire l’ethos avversario dapprima ricorrendo alla dialettica della virago, per poi passare a ridicolizzare la tesi del nemico, che da ingiuria viene rovesciata in lode. Ann Rosalind JONES, «City women and their audiences», op. cit., p. 312. Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 374. 70 Cfr. BIANCHI, Scrittura poetica femminile, op. cit., p. 108; V. Baldassarre CASTIGLIONE, Il libro del Cortegiano, Torino, Einaudi, 1998, libro III, pp. 255-352. 68 69 80 Il Campiello – n° 1 Nel primo movimento del suo discorso, dunque, dopo un breve preambolo sulla viltà del detrattore che ha colpito una donna inerme71 , segue il risveglio della guerriera pronta a competere col maldicente: Quasi da pigro sonno or poi svegliata, dal cansato periglio animo presi, benché femina a molli opere nata; e in man col ferro a essercitarmi appresi, tanto ch’aver le donne agil natura, non men che l’uomo in armeggiando intesi72 Un breve intermezzo sull’addestramento bellico della virago, che poi vediamo farsi carico della responsabilità di una difesa non più solo della propria persona, bensì della collettività delle donne, cominciando a parlare al plurale: Quando armate ed esperte ancor siam noi, render buon conto a ciascun uomo potemo […] Di ciò non se ne son le donne accorte; che se si risolvessero di farlo, con voi pugnar porian fino alla morte. E per farvi vedere che l’ vero parlo, tra tante donne incominciar voglio io, porgendo esempio a lor di seguitarlo. […] E le donne difender tutte tolgo, contra di voi, che di lor sete schivo, sì ch’a ragion io sola non mi dolgo.73 Come già hanno rilevato Jones e Rigolot, le donne nelle loro rivendicazioni di libertà tendono a cercare l’appoggio e la solidarietà delle proprie compagne, alimentando uno spirito di sorellanza74 che aleggia nelle loro parole, pronunciate da una donna che parla in nome di tutte. Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 106 Ivi, pp. 106-107. 73 Ivi, pp. 107-108. 74 V. François RIGOLOT, «La Préface à la Renaissance : un discours sexué ? », in Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1990, N°42. pp. 121-135 ; Ann Rosalind JONES, op. cit., pp. 299-316. 71 72 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 81 Al grido di battaglia fa seguito l’ammonizione della Franco al misogino privo di gentilezza, incapace di cogliere la bellezza e la dolcezza femminili, motivo scatenante della furia della virago, che sfida Maffio in un duello, al fine di dimostrargli come «al vostro prevaglia il sesso femminil» e concedendogli il vantaggio della scelta anche dell’arma linguistica con cui affrontare il confronto- il veneziano, il toscano, il selvaghesco75- dando a intendere di esser padrona di tutte. Questa prima parte si chiude sull’allusione alla verosimile caduta del nemico, sotto i colpi di una guerriera così abilmente addestrata al dibattito, in modo da intimidirlo. Su quest’immagine si apre e si innesta il secondo movimento con il rimprovero a Maffio di non aver usato in modo corretto l’aggettivo «unico», usato nel titolo del suo sonetto oltraggioso. La «lezioncina», così come definita da Favretti76, serve a intaccare la reputazione del nemico che non riesce neppure nel suo intento di biasimare la cortigiana. Quest’ultima si lancia poi, stavolta, nella difesa della categoria più ristretta delle cortigiane, per poi chiudere su una rinnovata sfida a duello. Infine, in virtù della saggezza cortigiana cui si faceva riferimento sopra, Veronica tende la mano all’avversario: Ma perché alquanto manco dubitiate, son contenta di far con voi la pace, pur ch’una volta meco vi proviate: fate voi quel che più vi giova e piace. La maturazione del discorso rivendicativo della Franco nel capitolo XXIV, emerge dal tono più amichevole e familiare che si sostituisce a quello aggressivo della virago, che aveva caratterizzato la replica a Maffio Venier. Qui, infatti, Veronica rende omaggio alla tradizione umanistica presentandosi devota al nobile sentimento dell’amicizia e comportandosi da amica, ossia dispensando conforto e consiglio all’amico caduto nell’errore, nonché aumentando il numero di saggi aforismi. Organizzato anch’esso in 75 76 Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 109. Cfr. Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 374. 82 Il Campiello – n° 1 due movimenti, nel proemio la Franco informa delle circostanze in cui è venuta a conoscenza del fatto che l’amico conosciuto come «onesto [e] diviso dai fecciosi costumi del vil volgo77» abbia minacciato di sfregiare il viso di una donna. Nelle vesti di amica, la cortigiana offre la propria solidarietà all’uomo, riconoscendo come spesso la ragione non riesca a controllare l’ira che conduce a compiere «quel ch’è vergognoso ed inonesto». A questa dimostrazione di comprensività segue un invito a meditare sull’inopportunità dell’ingiuria alle donne, abbordando quindi una riflessione che a partire da un singolo e privato aneddoto, si prefigge di riflettere sulla condizione delle donne in generale e di procedere a un’universale apologia del sesso femminile, che ha corso in tutta la prima sezione del capitolo. Scrive quindi all’amico: Povero sesso, con fortuna ria Sempre prodotto, perch’ognor soggetto E senza libertà sempre si stia! Né però di noi fu certo il diffetto, che se ben come l’uom non sem forzute, come l’uom mente avemo ed intelletto. Né in forza corporal sta la virtute, ma nel vigor de l’alma e de l’ingegno, da cui tutte le cose son sapute; e certa son che in ciò loco men degno non han le donne, ma d’esser maggiori degli uomini dato hanno più d’un segno. Ma se di voi si reputiam minori, fors’è perché in modestia ed in sapere di voi siamo più facili e migliori78 Alla rivendicazione della parità intellettuale con l’uomo fa seguito una lunga argomentazione sulla saggezza e sulla modestia della natura femminile apprezzata dagli uomini gentili, i quali rifulgono dall’offendere le donne, riconoscendo i loro meriti: 77 78 Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 148. Ibidem p. 148. Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 83 Da questo argomentando si discorre Quanto l’offesa fatta al nostro sesso La civiltà de l’uom gentile aborre79. «L’uom gentil» viene quindi invitato, nella seconda parte, a ravvedersi e a riconciliarsi con le donne tutte prospettandogli il gratificante scenario della pace interiore: Cessin l’offese omai, cessin gli sdegni E tanto più che d’uom nato gentile Questi non sono portamenti degni; ma è profession d’uom basso e vile pugnar con chi non ha diffesa o schermo se non di ciance e d’ingegno sottile […] ritorna ancor l’amata al doppio cara nel rifar de la pace; e per turbarsi, più d’ogni parte l’alma si rischiara. Così nel ben vien a moltiplicarsi, e così certa son che voi farete[…] l’error di voi non degno emenderete.80 Perfettamente calata nel ruolo di consigliera mondana, V. Franco ingentilisce un discorso che potrebbe prendere i toni della severità, cercando di non insistere sulla reprensibilità della condotta dell’amico; piuttosto apre alla possibilità di recuperare all’errore commesso, di redimersi. In questo modo, del resto, la cortigiana porta a termine qui la prima parte di un lavoro destinato a continuare nelle Lettere, ossia quello di costruire l’immagine di un ethos benevolo e magnanimo, in una prospettiva in cui le virtù intellettuali non devono dissociarsi da quelle morali81. Ivi, p. 150. Ivi, p. 151. 81 Cfr. Jean LECOINTE, «Vers une rhétorique de la personne», in J.L., L’idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, 1993, pp. 375-468. 79 80 84 Il Campiello – n° 1 Il punto di arrivo: il genere epistolare al servizio della donna di lettere Veronica Franco, in linea con le tendenze editoriali del mercato librario veneziano del tempo82, si immerge dunque nella scrittura di lettere familiari, dove porta all’apice il discorso auto- rappresentativo di donna virtuosa e letterata, iniziato nelle Rime. Qui, infatti, a parte qualche rimando alla sua attività di cortigiana, Veronica si presenta nei panni della donna di lettere ormai affermata e ricercata nel suo ambiente, che disquisisce di una varietas di argomenti con i più «gentili spiriti» di Venezia. Il leitmotiv della raccolta è quello di una saggezza morale che emerge nelle lettere in cui dispensa consigli ad amici caduti in disgrazia per rincuorarli così come in quelle dove ammonisce, specie la celeberrima epistola XXII83. Tuttavia, ancora più marcatamente e consapevolmente che nelle Rime, l’epistolario mira a donare l’immagine di una donna virtuosa moralmente e soprattutto intellettualmente. Non mancano quindi le lettere dove chiede o ringrazia per un consiglio ricevuto in merito alla sua attività di scrittrice, così come quelle in cui discute di arte e letteratura, ad esempio la nota epistola XXI al Tintoretto, in cui nell’ambito della questione degli antichi e dei moderni, si schiera a favore dei secondi. Infine, nelle lettere XIX, XXXII, XXXIX e XLV. Franco si pone come organizzatrice di una raccolta lirica in omaggio alla memoria del defunto Estor Martinengo, commissionatagli dal fratello maggiore di questi, Francesco. Proprio nel voler lasciar traccia di questo impegno possiamo cogliere la volontà dell’autrice di celebrare la propria realizzazione sociale. Per riuscire nell’intento Veronica si mette in moto per sollecitare i suoi contatti migliori, provenienti in larga parte dall’ambiente culturale veneziano che gravita attorno alla figura di Domenico Venier. V. Ludovica BRAIDA, «Mercato editoriale e dissenso religioso nella riflessione storiografica. Le raccolte epistolari cinquecentesche», in Società e Storia, XXVI, 2003, pp. 273-292; V. Amedeo QUONDAM, Le 'Carte Messaggiere' : retorica e modelli di comunicazione epistolare : per un indice dei libri di lettere del Cinquecento, Roma, Bulzoni, 1981. 83 Maria Luisa DOGLIO, op. cit., pp. 33-42. 82 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 85 A questo proposito si noterà, infatti, come gli autori di tali componimenti siano persone appartenenti al milieu delle accademie e ai quali Veronica scrive per richiederne la collaborazione ricorrendo alla strategia dell’adulazione. Scrive, infatti, nella lettera XXXII: «Questa è la somma breve dell’informazione, la qual io mando perché Vostra Signoria scriva e faccia scrivere da quei suoi academici secondo che le piacerà, affermandole che le sue composizioni tra tutte l’altre mi saranno carissime, sì come sono certa che di bellezza e di dottrina saranno notabili tra tutte l’altre84». Da letterata, quindi, Veronica non dismette i toni della ruffianeria che usava da cortigiana coi suoi amanti. L’ammiccare alle virtù del destinatario fa parte, infatti, di un protocollo osservato scrupolosamente dall’autrice che vuole e deve, anche in questo caso, sedurre. Esemplare, a questo proposito, la lettera XL in cui la Franco si dichiara «inamorata» della virtù dell’interlocutore, resa con l’immagine del chiarore: «chiarissimo splendore […] raggio di così chiara luce» che la mittente si compiace di ammirare in «beata contemplazione». Meno enfatica, invece, la lettera XXXIX, dove l’autrice comunque elogia gli studi dell’amico allettandolo con la prospettiva di prender parte ad una «impresa [cui parteciperanno molti altri] valorosi compagni85», nonché Veronica stessa. Il riferimento alla «valorosa e virtuosa gentilezza»86 si ritrova anche nella lettera L, così come nella lettera XLIX e nelle ultime in generale si incontrano anche le lodi dei destinatari attribuite al libro della Franco. Quest’ultima, pur se coinvolta in uno scambio intellettuale ormai paritario, non tralascia di dimostrare una virtuosa modestia, chiedendo a più riprese ai suoi amici di voler rileggere i propri scritti al fine di emendarli da eventuali errori. Veronica FRANCO, Lettere, op. cit., p.92. Ivi, p. 101. 86 Ivi, p. 116. 84 85 86 Il Campiello – n° 1 Conclusione In conclusione sembra inevitabile constatare come questa singola figura poliedrica sia particolarmente rappresentativa dell’insieme delle diverse sfumature della società veneziana del tardo Cinquecento, nella complessità delle sue contraddizioni. Cortigiana, poetessa e autrice di un libro di lettere, Veronica Franco risulta essere un interessante oggetto di ricerche per gli studiosi del tardo Rinascimento, sia da un punto di vista sociologico che letterario, nella misura in cui vita e opera sono in lei inscindibili. Partendo dall’ottica letteraria possiamo, infatti, inquadrare il caso della Franco – nell’ambito dei gender studies – quale esemplare di quelle istanze ugualitarie in direzione proto-femminista che hanno caratterizzato il secolo, così come si può riflettere sugli elementi di contatto e distanza dal modello petrarchesco nella sua poetica; proseguendo con quella storico-sociologica possiamo soffermarci sulla «corruttela» della Venezia di quegli anni di cui la Franco è un’importante testimone, oppure sulla figura divenuta mitica della cortigiana onesta, da molti considerata foriera di venti di emancipazione per la donna della società umanistica; infine dalla prospettiva degli studi sulla storia della lingua si può osservare in che modo l’autrice partecipa al dibattito della Questione della lingua – specie per quanto concerne le Lettere – che animava gli studiosi dell’epoca. Tornando alla prospettiva degli studi sulla scrittura di genere, in cui questo contributo intende inserirsi, possiamo concludere che sebbene possa essere ardito voler cogliere nelle parole di Veronica Franco l’intento di un rivoluzionario capovolgimento dei ruoli, vi si possono intravedere, tuttavia, frammenti di un discorso femminista ante-litteram. Pur se in un contesto culturale in cui i trattatisti insistono sul valore del silenzio e della modestia nel modello comportamentale femminile87, V. Franco riesca a farsi portavoce di una massa di donne mute per cui funge da exemplum. Cfr. Ann Rosalind JONES, op. cit. pp. 299-300; V. Helena SANSON, Donne, precettistica e lingua nell’Italia del Cinquecento: un contributo alla storia del pensiero linguistico, Firenze, Accademia della Crusca, 2007. 87 Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere 87 Grazie al ricco bagaglio di astuzie e strategie retoriche che la cortigiana mette a disposizione della letterata, l’autrice riesce dunque a legittimare la rottura del silenzio femminile indossando la maschera linguistica di una cortese «civile conversazione». Inoltre, più specificamente per quanto riguarda la sua raccolta epistolare, la scrittura di Veronica Franco appare esemplare anche per un altro aspetto, finora poco esplorato: la sperimentazione degli autori moderni in rapporto al modello autorevole dei «famosi auttori». Se nella lettera XXI, infatti, Veronica difende la credibilità degli artisti moderni, allo stesso modo vuole dimostrare quella degli autori di libri di lettere d’autore88. Influenzata dal nuovo modello del Segretario del Sansovino, la Franco si pone dunque come moderna autrice di epistole familiari volte alla dimostrazione dell’ «esemplarità tutta retorico-linguistica della lettera89» che deve offrire un modello di scrittura corretta in quella lingua italiana volgare cinquecentesca, ancora in divenire e oggetto di vive discussioni. 88 89 Amedeo QUONDAM, op. cit., pp. 49-59. Ivi, p. 57. Claudio Chiancone Une histoire d’émancipation féminine dans la Venise du 18e siècle : Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 1. Fiorenza Ravagnin : une mécène oubliée Tout au long du 18ème siècle, l’histoire de Venise fut riche de personnages féminins que l’on qualifie généralement de « mineurs » mais qui, à y regarder de plus près, acquirent une telle réputation uniquement parce qu’elles exercèrent leur talent sous l’aile protectrice de maris célèbres et puissants. C’est le cas de Fiorenza Ravagnin. Comme d’autres femmes de culture de l’époque, cette aristocrate a connu un oubli posthume difficile à expliquer si on le compare aux éloges reçus tout au long de sa vie1. Et Parmi les essais qui ont fait mention de Fiorenza on rappellera Opere di Pietro Giannone, dans Illuministi Italiani, éd. S. Bertelli, G. Ricuperati, Milan-Naples, Ricciardi, 1971, vol. I, p. XXVIII; M. Infelise, L’editoria veneziana nel ’700, Milan, FrancoAngeli, 1999, p. 353; R. Carriera, Lettere, diari, frammenti, éd. B. Sani, Florence, Olschki, 1985, II, ad indicem; M. Magrini, I pastelli di Rosalba Carriera della collezione Recanati, dans Per sovrana risoluzione. Studi in ricordo di Amelio Tagliaferri, sous la direction de G.M. Pilo et B. Polese, Monfalcone, Editions della Laguna, 1998, p. 539-546; G. Pavanello-A. Mariuz, La collezione Recanati, “Atti dell’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti”, t. CLIX (2000-2001), Classe di scienze morali, lettere ed arti, p. 65-175; P. Del Negro, Rosalba Carriera: la famiglia e la società veneziana, dans Rosalba Carriera «prima pittrice de l’Europa», sous la direction de G. Pavanello, Venise, Marsilio - Istituto di Storia dell’Arte Fondazione Giorgo Cini, 2007, p. 33-39; B. Sani, Rosalba Carriera 1673-1757. Maestra del pastello nell’Europa ancien régime, Turin, Allemandi, 2007, ad indicem; P. Del Negro, Giovanni Poleni e i Riformatori dello Studio di Padova. Una carriera universitaria nel XVIII secolo, dans “Quaderni per la storia dell’Università di Padova”, 46 (2013), p. 3-60; ID., Giovanni Poleni e la Repubblica delle Lettere: i periodici, le accademie, i corrispondenti, dans Giovanni Poleni tra Venezia e Padova, sous la direction de P. Del Negro, 1 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 89 pourtant, les témoignages évoquent une gente dame autonome, à l’aise dans le monde culturel vénitien du milieu du 18ème et qui sut tenir tête aux hommes auxquels elle eut affaire. Ces témoignages nous permettent de comprendre non seulement le rôle de mécène de premier ordre, mais aussi de « souche » d’une descendance littéraire essentiellement féminine2. Durant toute son existence qui accompagna presque tout le siècle des Lumières, Fiorenza Ravagnin fut témoin et participante active de l’ultime grande saison de la République Sérénissime caractérisée par une effervescence sociale, philosophique et artistique sans précédent. En même temps, sa vie est emblématique de la crise de ce patriciat vénitien qui, malgré des difficultés financières réitérées, ne sut renoncer au status symbol du collectionnisme et de la promotion artistique. C’est justement en s’appuyant sur cette activité que Fiorenza bâtit cette affirmation personnelle qui allait la porter, année après année, au sommet de la Sérénissime. Elle avait compris très jeune le pouvoir du mécénat en tant qu’instrument de sociabilité, de prestige et d’émancipation, et l’importance d’une riche bibliothèque comme centre d’attraction pour artistes et intellectuels. A l’aide de documents divers publiés ou inédits, nous pouvons aujourd’hui parcourir étape par étape la progression de la promotion sociale et de l’émancipation personnelle de celle qui ne fut à l’origine qu’une des représentantes de la petite noblesse de province. Venise, Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti, 2013, p. 131 e 173. Au cours de notre étude nous citerons les lettres inédites de Fiorenza Ravagnin conservées dans la British Library de Londre, Manuscripts Additional 22964 (I) - 22971 (VIII), (dorénavant “BL, IVIII”). Je tiens à remercier Pietro Del Negro, Giuseppe Gullino, Mario Infelise, Mathilde Rossi et Anne Blanchon pour leur relecture ainsi que pour les remarques et conseils dont ils m’ont fait part. 2 Sur les femmes Vendramin cf. C. Chiancone, Le lettere d’amore di Alba Corner Vendramin al Bertola (1793-1795), dans “Archivio veneto”, CLXVII (2006), p. 155-192; ID., Le lettere inedite di Fiorenza Vendramin Sale a Luigi Cerretti (1795-1796), dans “Quaderni veneti”, 40 (2004), p. 121-164. 90 Il Campiello – n° 1 2. Les premières années Fiorenza Ravagnin est née à Venise le 6 mai 1712 de Giulio Ravagnin di Girolamo, descendant d’une ancienne famille aristocrate de la Marche Trévisane, et de Maria Bonfadini di Giovanni. Noblesse aisée certes, mais associée très récemment aux patriciens de la capitale : le trisaïeul avait obtenu son inscription au livre d’or – c’est-à-dire l’accès au Maggior Consiglio pour lui-même et pour ses descendants masculins – en 1682 suite au versement au Trésor public de 100 000 ducats3. On ne sait rien de l’enfance de Fiorenza à part ce que l’on peut extraire de documents plus tardifs : une éducation ordinaire pour une femme de petite noblesse, un esprit religieux sans bigoterie, qui ne l’empêcherait pas, très jeune, d’entrer en contact avec des représentants de la francmaçonnerie ; marque révélatrice d’un esprit entreprenant, ambitieux, pragmatique et un flair précoce pour les affaires brillamment porté par une lignée qui en matière d’échanges et de relations haut placées avaient construit son ascension sociale. La vie documentée de Fiorenza commence à 21 ans, au moment où elle convole en justes noces avec Giambattista Recanati : quarante-six ans, sénateur de la République et premier enfant d’une famille aisée elle aussi depuis peu, très peu4. Personnage érudit caractéristique du 18ème siècle, Recanati s’était distingué dans toutes les branches de l’érudition5. Auteur d’une tragédie (Demodice) portée sur scène plusieurs fois avec succès, collaborateur du Cf. Biblioteca del Museo Civico Correr, Ms. P.D. 2536 / 6, De Ravagnina familia Summarium Historicum, manuscrit latin datant de 1685 environ. Pour ce qui est de la date de naissaonce de Fiorenza cf. Magrini, cit., p. 545. 4 Cf. D. Raines, Idee di nobiltà nel dibattito sulle aggregazioni (1685-1699 et 1704-1718), dans Venezia e la guerra di Morea: guerra, politica e cultura alla fine del ’600, sous la direction de M. Infelise ed A. Stouraiti, Milan, FrancoAngeli, 2005, p. 94. 5 Cf. Del Negro, Rosalba, cit. Sur les ouvrages de Recanati cf. E. Cicogna, Saggio, cit.; E. Lugato, Alla ricerca del codice pliniano di Giambattista Recanati (1687-1734), bibliofilo veneziano, dans “Studi umanistici piceni”, 19 (1999), p. 54-67; ID., “…Breve, fugitiva relazione..”. Una lettera di Giambattista Recanati ad Apostolo Zeno, dans Humanistica Marciana: saggi offerti a Marino Zorzi, sous la direction de S. Pelusi ed A. Scarsella, Milan, Biblion, 2008, p. 165-173. 3 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 91 “Giornale de’ letterati d’Italia” qui était le point de référence culturel des Lumières italiennes, fin collectionneur de tableaux (il fut mécène et ami intime de Rosalba Carriera) et de manuscrits précieux recueillis au cours de divers séjours à l’étranger (parmi lesquels un à Paris en 1718). Recanati était au centre d’un réseau culturel comprenant la fine fleur de l’érudition et de l’archéologie italiennes et européennes : Zeno et Calogerà à Venise, Muratori à Modène, Poleni et Facciolati à Padoue, Maffei à Vérone, sans oublier Crozat, Montfaucon à Paris, Rolli en Angleterre, Nemeitz en Allemagne6. C’est justement pour se consacrer entièrement à l’érudition que Giambattista avait renoncé à ses droits d’ainesse et choisit les ordres mineurs. Mais ses projets de calme studieux disparurent soudainement en janvier 1733 quand la mort de l’aîné Philippe, qui n’avait pas d’héritier, et l’entrée en religion du troisième enfant de la famille, Antonio, l’obligea à prendre épouse pour assurer la descendance de la famille. Le 23 septembre 1733, en l’église de San Giorgio Maggiore, Recanati conduisait donc à l’autel la jeune Fiorenza. De cette brève union ne naquirent pas de descendants. Mais au moins ce très bref mariage joua-t-il un certain rôle dans la formation spirituelle de la gente dame ? Certes, Recanati était plus âgé mais il était tout sauf rabougri, et sa santé fragile ne l’avait pas empêché de mener une vie sociale active, de voyager, de tisser un vaste commerce épistolaire. Il était lettré de niveau national et européen, persuadé qu’il fallait rajeunir la culture italienne en commençant par les forces vives du pays et que les femmes pouvaient contribuer à un tel renouveau7. Si c’est grâce à sa famille qu’elle avait appris l’importance des relations sociales et de l’accroissement du patrimoine financier, ce fut certainement grâce à cet homme que Fiorenza apprit l’autre leçon fondamentale de sa vie : qu’à travers la promotion artistique une femme Cf. Del Negro, Rosalba, cit., p. 195. De nombreuses correspondances de Recanati sont signalés dans C. Viola, Epistolario italiano del Settecento, Verona, Fiorini, 2004, ad vocem. Ses lettres à Montfaucon sont conservées à la Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits Français, 17711 (XI). 7 Cf. Poesie italiane di rimatrici viventi raccolte da Teleste Ciparissiano pastore arcade, Venise, 1716. 6 92 Il Campiello – n° 1 pouvait se faire valoir à l’égal d’un homme, et transmettre aux futures générations un patrimoine culturel et spirituel précieux. Mariage très bref, disions-nous, et peu détaillé mais riche d’échanges et de rencontres fructueuses. Les époux purent croiser et fréquenter, entre autres, Pietro Giannone, le célèbre libre-penseur anticlérical et proscrit napolitain désormais compté parmi les pères du libéralisme économique, alors soumis à un étroit espionnage, plusieurs fois menacé et finalement expulsé par le Gouvernement Vénitien8. Fiorenza conserverait longtemps le souvenir de cette fréquentation, qui ne put se prolonger, étant donné que deux mois après la venue du proscrit bourbonien sur la lagune, le 17 novembre 1734, Giambattista s’éteignit brusquement. Il avait 47 ans et ne laissait aucun héritier derrière lui. Sur les Recanati pesait la menace de l’extinction. 3. Le premier veuvage : un apprentissage culturel À compter du jour de la disparition de Recanati, Fiorenza se trouva réduite au rang de personnage secondaire. Elle payait pour la faute – nous savons aujourd’hui que ce n’était pas la sienne – de ne pas avoir assuré une descendance à son époux. À la lecture des dernières volontés de ce dernier, il fut clair aux yeux de tous que la vraie bénéficiaire, à défaut de ne pas avoir de descendant direct, était « Madame Laura Recanati Giustinian ma sœur bien aimée9 ». À Fiorenza ne revenait que la formule exécutoire du legs de la précieuse collection de manuscrits anciens à la Bibliothèque Marciana10, ainsi que la moitié des rentrées d’argent restantes après extinction des dettes. Giambattista laissait par ailleurs à « Madame mon épouse » cette « Bibliothèque privée » (Libreria) rassemblée par tant de voyages et de Cf. A. Merlotti, Giannone, Pietro, dans Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 54 (2000). Cf. Magrini, cit., p. 542-543. 10 Cf. M. Zorzi, La Libreria di San Marco, Milano, Mondadori, 1987, p. 250-252. 8 9 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 93 recherches. Ce fut le legs le moins précieux mais sentimentalement le plus significatif11. À tout juste 22 ans, Fiorenza commençait donc un long veuvage qui devint son apprentissage social et culturel. Une fois passée l’année de deuil traditionnel, et non sans décliner nombre de propositions pour de nouvelles noces, la « veuve Recanati » (c’est ainsi qu’elle signait désormais) se consacra à réorganiser sa vie. Femme active et pragmatique, elle se retrouva inopinément libre de gérer l’héritage matériel de la famille, et qui plus est, l’héritage culturel d’un mari illustre. Et ce fut justement à partir de la bibliothèque de celui-ci qu’elle commença. Des correspondances et acquisitions libraires de Recanati furent confirmées et gérées personnellement ; des souscriptions et des abonnements s’en vinrent renouvelés. Un intéressant document inédit nous révèle les moments saillants de ce long “apprentissage” social et commercial. Il s’agit de cinquante lettres que Fiorenza expédia entre 1735 et 1769 à l’imprimeur florentin Domenico Maria Manni : témoignage éclairant non seulement en ce qui concerne l’évolution de la carrière de mécène de Fiorenza Ravagnin, mais également sur sa personnalité et son émancipation sociale. Descendant d’une importante famille d’imprimeurs, Domenico Maria Manni (1690-1788) fut imprimeur, archiviste, polygraphe, érudit et grammairien12. En 1726, l’Académie de la Crusca avait confié à Manni la révision ainsi que la quatrième édition du célèbre Dictionnaire académique (1729-1738). L’imprimeur, déjà au centre d’un vaste réseau épistolaire avec la fine fleur de l’érudition italienne, était alors entré en contact avec Giambattista Recanati qui était devenu un fidèle client et référent commercial à Venise13. Cette bibliothèque se trouvait dans l’élégant nymphée du jardin de Palazzo Vendramin, qui existe toujours. 12 Cf. M.B. Guerrieri Borsoi, Manni, Domenico Maria, in Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 77 (2012). 13 Six lettres de G.B. Recanati a D.M. Manni (datant de la période 1731-1734), sont conservées dans BL, I, ff. 74, 76, 96, 101, 141, 191. 11 94 Il Campiello – n° 1 A la disparition prématurée du patricien vénitien, la jeune veuve succéda à son mari en prolongeant sa correspondance avec Manni. Ce fut le début d’un échange qui allait durer plus de trente ans, que les documents du British Museum nous permettent de parcourir en détail. Ce sont, pour la plupart, des billets de quelques lignes dictées à la hâte à quelque secrétaire, au bas desquels Fiorenza Ravagnin apposait sa signature. Ces billets nous révèlent un caractère féminin pour qui les livres devenaient avant tout des comptes rendus et des calculs14. Dans un monde traditionnellement masculin comme celui du commerce libraire, elle affrontait avec naturel des considérations sur des frais, des budgets, des envois en relation serrée avec l’imprimeur florentin. Bien que caché sous la froide objectivité des calculs et derrière un rigoureux respect de l’étiquette, ces lettres mettent en lumière le caractère fort singulier de Fiorenza. Femme franche et concrète, très loin du cliché plaintif et capricieux qui était en vogue à l’époque, la gente dame nous dévoile ici une image originale de féminité du 18ème siècle et un profil psychologique tel qu’en lui-même, avec son esprit méthodique rationnel, digne d’une vraie illuministe, sa précision presque maniaque dans les comptes, ses scrupules continuels relatifs à sa propre image publique. Les lettres constituent donc un témoignage rare et précieux de ce mécénat féminin vénitien qui précisément à cette époque, non seulement grâce à la gestion directe des patrimoines familiaux, mais aussi à travers la création de salons privés et de conversations, jetait les premières bases d’une émancipation sociale15. La première lettre à Manni remonte au mois d’octobre 1735. Avec quelques jours d’avance sur la fin de la traditionnelle “année de veuvage”, Cf. Infelise, cit., p. 9-61. Sur les femmes vénitiennes gérant les patrimoines familiaux cf. G. Gullino, I Pisani Dal Banco e Moretta. Storia di due famiglie veneziane in età moderna e delle loro vicende patrimoniali tra 1705 e 1836, Rome, Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea, 1984. Sur les salons cf. B. Craveri, Madame du Deffand e il suo mondo, Milan, Adelphi, 1983; EAD., La civiltà della conversazione, Milan, Adelphi, 2001 (2ème ed. 2006) [traduction française, L’âge de la conversation, Paris, Gallimard, 2002] ; cf. aussi Salotti e ruolo femminile in Italia : tra fine Seicento e primo Novecento, sous la direction de M.L. Betri et E. Brambilla, Venise, Marsilio, 2004. 14 15 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 95 Fiorenza reprit sa correspondance avec l’imprimeur florentin pour lui annoncer une décision drastique, probablement due au désarroi : se défaire des livres du mari16. Bien entendu, elle revint rapidement sur sa décision et elle opta pour une vente des meilleures pièces. A cette fin, l’imprimeur la mit en contact avec l’abbé Giovan Battista Casotti, bibliothécaire de la toute nouvelle Bibliothèque Roncioniana di Prato17. A la disparition de ce dernier, survenue en 1737, la dame intensifia sa correspondance directe avec Manni, et redevint un fidèle acquéreur. Durant ces premières années, les lettres de la jeune veuve montrent la volonté de compléter la bibliothèque du mari dans le but d’honorer sa mémoire. Fiorenza acquérait régulièrement tout ce qui pouvait sortir des presses de l’imprimeur florentin, justement parce que c’était lui le fournisseur officiel des Recanati18. Entre la fin des années Trente et le début des années Quarante, toute référence à l’ancien mari disparait. Les lettres deviennent plus méthodiques et révèlent une stratégie nouvelle, essentiellement commerciale, fondée sur une claire délimitation des objectifs et ayant pour fin la création d’un rapport de confiance avec l’imprimeur. Comme nous le disions, la correspondance révèle, entre les lignes, une femme d’affaire habile et bien au courant des stratégies commerciales. Il est intéressant de relever, par exemple, la circonspection avec laquelle Fiorenza conduisait ses affaires : Cela me déplairait que trop de personnes en viennent à connaître nos intérêts19. Le socle fondamental prouvant le rapport de confiance était, naturellement, la recherche d’associés. A partir de 1739, Fiorenza mit à contribution son vaste réseau de contacts héritée par son mari et partit à la Venise, le 29 octobre 1735 (BL, I, f. 281). Cf. les lettres envoyées depuis Venise datées du 16 mars, 5 mai, 25 août et 23 novembre 1736 (BL, II, f. 11, 20, 35, 39). 18 Venise, le 12 octobre 1738 (BL, II, f. 123). 19 Venise, le 8 septembre 1742 (BL, III, f. 342). 16 17 96 Il Campiello – n° 1 recherche de souscripteurs pour les nouvelles éditions de Manni. Elle se proposa en outre comme agent commercial pour les recouvrements et les livraisons. Des noms prestigieux du mécénat deviennent alors fréquents dans la correspondance : J’ai fait tout ce que j’ai pu pour trouver des souscripteurs pour le livre que vous m’avez conseillé, et j’ai réussi à contacter Monseigneur le Maréchal Scolemburgh [sic] et Monseigneur Giacomo da Riva. Vous me suggérerez la façon dont je dois m’organiser pour pouvoir vous transmettre l’argent nécessaire20. J’espère que dans le courrier du jour vous avez reçu la nouvelle envoyée par Monseigneur Giacomo de cinq souscripteurs du Décaméron, pour lesquels je vous serai redevable du montant des cinq Originaux qui ont été imprimés sur papier gros format, comme je vous l’ai écrit. Je vous ordonne d’ajouter Madame Rosalba Carriera, qui elle aussi le désire sur papier gros format, et vous assure que je ne manquerai pas de m’en occuper21. Un amour invétéré de la précision et de la ponctualité, une peur constante de perdre la face en société sont les aspects saillants de cette correspondance. Encore une fois, ce sont de petites phrases révélatrices qui restituent la psychologie de l’épistolière : sa conscience de l’enjeu élevé de chaque échange ou lors du repérage de chaque nouvel associé possible, dans l’encaissement de tel ou tel paiement, dans le solde d’un débit. Son carnet d’adresses augmenta rapidement. Tout en maintenant un rapport privilégié avec le cercle du premier mari, entre la fin des années Trente et le début des années Quarante, Fiorenza Ravagnin tira profit de son rôle d’agent de confiance de Manni pour tisser d’autres liens culturels surtout en Vénétie et en Toscane. Venise, le 30 janvier 1739 [1738 more veneto] (BL, II, f. 91). Johann Matthias von der Schulenburg (1661-1747) fut le lieutenant général de l’armée vénitienne de 1715 al 1745, ainsi que l’un des plus importants collectionneurs de son époque, cf. A. Binion, La galleria scomparsa del maresciallo von der Schulenburg. Un mecenate nella Venezia del Settecento, Milan, Electa, 1990. 21 Venise, le 9 juillet 1740 (BL, III, f. 105). 20 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 97 4. L’ascension et la consécration Dans la première moitié des années Quarante, les billets de Fiorenza révèlent une nouvelle prise de conscience et, surtout, une ambition plus mature. De simple acquéreur et agent commercial, la jeune veuve décide en effet de se lancer dans des entreprises libraires de plus grande ampleur. Suivant ainsi une mode européenne qui s’était affirmée depuis désormais une vingtaine d’années, elle fit le choix de s’associer à des éditions de prestige. En 1744, la « N.D. Fiorenza Ravagnini Recanati » (on notera l’italianisation du nom de jeune fille ainsi que l’élimination du titre de « veuve », devenu encombrant) apparaissait pour la première fois sur la longue liste des souscripteurs, presque tous des hommes, aux volumes des Poesie drammatiche d’Apostolo Zeno, le plus célèbre représentant de l’Illuminisme vénitien22. L’année suivante, sous la même signature, Fiorenza s’associait à la Gerusalemme liberata di Torquato Tasso dédiée « à sa majesté sacrée Marie Thérèse d’Autriche », véritable bijou typographique orné de splendides gravures de Piazzetta23. Dix ans après la disparition de Recanati, Fiorenza faisait ainsi son entrée dans la jet set de la Sérénissime, et commençait à faire parler d’elle non pas en vertu d’un nom d’épouse illustre, mais suite à une initiative totalement personnelle. Au cours de la décennie suivante, cette même stratégie se poursuivit de plus belle. Une fois encore, en flairant dans la bonne direction, elle s’aperçut que l’élection d’un doge mécène et lettré de profession (à savoir Pietro Grimani, 1741-1752) et la concomitante conjoncture économique favorable revigoreraient la vogue des associations éditoriales. Les documents datés de la période 1745-1755 témoignent de l’activisme, de la méticulosité, du grand soin apporté à cette stratégie et parallèlement de la popularité croissante de Fiorenza. Femme d’affaires Cf. Poesie drammatiche di Apostolo Zeno già poeta e istorico di Carlo VI imperadore e ora della S.R. maestà di Maria Teresa regina d’Ungheria e di Boemia, Venise, Pasquali, 1744, 10 vol. 23 Cf. La Gerusalemme liberata di Torquato Tasso con le figure di Giambatista Piazzetta alla sacra real maestà di Maria Teresa d’Austria regina d’Ungheria, e di Boemia, Venise, Albrizzi, 1745. 22 98 Il Campiello – n° 1 avisée, même dans l’ardeur de l’enrichissement libraire, elle sut se montrer sélective et prudente dans le choix d’œuvres qualitativement impeccables certes, mais accessibles : J’ai bien votre commentaire sur le Boccace mais il me manque un exemplaire du même auteur à savoir celui qui concerne ses Journées. S’il s’en trouvait un d’une bonne édition à moindre prix, je vous saurai gré de l’avoir24. L’accès direct aux organes officiels de la censure vénitienne lui était dès lors garanti : J’ai reçu du Père Inquisiteur les tomes de votre ouvrage Sigilli destinés aux souscripteurs, mais vous ne m’indiquez pas (ou cela m’échappe) combien je dois recevoir pour le paiement25. Au fil des années 1750, la correspondance avec Manni, tout en se raréfiant, confirme le prestige croissant de Fiorenza dans le monde éditorial vénitien. Comptes et recettes disparaissent, et de ses lettres à l’imprimeur – non plus des requêtes, mais de simples réponses – nous comprenons sa proximité accrue avec les hautes sphères de l’État. Désormais, de son approbation, de sa signature pouvait dépendre le succès d’une maison d’édition ou d’un auteur. Le phrasé de Fiorenza s’en trouve apaisé, et elle rédige elle-même de sa propre main, dans un italien élégant et soigné. Enrichir sa bibliothèque privée se transforme en plaisir : Je veux absolument enrichir ma Bibliothèque de tous vos célèbres ouvrages et je ne manquerai pas de le faire […] Je vous ferai savoir ceux que je n’ai pas encore pour pouvoir en faire l’achat26. Non plus agent commercial, mais mécène à titre officiel, Fiorenza Ravagnin pouvait finalement jouir des fruits de son ambition personnelle. Finis les pourparlers pour le compte d’un tiers, pleinement libre, elle faisait Venise, le 9 décembre 1747 (BL, IV, f. 200). Venise, le 4 mars 1747 (BL, IV, f. 168). 26 Venise, le 16 juillet 1769 (BL, VIII, f. 244). 24 25 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 99 maintenant siens non seulement les livres mais aussi les auteurs et les imprimeurs qui, toujours plus nombreux, devenaient ses protégés. À un tel niveau, les lettres de Fiorenza montrent un ultime paroxysme de ses compétences de mécène : non plus seulement l’habileté dans les relations publiques, mais aussi dans l’étude du target commercial, du caractère des acquéreurs, et dans le fait de suivre personnellement la réalisation d’un livre, de l’idéation au “projet graphique”, de la promotion à la vente. « J’ai reçu les deux frontispices de vos œuvres, […] et je m’emploierai à les proposer à quelques personnes de bon goût pour qu’ils l’acquièrent », écrivait-elle en septembre 1757, montrant ainsi une considération inédite pour la qualité des acquéreurs.27 Fiorenza se montrait aussi consciente que le fait de trouver des associés et de garantir des paiements ne suffirait plus et qu’il fallait établir un lien direct avec ces derniers, afin de les informer de toute nouveauté ou modification28. Il faut souligner une fois encore le flair commercial grandissant de Fiorenza non seulement pour les achats, mais également sur le fait de se tenir au courant de la concurrence des autres mécènes et qu’il fallait donc ne pas être pris de vitesse29. Dans les années 1760, la sphère d’influence de la gente dame avait grandi au point que l’on recourrait à elle non seulement pour des projets éditoriaux, mais aussi en vue de nominations académiques30. L’événement capital de sa vie ne pouvait pas être étranger à cela. En septembre 1750, à la limite de l’âge fertile, elle mettait fin à seize années de veuvage et célébrait son second mariage. 5. Mariage et patrimoine Le 8 septembre 1750, Fiorenza Ravagnin, trente-huit ans, convolait en justes noces avec le sexagénaire Pietro Vendramin ai Carmini. L’époux Venise, le 18 septembre 1757 (BL, VI, f. 82). Mon italique. Venise, le 12 août 1758 (BL, VI, f. 128). 29 s.d. [peu après le mois de février 1758] (BL, VI, f. 224). 30 Venise, le 16 juillet 1769 (BL, VIII, f. 244). 27 28 100 Il Campiello – n° 1 était à nouveau un vieux célibataire en pressante nécessité de descendance31. Mais cette fois l’enjeu était bien plus important. Membre d’une des familles nobles les plus illustres de l’Etat Vénitien, qui avait donné à la République des doges, des procureurs, des ambassadeurs, des gouverneurs et des prélats, Pietro Vendramin était un homme d’Etat célèbre et estimé depuis près d’un demi-siècle pour son infatigable zèle patriotique. Jeune amiral lors de la dernière guerre contre les Turcs, au cours d’une longue et brillante carrière il avait occupé des postes importants, parmi lesquels plusieurs fois celui de provveditore da mar, c’est-àdire chef de la flotte et gouverneur des Iles Ioniennes32. Homme extrêmement religieux et entièrement dévoué à la vie publique arrivé à la soixantaine sans descendant, il accepta de prendre pour épouse Fiorenza Recanati. Vu l’âge de madame, les probabilités d’avoir des enfants étaient faibles, à tel point que Pietro accomplit un pèlerinage au sanctuaire de la Vierge de Loreto afin d’implorer sa grâce et d’avoir ainsi une progéniture masculine. Loin d’être un célibataire des plus avantageux, Pietro apporta à Fiorenza un nom de famille ancestral mais à la situation financière difficile. Il faut croire qu’il avait entendu parler de ses qualités peu communes d’économe : en l’épousant, il ne lui demanda aucune dot. Elle accepta mais demanda en échange la gestion totale des biens familiaux : chose qui lui fut accordée deux ans plus tard, en 175233. Une fois qu’elle eut emménagé dans le beau palais Vendramin de Dorsoduro (notons, juste à côté de l’habitation de l’érudit et futur doge Marco Foscarini), Fiorenza appliqua immédiatement des mesures vouées à rétablir l’économie de la maison. Elle mit fin à plusieurs dettes de son époux en vendant des biens mobiliers et immobiliers de famille, en payant parfois de sa poche34. De surcroît, elle réorganisa sa politique de collectionneur35. ASV, Libro d’Oro, Matrimoni. Les informations sur Pietro Vendramin sont tirées de D.M. Pellegrini, Della prima origine della stampa in Venezia, 1794, p. VI-VII, et Epitalamio di C. Valerio Catullo volgarizzato, p. 5. 33 Nous rappellerons, entre autres, le doge Andrea Vendramin (1393-1478) et le patriarche et cardinal Francesco Vendramin (1555-1619). 34 Cf. infra, en référence au testament de Fiorenza Ravagnin. 31 32 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 101 Si aucune dot pécuniaire n’avait été versée, elle avait fait don au mari d’un autre capital, probablement plus précieux encore : le très large réseau de contacts culturels hérité du temps de son premier mariage, et élargi – comme nous avons pu le voir – tout au long de son veuvage36. Pietro ne manqua pas d’en bénéficier : ce fut, entre autre, par l’intermédiaire de son épouse, qu’en avril 1751, il entra en contact avec le professeur Poleni, dont l’œuvre d’ingénieur hydraulique et naval s’avéra bénéfique au vieil amiral et Inspecteur da mar37. La naissance à distance rapprochée de deux enfants – le tant espéré héritier masculin Francesco (1751) et la cadette Moceniga (1752) – couronna l’heureuse union38. Ceci marqua pour Fiorenza la consécration sociale définitive et peutêtre aussi une douce revanche sociale. Non plus seulement garante de l’héritage culturel du premier mari, mais aussi de la survie dynastique du second, elle pouvait maintenant se présenter comme mère providentielle, bienfaitrice publique, matrone de la République. Les productions culturelles qui lui furent dédiées devinrent la réclame de tels mérites. En 1752, « Son Excellence la Gente Dame Fiorenza Ravagnini Vendramin » n’était plus seulement souscriptrice, mais dédicataire de l’édition des Dissertazioni Vossiane d’Apostolo Zeno39. Même si elle ruisselle de formules et de compliments, la lettre de dédicace témoigne à la fois de la renommée de Fiorenza et de sa proximité au groupe intellectuel progressiste vénitien, dans lequel justement lo Zeno et Recanati étaient les figures de proue : Cf. Magrini, I pastelli di Rosalba Carriera, cit., p. 252. Sur la correspondance Recanati-Poleni (datée de 1733-34) cf. Bibliotèque Nationale Marciana, Mss. it. cl. X 135-136 (6713-6714) et Mss.it. cl. X 318 (6558). 37 Cf. P. Del Negro, Giovanni Poleni e la Repubblica delle Lettere, cit., p. 131. 38 Pour la date de naissance de Francesco (5 juillet 1751) cf. ASV, Libro d’Oro, Matrimoni. Pour l’année de naissance de Moceniga cf. Archivio Patriarcale de Venise, San Marco, Morti, reg. 10, le 8 avril 1834. 39 Cf. Dissertazioni Vossiane di Apostolo Zeno, cioè Giunte e Osservazioni intorno agli Storici Italiani, che hanno scritto latinamente, rammentati dal Vossio nel III libro De Historicis Latiniis, en deux tomes. 35 36 102 Il Campiello – n° 1 Si l’illustre Auteur de ces essais pouvait sortir de sa tombe et découvrir qu’on publie sous le Nom respecté de Votre Excellence, je suis absolument certain qu’il en éprouverait une satisfaction singulière. Lui, qui n’avait pas à se donner la peine d’aduler quelqu’un, avait une estime toute particulière votre esprit et vos talents. Trois ans plus tard, une nouvelle entreprise éditoriale liait le nom de Fiorenza Ravagnin à la fine fleur du mécénat vénitien et aux grands noms de l’Illuminisme italien. En 1755 l’avocat Camillo Manetti faisait paraître à Genève (sous la fausse date de « Palmyra ») les anticuriales et interdites Opere postume di Pietro Giannone in difesa della sua Storia Civile del Regno di Napoli. Des documents découverts récemment ont révélé que les deux mille copies de cette œuvre arrivèrent sur la lagune cette même année au mois de juin, et que c’était effectivement Fiorenza qui avait financé l’impression40. Durant les années qui ont suivi, la dame appuya trois nouvelles éditions illustrées. En 1756, elle comptait parmi les rares femmes associées à Le rime del Petrarca brevemente esposte per Lodovico Castelvetro (1756) que l’éditeur Antonio Zatta imprimait en élégant format et dédiait à « Son Altesse Royale MarieAntoinette de Bavière princesse de Pologne »41. L’année suivante, elle approuvait de sa signature La Divine Comédie de Dante Alighieri, imprimée en hommage à « Sa Majesté Impériale Elisabeth Petrowna, Impératrice de toutes les Russies »42. En 1766, signant désormais du seul et plus illustre de ses noms, « Son Excellence Madame Fiorenza Vendramin » était la seule femme parmi les nombreux souscripteurs du Corriere letterario, une anthologie périodique de journaux assemblée par l’imprimeur Antonio Graziosi et comprenant, entre Cf. Opere postume di Pietro Giannone in difesa della sua Storia Civile del Regno di Napoli: con in fine la di lui professione di fede, Palmyra [idest Genève], all’insegna della Verità, 1755. Cf. aussi G. Bonnant, Pietro Giannone à Genève et la publication de ses oeuvres en Suisse au XVIIIe et au XIXe siècles, dans “Annali della Scuola speciale per archivisti e bibliotecari dell’Università di Roma”, III, 1-2 (1963), p. 131; Opere di Pietro Giannone, dans Illuministi Italiani, cit., p. XXVIII; Infelise, L’editoria veneziana, cit., p. 353. 41 Cf. Le rime del Petrarca brevemente esposte per Lodovico Castelvetro, Venise, Zatta, 1756. 42 Cf. La Divina Commedia di Dante Alighieri con varie annotazioni, e copiosi rami adornata, Venise, Zatta, 1757. 40 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 103 autres, des extraits de “Il Caffé” des frères Verri, de “Le Novelle Letterarie” de Lami, et de l’“Encyclopédie universelle” de Paris, et encore d’autres « extraits tirés des meilleurs Journaux d’Europe » et de « nouvelles particulières communiquées par les érudits »43. Un simple coup d’œil au volume témoigne de l’orientation politique et progressiste de toute l’entreprise. Outre les symboles ouvertement maçonniques exhibés dans le frontispice (le compas, l’équerre et l’ancre), la longue liste des souscripteurs étalait la fine fleur de l’intelligentsia réformiste vénitienne44. 6. « Parmi les Matrones Vénitiennes ». Les dernières années La souscription au Corriere letterario (1766) marque le sommet de l’activité de mécène de Fiorenza Ravagnin. A partir de l’année suivante, soudainement et pendant plus de vingt ans, sa signature disparaissait des lettres de dédicace, des souscriptions et des correspondances d’hommes érudits. Les rares documents de cette période nous présentent un chef de famille plus intéressé par les questions familiales et par son patrimoine vacillant que par la promotion culturelle. Il fallait caser le premier enfant Francesco, désormais prêt à embrasser la carrière politique et déjà protagoniste de fiançailles de haut rang bien que controversées à en croire les mauvaises langues, et la fille Moceniga, pour laquelle il fallait préparer une dot conséquente. Pour ses deux enfants, la mère – ambitieuse et omnipotente entremetteuse, selon un témoin – assura des noces prestigieuses avec Alba Corner della Ca’ Granda (1771) pour l’un et Jacopo Nani San Trovaso (1772) pour l’autre45. Cf. Il Corrier Letterario già pubblicato in fogli periodici, Venise, Graziosi, 1766. On y trouve, entre autres, les hommes politiques et réformateurs Angelo Querini et Giorgio Pisani, le diplomate et collectionneur anglais Joseph Smith, les professeurs Carlo Antonio Pilati et Natale Dalle Laste, le typographe G.B. Albrizzi, le journaliste Domenico Caminer, le médecin (et futur jacobin) Rocco Melacini. 45 Sur les fiançailles de Francesco Vendramin cf. les lettres de ce dernier à Giulio Perini datant de 1771 (Archivio di Stato de Florence, Acquisti e Doni, b. 94, ins. 255). Sur 43 44 104 Il Campiello – n° 1 Ensuite, naturellement, le destin du patrimoine. Pour nous informer sur ce propos il existe deux testaments que Pietro et Fiorenza dicteraient quelques années plus tard : quasiment deux autobiographies, intéressantes en ce qu’elles nous révèlent la nature différente des deux conjoints. Agé de quatre-vingt-cinq ans et souffrant parfois de problèmes de goutte – comme le précisait le notaire –, en 1755 Pietro Vendramin nommait comme héritier universel « Francesco mon enfant [...] et ses descendants mâles46 ». Il ajoutait des informations intéressantes sur l’épouse, pour laquelle il nourrissait une immense reconnaissance, ainsi que sur leur vie conjugale : Pour toute chose je suis redevable à Fiorenza Ravagnin, ma très chère épouse, à laquelle je n’ai pas voulu demander quelque dot que ce soit, au contraire elle possède à ce sujet un acte notarial de renoncement qui montre clairement que je lui ai laissé au moment de notre mariage tout ce qu’elle possédait à son entière disposition. Ainsi revivait-il en paroles qui trahissaient l’admiration, les dépenses considérables engagées par la femme en pleine liberté jusqu’aux dettes engagées par cette dernière, que le fils devait dorénavant régler « d’autant plus qu’elles furent contractées pour lui, la sœur et pour la dignité de la maison ». Vendramin s’éteignit deux ans plus tard, en 1777. Veuve pour la seconde fois, le 14 septembre 1785, Fiorenza Ravagnin, alors âgée de soixante-treize ans, dictait à son tour ses dernières volontés. Elle commençait par un long et solennel compte-rendu de sa gestion du patrimoine. A chaque mot transparaissaient cette fierté, cette conscience, cet amour de la précision avec lesquels pendant trente-trois ans elle avait administré les biens qui lui avaient été confiés. A son habitude pragmatique et méthodique, avec un style de dissertation, Fiorenza passait en revue les sommes déboursées pour solder les dettes héritées avec le mariage. Elle l’autorité de Fiorenza Ravagnin dans l’organisation des mariages de ses petites-filles cf. les Mémoires et confessions de Mad. Vendramin Sale de Francesco Testa (Biblioteca Civica Bertoliana de Vicence, Ms. 1916). 46 ASV, Canc. Inf., Miscell., 31.D, n.° 3831. Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 105 démontrait, point par point, le respect des directives attribuées par son époux trente ans auparavant et la bonne gestion d’un patrimoine qui, grâce à sa propre œuvre d’économe, avait été conservé et transmis aux descendants. Elle tenait à mentionner « mon argent personnel employé », et qui aurait dû « lui être restitué par le Fils par devoir, et par justice ». En dressant la liste des nombreuses propriétés, des biens, « les métayages et terrains » laissés par Vendramin, elle n’oubliait pas de mentionner le bien à partir duquel elle avait réalisé son ascension sociale, « la Bibliothèque, où […] j’ai rangé tous les livres de ma propriété », et qui maintenant était « en usufruit commun avec mon Fils ». Elle évoquait à nouveau la confiance aveugle que Vendramin avait toujours placée dans sa gestion, et elle demandait donc au fils et premier héritier d’éteindre « toutes les dettes engendrées […] pour l’Honneur de la Famille », à savoir principalement pour son onéreux mariage et pour celui de la sœur Moceniga. Florence nommait enfin Francesco « héritier libre universel » laissant à Moceniga, son exécutrice testamentaire, « toutes les dettes restantes, qui au total représentent une faible somme ». Comme on peut le voir, malgré la gestion avisée, quelques vieilles dettes restaient encore à régler, et de nouvelles avaient été contractées. Cinq ans après, le budget des Vendramin était à nouveau dans le rouge. En effet, du mariage de Francesco et Alba Corner étaient nées deux filles, Fiorenza (1772) et Maria (1777), auxquelles s’ajoutait Lucrezia, le premier enfant de Moceniga : trois nouvelles et couteuses dots à prévoir. Les noces des petits enfants constituèrent le dernier effort de l’infatigable dame et coïncidèrent avec son extrême célébration publique. Elle chercha des prétendants de prestige d’où qu’ils vinssent grâce à son réseau de contacts, et elle en trouva enfin à Venise, dans la Terraferma vénitienne et même dans les Etats Pontificaux. Les trois affaires furent conclues en l’espace d’un an47. En 1792, la fille aînée de Francesco, elle aussi appelée Fiorenza, et Lucrezia convolèrent à justes noces avec le marquis vicentin Luigi Sale l’une, et le noble vénitien Lorenzo Sangiantoffetti l’autre. L’année suivante, Maria épousa Francesco Ricci, un riche marquis de Macerata. 47 106 Il Campiello – n° 1 Les traditionnels livrets de noces, bien plus que célébrer les jeunes épouses, se transformèrent en l’énième consécration de la puissante grandmère. Ils nous témoignent à quel point le prestige et le réseau clientéliste de Madame Vendramin étaient étendus. Le dédicataire Girolamo Trevisan y louait « cette extrême gentillesse » et « ces éminentes vertus qui vous signalent parmi les Matrones Vénitiennes »48. La fin de siècle réserva un ultime moment de gloire à la famille Vendramin. Ce n’était toutefois que le chant du cygne. Au mois de juillet 1794, le fils Francesco était élu « Riformatore allo Studio di Padova », c’està-dire un des trois ministres de l’Instruction de la République Sérénissime. A cinquante ans de l’entrée dans le monde scintillant du mécénat, Fiorenza goûtait à la satisfaction de voir son premier enfant aux commandes de la culture officielle vénitienne. Trois mois plus tard, le même héritier était nommé ambassadeur vénitien à Constantinople, et ce fut alors l’apogée. Il partit pour la capitale ottomane en avril 1796 : par un destin tragique, il ne verrait plus ni la mère, ni sa première née, ni sa patrie indépendante. Durant ces mêmes journées, Fiorenza sentit peut-être venir la fin de tout un monde. Elle qui avait vécu aussi pleinement les derniers fastes de la Sérénissime, sembla s’éteindre avec celle-ci. Le 1er septembre 1796, malade et sentant la mort imminente, elle fit ajouter un codicille au testament avec de nouvelles dispositions. Elle en rédigea certaines de sa main, avec une graphie tremblante : une hausse de rente pour la fidèle femme de chambre Marietta Manfredi et pour le batelier Piero, qui depuis quelques mois l’assistaient affectueusement. Arguant qu’elle ne reverrait plus son héritier désormais lointain, elle confiait aux deux domestiques « la garde de la Maison jusqu’au retour de mon Fils ». Pendant les deux mois qui suivirent, depuis le lit dans lequel elle était contrainte de rester alitée, peut-être entendit-elle le grondement des canons. Cf. Epitalamio di C. Valerio Catullo volgarizzato per le faustissime nozze del Nob. Sig. March. Luigi Sale di Vicenza e di Sua Eccellenza Fiorenza Vendramin N.V., Padova, nella Stamperia del Seminario con permissione, 1792, et cf. Poema di Catullo sulla Chioma di Berenice tradotto dal signor abate Antonio Conti di nuovo pubblicato per le nozze di S.E. la N.D. Maria Vendramin patrizia veneta e del sig. marchese Francesco Ricci gentiluomo maceratese, Crisopoli [idest Parme], co’ tipi bodoniani, 1793. 48 Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 107 Le 21 novembre, à quatre-vingt-quatre ans, elle finit ses jours dans la maison de famille, sur la fondamenta des Carmini. Quatre jours plus tôt, la bataille du pont d’Arcole avait élevé le général Bonaparte au rang de maître absolu de la Vénétie, ce qui avait mis fin, de fait, à la souveraineté de la République de Saint-Marc.49 49 Archivio Patriarcale de Venise, San Raffaele, Morti, 22 (1796-1805). Juliette Le Gall L'écriture vénitienne chez Henri de Régnier et le « premier Marinetti ». L'imaginaire de l'espace vénitien sous le signe du Symbolisme, prémices au Futurisme. Lieu symbolique à l'origine de discours multiples au XIXème siècle, Venise en tant qu'espace réel transposé dans la fiction donne lieu notamment au mythe de sa propre mort. « Venise la Rouge », pour reprendre l'expression de Musset en 1830 s'imposera tout au long du XIXème siècle comme l'« un des comptoirs du romantisme européen »1. Dans la lignée de l’œuvre romanesque de Paul Bourget, les « romans vénitiens » du poète symboliste Henri de Régnier (1864-1936), auquel Jean Lorrain dédie Jeune Homme au masque (1905), semblent à leur manière faire écho à ce que Uwe Israel désigne par le « phénomène Venise »2, ou encore la « folie vénitienne »3 à l'origine d'un éclatement des imaginaires liés à l'espace vénitien au XXème siècle. Après le « roman à épisodes vénitiens »4 Le passé vivant (1904), Les esquisses vénitiennes en 1906 puis l'Altana ou la vie vénitienne en 1928, Henri de Stéphane Guegan, « Rouge Venise », Venise en France: du romantisme au symbolisme, actes des journées d'études Paris-Venise, École du Louvre et Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, École du Louvre, 10 et 11 mai 2004, p. 147-166. 2 Uwe Israel, « Premessa », La diversa visuale : il fenomeno Venezia osservato dagli altri, a cura di Uwe Israel, Roma, Edizioni di storia e letteratura, Venezia, Centro tedesco di studi veneziani, 2008, p.7-11. « Ma per capire Venezia e ciò che è stata in passato, è necessario ogni tanto distaccarsi da questa malià : è cioè necessario operare un cambiamento di prospettiva (…) questo fenomeno Venezia (…) viene osservato con gli occhi di un non veneziano. » 3 Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français de Paul Bourget à Maurice Dekobra, Champion, 2000, Paris. 4 Ibid. 1 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 109 Régnier admiré par Marinetti5 mais aussi par Proust6, semble s'inscrire dans cette « réinterprétation de Venise, au tournant du siècle, charri[é]e, encore [par] des éléments nourris par les descriptions antérieures (labyrinthe, décrépitude, spécularité) mais minimalisés, réduits à des proportions symboliques. »7 L'incipit des Esquisses vénitiennes chez Henri de Régnier paraît ainsi condenser ces différents éléments attribués à l'espace vénitien sous le signe du geste d'écriture : dans l'Altana ou la vie vénitienne, Henri de Régnier rappelle explicitement dans les premières pages, en guise d'avertissement au lecteur, dans quelle mesure son projet d'écriture « s'il ne manque point d'un certain ridicule à écrire un livre sur Venise, le risque en est compensé par le plaisir qu'il y a à le courir ». D'emblée, la description minutieuse d'un encrier rouge, à travers laquelle on perçoit un goût certain pour les détails et la description fragmentaire (deux éléments en accord avec l'esthétique et l'imaginaire décadent symboliste) qui tend à l'apparenter à un objet artistique issu d'une collection, rappelle dans le même temps l'acte scriptural, à l'origine de toute une littérature dédiée à Venise. Par des effets d'échos, le geste scriptural se voit prolongé et répété au fil des Esquisses vénitiennes : « L'écritoire » fait écho à « l'encrier rouge » , notamment dans l'approche mimétique de l'objet décrit, en tant qu'indice d'une Venise du dix-huitième siècle révolue, mais qui survit dans l'imagination : « Son plateau, peint d'un rouge vif, à la mode vénitienne d'autrefois, présente les deux encriers de cuivre, au couvercle surmonté d'un fruit ciselé. Devant eux la sébile offre la poudre à sécher. De chaque coté se dressent le plumier et la clochette pour avertir le petit laquais qui portera la lettre. Chaque fois que j'étends la main et que je trempe ma plume d'oie dans l'encre, il me semble voir à mon poignet la dentelle d'une manchette et le parement brodé d'un habit de soie. Je me pense revenu aux vieux temps. Dès que j'ai fini d'écrire, j'agite la sonnette. » Hommage de Marinetti à Henri de Régnier. Proust, au sujet de l'édition illustrée des Esquisses vénitiennes en 1906, évoque les « superbes études de Maxime Thomas », composées de 10 planches hors-texte, gravées en taille douce et de dessins dans le texte, collection de L'Art décoratif, Paris. 7 Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit., p. 37. 5 6 110 Il Campiello – n° 1 Venise, érigée en composante de l'image de l'Italie8, en « cité prismatique »9 chez Marinetti et Henri de Régnier a pour particularité de mettre en lumière l'évolution de différents courants littéraires. Érigé en un véritable laboratoire, l'espace vénitien a ainsi l’intérêt d’esquisser l’évolution des doctrines littéraires, du romantisme jusqu'au décadentisme10, bien que « ses canaux [soient] noirs comme l'encre » d'après Paul Morand11. En effet, la pièce de théâtre historico-romantique en quatre actes Dramma senza titolo12 écrite par Marinetti, bien avant qu'il ne devienne le représentant du Futurisme en 1910, esquisse également un imaginaire de l'espace vénitien particulier, bien que certains éléments peuvent le rapprocher de celui donné à voir par l'auteur symboliste Henri de Régnier à travers les Esquisses vénitiennes et L'Altana ou la vie vénitienne. Malgré les différences d'écriture du point de vue générique, Marinetti et Henri de Régnier, qui rompt avec son esthétique habituelle (absence de maniérisme), recourent communément à la fiction pour mettre en scène l'imaginaire de l'espace vénitien. La perception sensorielle, qui oriente l'écriture de Régnier donne à voir Venise à la fois comme un espace parcouru, perçu et appréhendé sous l'inspiration symboliste, contre la fausse sensibilité de la description objective. La place de la description et de la perception s'avère être une autre caractéristique de l'espace vénitien9 lorsqu'il est saisi par la fiction. Du point de vue de l'écriture de la perception, œuvrant à la création de l'imaginaire vénitien, plusieurs indices peuvent être identifiés. D'une part le choix de Régnier de recourir à la perspective panoramique pour donner à voir Venise au lecteur se trouve matériellement justifiée par un détail architectural propre au Palais Dario dans lequel le narrateur le séjourne : celui de l'altana, permettant d'avoir une M.M. Martinet, Le voyage d'Italie dans les littératures européennes, cité par Sophie Basch. Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit., p. 13. 10 Giovanni Calendoli, « Introduzione », Marinetti, Dramma senza titolo, tradotto dal francese da Benedetta Marinetti, Vito Bianco Editore, collana « Spettacolo », n°3, vol. 1, 1960. 11 Xavier Tabet, Venise en France : du romantisme au symbolisme,op. cit. 12 Marinetti, Dramma senza titolo, a cura di Giovanni Calendoli, op. cit. 9 Eugenio Bernardi, « L'incontro con il sogno. Poeti e scrittori di lingua tedesca a Venezia», Uwe Israel, La diversa visuale : il fenomeno Venezia osservato dagli altri, op.cit, p. 151-171. « Venezia rappresenta pur sempre un apello per chi la guarda, è una città che chiede una reazione, una risposta. Scrivere, dipingere, fotografare. », p. 154. 8 9 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 111 perception en hauteur, de dominer du regard l'espace vénitien. Certains éléments faisant lieu d' obstacles à la vision complète de l'espace vénitien se révèlent être favorables à l'imaginaire. La perception chez Marinetti apparaît à différents endroits du texte fragmentaire, notamment dès l'acte I, au cours d'une scène nocturne dans laquelle le personnage Pasquale Cicogna est décrit comme émergeant de la lagune. La question de la perception fait même l'objet de discours chez les personnages et donne lieu dans le texte au motif de l'aveuglement : la figure mythologique d'Ulysse paraît partiellement reprise sous les traits du personnage de Giovanni revenant à Venise, auquel la métaphore de l’aveuglement est mise en correspondance. Si la question de la nécessité romanesque de Venise a pu être mise en doute par Henri de Régnier lui-même en 192513, son usage du genre romanesque permet de s'appuyer sur « la fonction instrumentale d'une ville au rôle essentiellement de catalyseur empêche[rait] sa réduction au pittoresque du motif. Parce que, aussi, le roman seul est reconstitution »14. Tandis que le poète symboliste décrit ses Esquisses vénitiennes comme un ensemble de« petites proses cadencées »15 donnant à lire et à voir en partie Venise à l'époque de Casanova et du président de Brosses16, la pièce de Marinetti Dramma senza titolo introduit par différents éléments dramaturgiques une intrigue se déroulant à Venise, à la fin du XVème siècle, Remarques d'Henri de Régnier dans le Figaro du 19 mars 1925, au sujet de la publication de l'Alcyon d'Edmond Jaloux : « Le décor vénitien, un peu arbitraire, car l'Alcyone pourrait avoir un autre cadre que celui-là, a donné à M.Edmond Jaloux l'occasion d'exprimer d'excellentes pages descriptives. M. Jaloux nous dit en phrases harmonieuses et colorées les palais, les canaux, les calli de la Ville Incomparable.Il a pris, on le sent, plaisir à cette évocation, sans pourtant lui laisser une place trop prépondérante.Il y a quelque mérite à ne pas céder outre mesure aux séductions descriptives que Venise fait subir à quiconque s'expose à son sortilège ». 14 Sophie Basch, « Avant-propos », Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit., p. 14. 15 Henry de Régnier, Esquisses vénitiennes, préface de Sophie Basch, Editions Complexe, 1921, Bruxelles. 16 Sophie Basch, « Avant-propos », Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit. : « le déplacement de l'action au XVIIIème siècle, l'époque où l'écrivain retrouvait sa vérité, ne peut qu'accentuer cette fonction [protectrice du labyrinthe]», p. 95. 13 112 Il Campiello – n° 1 d'après la didascalie initiale17. Comme le souligne Sophie Basch, l'aspect géographique suggéré dans la fiction s'avère dévalué, par rapport aux passages descriptifs18, trop souvent associés à la littérature de voyage par la critique. Chez Marinetti, l'évolution des personnages à travers l'espace fictionnel vénitien semble posséder un point commun avec la « géographie vénitienne »19 d' Henri de Régnier : celui du décentrement, décrit par Franco Moretti comme « ce mouvement centrifuge, ce déplacement vers les zones écartées, détachées de Venise, amènent un changement de forme ; la correspondance entre lieux marginaux et situations marginales s'affirment progressivement »20. L'écriture dramaturgique marinettienne tend ainsi à tracer un parcours jouant sur cet effet de décentrement : si la pièce s'ouvre à proximité de la place Saint Marc21, lieu à nouveau utilisé à l'acte III22, c'est aussi par le discours des divers personnages que paraît s'opérer cet éloignement, favorable à esquisser un imaginaire de l'espace vénitien dans la 17 Marinetti, Dramma senza titolo, a cura di Giovanni Calendoli, op. cit. Sophie Basch, « Avant-propos », Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit. : « Ainsi, la fragmentation croissante de sa représentation, l'importance accordée au détail, la tendance à l'éclatement ne m'apparaissent en rien caractéristiques de l'évolution de la description à Venise mais de la description en général, dont le symbolisme, puis l’expressionnisme et la naissance de l'art abstrait vont modifier le statut- le morcellement, l'éclatement, sont typiques d'une ville en particulier. », p.14-15. 19 Sophie Basch, « La Géographie vénitienne d' Henri de Régnier » (préface), Henri de Régnier, Esquisses vénitiennes, op. cit., p.9-26. : « Les Venises d'Henri de Régnier se disposent, se dilatent et se contractent autour de repères bien précis. La Cà Dario, le Palazzo Venier et la Casa Zuliani... tremplins du rêve et du fantastique, les jardins de la Guidecca. », p. 19. 20 Ibid., p.15. Franco Moretti, Atlante del Romanzo europeo, cité par Sophie Basch, concernant les rapports entre modifications de l'espace et changement des formes pouvant donner lieu à des œuvres littéraires analysables comme des sortes de cartes géographiques. 21 Marinetti, Dramma senza titolo, op. cit. : « la riva degli Schiavoni , nell'ore torbida dell'alba», Acte I, p.3 ; « Le lagune si sono intieramente coperte di barch, di gondole, di burchielli delle ricche vele tutte sovraccariche si popolo la cui policromia sgorgiente si mescola al luccichio delle acque assolate. Da innumerovole barche giunge molto popolo, che ingombra la Riva degli Schiavoni, malgrado lo sforzo violento dei soldati che cercano di liberare la piazza davanti al palazzo », Acte I, p.18. 22 Ibid. : « decorate a festa secondo il gusto dell'epoca. La Basilica appare nel fondo con le cupole fiameggiante », Acte III, p. 39 ; « Divertimenti sulla piazza, specie di ballo, regolato secondo le abitudini dell'epoca », Acte III, p. 65. 18 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 113 fiction : Pasquale Cicogna évoque dès le début de la pièce l’île de Burano, l'Arsenal, la Miséricorde ou se pressent des marchands juifs, des arabes et des grecs, des esclaves23 ; Giovanni évoque également l'Arsenal ou il a grandit et les marins de Chioggia24; l'acte II se passe autour d'un campiello désert donnant sur le canal25 tandis qu'un rendez-vous amoureux secret est prévu au campiello dei Martiri26. Enfin, le dénouement de l'intrigue27 à l'acte IV semble matérialiser cet effet de déplacement en évoquant une île de la lagune, abritant un palais en ruine28, dans laquelle les amants Paolo Baglione et Rosalba Candiano, fille du peuple29, sont réduits à des figures marginales, échappant à l'espace vénitien. Bien que l'imaginaire vénitien d'Henri de Régnier semble s'inscrire effectivement dans l'une des dimensions du paysage évoquées par Renzo Zorzi à travers le terme « in natura »30, on peut distinguer certains traits de l'espace vénitien tels qu'il les donne à voir ou à suggérer dans certains passages de ses textes dédiés à la Sérénissime. Ces particularités esquissées se trouvent cependant associées à des images plus communes, héritées de la littérature mythologique antique. Ainsi, la figure de Circé31 assimilée à l'espace vénitien parcouru et perçu est d'emblée présente dans L'Altana ou la Ibid., Acte I, p. 3 : « l'isola di Burano » ; « l'Arsenale » ; « Misericordia » ; « mercanti ebrei » ; « Arabi e greci » ; « Schiavi negri ». 24 Ibid., Acte I, p. 8. 25 Ibid., Acte II, p. 33 : « Ardente sera di estate. Il Canal Grande è addormentato come uno stagno opaco sotto la febbre tragica e ilare delle numerose stelle. Nel fondo della scena si intravede il profilo solenne dei palazzi, le cui sogome si rifflettono tremolanti nell'amoerro dell'acqua ». 26 Ibid., Acte I, p. 17. 27 Ibid., Acte IV, p. 71 : « E' trascorso un mese della fuga di Baglione e l'asilio ignorato dei due amanti, non è stato encora scoperto dai congiurati acceniti, né dai soldati del Doge ». 28 Ibid., Acte IV, p. 71. 29 Ibid., Acte I, p.3 : « [Rosalba Candiano] divenuta leggendaria a Venezia per la sua belezza e la voce affascinante» ; Pietro à Pasquale Cigogna : « sapi che Rosalba è il prezzo di colui che salverà il popolo di Venezia ! », Acte I, p. 17. 30 Fondazione Cini, Il paesaggio: dalla percezione alla descrizione, a cura di Renzo Zorzi,Venezia, Marsilio, 1999. 31 Henri de Régnier, L'altana ou la vie vénitienne, op. cit. 23 114 Il Campiello – n° 1 vie vénitienne. Venise trompeuse, ensorceleuse, mais aussi maudite32, d'après les propos du personnage dramaturgique marinettien Pasquale Cicogna dès l'acte I de Dramma senza titolo, peuplée de démons33 et d'espions. Cette malédiction se manifestant dans l'espace vénitien est même à nouveau rappelée par Paolo Baglione à l'acte IV34, l'amant secret de Rosalba Condiano35. Dans la lignée de cette image d'une Venise fausse, devenant véritablement un lieu propice à la comédie36, le décor « théâtral » de la tromperie37 . Face à cette malédiction perçue dans l'espace vénitien, la superstition se manifeste à travers le discours de Pasquale Cicogna, demandant l'aide du vendeur d'amulettes Giovanni38 tandis que le motif de la tromperie est utilisé comme un élément dramaturgique par Marinetti car directement lié à l'intrigue de la pièce.39 De plus, l'imaginaire décadent40 sert à moduler cet espace vénitien à travers lequel les personnages évoluent, par l'intermédiaire à nouveau de la parole : l'image morbide de Venise surgit à plusieurs reprises, dans le discours de Pasquale par des allusions à la lèpre et à ses effets. A travers l'expression d'un fantasme de nature morbide, ce personnage amoureux de Marinetti, Dramma senza titolo,op. cit. : « (…) dimmi quale destino ti ha ricondotto in questa città maledetta ! … », Acte I, p.7. « Ho encora nei miei occhi morti queil maladetti riflessi elastici e violenti come dei serpenti. », Acte I, p. 13. 33 Ibid. : Pasquale Cicogna comparant Pietro à un démon : « Tu sei veramente un Demonio !... », Acte I, p. 16. 34 Ibid. : « come è violento la corrente, in questa canale della Maledizione ! ... » , Acte IV, p. 72. 35 Ibid. : « Queste onde sono coperte giorno e notte, d'un anesso di petali che esse trasportano ogni sera fino ai piedi del sole calante. », Acte IV, p. 72. 36 Ibid. : « Appena entrato, presto informa Boldu sulla commedia che bisognava giocare. », Acte I, p. 16. 37 Ibid. : Une des scènes de tromperie a lieu dans une taverne, pouvant faire penser à une scène de genre pictural. 38 Ibid. : « (…) Non hai tu un amuleto per guarirmi ? », Acte I, p. 14. 39 Paolo Baglione se faisant passer pour un gondolier, auprès de Rosalba Candiano (Acte I, p. 29). 40 Jean Pierrot, L'imaginaire décadent (1880-1900), PURH, Rouen-Le Havre, 1977. 32 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 115 Rosalba imagine la maladie à l’œuvre sur le corps féminin41. L'imaginaire décadent chez Henri de Régnier apparaît à travers les Esquisses vénitiennes plutôt dans la perception de l'espace vénitien, soumis à la décomposition, dont les traits semblent défigurés : « Et cette curieuse porte avec ses marches rongées, ses colonnettes torses et son blason effrité » (p.41) ; « (…) Des masures galeuses reflètent leurs cheminées en hottes dans un « rio » verdâtre et vaseux. » (p.42). La pièce Dramma senza titolo se clôt sur l'image d'une gondole servant de cercueil, réinvestissant ainsi explicitement un cliché nécrophile associé à l'imaginaire de l'espace vénitien chez Marinetti42 , dont on ne trouve pas de continuité dans les écrits dédiés à Venise chez Henri de Régnier, dont les Esquisses vénitiennes s'achèvent sur l'évocation du masque, un motif cher aux symbolistes. Même si son écriture et son imaginaire vénitien semblent bien relever de l'esprit décadent43 inspiré par l’impressionnisme et cultivant le charme de la vie quotidienne. La spécularité associée à l'espace vénitien, décrite par Sophie Basch comme un des éléments déjà présents dans les descriptions des écrits littéraires antérieurs de Venise est reprise par Marinetti mais en y ajoutant une tonalité épique : le soleil se reflétant sur les lagunes les colore d'une splendeur guerrière44. L'acte II, à travers le discours de Baldo, met en scène le soleil presque assimilé à un personnage de la pièce, Marinetti, Dramma senza titolo, op. cit. : « Io prego tutti a gettare un maleficio che copra il corpo di Rosalba di una lebbre imonda (…) che la lebbre mangi la sua carne, tutta la sua carne morbida ! », Acte I, p.10. 42 Ibid. : « (…) dopo avere posato i corpi nella barca encora tutta carica di nomi in fiore, togliono gli ormeggi, in modo che la barca si allontana, salendo al largo, dove trema encora l'ultimo riflesso del sole sparito. », Acte IV, p. 88. 43 Michel Décaudin, « Définir la décadence », L'esprit de décadence, Colloque de Nantes (21-24 avril 1976) , Institut des lettres de l'Université de Nantes, coll. « la Thésotothèque », n°8, vol.1., Minard, 1984, p. 5-13 : « Comme l’impressionnisme, la décadence participe au monde de la sensation et de la sensibilité à la présence du paysage urbain. » (p. 10), tandis que « le déplacement de point de vue » avec l'apparition du symbolisme en 1885 revient à ne plus se limiter à « la sensation à l'état pur, on s'interroge sur sa signification. » (p. 10) , « on ne voit plus le monde des yeux, on le questionne. » (p. 10). 44 Marinetti, Dramma senza titolo, op. cit. : « (…) le isole lontane si disegnano su vasto specchio delle lagune che il sole sorgente sembra colorire di splendore guerriero. », Acte I, p. 17. 41 116 Il Campiello – n° 1 qui introduit à travers le motif du songe45 également présent chez Henri de Régnier. La description du rêve de Baldo, empreinte de merveilleux46, met en scène le retour du bateau Fortunata à Venise47, assimilé au soleil et au miracle48. Si, comme le souligne Xavier Tabet, « notre imaginaire vénitien est encore travaillé par les clichés nécrophiles du Décadentisme, présentant une Venise équivoque, magicienne, une ville Circé, séduisante mais aussi dangereuse et tentatrice »49, l'imaginaire vénitien d'Henri de Régnier se trouve empreint d'une forte musicalité, qui peut rappeler l'image de la « ville musique » de Nietzsche, tout en y ajoutant une dimension temporelle : l'allusion au tintement d'une sonnette dans les Esquisses vénitiennes, au détour de « l'encrier rouge » puis à nouveau dans « l'écritoire » semble fonctionner comme un indice du passé de Venise, qui ne serait perceptible que sous la forme d'ombres évanescentes : « Hélas ! Il faudrait que son tintement traversât le temps, remontât l'espace de plus d'un siècle, pour arriver à l'oreille du passé. Fou que je suis, Jacinto et Geromino ne sont plus que des ombres vaines » (Esquisses vénitiennes, p. 80-81) Roland Bietry, « Les théories poétiques à l'époque symboliste 1883-1896 », L'esprit de décadence, op. cit., p. 243 : « Le symbolisme est sûrement la forme d'art qui se rapproche le plus de la réalité du rêve (…) Aussi, le symbolisme est-il ou plutôt doit-il être suggestif au suprême degré , comme la Musique (…) la Poésie- Vers ou Prose- lui donne des ailes, pouvant à elle-seule synthétiser tous les arts » [Léon Deschamps, « Esthétique moderne », La Plume, 1er septembre 1890]. 46 Ibid., p. 14 : la poupe du bateau Fortunata est notamment décrite comme étant incrustée de pierres précieuses. 47 Ibid. : « Il sole se ne andava a passi lenti come un pellegrino, sul mare, e, a momenti , il suo gosto rosso si attardava a benedire i visi stanchi delle montagne (…) Il maraviglio magico si profilo nelle bruma crepuscolare, e, i suoi atrezzi fiammeggiavano … Allora, tutte le compane della città scoppiarono nelle loro voci di cristallo e di metallo sonoro. », Acte II, p. 51. 48 Ibid. : « Sarà rosso e flammeggiante come questo sole che sorge laggiu, sopra le lagune ! ... », Acte I, p. 14. 49 Xavier Tabet, Venise en France : du romantisme au symbolisme, op. cit. 45 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 117 En effet, après avoir fini d'écrire, « les bons Vénitiens portaient la main vers cette clochette. Et il fallait voir comme à son signal accourait le petit laquais chargé du soin des commissions ». Dans les Esquisses vénitiennes, le tintement de l'encrier vénitien du XVIIIème siècle lie le présent au passé50 et déclenche l'imaginaire de l'espace vénitien, auquel le narrateur a pourtant tenté « d'autres images plus grandioses, et plus éclatantes. […] J'ai même demandé aux terres brutales et mornes pour aveugler mes yeux et les rendre insensibles à tes traits délicats »51. De même, l'occurrence de parties chantées52 dans Dramma senza titolo aux actes II, III en plus de La « romance amoureuse » mentionnée à l'acte IV semble inscrire dans la fiction un espace vénitien au sein duquel la perception sensorielle esquisse un lieu à la fois sous le signe du réalisme et de l'imaginaire. A travers la perception partielle de l'espace dans la « fiction vénitienne » chez Henri de Régnier, c'est un jeu entre l'espace perçu et l'espace suggéré qui s'établit ou en d'autre termes celui de l'espace « restreint » et de l'espace « lointain » selon la terminologie utilisée par Stéphane Lojkine à propos de la construction de l'espace dans le roman53. Ainsi, le narrateur précisera à un moment de L'Altana ou la vie vénitienne qu'il ne put percevoir « Du grand Canal, entre (vu) un instant car la gondole l'a traversé de biais, pour s'insinuer de nouveau dans le dédale de l'autre rive». Marinetti, se présentant en défenseur du symbolisme avant qu'il ne devienne le représentant du Futurisme, fait l'éloge d'Henri de Régnier. D'Annunzio lui-même a été influencé par le symbolisme entre 1886 et 1889 et sera d'ailleurs l'auteur de l'ode rendant hommage au peintre symboliste Henri de Régnier, « L'encrier rouge », Esquisses vénitiennes, op. cit. : « Ils portaient la main vers cette clochette. Et il fallait voir alors comme à son signal accourait le petit laquais chargé du soin des commissions (…) il fallait pour qu'on l'entendit, le silence des vieilles demeures et la paix des quartiers tranquilles (…) le monde a changé et [qu']elle n'a plus rien à faire dans le nôtre. », p. 33-34. 51 Henri de Régnier, « L'encrier rouge », Esquisses vénitiennes, op. cit., p. 38. 52 Ibid. : Acte II, p. 42-43 ; Acte III, p. 59-61 et p. 66-67 ; Acte IV, p. 71. 53 Stéphane Lojkine, La scène de roman : méthode d’analyse, coll. « U. série Lettres », Armand Colin, Paris, 2002. 50 118 Il Campiello – n° 1 Giovanni Segantini, le Marcozza54. Pour Bontempelli, le mérite de Marinetti a été de marquer une rupture nette entre les XIXème et XXème siècles55, même s'il semble rester sous l'influence de la culture romantique, perceptible notamment par la reprise de la « mystique du surhomme ». Influencé par la culture romantique, Marinetti entretien aussi un rapport particulier au symbolisme, tout comme l'artiste futuriste Boccioni, si l'on s'en tient à la lecture de l'essai de Gaetano Mariani, Il primo Marinetti, à travers lequel à la fois la notion de « préhistoire du futurisme » et le projet d'esquisser « la fisionomizzazione del primo Marinetti »56 sont proposés. En effet, entre 1897 et 1908, Marinetti défendra son goût pour la poésie symboliste et interprétera le symbolisme en lui-même comme un fait à la fois historique et culturel. Son attraction pour l'image, tout comme Henri de Régnier, et son recours aux motifs de la poésie astrale est marqué notamment par l'influence de Jules Laforgue. La figure de Klingsor à coté de celle incarnée par Marinetti montre à quel point une osmose symboliste franco-italienne a pu émerger. L'influence non négligeable du symboliste belge Émile Verhaeren se retrouve aussi chez Marinetti du point de vue technique mais aussi thématique. Le principe théorisé par le symboliste René Ghil, consistant à doter les images de sonorités singulières est assimilé également par Marinetti. Le rapport entretenu par Marinetti avec le Symbolisme a été illustré de manière originale par Luciano De Maria : associé à la figure mythologique d'Orphée, Marinetti serait cet Orphée57, qui sur le point de prendre ses distances avec le Symbolisme (assimilé à l'enfer) qui ne peut s’empêcher de se retourner et d'écouter les anciennes voix. A cette comparaison de Marinetti prenant les traits d'Orphée, on pourrait y ajouter celle établie de Fernando Mazzoca, « D'Annunzio e il simbolismo », Il simbolismo in Italia, Venezia, Marsilio, 2011, p.17-21. 55 Michel Carrouges cité par Luciano De Maria dans F. T. Marinetti, Teoria e invenzione futurista, op. cit. 56 Gaetano Mariani, Il primo Marinetti, Firenze, Le Monnier, 1970. 57 F. T. Marinetti, Teoria e invenzione futurista, op. cit. : « E come se Marinetti nell'accomiatarsi dal movimento [ il simbolismo], alle cui fonti si era abbeverato così a lungo e appassionatamente, si fosse volto, come Orfeo agli inferi una volta encora al mondo che stava abbandonando, per riecheggiare nello stile la voce della figura vanente » (Gaetano Mariani) , p. 34-35. 54 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 119 manière explicite par Henri de Régnier, qui présente au lecteur le narrateur percevant et parcourant l'espace vénitien sous les traits d'une autre figure mythologique : celle de Thésée, perdu dans la structure labyrinthique de Venise, à travers laquelle seul le fil de l'Ariane du Tintoret58 peut le guider. L'image de la Venise labyrinthique, assimilée au labyrinthe de Dédale à travers la référence plastique se révèle être ainsi un élément à la fois constitutif et structurel dans la construction d'un imaginaire de l'espace vénitien tant diurne que nocturne (« un labyrinthe nocturne », p. 15), tel qu’il est décrit dans L'Altana ou la vie vénitienne de Régnier. Si la poésie de Marinetti se trouve marquée par l’occurrence thématique de la mer après 1897, comme dans le poème Tempête sur la mer, donnant lieu à une interprétation du paysage marin, notamment par l'intermédiaire de la technique analogique (lune-étoile, mer-étoile, « lunafilatrice ») elle aboutit dans La mort de la lune (1899) à une « fantasia ponteistica di Marinetti : il sole e il mare »59, pour reprendre l'expression de Gaetano Mariani s'intéressant au profil du « premier Marinetti », avant qu'il ne devienne l'auteur des différents manifestes futuristes. Chez Henri de Régnier, faisant partie de ces « derniers amants de la 60 lune » auxquels Marinetti renoncera plus tard, le recours au motif lunaire est fréquent dans L'Altana ou la vie vénitienne : tandis que le narrateur y décrit une « gondole [qui] glisse sur une eau de clair de lune »61, il perçoit aussi dans le même temps « le Grand Canal, magnifique et lunaire »62 puis des « façades obscures ou enlunées »63. Par ailleurs, le traitement du paysage vénitien chez Henri de Régnier semble être d'abord sous l'emprise d'un imaginaire symbolique chargé d'exprimer la complexité des émotions. L'originalité de l'écriture de Régnier quand il s'agit de décrire l'espace vénitien semble puiser d'abord dans la force des images et l'exploration du du songe. Donnant lieu à une « écriture Henri de Régnier, L'altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 10. Gaetano Mariani, Il primo Marinetti, op. cit., p. 8. 60 Henri de Régnier, L'Altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 15 . 61 Ibid. 62 Ibid, p. 15. 63 Ibid. 58 59 120 Il Campiello – n° 1 déceptive » celle-ci se trouve cependant marquée par le goût de Régnier à expérimenter les questions liées à l'écriture de la mémoire : ses réflexions en ce qui concerne le phénomène de la mémoire involontaire, à l'origine d' « épiphanies libératrices » se révèlent ainsi favorable à un ensemble de superpositions d'images, qui s’imposent d'abord comme des sortes de témoins des moments séparés du passé. Jean Starobinski, s’intéressant à la question des prédispositions et de la sensibilité du regardant face à un espace, à un paysage s'offrant à sa perception, utilise ainsi l'expression de « paysages orientés », en la mettant en jeu avec la notion de souvenir qu'il décrit comme étant fréquemment associée au sentiment de devoir, lui-même motivé par un impératif du « voir plus clair »64. La notion de « mémoire réfléchissante » est utilisée aussi par Starobinski pour établir une comparaison entre Proust et Régnier, dans la manière appréhender l'écriture. Tandis que chez Régnier la narration offre au regard une description possible de l'espace romanesque construit, chez Proust la description a pour particularité de demeurer impossible, et de nature toujours prétéritive65. Ainsi, la présence chez Henri de Régnier de plusieurs détails architecturaux, disséminés au fil des nombreux passages descriptifs de L'Altana ou la vie vénitienne paraît faire écho à cette idée avancée par Jean Starobinski selon laquelle sa narration fait en sorte que la description demeure possible : le palais Dario et l’île Saint Georges aux pages 18 et 19 sont l'objet d'une description possible. Les particularités de l'architecture vénitienne minutieusement transcris par Henri de Régnier s'opposent ainsi de manière explicite aux principes architecturaux prônés par exemple dans les dessins de Sant'Elia. La ville, perçue par les futuristes d'abord comme un lieu d'émergence des forces sociales mais aussi politiques est assimilée à un creuset sensé exprimer toutes les potentialités de l'avenir. Appréhendé par le Futurisme auquel adhère Marinetti après le Symbolisme, la ville futuriste incarne véritablement l'antithèse de l'image romantique associée à Venise, jusqu'au XXème siècle66. Le discours anti-vénitien des futuristes entre 1909 et Jean Starobinski, « paysages orientés », Fondazione CINI, Il paesaggio. Dalla percezione alla descrizione, a cura di Renzo Zorzi, op. cit. 65 Ibid. 66 Contre Venise passéiste en avril 1910 et Discours aux Vénitiens en août 1910. 64 Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti 121 1911 s'accompagne d'ailleurs de la création d'une cartographie des lieux du Futurisme, à travers laquelle la destruction de la Venise-amphibie est projetée. Cependant, la distinction entre Venise en tant que symbole du passéisme et la Venise réelle est à prendre en compte : le passé vénitien glorieux est valorisé tandis que le présent vénitien est remis en question et attaqué. Quand Marinetti recourt au terme de « passéisme » en 1915, c'est pour désigner surtout « un état d’âme statique, traditionnel, professoral, pessimiste, pacifiste, nostalgique, décoratif et esthète », d'après la Guerra sola igiene del mondo67. Sur ce point, le rapport de Régnier à Venise est à interroger. S'il semble que Venise « la courtisane décatie s'est découverte pudiquement pour lui dire qu'elle n'est pas seulement un décor mais une présence »68 c'est notamment parce que Régnier refuse non seulement la posture d'esthète mais aussi de rejoindre « la foule de ses admirateurs »69 et son « cortège »70, de sorte que, comme le souligne André Beaunier, « sa Venise est à rebours des complaisances névrotiques de son époque, la sienne est quotidienne, à la fois précise et fragmentée, vue de façon très libre »71 et non uniquement « un cadre ou un sujet »72. Ilona Gault, Venise et le Futurisme de l'Avant-garde : une confrontation mise en scène (1909-1915), 2010-2011. 68 Gérard-Julien Salvy, « Veneziamente », André Beaunier, La Poésie nouvelle ,op.cit, p. 5-17. 69 Henri de Régnier, L'Altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 9. 70 Ibid. 71 André Beaunier, La Poésie nouvelle, op. cit.. p. 13. 72 Henri de Régnier, L'Altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 9. 67 SECTION HISTOIRE Jérémy Fournet La Crète : colonie d’exploitation et nœud stratégique du réseau vénitien en mer Égée Introduction : la géographie de l’île L’île de Crète, longue de deux cent cinquante kilomètres et large de trente-cinq, se compose de plaines, comme Candie et Réthimo, et de groupes montagneux, comme Sélino et Kissamos. La péninsule de Sitia dessine une courbe descendante vers la mer221. Le blé est cultivé dans la plaine de la Messarée, ou le long des littoraux joignant Réthimo et Milopotamos222. Le district de Sitia se révèle moins propice à la céréaliculture, mais moins densément peuplé, il peut produire un surplus céréalier223. Outre son rôle agricole, la Crète forme un nœud stratégique du réseau commercial vénitien car située au carrefour de la mer Egée et de la Méditerranée orientale, la Crète est un grenier à blé (et une source de revenus financiers) et constitue une colonie d’exploitation pour la 221 Bernard DOUMERC, « La difesa dell‟impero », Girolamo ARNALDI, Giorgio CRACCO, Alberto TENENTI, Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima. III. La formazione dello stato patrizio, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1997, p. 237-250 ; Eodem, « Gli armamenti marittimi », in ibid., p. 617-640. Frederic Chapin LANE, Venetian ships and shipbuilders of the Renaissance, Baltimore, Md., 1934 ; Eodem, Venice. A maritime republic, Baltimore and London, John Hopkins University Press, 1973. John E. DOTSON, « Foundations of Venetian Naval Strategy from Pietro II Orseolo to the Battle of Zonchio, 1000-1500 », Rose Susan (éd.), Medieval Ships and Warfare, Aldershot, 2008, p. 427-440 ; Eodem, « Venice, Genoa and control of the seas in the thirteenth and fourteenth centuries », John B. Hattendorf, Richard W. Unger (éds.), War at sea in the Middle Ages and the Renaissance, Woodridge, 2003, p. 119-135. Mario GALLINA, Una società coloniale del Trecento. Creta fra Venezia e Bisanzio, Venezia, Deputazione editrice, 1989, p. 15. 222 Ibid., p. 22. 223 Ibid., p. 22-23. 124 Il Campiello – n° 1 métropole. Depuis son annexion par Venise à la suite de la Quatrième croisade, elle fait office de relais aux ports de Coron et Modon, principales bases de la flotte vénitienne, et joue un rôle essentiel face à la piraterie. En dehors de son rôle stratégique au sein du Levant vénitien, son administration politique s’organise de la manière suivante. Au sommet de l’administration de l’île se trouvent le duc et ses conseillers. La carte réalisée par Freddy Thiriet montre que l’île de Crète se compose de châtellenies disposant de plusieurs châteaux224 et regroupées en quatre districts, d’ouest en est, La Canée, Réthimo, Candie et Sitia225. Des recteurs les dirigent et appartiennent, comme les châtelains, aux magistratures subalternes. Freddy Thiriet, se fondant sur les registres du Grand Conseil226, démontre que les rectorats de La Canée et Réthimo ne furent créés qu’en 1307227, tandis que celui de Sitia le fut en 1314228. Ces trois chefs-lieux organisent et règlementent, sous la domination vénitienne, la vie civile de l’île229. Nous venons d’évoquer brièvement la géographie de l’île, sa place dans le système maritime vénitien et son administration politique. Plusieurs travaux ont éclairé les premiers siècles de la domination vénitienne sur cette île mais une partie de la documentation reste encore inédite et délaissée, notamment des notaires dont les archives sont entreposées à l’Archivio di Stato de Venise, en particulier dans les séries Cancelleria inferiore, Notai et Notai del Regno di Candia. Ces documents permettent d’affiner notre connaissance des évolutions que connaît la Crète de 1261 à 1334 et de mieux saisir quels sont les principaux enjeux de sa relation avec son centre dominant, Venise. On évoquera d’abord le défi que représente pour Venise l’entretien de l’île de Crète comme colonie d’exploitation. Ensuite, on analysera les contestations de la domination vénitienne. Enfin, on Cf. les annexes 1 et 2. Pour plus de détails sur les rouages de son administration politique, cf. Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne au Moyen Âge : le développement et l’exploitation du domaine colonial vénitien : XIIe – XVe siècles, Paris, De Boccard, 1959, p. 124 et seq. 226 Ibid., p. 184, nb. 3. 227 Archivio di Stato di Venezia désormais ASVe, Deliberazioni del Maggior Consiglio désormais Deliberazioni del MC, Liber Capricornus, fol. 52 v°: 10 août 1307. 228 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Presbiter, fol. 292 v° : 21 juillet 1314. 229 Mario GALLINA, Una società coloniale, op.cit., p. 26. 224 225 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 125 terminera en expliquant en quoi ce nœud stratégique a une efficacité limitée au sein du réseau vénitien en mer Égée. 1. L’entretien malaisé de l’île de Crète comme colonie d’exploitation 1.1 L’évasion des responsabilités publiques en dépit de l’interdiction du refus et de l’obligation de rester sur place Certains individus, à qui le Grand Conseil fait don de certaines châtellenies ne s’y rendent pas, privilégiant d’autres destinations. Ces largesses ne permettent pas à la métropole de bien contrôler ce qui se passe sur l’île. Le Grand Conseil engage une mesure de rétorsion le 25 mars 1324. Il décide que le titulaire d’un office en Crète perd cet office s’il en accepte un autre, à Venise ou dans le Dogado. Il en sera de même pour celui qui aura été pourvu, par grâce, d’un office ou d’une châtellenie situés en Crète et qui n’a pas accepté son mandat dans le délai d’une année. Celui-ci perd automatiquement ce mandat. Une telle décision s’explique car des offices et des châtellenies en Crète sont régulièrement concédés per gratiam à des gens peu soucieux de se rendre au lieu où ils doivent rentrer en fonction. De plus, ces derniers acceptent d’autres offices, n’allant « en Crète qu’au moment où cela leur plaît230 ». Or, avant même la Serrata du Grand Conseil en 1297, qui peut être définie comme à la fois l’élargissement et la fermeture de cette assemblée vénitienne231, le ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Fronesis, fol. 129 r° ; Freddy THIRIET, Délibérations des assemblées vénitiennes concernant la Romanie. Tome 1 1160-1363, Paris – La Haye, Mouton & Co, 1966, p. 186 ; cf. l’annexe n°2 pour la liste des châtelains de l’île de Crète. Pourtant, d’après une pars du Grand Conseil en date du 22 juillet 1300, les châtellenies octroyées par grâce ne devaient l’être que pour deux ans (Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 79). 231 Pour mieux comprendre ce processus, cf. Margarete MERORES « Der grosse Rat von Venedig und die sogennante Serrata vom Jahre 1297 », Vierteljahrschrift für Sozialund Wirtschaftsgeschichte, vol. 21 (1928/1929), p. 193-237 ; Frederic Chapin LANE, « The enlargement of the Great council of Venice”, J. G. ROWE, W. H. (Hg.) STOCKDALE, Florilegium Historiale. Essays presented to Wallace K. Ferguson, Toronto, 1971, p. 237-274, repr. dans Frederic Chapin LANE, Studies in Venetian social and Economic History, Benjamin G. KOHL, Reinhold C. MUELLER (éds.), London, Variorum Reprints, 1987, III ; Stanley CHOJNACKI, « La formazione della nobiltà 230 126 Il Campiello – n° 1 citoyen vénitien n’était pas libre d’agir aux dépens de l’intérêt de la commune232. Aussi, Donald Queller conseille de faire la distinction entre offices désirés et non-désirés233. Il pose le problème ainsi : comment surmonter alors l’apparente contradiction entre la chasse aux offices publics et, dans le même temps, le refus de ceux-ci ? Pour éviter que ce genre de pratique ne se reproduise, le Grand Conseil, dans une pars datée du 7 mai 1298, décide qu’il est interdit désormais « d’échanger avec un magistrat ou un recteur l’office ou la charge auxquels on a été régulièrement désigné234. » Quelques semaines plus tard, le 26 juillet, il décrète que les recteurs venus séjourner à la métropole pour cause de maladie ne peuvent y rester que deux mois au maximum. Au-delà, « ils perdront automatiquement leurs charges235 ». 1.2 Des problèmes de corruption mettent en péril la protection des biens de la Commune dopo la Serrata », (dir.) Girolamo ARNALDI, Giorgio CRACCO, Alberto TENENTI, Storia di Venezia. Dalle origini alla caduta della Serenissima. III. La formazione dello stato patrizio, Roma, Istituto della Enciclopedia italiana, Roma, 1997, p. 641-722, p. 641 ; Dennis ROMANO, Patricians and Popolani : the social foundations of the Venetian Renaissance state, Baltimore : John Hopkins University Press, 1987, p. 28-29 ; Gerhard RÖSCH, « The Serrata of the Great Council and Venetian Society, 1286-1323 », DENNIS Romano, MARTIN John Jeffries (dir.), Venice reconsidered. The history and civilization of an Italian CityState 1287-1797, Baltimore, John Hopkins University Press, p. 67-88 ; Jean-Claude HOCQUET, « Solidarités familiales et solidarités marchandes à Venise au XIVe siècle », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 27e congrès, Rome, 1996, p. 227-255, p. 228-229 ; Eodem, « Oligarchies et patriciat à Venise (XIIe-XVe siècles) », Studi Veneziani, Pisa, Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali, vol. 17-18 (1975/1976), p. 401-410, p. 409 ; Victor CRESCENZI, Esse de maiori consilio. Leggitimità civile e legittimazione politica nella Repubblica di Venezia (secc. XIII-XVI), Roma, Istituto storico italiano per il medio evo, 1996. 232 Donald QUELLER, Il patriziato veneziano. La realtà contro il mito, Roma, Il Veltro editrice, 1987, p. 203-204. 233 Ibid., p. 204. 234 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Pilosus, fol. 565 r° ; Roberto CESSI, Deliberazioni del Maggior Consiglio, op.cit., tome 3, p. 440 ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 75 ; ASVe, Avogaria di Comun, Liber Cerberus, fol. 23 v°-24 r° ; Donald E. QUELLER, Early legislation on venetian ambassadors, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 61 : « Non commutentur ambaxatores in officiales vel rectores ». 235 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 75. Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 127 Pourtant, ce système législatif connaît des limites avec l’irresponsabilité du patricien vénitien dans de nombreux cas. La Commune de Venise utilise certes nombre de délibérations pour lutter contre « la cupidité des gestionnaires et les abus de pouvoirs236. » Cependant, la législation imposée par la métropole accuse certaines faiblesses : « les responsables qui appartiennent au même groupe social que les enquêteurs, parfois aux mêmes clans familiaux, sont rarement punis et les victimes jamais indemnisées237. » La Commune de Venise fait preuve de beaucoup de tolérance, coupable ou non, face aux comportements de certains de ses patriciens. Prenons l’exemple de l’ancien duc de Crète Andrea Zen. Le Grand Conseil, dans une pars du 2 mars 1277 évoque son cas. Les Avocats de la Commune présentent au Grand Conseil leur rapport à son sujet. Il stipule que ce dernier s’est rendu coupable d’avoir accepté des cadeaux de ses administrés238. Malgré l’évidente preuve de sa corruption, sur 268 présents au Conseil, 144 se prononcent pour l’acquittement (capta), 44 pour une condamnation tandis que 64 s’abstiennent (non sinceri)239. Du fait des lacunes des sources, on ne peut pas savoir quels sont ceux qui, parmi les membres du Grand Conseil présents pour délibérer sur ce cas, ont intérêt à ce qu’Andrea Zen ne soit pas condamné. On l’a vu, les tentatives de détournement des fonds existent, ou du moins peuvent être supposées. Une pars du Grand Conseil du 9 novembre 1288 accuse Andrea da Molin, duc de Crète de 1286 à 1287240, de diverses malversations. On pourrait s’attendre à une condamnation, mais « la proposition le condamnant est repoussée (seulement 43 voix pour, 100 contre et 47 non sinceri)241. » Michel BALARD, Les Latins en Orient, XIe-XVe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, p. 333. 237 Ibid. 238 Par conséquent, entre le 8 décembre 1265 et le 27 juillet 1269, cf. Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, a Creta nel secolo XIII, Napoli, Fausto Fiorentino Editore, 1963, p. 129. 239 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 38. 240 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130. 241 Roberto CESSI, Deliberazioni del Maggior Consiglio, op.cit., tome 3, p. 223 ; ASV, M.C., Liber Zanetta, fol. 304 v° ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 57. 236 128 Il Campiello – n° 1 Ainsi, le Grand Conseil sait s’adapter à certaines situations et passer outre les lois habituelles. Le 16 mars 1305, il fait grâce de l’office de châtelain de La Bicorne (Apokoronas), situé sur l’île de Crète, pour deux ans à Marco Venier. L’excellence de ce personnage dicte le choix du Grand Conseil. Pourtant les statuts interdisaient de faire grâce d’un office en faveur d’un particulier242. Toutefois, selon Donald Queller, « l’empire vénitien offrait de multiples possibilités d’emplois pour les nobles pauvres243. » Il se fonde sur l’exemple des châtellenies et des postes de commandements vénitiens utilisés en temps de paix pour distribuer les offres. Et peu importe d’ailleurs si une guerre éclate soudainement. En effet, une grâce de l’année 1311 concède la châtellenie de Castro Nuovo sur l’île de Crète à Giovanni Zancaruolo, car ce dernier a passé onze mois en prison ayant été capturé pendant la guerre de Ferrare244. Le cas de l’île de Crète est symptomatique de tentatives frauduleuses. Pour éviter qu’elles se reproduisent, la métropole resserre son contrôle. En effet, l’avidité pour les offices de l’île de Crète, liée à la libéralité avec laquelle ils sont concédés, est l’objet d’un décret du Grand Conseil le 17 décembre 1304245. Ils doivent dorénavant être distribués seulement avec le consentement de cinq membres du Conseil ducal, trente membres des Quarante246 (et les deux tiers du Grand Conseil)247. En dépit de cette mesure, la fraude continue. La pars du 16 septembre 1326 affirme d’abord que le décret du Sénat réservant la moitié des offices aux vénitiens habitant l’île, notamment les feudataires, doit être respecté, « sans aucune restriction ni fraude248. » Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 109. Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 79. 244 Ibid., p. 79-80. 245 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Magnus, fol. 74 r° ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 108. 246 Cf. Jean-Claude HOCQUET, Venise au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 34 : « C’est la plus ancienne commission du grand Conseil, apparue dans la première moitié du XIIIe siècle. Elle est alors cours de justice pénale et civile, juge d’appel, principale autorité en matière économique et monétaire, institution de contrôle du fonctionnement des autres conseils et magistratures. » 247 Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 81. 248 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Spiritus, fol. 10 r° ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 189. 242 243 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 129 L’autre moitié doit être laissée à la discrétion des recteurs. Concernant les feudataires, la nomination nécessite d’être faite par un vote du Grand Conseil de l’île de Crète. Le partage entre ces deux moitiés a pour obligation d’être référencé sur une liste des offices, envoyée par le duc de Crète à la métropole. C’est la condition sine qua non pour que les offices soient concédés. En outre, les membres du Regimen de Crète n’ont pas le droit de faire des concessions d’office, sinon ils s’exposent à une « peine de cinquante livres (de petits deniers) d’amende imposée au conseiller ou à tout magistrat défaillant249. » On est en présence d’une véritable carence de l’application des lois250. En effet, pour Donald Queller, la simple répétition des lois sur le même sujet peut être l’indicateur le plus évident du fait que la pénalisation des refus et des démissions des offices n’était pas appliquée avec continuité et cohérence251. Par exemple, les nombreuses lois contre la corruption évoquées précédemment montrent que le problème ne se résout pas. De ces limites ressort une conclusion, dictée par Guillaume Saint-Guillain : « nul ne niera que l’État vénitien produit dès cette époque de l’idéologie, mais c’est moins elle qui le fait tourner au quotidien que la résultante des intérêts privés confrontés dans le cadre des institutions252. » La détermination de la Commune de Venise est de facto la conséquence des intérêts en jeu253. En veillant à la bonne des gestions des affaires d’Orient, ici l’île de Crète, le patriciat veille ainsi aux intérêts du groupe qu’il incarne. L’honneur est une question de point de vue, celui d’un groupe social dirigeant, dont l’image de soi se construit depuis plusieurs décennies autour d’un concept fondé sur des origines illustres, dont les chroniques vénitiennes du XIIIe et XIVe siècles se font l’écho254. Ibid., p. 189. Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 238. 251 Ibid. 252 Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs : pouvoirs, société et insularité dans les Cyclades à l’époque de la domination latine (XIIIe-XVe siècles), thèse dirigée par Michel Balard, Paris, Université de Paris Panthéon-Sorbonne, 2003, p. 143. 253 Ibid., p. 146. 254 Dorit RAINES, L’invention du mythe aristocratique. L’image de soi du patriciat vénitien au temps de la Sérénissime, Venezia, Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 2006, 2 vols, vol. 1, p. 370-373. 249 250 130 Il Campiello – n° 1 L’honneur est un principe politique servant de prétexte pour rendre les patriciens vertueux et légitimes aux yeux du popolo, notamment des hommes du popolo minoto, qui ne peut accéder aux postes à responsabilité en Orient, puisqu’ils n’appartiennent pas au Grand Conseil. Cette emprise du patriciat pour les offices de intus et de foris au Levant n’est pas seulement générale. Elle est la somme du regroupement de stratégies nobiliaires mises en place par les familles, avec les répercussions afférentes sur la fama du patricien et du lignage concerné. En effet, les familles, amis et autres personnes avec qui ils partageaient des intérêts économiques et politiques soumettaient les nobles qui détenaient des charges à de nombreuses et lourdes pressions255. colons 1.3 Une colonie d’exploitation avec une faible population de Au-delà des détenteurs des charges, qu’en est-il de la population vénitienne sur cette île ? Les Vénitiens constituent une minorité, « quelques milliers tout au plus256. » Ils ont des possessions dans les campagnes, même s’ils n’y habitent pas, puisqu’ils doivent vivre dans les villes. Une loi les oblige en effet à « résider à Candie, sous la surveillance constante du duc de Crète257. » Les actes de la pratique sont indispensables pour donner un bref aperçu, avec le prisme du patriciat, de cette présence vénitienne. De 1278 à 1281, les actes notariés de Leonardo Marcello recensent quelques patriciens, dont un Nicolaus de Canal258, et deux feudataires, Andrea et Giovanni Corner, qui louent à perpétuité une terre, située dans le casal de Lembaro, à leur vilain (à l’origine tout habitant d’une villa, d’où le sens de paysan)259 Michalli Fornicata260. Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 301. Michel BALARD, Les Latins en Orient, op.cit., p. 300. Michel Balard se fonde sur l’étude de Mario Gallina : Mario GALLINA, Vicende demografiche a Crete nel corso del XIII secolo (Quaderni della Rivista di Studi bizantini e slavi, 2), Rome, 1984. 257 Michel BALARD, Les Latins en Orient, op.cit., p. 300. 258 Mario CHIAUDANO, Antonio LOMBARDO (éds.), Leonardo Marcello. Notaio in Candia (1278-1281), Venezia, Il Comitato editore, 1960, p. 176. 259 François-Olivier TOUATI (dir.), Vocabulaire historique du Moyen-Âge : Occident, Byzance, Islam, Paris, Les Indes savantes, 2007, p. 332. 255 256 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 131 Ensuite, d’après les actes du notaire Crescenzio Alessandrino, l’île de Crète est fréquentée de 1281 à 1285 par les case Michiel261, da Canal262, da Molin263 et Signolo264. Certains sont possesseurs d’un casal (c’est-à-dire d’une tenure dotée d’une habitation, d’une exploitation rurale familiale, dans les régions méditerranéennes) 265 sur l’île, d’autres passent des contrats avec des hommes d’affaires grecs et latins. Les actes des notaires Angelo de Cartura et Donato Fontanella266, édités par Alan Stahl267, donnent un aperçu supplémentaire respectivement pour les années 13051306 et l’année 1321268. Dans les différents actes édités par Sally McKee pour son étude sur les testaments dans cette île269, on recense plusieurs familles de dirigeants. On retrouve Biagio Semitecolo, dont on est pas sûr qu’il fut le futur châtelain de Cérigo270, témoin d’un testament rédigé le 4 mai 1321 par le notaire Andreas de Bello Amore pour Maria, fille de Filippo Querini271. On découvre des liens matrimoniaux existants entre la Cà Ibid., p. 41. Il s’agît peut-être du même feudataire, Andrea Corner, qu’évoque Guillaume Saint-Guillain dans sa thèse, cf. Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 226. 261 ASVe, Notai di Candia, b. 115, Crescenzio Alessandrino, ff. 23 v° - 24 r°. 262 Ibid., fol. 8 v°. 263 Ibid., fol. 10 v°, 14 v°, 17 r°, 20 r°, 22 r°. 264 Ibid., fol. 17 r°. 265 François-Olivier TOUATI (dir.), Vocabulaire historique du Moyen-Âge, op.cit., p. 61. 266 ASVe, Notai di Candia, b. 97, Donato Fontanella ; ASV, Notai di Candia, b. 186, Angelo de Cartura. 267 Alan M. STAHL (éd.), The Documents of Angelo de Cartura and Donato Fontanella, venetian notaries in fourteenth century Crete, Washington, Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 2000. 268 Les actes du notaire Angelo de Cartura couvrent la période allant du 7 mai 1305 au 30 mai 1306, tandis que ceux de Donato Fontanella s’étendent du 27 février 1321 au 28 novembre de la même année. 269 Sally MCKEE (éd.), Wills from late medieval Venetian Crete. 1312-1420, Washington D.C.., Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 1998, 3 vols. 270 Alain MAJOR, Les colonies continentales de Venise en Grèce méridionale. 14e – 15e siècles, Toulouse, 2 vols., 1989, 2 vols., 728 p., thèse, (dir.) Alain DUCELLIER, p. 724. Il utilise alors le catalogue des gouverneurs établi par Karl Hopf dans ses chroniques gréco-romanes. Cf. à ce propos Karl Hopf, Chroniques gréco-romanes inédites ou peu connues, publiées avec notes et tables chronologiques, Berlin, Weidmann, 1873. La source n’étant pas mentionnée par Karl Hopf, le doute reste permis. 271 ASVe, Notai di Candia, b. 9 : Andreas de Bello Amore, fol. 59 r° ; Sally MCKEE (éd.), Wills from, op.cit., vol. 1, p. 4. 260 132 Il Campiello – n° 1 Barbarigo et la Cà Corner, avec le cas de Filippa, exécutrice testamentaire de feu Giovanni Barbarigo, le 18 mai 1324272. On croise aussi des membres de la Cà Giustinian273. Pour les actes du notaire Giovanni Gerardo274, Sally McKee trouve notamment un Giovanni Trevisan pour le 28 juillet 1334275. De notre côté, pour les actes du notaire venant uniquement de la busta 100, nous avons repéré un acte mentionnant un Zorzi de la Cà Zen276, et quelques autres actes faisant référence à nouveau à des membres de la Cà Corner277. De même, on peut déceler aussi la Cà Gradenigo en 1329278. La Cà Corner semble entretenir des liens avec la Cà Barbo aussi279. En 1327, des membres de la Cà Barozzi sont cités avec Agnes, épouse et exécutrice testamentaire de feu Giovanni Querini280. Deux ans plus tôt, le 26 septembre 1325, on trouve un Fantino Soranzo, alors originaire de Venise, de la paroisse Santa Maria281. En somme, nous sommes en présence d’un réseau d’alliances matrimoniales tissé par des familles de feudataires, exerçant leur domination sur l’île de Crète. Certains Vénitiens, tels ceux de la Cà Soranzo, semblent être de passage sur cette île en 1325. 2. Une domination vénitienne contestée au sein de l’île Ibid., fol. 131 r° ; Ibid., p. 14. Ibid., fol. 216 v° ; Ibid., p. 17. 274 ASVe, Notai di Candia, b. 100 : Giovanni Gerardo. D’après une annotation rédigée par les archivistes, Giovanni Gerardo exerça son métier de notaire du 1er septembre 1329 au 1er novembre 1361. Les 92 premiers folios sont intéressants, ils couvrent la période allant de l’année 1329 au mois de septembre 1334. La busta 100 contient aussi d’autres actes de Giovanni Gerardo, provenant des buste 122 et 295. 275 ASVe, Notai di Candia, b. 122, fol. 10 v° ; Sally MCKEE (éd.), Wills from, op.cit., p. 145-147. 276 Ibid., b. 100, fol. 1 v° : « Georgius de Ca Geno ». 277 Ibid., fol. 2 r° « Marcus Cornario filius condam Petri Cornario habitator Candida », et, dans un autre acte au même folio : « Antonius Cornario habitator in casali Camnea ». 278 Ibid., fol. 3 v° : « Marcus Gradonico filius condam Leonardi Gradenigo habitator Candida ». 279 Ibid., fol. 4 r° : « Antonius Cornario […] a te Barbo Barbo, habitator Candida et tuis heredibus ». 280 ASVe, Notai di Candia, b. 233, Leonardo Quirino, fol. 105 r° ; Sally MCKEE (éd.), Wills from, op.cit., vol. 2, p. 453. 281 ASVe, Notai di Candia, b. 295, fasc. 2., Bonacursius de Fregona, fol. 1 r° ; Ibid., vol. 2, p. 495-496. 272 273 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 133 Si les Vénitiens s’installent et colonisent l’île, leur domination se révèle loin d’être aisée : la pacification de l’île progresse difficilement. Plusieurs révoltes éclatent contre le « pacte colonial » organisé par la métropole. « Les deux plus graves sont celles de Georges Cortazzi et d’Alexis Kalergis282. » Le premier grand mouvement insurrectionnel dure de 1264 jusqu’en 1299. En 1267, lors d’une bataille dans la plaine de la Mésarée, les Vénitiens subissent une défaite. Ils connaissent un autre échec en 1274. Toutefois, Freddy Thiriet doute de la fiabilité de cette chronologie fournie par le chroniqueur Antonio Kalergis283. L’intraitable Georges Cortazzi préfère l’exil en 1269, car il ne veut pas se soumettre à des maîtres latins284. La famille des Cortazzi fait encore parler d’elle en 1275, quand le duc de Crète Marino Zen trouve la mort dans une embuscade285. De son côté, Alexis Kalergis mène une autre série de révoltes. Celle-ci dure dix-huit ans, de 1281 à 1299, si l’on s’en réfère au document édité et publié en 1857 par Ludwig Friedrich Taffel et Georg Martin Thomas286. La signature du traité de paix par le duc de Crète Vitale Michiel, mentionnée dans la Cronica brevis d’Andrea Dandolo287, ne constitue pas une victoire pour Venise, mais un soulagement288. Elle est l’aveu de l’incapacité de la métropole à résoudre ce conflit autrement qu’en faisant de nombreuses concessions à un chef autochtone. De plus, Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 152. Ibid., p. 137. 284 Ibid., p. 134. 285 Peter LOCK, The Franks in the Aegean 1204-1500, London and New York, Longman, 1995, réimpr. 2002, p. 154. 286 Gottlieb Lukas Friedrich TAFFEL, Georg Martin THOMAS, Urkunden zür alteren handels-und Staatgeschichte der Republik Venedig mit besonderer Beziehung auf Byzanz un die Levante, 814-1299, Vienne, Aus der kaiserlich-koniglichen hohund Staatsdr, 1857, réimpr. Amsterdam, Hakkert, 1964, 3 vols, vol. 3, 1256-1299, p. 376-390, p. 377- 380 pour la lettre du duc de Crète Vitale Michiel au doge de Venise, p. 380-383 pour le traité de paix. 287 Ester PASTORELLO (éd.), Andreae Danduli Chronica Brevis, Rerum Italicarum Scriptores, nouvelle édition, tome XII, parte I, Bologne, 1938, passim. 288 Ibid., p. 376-377 : « De pace cum Alexio Calergi. Cum inter comune Venetiae et Alexium Calergi, Magnatem insulae Cretae, iam annos XVIII discordia et guerra durasset, auctore Vitale Michaele, Duca Cretae, in pacem tranquillam… ». 282 283 134 Il Campiello – n° 1 elle montre l’inefficacité de la colonisation militaire engagée de 1211 à 1252289. Pourtant, si l’on cite Michel Balard : « par la Concessio Cretae de septembre 1211, le doge Pietro Ziani réserve à l’État vénitien la région de Candie en toute propriété et concède le reste de l’île à perpétuité à 180 colons vénitiens, soit 132 chevaliers et 48 fantassins […] Les feudataires vénitiens, membres des grandes familles de la Sérénissime, reçoivent des « chevaleries », s’engagent à défendre l’île par un service militaire permanent. Les fantassins, recrutés parmi les gens du peuple, reçoivent des « sergenteries » et sont tenus de servir avec un armement approprié à leur rang. Le recrutement s’effectue sur la base du volontariat, mais reste toujours inférieur aux besoins, de sorte que d’autres contingents sont envoyés en 1222, 1233 et 1252, pour l’installation desquels le 290 gouvernement vénitien est contraint à un engagement financier accru . » Pour résumer, cette colonisation militaire combine mise en valeur de la terre et mise en défense de l’île291. Les feudataires et la métropole ont beaucoup de chance qu’Alexis Kalergis ne réponde pas à l’appel des Génois en 1296292. Toutefois, Venise, en apaisant un des plus puissants archontes de l’île de Crète293, espère pouvoir ainsi pacifier l’île, d’autant que le soutien de Constantinople à la résistance crétoise s’affaiblit progressivement au XIVe siècle294. Il n’est pas étonnant que la création des districts de La Canée, Réthimo et Sitia ne date que du début du XIVe siècle. La création de ces trois districts n’empêche pas la révolte de 1333-1334, organisée par les feudataires. Elle dure quelques mois autour David JACOBY, « La colonisation militaire vénitienne de la Crète au XIIIe siècle. Une nouvelle approche », Michel BALARD, Alain DUCELLIER (dir.), Le partage du monde. Échanges et colonisation dans la Méditerranée médiévale, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 297-313, p. 312. 290 Michel BALARD, Les Latins en Orient, op.cit., p. 227-228. 291 Ibid., p. 228. 292 Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 153. 293 Ainsi, Venise concède à lui et sa famille d’archontes un certain degré d’autonomie juridique dans leurs dépendances : cf. Sally MCKEE (éd.), Wills from late, op.cit., vol. 1 : Preface, p. IX-XVI, p. X ; Chryssa A., MALTÉZOU « Byzantine “consuetudines“ in Venetian Crete », Dumbarton Oaks Papers 49, 1995, p. 269-280. 294 Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 153; Eodem, Régestes, p. 28 : « Alexis Kalergis fut le chef de la grande révolte crétoise de 1282-1299 qui tint un moment les ¾ de l’île. Il accepta cependant les conditions de paix avantageuses que lui fit la Commune de Venise et devint son loyal collaborateur. » 289 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 135 du castel-Selino295. La limitation du pouvoir du duc de Crète n’améliore pas la situation. Ainsi, le 25 septembre 1308, il « n’a pas à se mêler des affaires qui opposent la communauté des feudataires à cinq nobles de Candie296. » En outre, la métropole doit tenir compte des revendications des feudataires. « En 1302, les feudataires de la Canée s’élèvent contre la détention, par des bâtards et des Grecs, de fiefs ou d’offices qui leur sont réservés, et contre leur présence dans des assemblées de feudataires297. » Cette protestation est causée par le non-respect de l’interdiction de 1293, qui interdit « à tous les Latins détenant des fiefs ou des terres en bourgeoisie de conclure des alliances matrimoniales avec des Grecs, sous peine de perdre les biens et d’être expulsés de l’île298. » La métropole donne raison aux feudataires de la Canée, sauf pour le cas des fiefs299. Cette politique de ségrégation de la Commune contre les mariages mixtes, pour éviter la naissance de vasmuli300, ne doit pas nous amener à conclure à une volonté d’homogénéité ethnique, selon Sally McKee301. Les actes notariés qu’elle a édités montrent au contraire que les Latins et les Grecs de Candie et ses districts font du commerce ensemble. D’ailleurs si les Kalergis ne sont pas « les premiers à franchir « la barrière ethnique », comme l’a écrit Freddy Thiriet »302, leur exemple, comme union mixte entre les feudataires latins et les familles grecques nobles n’est pas isolé303. Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 164. Eodem, Délibérations, op.cit., p. 119. 297 David JACOBY, « Les états latins en Romanie : phénomènes sociaux et économiques (1204-1350 environ) », Eodem, Recherches sur la Méditerranée orientale du XIIe au XVe siècle. Peuples, sociétés, économies, Londres, Variorum Reprints, 1979, I, p. 1-51, p. 30. 298 Ibid. 299 Ibid., nb. 154. 300 Les vasmuli sont les enfants nés d’unions illégitimes de pères latins et mères grecques, dans la grande majorité des cas, même si l’inverse est possible. 301 Sally MCKEE, Uncommon dominion : Venetian Crete and the Myth of Ethnic Purity, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2000, p. 168. 302 Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 135, cité par JACOBY David, « Les états latins en Romanie… », op.cit., p. 30 ; Cf. aussi ASV, Notai di Candia, b. 295, Albertinus Maça, ff. 12 r°-12 v° ; Sally MCKEE, Wills from, op.cit., vol. 2, p. 541-543, pour l’exemple de l’alliance matrimoniale des Kalergis avec les Corner : Agnes, fille d’Alexis Kalergis, fut l’épouse de Chornarachus Corner. 303 Sally MCKEE, Uncommon dominion, op.cit., p. 168-169. 295 296 136 Il Campiello – n° 1 3. Un nœud stratégique à l’efficacité relative Sur le plan interne, la métropole et les familles de feudataires présents sur l’île à partir de la Concessio Cretae de 1211 peinent à s’imposer. Cette pénétration limitée n’empêche pas l’intégration de la Crète dans l’empire vénitien. L’île forme un avant-poste relativement efficace pour la métropole face aux dangers en Méditerranée orientale et en mer Égée. En effet, une pars (délibération) du 29 novembre 1309 nous apprend que le Grand-Maître des Hospitaliers, Foulques de Villaret, compterait s’emparer de Mytilène, voire de Chypre et même de Candie, alors qu’il fait route vers Rhodes. Le gouvernement charge le Regimen de Crète d’organiser la défense de l’île. Pour ce faire, il lui envoie des armes et de l’argent304. De plus, il informe le duc et les conseillers de Crète que Niccolò Trevisan vient de recevoir l’ordre de gagner La Canée, avec une bonne galère, afin de protéger le port des attaques possibles de la part de la flotte des Hospitaliers. La galère de Trevisan doit apporter des armes, qui seront débarquées à La Canée et à Candie305. Ainsi on peut constater que l’influence du duc de Crète ne se limite pas à l’île de Crète. Plus tard, le duc de Crète Niccolò Zane et ses conseillers Marinus Viglioni et Giacomo Gradenigo rappellent à l’ordre le seigneur de Santorin Andrea Barozzi en 1318 : une sentence enregistrée à Candie le 7 septembre donne raison à Gerardo Desde306. En effet, Andrea Barozzi demande avec insistance à Gerardo Dresde de lui fournir un vilain, mais Gerardo Dresde ne cède pas à sa requête307. Freddy THIRIET, Délibérations des assemblées vénitiennes, op.cit., p. 129. Ibid., p. 130. 306 ASVe, Duca di Candia 29, Memoriali 1, fol. 1 v° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1015 ; ASV, Duca di Candia 26, Sentenze civili 1, fol. [2] r° ; Ibid., p. 1016 : cet acte donne le nom du duc de Candie et de ses conseillers. 307 ASVe, Duca di Candia 29, Memoriali 1, fol. 1 v° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1015 : « …Gerardus frater Desde […] nobilis vir Andreas Baroci dominator insule Sancte Heriny petebat pro suo villano dicte insule videlicet pro filio quondam Hemanuelis Vradhiano filii quondam Iohannis Vradhiano sui villani dicte insuli, sit absolutus a petitione dicti nobilis… ». 304 305 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 137 Malheureusement pour Venise, les excès des feudataires, les abus de pouvoir ou la négligence dont font preuve les officiers désignés par la métropole mettent à mal l’efficacité de cet avant-poste. Le 5 décembre 1330, les membres du Conseil des Dix approuvent « à l’unanimité la proposition de poursuite contre Andrea Bragadin. » Ce dernier, alors recteur de la Canée, a fait preuve d’incurie : il n’a pas recherché les traîtres de la Cà Barozzi, en dépit des ordres308. La conjuration des frères Barozzi ayant eu lieu en 1328309, soit deux ans auparavant, il s’avère donc peu étonnant que le Conseil des Dix décide de poursuivre Andrea Bragadin. Il serait intéressant de savoir si le lignage auquel appartient Andrea Bragadin avait des relations matrimoniales ou de commerce avec le lignage des Barozzi incluant les traîtres. Cela pourrait expliquer le peu d’entrain du recteur à accomplir sa tâche. La série comissarie du fond des Procurateurs de Saint-Marc de l’Archivio di Stato de Venise pourrait peut-être donner des informations à cet égard. En effet, on peut espérer y trouver parmi les exécuteurs testamentaires les personnes susdites, membres des deux Cà concernées. L’île de Crète est une colonie d’exploitation de l’empire vénitien en Méditerranée. Le contrôle et la gestion de la Crète, colonie d’exploitation de l’empire vénitien en Méditerranée se révèle malaisé. Trois explications nous semblent déterminantes : l’irresponsabilité de certains patriciens, la collusion entre bien privés et biens publics dont certains patriciens sont responsables et le faible nombre de colons. Ces dysfonctionnements entrainent une contestation récurrente de la domination vénitienne sur l’île. Malgré une colonisation militaire engagée de 1211 à 1252, les conflits demeurent endémiques de 1261 jusqu’en 1334 ». (La révolte des années 1360 n’est pas prise en compte ici vu les bornes chronologiques de notre enquête) L’île de Crète est bien un nœud stratégique du réseau vénitien en mer Égée mais, il faut le souligner, elle « dépend du regimen de Coron et Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 191 ; ASVe, Consiglio dei Dieci, Parti Miste, reg. III, fol. 83 r°. 309 Cf. le troisième registre des Deliberazioni, Parti miste du Consiglio dei Dieci : Ferrucio ZAGO, Consiglio dei Dieci. Deliberazioni miste. Registri III-IV. (1325-1335), Venezia, Il Comitato Editore, 1968, p. 338 : Maffeo Querini, Nicolò Barozzi, Jacopo (ou Giacomo ?) Barozzi et Marino Barozzi sont mentionnés le 30 décembre 1328. 308 138 Il Campiello – n° 1 Modon pour la défense de la thalassocratie vénète310. » Son efficacité est relative à l’échelle régionale, c’est-à-dire celle de la mer Égée. 310 Alain MAJOR, Les colonies continentales, op.cit., p. 99. Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique Annexe n°1 – Les ducs de Crète de 1261-1334 1257-1259 : Giovanni Belligno 1259-1261 : Giacomo Delfino 1262-1263 : Nicolo Navigaioso 1264-1265 : Marino Dandolo 1265-1269 : Andrea Zeno 1269-1270 : Pietro Badoer 1270-1272 : Giovanni Belligno 1272-1273 : Marino Zeno 1274-1275 : Marino Morosini 1276-1278 : Pietro Zeno 1278-1279 : Marino Gradenico 1280-1281 : Andrea Dandolo 1281-1283 : Giacomo Dondulo 1284-1285 : Pietro Giustinian 1286-1287 : Andrea Da Molin 1287-1290 : Albertino Morosini 1290-1292 : Ermelao Zusto 1292-1297 : Andrea Dandolo 1297-1299 : Giacomo Tiepolo 1299-1301 : Vitale Michiel 1301-1303 : Giacomo Barozzi 1303-1305 : Guido Da Canale 1305-1307 : Federico (Belleto Giustinian) 1307-1309: Guido da Canal 1309-1311 : Niccolò Sanudo 1311-1313 : inconnu ? 1313-1315 : Marino Badoer 1315-1317 : Fantin Dandolo 1317-1319 : Nicolai Zane 1319-1321 : Giustiniano Giustiniani 1321-1323 : Tommaso Dandolo 1323-1325 : Enrico Michiel 1325-1327 : Filippo Bellemo 1327-1329 : Giovanni Morosini 1329-1331 : Marino Morosini 1331-1332 : Marco Gradenigo 1332-1334 : Biagio Zeno 139 140 Il Campiello – n° 1 Orientation bibliographique : BORSARI Silvano, Il dominio veneziano a Creta, op.cit., p. 129-131 pour les années 1257-1311 ; RATTI VIDULICH Paola, Duca di Candia – Bandi, op.cit., p. XI pour les années 1313-1329 ; THIRIET Freddy, Régestes des délibérations du Sénat, op.cit. pour les années 1329-1334. Annexe n°2 : Les châtelains de Crète Apokoronas (La Bicorne) Rigatio Gradenigo : 1302-1304 Marco Venier : 1305-1308 Andrea Barbo : 1308-1309 Andrea Barbo : 1310-1311 Matteo Bondumier : 1311-1312 Adriano Contarini : 1312-1314 Crisostomo Boldù : 1316-1317 Marino Trevisan : 1317-1320 Belvedere Andrea Dolfin 1313-1315 Bonifacio Niccolò Girardo : 1304 Filippo Gradenigo : 1311-1313 Bonriparo Marco Caravello 1317-1319 Castel Selino Marino Gradenigo 1278 Castel de La Canée Solse Nani 1316-1318 Castro Nuovo Tommaso Pantalon (de Crète) : mai 1300 Giovanni Zancaruolo : 1311-1313 Damiano Capello : 1313-1315 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique Giovanni Mocenigo : 1315-1319 Hierapetra Marco Caravello (Candiote) : 1318-1320 Kissamos Luce Mudazzo : 1300-1303 Giacobello Mudazzo : 1304 Filippo Viadro : 1312-1314 Giovanni da Ruggiero : 1315-1317 Francesco Aycardo : 1318-1320 Malvoisie Tommaso Sanudo, fils de Marco Sanudo de Crète : 1317-1319 Milopotamos Andrea Barbo : 1304-1306 Lorenzo Malipiero : 1311-1313 Nicolò Staniento : 1316 Nicolò da Ranieri : 1316-1318 Mirabello Marino Malazas : 16 mars 1305 Lucà da Molin : 1313-1315 Leone Sanudo : 1317-1319 Pédiade Andrea Querini detto Greco : avant 1303 Michele Gradenigo : avant 1303 Marino Barbarigo (habitant de l’île de Crète) : 1302-1304 Marco da Molin : 1304-1306 Giovanni da Molin : 1309-1311 Sitia (castel de sa forteresse) Giovanni Foscarini, feudataire : Giovanni Mocenigo : 1312-1314 Téménos Andrea Corner : 1317-1319 141 142 Il Campiello – n° 1 Annexe n°3 : Les recteurs de Candie août 1270 : Marino Soranzo, Pietro Falier octobre 1273 : Giovanni Barbo, Marino Badoer, Gabriele Gausono novembre 1273 : Giovanni Barbo, Marino Badoer 15mai-2 septembre 1281 : Ranieri Dolfin, Matteo Soranzo Orientation bibliographique : BORSARI Silvano, Il dominio veneziano a Creta, op. cit., p. 129-130. Annexe n°4 - Ébauche de corpus prosopographique Les partes (délibérations) du Grand Conseil pour les concessions de châtellenies y sont détaillées. Aycardo Francesco Francesco Aycardo se voit concéder pour deux ans la châtellenie de Kissamos, le 28 mars 13181. Badoer Marino Marino Badoer est cité recteur de Candie d’abord le 5 octobre 1273, puis au mois de novembre la même année2. Peut-être qu’il s’agit de Marino Badoer, fils aîné de Marco Badoer de la paroisse de Santa Giustinia, et époux de Balzanella Peraga3. Badoer Marino Marino Badoer, de la paroisse San Giacomo dell’Orio, est duc de Crète du mois d’octobre 1313 au mois de septembre 13154. Badoer Pietro 12705. 1 Freddy Pietro Badoer est duc de Candie du 11 novembre 1269 au 5 janvier THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 175. Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130. 3 L. BASTIANELLI, « BADOER, Marino », Dizionario Biografico degli Italiani, url : http://www.treccani.it/enciclopedia/marino-badoer_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015. 4 Paola RATTI VIDULICH, Duca di Candia. Bandi (1313-1329), Venezia, Il Comitato Editore, 1965, p. XI. 5 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130. 2 144 Il Campiello – n° 1 Barbarigo Marino (de l’île de Crète) Marino Barbarigo, habitant de l’île de Crète, se voit concéder la châtellenie de Pédiade le 21 mai 13026. Barbo Andrea Le 20 août 1304, Andrea Barbo se voit concéder la châtellenie de Milopotamos7. Barbo Castellano Castellano Barbo, en tant que camérier de Crète, dans une pars du 20 septembre 1316, a le droit de manger avec ses parents8. Barbo Giovanni Giovanni Barbo est cité recteur de Candie d’abord le 5 octobre 1273, puis au mois de novembre de la même année9. Barozzi Andrea Andrea Barozzi « donne procuration à plusieurs parents et relations » le 12 octobre 131710. Le duc de Crète le rappelle à l’ordre en 1318 : une sentence enregistrée à Candie le 7 septembre 1318 donne raison à Gerardo Desde11. Elena FAVARO, Carlo GUIDO MOR, Cassiere della bolla ducale, Grazie, Novus liber (12991305), Venezia, Il Comitato Editore, 1962, passim. 7 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 108. 8 Ibid., p. 166-167. 9 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130. 10 ASVe, Notai di Candia, busta 233, notaio Lenoardo Querini, protocollo, fol. 30 r° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1013. 11 ASVe, Duca di Candia 29, Memoriali 1, fol. 1 v° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1015. 6 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 145 Barozzi Giacomo, detto Mozzo Il est duc de Crète du 15 septembre 1301 au 11 mars 130412. Bellegno Filippo Filippo Bellegno est cité duc de Crète le 18 mai 1326, dans une lettre qu’il envoie au doge Giovanni Soranzo13. Bellegno Giovanni Giovanni Bellegno est duc de Candie une première fois de 1257 à 1259, puis de 1270 à 127214. Bellegno Marco Marco Bellegno est cité le 22 janvier 1319 comme inquisiteur de la commune de la Canée15. Bellemo Filippo Filippo Bellemo est duc de Crète du mois d’août 1325 au mois de juillet 132716. Biacqua Angelo Angelo Biacqua est nommé avocat de Candie le 7 avril 130217. Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 131. ASVe, Secreta, Serie diverse, Commemoriali, reg. 3, fol. 7 r° ; Riccardo PREDELLI, I libri commemoriali della reppublica di Venezia, regesti, tomo II, Venezia, Deputazione di Storia Patria per le Venezie (idem pour la suite), 1878, p. 12. 14 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 129-130. 15 Paola RATTI VIDULICH, Duca di Candia, op.cit., p. 74-75. 16 Ibid., p. XI. 12 13 146 Il Campiello – n° 1 Boldù Crisostomo Crisostomo Boldù est châtelain d’Apokoronas (La Bicorne) de 1316 à 1317. En effet, il est nommé le 13 février 1316 pour deux ans à ce poste18. Bondumier Marco Marco Bondumier se voit concéder la châtellenie de la Bicorne (Apokoronas) pour quatre ans le 22 juin 131119. (da) Bora Marco Marco da Bora est nommé avocat de Candie le 7 avril 130220. Bragadin Pietro 21 1330 . Pietro Bragadin est mentionné recteur de la Canée le 26 février Canal (da) Guido Guido da Canal est cité duc de Crète le 13 juin 130422. Selon Silvano Borsari, il est duc de Crète de 1303 au 10 juin 130523. Il est de nouveau élu à Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 92. Ibid., p. 163 et 164. 19 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Presbyter, fol. 43 r° (44 r°) : « Item quod fiat gratia nobili viro Marco Bondimiro quod sit castri Bicornie per quatuor annos cum condicione consuetis possendo vendi facere vinum sit possunt alii. » ; Freddy THIRET, Délibérations, op.cit., p. 141. 20 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 92. 21 ASVe, Senato, Sindicati, reg. 1329-1425, fol. 9 v° : « Nos Franciscus Dandolo con consilio comittimus nobis nobili viro Petro Bragadino de nostro mandato rettori Canee […] Datum in nostro ducali palacio comuni incarnatione domini […]millesimo trecentessimo trigessimo die XXVI februari XIIIIa indictione. » 17 18 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 147 cet office en 1308, puisqu’il est mentionné du 29 mars 1308 au 18 février 1310 comme duc de l’île de Crète24. Cappello Damiano Damiano Capello est châtelain de Castel Nuovo sur l’île de Crète avant 1315, si l’on se réfère à une pars du Grand Conseil, en date du 3 juillet 1315. Giovanni Mocenigo lui succède à ce poste25. En effet, le 12 mars 1313, Damiano Capello se voit concéder pour deux ans la châtellenie de Castro Nuovo26. Caravello Marco Marco Caravello reçoit en concession le 10 décembre 1317 la châtellenie de Bonriparo27. Le 29 avril 1318, il se voit concéder la châtellenie de Hiérapétra28. Soit il a refusé l’office de châtelain de Bonriparo entre temps, soit il cumule ces deux charges administratives. Cette dernière hypothèse ne doit pas être écartée, puisque ces deux castri (châteaux) sont assez proches l’un de l’autre. Corner Andrea Il semble qu’Andrea Corner soit l’ambassadeur des feudataires candiotes auprès de la métropole, le 17 et le 21 janvier 130129. La même ASVe, Secreta, Serie diverse, Commemoriali, reg. 1, fol. 53 ; Georg Martin THOMAS, Diplomatarium Veneto-Levantinum sive Acta et Diplomata res venetas, graecas atque levantis illustrantia, 2 vols, vol. 1, Venetis, Sumptibus societatis, 1880, p. 24. 23 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 131. 24 Ibid., p. 131. 25 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 159. 26 Ibid., p. 149. 27 Ibid., p. 175. 28 Ibid., p. 176. 29 Roberto CESSI, Paolo SAMBIN, Le Deliberazioni del Consiglio dei Rogati, op.cit., p. 12-13 ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 80-81. 22 148 Il Campiello – n° 1 année, le 30 mai, lui et le notaire Pietro Pizolo doivent rembourser à Cecilia, épouse de Giovanni Gradenigo, cent vingt-deux hyperpères qu’elle leur avait prêté30. Le 26 août, lui et Giovanni da Molin affirment qu’eux et leurs héritiers vendent un esclave grec nommé Vuda à Valori Dandolo de la paroisse de San Polo. Le prix fixé est de huit hyperpères31. Le 24 septembre 1301 Vido de Zara fait savoir à Giovanni da Molin et à Andrea Corner qu’il a bien reçu en main propre la commission disant qu’il doit comparaître ainsi qu’il lui est ordonné32. Le 15 mars 1317, le Grand Conseil décide de lui faire grâce de la châtellenie de Téménos pour ses services rendus à la métropole lors des récentes guerres en Crète33. D’autres informations sur ce feudataire de Crète sont disponibles grâce à Giorgio Ravegnani34. Il se peut qu’il s’agisse aussi de lui dans les actes du notaire de Candie Crescenzio Alessandrino. Si c’est le cas, on apprendrait alors qu’il a pour épouse au tournant des années 1281-1282 une certaine Thomasina35. Dandolo Andrea Beretta, detto il Calvo Il est duc de Candie du mois de janvier 1280 au 21 mai de la même année . Il rentre alors à Venise en 1281. Les affaires de la mer Égée le rappellent en 1292 : il est élu duc de Crète pour la deuxième fois. Il reste à ce poste jusqu’en 1296 (en fait, du 7 octobre 1292 au 17 janvier 1297), dans une 36 Raimondo MOROZZO DELLA ROCCA, Benvenuto de Brixano, Notaio in Candia 13011302, Venezia, Alfieri Editore, 1950, p. 59. 31 Ibid., p. 115. 32 Ibid., p. 139. 33 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 169-170. 34 Giorgio RAVEGNAGNI, « CORNER, Andrea », Dizionario Biografico degli Italiani, url : http://www.treccani.it/enciclopedia/andrea-corner_res-43900b29-87eb-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015. 35 ASVe, Notai di Candia, b. 115, Crescenzio Alessandrino, ff. 24 v°, 25 r°. 36 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130. 30 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 149 période caractérisée par un état de guerre continuel, avec pour ne rien arranger l’explosion du conflit entre les Génois et les Vénitiens37. Dandolo Fantin Fantin Dandolo, de la paroisse San Fantin38, est duc de Crète entre 1315 et 1317. En effet, le 2 avril 1316, il dénonce la mauvaise gestion du pouvoir par les châtelains de l’île. La paix est menacée selon lui39. Le même jour, il parle des camériers de Candie, de La Canée et de Réthimno. On y apprend entre autres que grâce au dazio sur les vilains, la métropole récupère annuellement 1 000 hyperpères par an40. Dandolo Marino Marino Dandolo est duc de Crète de 1264 à 126541. Dandolo Tommaso Tommaso Dandolo est duc de Crète du mois décembre 1321 au mois de novembre 132342. Dolfin Papone Au mois d’août 1293, Papone est mentionné conseiller de l’île de Crète, mais pour la ville de Candie. Il ne doit pas être envoyé à La Canée43. Gerhard RÖSCH, « DANDOLO, Andrea », Dizionario Biografico degli Italiani, url : http://www.treccani.it/enciclopedia/andrea-dandolo_res-cd42714e-87eb-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015. 38 ASVe, Marco Barbaro, Arbori de’ patritii veneti, ms. III, vol. 12, p. 183. 39 Georg Martin THOMAS, Diplomatarium, op.cit., p. 99. 40 Ibid., p. 99 et seq. 41 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 129. 42 Paolo RATTI-VIDULICH, Duca di Candia, op.cit., p. XI. 43 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 69. 37 150 Il Campiello – n° 1 Dolfin Pietro Au mois d’août 1293, Pietro Dolfin est cité conseiller et camérier de La Canée dans une pars du Grand Conseil44. Dolfin Renier (Ranieri) 128145. Renier Dolfin est recteur de Candie du 15 mai au 2 septembre Dondulo Giacomo Il est duc de Crète de 1281 à 128346. Marco Pozza démontre que ce personnage a été trop longtemps assimilé au cognomen Dandolo47. Erizzo Marco Le 12 mai 1302, Marco Erizzo est nommé amiral de Crète en remplacement de son père qui est malade48. Falier Francesco Francesco Falier est cité conseiller de Crète dans une pars du Grand Conseil, le 13 août 128949. Falier Pietro Ibid., p. 68. Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130. 46 Ibid., p. 130. 47 Marco POZZA, « DONDULO, Giacomo », Dizionario Biografico degli Italiani, url : http://www.treccani.it/enciclopedia/giacomo-dondulo_%28Dizionario-Biografico%29/ consulté le 10 décembre 2015. 48 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 93 no. 55. 49 Ibid., p. 59. 44 45 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 151 Pietro Falier est recteur de Candie au mois d’août 127050. Giustinian Marco Marco Giustinian appartient au rameau de San Moisè51. Il est nommé en 1314 recteur de Sitia en Crète52. Gradenigo Giovanni, detto « Greco » Né à Venise vers la fin du XIIIe siècle, Giovanni Gradenigo est de la paroisse de San Lio. Son surnom « Greze », « Grece » ou « Greco » permet de le distinguer d’homonymes contemporains, notamment d’un certain Giovanni Gradenigo de San Vidal. Giovanni Gradenigo detto « Greco » débute son cursus honorum en mai 1318 au sein du Consiglio dei Rogati, dans une commission de sages chargée d’examiner la conduite tenue par le duc de Crète Nicolò Lion53. En 1334, on fait appel à lui pour s’occuper d’une rébellion sur la même île54. Gradenigo Marino Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 129. Giorgio RAVEGNAGNI, « GIUSTINIAN, Marco », Dizionario Biografico degli Italiani, url : http://www.treccani.it/enciclopedia/marco-giustinian_res-21697e42-87ee-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015. 52 Et non en 1313 comme Giorgio Ravegnagni le suppose. En effet, le district de Sitia n’est créé que le 21 juillet 1314 par décision du Grand Conseil (cf. Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 155). Le mandat de Marco Giustinian se terminerait vers le 22 août 1316 (cf. Ibid., p. 166). 53 Nicolò Lion n’est pas mentionné dans la liste des ducs de Crète. Peut-on le placer alors par déduction à cet office entre 1311 et 1313 ? Il faudrait trouver des actes de la pratique le mentionnant. 54 Toutes ces données sur ce personnage sont extraites de Franco ROSSI, « GRADENIGO, Giovanni », Dizionario Biografico degli Italiani, url : http://www.treccani.it/enciclopedia/giovanni-gradenigo_res-39e3351e-87ee-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015. 50 51 152 Il Campiello – n° 1 Marino Gradenigo, frère du doge Pietro Gradenigo, fonde le château de Castel Selino (situé au Sud-Ouest de La Canée) sur l’île de Crète. Il est duc de Crète en 127855, ce que les recherches de Silvano Borsari confirment, en outre56. Gradenigo Marino Marino Gradenigo est cité conseiller de Crète et recteur de La Canée dans un document du 8 mai 1302. Si c’est le cas, il donne une commissio à l’ambassadeur Rigatio Gradenigo, parlant des difficultés de La Canée (« de statu et necessitabus Caneae »)57. Gradenigo Rigatio Dans un document du 8 mai 1302, Rigatio Gradenigo est l’ambassadeur de Marino Gradenigo, conseiller de Crète, auprès du doge Pietro Gradenigo, sur les faits concernant La Canée58. Quelques mois plus tard, il est nommé châtelain de La Bicorne (Apokoronas, située dans le nordouest de l’île de Crète, à l’est de La Canée) pour deux ans, le 7 novembre, sur décision du Grand Conseil59. Granella Brando Le 12 avril 1302, Brando Granella est nommé scribe de l’office des Seigneurs de la nuit de Candie60. Marcello Filippo Cf. l’image en annexe extraite des généalogies de Marco Barbaro di Barbaro : ASVe, Marco Barbaro, Arbori de’ patritii veneti, ms. IV, vol. 17, p. 70. 56 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130. 57 Georg Martin THOMAS, Diplomatarium, op.cit., p. 3. 58 Ibid. 59 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 100. 60 Ibid., p. 92. 55 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 153 Il est cité comme recteur de La Canée le 25 septembre 130861. Michiel Enrico Il est duc de Crète de 1323 à 132562. Michiel Vitale Vitale Michiel est cité conseiller de Crète dans une pars du Grand Conseil, le 13 août 128963. Par la suite, il est duc de Crète de 1299 à 130164. En 1299, il écrit au doge de Venise, sur la paix conclue avec Alexis Calergis65. Il est cité notamment dans un document du 24 avril 129966. Mocenigo Giovanni Dans une pars du Grand Conseil en date du 3 juillet 1315, Giovanni Mocenigo se voit concéder la châtellenie de Castel Nuovo sur l’île de Crète, pour une durée de quatre ans. Il succède alors à Damiano Capello67. Molin (da) Andrea Andrea da Molin est duc de Crète de 1286 à 128768. Molin (da) Marco Giuseppe GIOMO, « Lettere di Collegio rectius Minor Consiglio, 1308-1310 », Miscellanea di storia veneta, R. Deputazione di storia patria, serie terza, tomo I, Venezia, A spese della società, 1910, XII-135p = p. 269-403, p. 286. 62 Paola RATTI-VIDULICH, Duca di Candia. Bandi 1313-1329, op.cit., p. XI. 63 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 59. 64 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131. 65 Georg Martin THOMAS, Lukas Friedrich TAFEL, Urkunden zür alteren, op.cit., p. 376-390. 66 Paola RATTI-VIDULICH, Duca di Candia. Bandi 1313-1329, op.cit., p. 16-17. 67 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 159. 68 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130. 61 154 Il Campiello – n° 1 Sur l’île de Crète, Marco da Molin est nommé par le Grand Conseil, le 1 septembre 1304, châtelain de Pédiade, pour deux années69. er Morosini Albertino Il est duc de Crète de 1287 à 129070. Morosini Marino Le 9 décembre 1316, il a le droit de démissionner de son poste de conseiller de Crète71. Morosini Nicolò de San Cancian Niccolò Morosini serait de la paroisse san Cancian de Venise et serait recteur de La Canée avant 1310, d’après une déposition d’un certain Paolo Morosini de la paroisse santa Fosca aux Juges de Pétition, au mois de juillet 131072. Morosini Ruggero Ruggero Morosini est capitaine de la flotte opérant en Romanie, dans une pars du Grand Conseil en date du 2 avril 1283 : le « Regimen de Crète fera préparer 4.700 sacs de biscuits, afin de subvenir aux besoins des équipages » de cette flotte73. Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 108. Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131. 71 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 167. 72 ASVe, Giudici di Petizion, frammenti antichi, b. 2, parchemin de 15x25 cm, annexé au registre « Quaternus interdictorum 1307-1308 », ff. 48 r°-49 r° (information et édition par Alfredo STUSSI, Testi veneziani del Duecento e dei primi del Trecento, Pisa, Nistri-Litschi, 1965, p. 70-71. 73 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 43. 69 70 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 155 Navigaioso Nicolò Nicolò Navigaioso est duc de Crète de 1262 à 126374. Ruzzini Marco Marco Ruzzini est recteur de Sitia le 4 septembre 131675. Sanudo Marco Marco Sanudo est recteur de Rétimo sur l’île de Crète d’après une délibération du Consiglio dei Rogati, datée du 13 mars 133276. Il ne doit pas être confondu avec Marco Sanudo, le conquérant de l’Archipel au début du XIIIe siècle. Sanudo Niccolò Niccolò Sanudo est duc de Crète du 8 avril 1310 au 31 juillet 131177. Sanudo Tommaso Le 29 mai 1317, le Grand Conseil lui fait grâce de la châtellenie de Malvoisie pour deux ans78. Semitecolo Biagio Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 129. Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 167. 76 Roberto CESSI, Mario BRUNETTI, Le Deliberazioni del Consiglio dei Rogati (Senato) Serie Mixtorum, I, Libri I-XIV, Venezia, A spese della deputazione, 1960, p. 8. 77 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131. 78 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 170. 74 75 156 Il Campiello – n° 1 Biagio Semitecolo est présent sur l’île de Crète en 1301, comme l’atteste un acte notarié de Benvenuto de Brixano, en date du 27 mai 1301. On y apprend que Blasius Simiteculo vit à Rethimno. Lui et ses héritiers ont alors jusqu’à la mi-août pour rembourser cent cinquante mesures de blé, conduites à Candie à ses frais, à commander pour Jean Burgondione et ses héritiers79. Staniento Nicolò Nicolò Staniento est châtelain de Milopotamos pour deux ans par grâce du Grand Conseil, le 13 février 131680. Il semble qu’il ne soit pas allé exercer cet office sur l’île de Crète puisque le noble Nicolò da Ranieri se voit concéder cette châtellenie deux mois plus tard, le 29 avril81. Soranzo Matteo 128182. Matteo Soranzo est recteur de Candie du 15 mai au 2 septembre Tiepolo Giacomo Giacomo Tiepolo est duc de Crète de 1297 à 129983. Viglioni Marino Le 22 février 1317, Marino Viglioni, alors élu conseiller de l’île de Crète, reçoit l’ordre de rejoindre son poste84. Raimondo MOROZZO DELLA ROCCA, Benvenuto de Brixano, op.cit., p. 54. Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 163. 81 Ibid., p. 164. 82 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130. 83 Ibid., p. 131. 84 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 168. 79 80 Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique 157 Zane Nicolai Nicolai Zane est duc de Crète de 1317 à 131985. Zen Andrea Andrea Zen est duc de Crète de 1265 à 126986. On possède une epistola de ce dernier, datée du 1er avril 1269, ayant pour destinataire le doge Lorenzo Tiepolo87. En 1300, il est évoqué comme recteur dans l’île de Crète88. Zen Biagio Biagio Zen est duc de Crète de 1332 à 133489. Zen Marino Marino Zen est duc de Crète de 1272 à 127390, puis il meurt en 1275 dans une embuscade, lors d’une lutte qu’il avait initié contre la famille Cortazzi91. Ziani Marco Paola RATTI-VIDULICH, Duca di Candia. Bandi 1313-1329, op.cit., p. XI. Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 129. 87 Gottlieb Lukas Friedrich TAFFEL, Georg Martin THOMAS, Urkunden zür alteren, op.cit., p. 102-114. 88 ASVe, Secreta, Serie diverse, Commemoriali, reg. 1, fol. 8 v° ; Riccardo PREDELLI, I libri Commemoriali della Repubblica di Venezia, t. I, 1876, p. 11. 89 ASVe, Senato, Sindicatus, reg. 1 (1329-1425), fol. 16 v°. 90 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130. 91 Peter LOCK, The Franks in the Aegean 1204-1500, London and New York, Longman, 1995, réimpr. 2002, p. 154. 85 86 158 Il Campiello – n° 1 Marco Ziani est mentionné comme conseiller de l’île de Crète le 8 septembre 1304 pour une affaire entre Guido Da Canal, duc de Crète, et le génois Ottobono de la Volta92. Zusto Ermolao Ermelao Zusto est duc de Crète de 1290 à 129293. Est-il de la paroisse Santo Stefano confessore94, comme le suppose le régeste d’un acte daté de 1257 ? Il semble que l’arbre généalogique de sa famille confirme cette hypothèse. Georg Martin THOMAS, Diplomatarium, op.cit., p. 28. Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131. 94 ASVe, Madonna dell’Orto o Santa Maria dell’Orto e San Cristoforo (3038), b. 1, n. 78. 92 93 Alexandra Laliberté de Gagne Entre défiance et collaboration : les Grecs d’Épire et du Magne aux XVIe-XVIIe siècles au regard des sources vénitiennes Introduction L’Épirote Argyro Mélissène dédia en 1606 au vice-roi de Naples un mémoire dans lequel il donnait des informations importantes sur les Turcs et la manière dont les chrétiens pouvaient les combattre1. Il mettait en garde, par la même occasion, le monarque espagnol contre les Vénitiens, dont il ne doutait pas qu’ils pourraient prévenir les Turcs de la présence d’agents et d’espions, privilégiant selon lui la paix afin de protéger leurs avoirs. Isolée diplomatiquement et inférieure sur le plan militaire, la République de Venise désirait avant tout conserver une position favorable au Levant, et pour cette raison mènerait une politique conciliante à l’égard du Turc, comportement que le pape et l'Espagne fustigeaient alors en l’accusant de connivence2. Venise jouait néanmoins un rôle majeur en Méditerranée en tant que centre de diffusion d’informations sur les Ottomans comme sur les populations levantines et balkaniques (notamment grecques) 3. Certes plutôt conciliante José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austrias: la documentación griega del archivo de Simancas, 1571-1621, Universidad de Leon, 1988, p. 39 et 208. 2 Voir à ce sujet les ouvrages portant sur les croisades tardives de Géraud POUMAREDE, Pour en finir avec la Croisade mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2009 ; Stefan OLTEANU, Les pays roumains à l'époque de Michel le Brave: l'Union de 1600, Bucarest, Editura Academiei Republicii socialiste România,1975. 3 Raphaël CARRASCO, « L'espionnage espagnol du Levant au XVIe siècle d'après la correspondance des agents espagnols en poste à Venise », Ambassadeurs, apprentis espions et maîtres comploteurs-Les systèmes de renseignement en Espagne à l'époque Moderne, Béatrice Perez (dir.), Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 2010, p. 207. Voir également Éric 1 160 Il Campiello – n° 1 avec les Turcs pour sauvegarder ses intérêts, la Sérénissime n’hésitait pas cependant à les affronter. La bataille de Lépante marque une étape importante dans l’histoire de la région ; en effet, la mobilisation, victorieuse, d’une flotte chrétienne contre le pouvoir turc fut accompagnée de divers mouvements de révoltes au sein des Balkans, alimentés tantôt par la persistance d’une crise socioéconomique, tantôt par l’espoir d’une aide militaire ou financière contre le pouvoir ottoman4. L’impact de ces mouvements de révolte n'est pas à négliger. En effet, ces soulèvements jouèrent un rôle certain dans les guerres qui opposaient les Turcs aux États chrétiens, facilitant le transfert d’informations par le biais de représentants régulièrement envoyés par les régions rebelles. À cette période, si les contacts entre les Grecs et les Vénitiens persistaient, notamment du fait des possessions maritimes de la Sérénissime et de la présence d’une importante communauté grecque exilée à Venise, soulignons que, suite au traité turco-vénitien de 1573, les Grecs se méfièrent de plus en plus de la République et que, si de nombreuses ambassades furent envoyées, ce fut, non pas nécessairement à Venise, mais plutôt vers la Couronne espagnole ou encore le Saint-Empire romain germanique. Les régions de l’Épire et du Magne se révèlent particulièrement intéressantes en ce sens. En effet, ces territoires, placés sous une autorité ottomane plus théorique que réelle du fait de leur caractère montagneux rendant leur accès plus difficile aux troupes turques, constituaient deux foyers de révoltes constantes contre la Porte5. La proximité de la mer permettait à ces populations locales d’entretenir des échanges diplomatiques avec les puissances latines. Ces deux régions constituaient un atout DURSETELER, « Power and Information: The Venetian Postal System in the Mediterranean, 1573-1645 » in Diego RAMADA CURTO et al., From Florence to the Mediterranean: Studies in Honor of Anthony Molho, Florence, Olschki, 2009 ; Agostino PERTUSI, et al., Venezia centro di mediazione tra Oriente e Occidente, Aspetti e problemi, Florence, Leo S. Olschki, 1977. 4 Voir Michel LESURE, Lépante : la crise de l’Empire ottoman, Paris, Gallimard, 2012. 5 Ces régions ont constitué des foyers de révoltes contre le pouvoir ottoman bien avant la période que nous étudions. Voir Bernard DOUMERC, « Le recul vénitien dans les Balkans (1463-1503) », Etudes Balkaniques, Sofia, 2007. Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 161 inestimable dans le cas de l’envoi hypothétique d’une flotte ou d’une armée chrétienne contre le pouvoir ottoman de par leur emplacement géographique, faisant d’elles des voies d’accès idéales vers Constantinople. Elles représentaient une pièce maîtresse dans les réseaux d’informations, constituant une source de renseignements précieux, mais aussi un carrefour par où transitaient les messagers6. La proximité de Corfou pour l’Épire, mais aussi de ports anciennement vénitiens en Morée (Modon, Coron, Malvoisie…) ou de Cythère pour le Magne, a sans aucun doute facilité les rapports entre les voyageurs, ambassadeurs, espions ou négociants vénitiens et les populations locales. Le terme « grec » doit pour cette période être utilisé et analysé avec précaution. Il a pu servir en effet à désigner autant les chrétiens orthodoxes sous domination ottomane que les marchands balkaniques. Par conséquent, cette expression ne fait référence ni à une identité nationale définie (alors inexistante), ni à une ethnie homogène, du fait de la prégnance d’identités régionales fortes. Maïnotes et Épirotes sont unis par l’usage du grec et la religion orthodoxe, mais l’identité locale de ces régions demeure forte. Les Maïnotes sont proches des Moréotes et les Épirotes des Albanais, cela entraine des confusions7. Il s’agit de populations montagnardes de culture guerrière, structurées en clans et en grandes familles, disséminées sur un territoire peu densément peuplé. Ces caractéristiques, et les liens particuliers les unissant à Venise (comme en témoigne la présence de nombreux ressortissants de ces communautés parmi les stradiotes combattant sous la bannière du lion de Saint Marc), les rendent plus enclins à participer aux projets de révolte. Cependant, si une collaboration entre Venise et les Grecs semble possible, voire souhaitée, celle-ci s’avère également difficile. En effet, au regard des sources, une méfiance perdure de la part des Latins envers les Grecs, toujours perçus comme schismatiques. Les ressources dont ils disposent réellement et leur motivation laissent également les puissances Emmanuelle PUJEAU, Paolo Giovio et la question turque, thèse de doctorat, Toulouse, Université de Toulouse II- Jean Jaurès, 2006, p. 300. 7 Sur le thème de l’identité épirote dans une période antérieure (XIIIe-XVe siècle), voir Brendan OSSWALD, L'Épire du 13e au 15e siècle, Université de Toulouse- Jean Jaurès, 2011. 6 162 Il Campiello – n° 1 catholiques sceptiques. Néanmoins, leur participation est aussi recherchée, et tout un discours de lamentation sur l’état de servitude de ces chrétiens sous domination musulmane est développé pour justifier une intervention. On peut donc se questionner, du fait de ces ambiguïtés et de l’histoire complexe des relations entre ces populations et les « Latins », sur le regard porté sur les Grecs d’Épire et du Magne par les sources vénitiennes. Le discours officiel vénitien fluctue en effet au gré des nécessités politiques de la Sérénissime vis-à-vis de la Sublime Porte, entre soupçons, trahisons et promesses d’alliance. Dès lors, peut-on considérer ces déclarations comme révélatrices de la politique de Venise en Méditerranée, tenant plus du réalisme pragmatique que de l’idéologie, ou ne peut-on pas les contrebalancer par des sources plus informelles, qui laisseraient une plus grande place aux considérations personnelles ? Il faut ici insister sur la nature conflictuelle et l’évolution permanente des rapports entre Grecs et Latins, et plus particulièrement Vénitiens : de nombreux éléments sont à prendre en compte, du lourd passif hérité des conflits entre Byzance et la République à la signature du traité qui entérine la possession de Chypre par les Ottomans en 1573, tournant majeur pour l’image des prudents vénitiens auprès des populations hellénophones susceptibles de se révolter. Entre méfiance réciproque et intérêts tantôt divergents, tantôt convergents, la vision de l’Autre ne manque pas d’apparaître contrastée (si ce n’est menaçante) dans les deux camps. Pour autant, l’altérité supérieure (et supérieurement menaçante) de l’ennemi commun musulman peut aussi permettre de dépasser ces clivages entre chrétiens, voire de développer un discours de croisade devant amener à la libération des populations soumises (à commencer par les Épirotes et les Maïnotes, si proches et si enclins à la révolte), soudainement solidaires de l’Occident. 2. Une méfiance persistante entre Grecs et Vénitiens Les Grecs : schismatiques, indignes de confiance et vendus aux Turcs ? Une certaine méfiance vis-à-vis des Grecs revient régulièrement dans les sources officielles vénitiennes (dispacci, relazioni …). On peut en effet Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 163 constater une insistance sur l’altérité des Hellènes, pourtant chrétiens. Le discours anti-grec assez fort qui se développe alors met notamment en avant le caractère schismatique de la région qu’ils professent. Les disparités culturelles induites par ce schisme nuisaient à la mobilisation latine pour la libération des populations orthodoxes. Le bayle vénitien de Constantinople, Matteo Zane, écrivait dans sa relation de 1594 : « […] il y a l'opinion chez les Turcs que les Grecs sont naturellement ennemis des Latins, étant mieux disposés envers les Turcs qu'envers l’Église romaine ; et je peux le confirmer véritablement, ayant aperçu certains prélats grecs à Constantinople pratiquement arabes et opposés à la foi apostolique ; et j'ai vu beaucoup d'efforts dans la séparation totale de l'année grégorienne, qui n'est pas acceptée dans le rite grec […]8 ». Le bayle vénitien Giovanni Moro, dans sa relation de 1590, met en garde le Sénat que si certains peuples balkaniques pourraient grossir les rangs des armées chrétiennes, certains Grecs, notamment parmi les renégats, seraient également susceptibles de rejoindre les Turcs9. De plus, il affirme avoir eu vent du cas de Grecs, littéralement associés à des bandits, travaillant pour les Ottomans, voire vendant leurs services au plus offrant10. Si cette méfiance tend à s'appliquer à l'ensemble des peuples orthodoxes dans les Balkans, elle semble plus accentuée à l’égard des Grecs, du fait de ressentiments plus anciens. En effet, à la suite du grand schisme de 1054 entre les Églises catholique et orthodoxe, le fossé entre les Latins et les Grecs n'a cessé de se creuser, avec pour point culminant la première chute de Constantinople en 1204 sous les coups des Latins, chute dans laquelle le rôle des Vénitiens ne fut pas oublié11. La crise au sein du clergé orthodoxe et du peuple byzantin provoquée par le concile de Florence en 1439, lequel se conclut par l'union des Églises, témoigne du sentiment anti-unioniste d'une Luigi FIRPO, Le relazioni degli Ambasciatori veneti al Senato Eugenio Albèri, Florence, Società editrice florentina, 1855, p. 388-389. 9 Ibid., p. 346 - 347. 10 Ibid., p. 350 et p. 354. 11 Donald NICOL MACGILLIVRAY et Hugues DEFRANCE, Les derniers siècles de Byzance, 1261-1453, France, Paris, Les Belles Lettres, 2005. 8 164 Il Campiello – n° 1 majorité des Grecs, dont une partie de l'élite12. Épirotes et Maïnotes, quoique plus portés vers la négociation avec les Occidentaux et plutôt pragmatique, étant éloignés du pouvoir constantinopolitain, ne faisaient pas nécessairement exception s’agissant des préjugés religieux des Vénitiens. Du fait d’une telle méfiance, la République soupçonnait fréquemment les Grecs d'être des espions à la solde de l'Empire ottoman13. Cela nuisait à la cause des Épirotes et des Maïnotes en Europe, populations parmi les plus actives dans la recherche de soutiens financiers, politiques ou militaires en Occident, tâche déjà relativement ardue, compte-tenu de l'attitude prudente des États catholiques. Grecs et Vénitiens : une relation ambigüe Les relations entre Venise et Grecs d’Épire et du Magne tendent à s’envenimer suite à 1573 : la Sérénissime, craignant la menace turque, tout comme les velléités impériales, papales et espagnoles en Méditerranée, redoubla de méfiance vis-à-vis des Grecs qui, pour certains, n’hésitaient pas à collaborer avec le premier qui leur fournirait une aide concrète contre les Ottomans. Le cas de l’archevêque d'Ohrid d'origine grecque, Athanase, se révèle particulièrement éclairant à cet égard. Il est l’instigateur d’une rébellion vers 1595-1596 dans la région de la Chimarra, en Épire, pourtant dépendante de l’évêché de Delvinon, suffragant de Ioannina, mais très lié à Valona et à Ohrid. On peut noter le synchronisme de ce soulèvement avec la série de révoltes secouant alors les Balkans, de l’Albanie actuelle à la Valachie du voïvode Michel le Brave. Selon une lettre adressée au Conseil des Dix en 1596 par le bayle, provéditeur et capitaine de l’île de Corfou, Athanase, décrit comme un « homme discret, intelligent, de bon aspect, d’une trentaine d’années, de grande estime et prélat important », serait entré secrètement en contact avec le provéditeur vénitien de Corfou à Butrint en donnant de faux prétextes aux Ottomans « pour parler du malheur de Deno John GEANAKOPLOS, Interaction of the sibling Byzantine and Western cultures in the Middle Ages and Italian Renaissance, New Haven, Londres, Yale University Press, 1976. 13 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, « Las relaciones hispano-griegas en los ss. XVIXVII », Mésogeios, n.8, 2000, p. 55. 12 Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 165 l’Albanie sous la tyrannie des Turcs »14. Selon les propos du prélat rapportés par le Vénitien, un soulèvement est prévu, la situation semble opportune compte tenu du mécontentement général de populations locales, « la République pourrait facilement apporter son aide et s’apporterait l’affection des locaux »15. L’archevêque affirme avoir vu des preuves formelles que les Espagnols agitent la population de Valona et d’Albanie mais prétend plutôt offrir aux Vénitiens tout le pays, avec Durazzo et Valona contre une aide de 2 000 à 3 000 hommes ainsi que des armes16. Il se rend dans la Chimarra toute proche dans l’attente de la réponse du gouvernement de la Sérénissime, qui s’avère négative17. Athanase devait en effet recevoir des armes, fournies par les Napolitains, par l’entremise d’un espion et saboteur corfiote au service de la couronne espagnole, Pierre Lantza, personnage sulfureux détesté par Venise et soupçonné d’être un agent double, ce qui permet à la République d’accuser l’archevêque de trahison. Sur l’ordre de Doria, aucune aide supplémentaire n’est accordée aux rebelles et Athanase se résout alors à venir demander du soutien directement en Italie, se rendant à Naples en Il s’agit d’une lettre, datée de 1596, du bayle, provéditeur et capitaine de l’île de Corfou au chefs du Conseil des Dix Voir Vladimir LAMANSKY, Secrets d’État de Venise, SaintPétersbourg, imprimerie de l’Académie impériale des sciences, 1884, p. 498-500 : « Con non minor secretezza, che confidenza a me Proc. Et Cap. Fu da Butintro fatta capitare l’occlusa lettera, […] ci si fece incontro persona molto discreta et intelligente, di grato aspetto, di età di anni trentasei, di gran stima, et di principal autorità nella prelatura, per haver sotto il cuo commando diecisette vescovati. Cominciò in lingua franca a discorrer dell’infelicità dell’Albania, sottoposta a tanta tirrannide de Turchi, conosciuta da lui in questa sua visita, per sollevatione della quale le pareva [...] ». 15 Ibid., p. 499 : « [...] che il Sr. Dio havesse sin’hora mandato occasione commoda, et opportuna, et da altri tentata con sommo suo dispiacere, mentre che la Republica poteva facilmente di quella impatronirsi, et che per l’affettione che portava a questo Serenissimo Dominio si era mosso a veni costi, per affermarci, che da Spagnuoli si opera la sollevatione di tutta Albania contra il Turco, et di venir l’anno venturo a prender la Vallona, as instantia del Re di Spagna. » 16 Ibid. : « Si offerse questo per l’autorità, che ha sopra genti, che si trovano in pronto, con il solo aviso di doi et tre mille soldati dar la Vallona, et tutta l’Albania da Durazzo in qua, alla Serenissima Signoria […] ». 17 Ibid., p. 500. 14 166 Il Campiello – n° 1 159618. C’est le début d’un long périple, qui voit l’archevêque aller et venir entre Naples (où le vice-roi refuse de le recevoir au cours de son premier séjour), Lecce (où il retrouve une forte communauté grecque) et Rome (pour demander de l’aide au pape), puis même à Prague, à Côme, en Allemagne et jusqu’en Russie19. Quittant Naples pour la deuxième fois en 1598 pour se rendre à la cour de Rodolphe II à Prague, alors en guerre contre le Turc et allié de Michel le Brave, il donne à l’empereur un mémoire dans lequel il accuse Venise de vendre des informations aux Turcs et d’empêcher les soulèvements20. Il prend ensuite le chemin de Milan via la Suisse en 1599 avec des lettres de recommandations du souverain, mais est arrêté par l’Inquisition à Côme et emprisonné avec défense de contacter l’empereur. Il parvient cependant à lui envoyer une lettre le 19 mars de la même année, où il fait part à mots couverts de ses soupçons à l’égard de Venise, cause supposée de ses tourments21. Athanase aurait en effet affirmé à Prague que la situation serait bien meilleure si Corfou appartenait à l’Espagne ; il ajoute même devant Crusius que les Vénitiens n’entretiennent pas de bonnes relations avec les Albanais, qu’ils soupçonnent de sympathie envers les pirates uscoques virulents en Adriatique, grande source de préoccupation pour les marchands de la République22, ce pour quoi l’archevêque cherche à J.-P., PECHAYRE, « Les archevêques d'Ochrida à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe », Échos d'Orient, t. 36, n. 188, 1937, p. 410-411. 19 Ibid., p. 412-418. 20 Il s’agit d’un rapport de l'ambassadeur vénitien à Naples, Scaramelli, adressé au Sénat vénitien le 19 août 1598. Voir Antonella BARZAZI, Corrispondenze diplomatiche veneziane da Napoli (27 mars 1597- novembre 1604), Rome, Istituto poligrafico e zecca dello Stato, Libreria dello Stato, 1991, p. 210, doc. CXCVI : «L'arcivescovo Atanasio, a quanto si è appreso, ha presentato all'imperatore un memoriale in cui si lamenta del viceré, il quale, pur di compiacere la Serenissima, avrebbe impedito le sollevazioni che si preparavano in Albania e in Grecia contro il Turco. Poiché Atanasio cercherà ora di farsi ricevere dal re di Spagna, l'Olivares va raccogliendo prove della falsità delle accuse rivoltegli e dei « delitti di fede » del prelato e del greco che l'accompagna ». 21 Il évoque « les ennemis de l’empereur », mais un rapport de l’ambassadeur de Venise à Prague, Brendamin, indique clairement que c’est la Sérénissime qui serait en cause. Voir J.-P. PECHAYRE, op. cit., p. 415. 22 Voir les ouvrages de Michael MALLET et John R. HALE, The Military organization of a Renaissance state: Venice c.1400 to 1617, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; 18 Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 167 éviter de passer dans les possessions vénitiennes23. Cette animosité persiste : lorsqu’Athanase tente encore en 1614 de provoquer un soulèvement, c’est vers Naples qu’il se tourne, partageant avec Pedro Téllez-Girón, duc d’Osuna (vice-roi de Sicile, puis de Naples), une commune aversion à l’encontre de Venise, soupçonnée de vendre ses informations aux Ottomans. La République, qui maintient une surveillance constante envers le prélat, constate rapidement l’échec de ses pourparlers24. Si les populations épirotes gréco-albanaises ont en effet demandé à maintes reprises l’aide des Vénitiens, du fait de leur proximité avec l’empire maritime de la République, elles n’hésitaient pas à contacter également le Pape, les Impériaux, ou encore les Espagnols. Le recteur et provéditeur de Kotor, Barbaro, prévenu par un habitant de Budva, le 9 octobre 1595 de velléités papale sur les possessions vénitiennes et de l’aide proposée aux populations locales par le Saint-Père contre le joug turc25, écrivit dans une lettre datée du 12 octobre 1595 : « Les Albanais sont vraiment déterminés à se libérer de la tyrannie turque » ; selon lui, ils « sont résolus de donner le territoire au premier qui serait prêt à prendre en main leur protection »26. Ses Alberto TENENTI, Cristoforo Da Canal : La marine vénitienne avant Lépante, Université de Paris, 1962. 23 Vladimir LAMANSKY, op. cit., p. 592. 24 Deux dispacci sont envoyés par l’agent vénitien Scaramelli au Sénat le 3 juin 1597 et le 8 juillet 1597. Le premier explique que l’archevêque, qui était venu pour demander une aide pour le soulèvement des Chimariotes, fut renvoyé par le vice-roi de Naples. Le deuxième document informe qu’Athanase n’obtint aucun résultat à Naples, et qu’il quitta la cité pour se rendre à Lecce, où il y avait des contacts grecs. Antonella BARZAZI, op. Cit., p. 41: « L'arcivescovo Atanasio ha inviato a Napoli die messi a chiedere aiuti militari per una prossima sollevazione dei cimarioti, ma il viceré li ha printamente licenziati. », et p. 57 : « L'arcivescovo Atanasio, avendo visto ritornare i messi da lui inviati a Napoli senza alcun risultato concreto, s'è deciso a trasferirsi personnalmente nel Regno.Il viceré ha già dato ordine che sia fermato ed ospitato col suo seguito a Melendugno, casale di Lecce, ove alcuni greci vivono nel loro rito. ». 25 Vladimir LAMANSKY, op. cit., p. 496-497. 26 Ibid., p. 498 : « gli Albenesi hanno veramente determinato di liberarsi dalla tirannide turchesa, cresciuta per l’insuportabile comando del novo sanzacco…sono rissoluti di darsi a chi prima prenderà la loro prottettione, anzi si tiene opinione che le galee di Sua Maestà passate verso Brindisi siano per venire alla volta di Albania per far impresa delli sudetti 168 Il Campiello – n° 1 propos sont confirmés par Nicolo Donato, dans sa lettre adressée le 15 octobre 1595 à son frère Leonardo, alors procurateur vénitien en ambassade à Constantinople, dans laquelle il parle de révoltes en Épire et en Albanie, soulignant la menace que représentaient l’Espagne et le Pape, et sous-entend l’opportunité qu’il pourrait y avoir pour Venise d’informer les Turcs des évènements qui se préparent. Ces correspondances, issues des secrets d’État de Venise, éclairent d’un jour nouveau la nature des relations entre Vénitiens et populations balkaniques, ici épirotes. La tension qui se devine dans les rapports entre Athanase et la République s’explique par un contexte politique délicat pour la Sérénissime, soucieuse de préserver ses intérêts en Méditerranée : un soulèvement contre le Turc paraîtrait bel et bien « inopportun » si les concurrents chrétiens de Venise en retirent tous les bénéfices. Tous ne partagent pas cette opinion, le provéditeur de Corfou par exemple, davantage confronté au problème turc, prenait au sérieux les propos du prélat grec Athanase. L’expérience de cet archevêque est à l’image de celle de ses compatriotes épirotes, ou maïnotes (qui ne manquent pas eux non plus d’envoyer des ambassades en Occident à cette période ; l’une d’entre elles aurait même croisé le chemin d’Athanase à Naples lors de leur recherche de soutien)27. La multiplication des correspondances et des ambassades grecques témoigne des vaines tentatives des Hellènes pour acquérir une audience et une aide concrète, et l’attitude de Venise n’est pas sans les décourager de s’adresser à elle. Les projets de révolte de 1609-1619 dans le Magne, pour lesquels les Grecs cherchèrent une aide en France auprès du duc de Nevers, en Espagne ou encore auprès de l’empereur et du pape, et qui intéressaient tant le métropolite grec de Tarnovo en Bulgarie Dionysos Rhallys qu’Athanase, Jeronimo Combis28 ou luoghi, la quale dubito che non segua, se la contrarietà di tempi non differisce la essecutione » ( Extrait d’une lettre d’Alv. Barbaro, recteur et provéditeur de Kotor le12 octobre 1595). 27 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, « Los contactos de la Chimarra con el reino de Nápoles durante el siglo XVI y comienzos del XVII », Erytheia, n. 13, 1993, p. 61 -63. 28 José M. Floristan Imizcoz fait de Combis un gréco-albanais descendant d’Épire (p. 617), néanmoins, selon l’une des sources éditées par celui-ci, il serait chypriote. José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austrias, op.cit., doc. XI, p. 196. Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 169 les ambassadeurs maïnotes, ne furent ainsi aucunement soumis aux Vénitiens, jugés peu fiables29. Jeronimo Combis offre justement un autre cas intéressant. D’origine probablement épirote30, il servit dans un premier temps comme officier dans la cavalerie coloniale vénitienne. Fait prisonnier par les Turcs en 1570 ; libéré peu après (serait-ce après le traité de 1573 entre ceux-ci et la Sérénissime ?), il passe alors au service de la couronne espagnole, pour laquelle il visite la Grèce afin de collecter des renseignements et d’évaluer les chances de réussite d’un soulèvement, notamment en Épire et dans le Magne. Se rendant de Naples à Corfou en 1601 pour son premier voyage31, il rejoint le continent et donne dans son rapport une opinion très positive quant à l’opportunité d’une intervention militaire, insistant sur l’écrasante supériorité en hommes des Grecs32. On peut ici citer deux de ses lettres faisant suite à son deuxième voyage de 1604-1605. La première, du 30 mai 1605, compare la Grèce centrale au Magne, jugeant la deuxième région plus propice à une rébellion, car si elle offrait moins de combattants, ceux-ci étaient mieux organisés et armés, donnant de meilleures garanties33. La deuxième lettre, du 1er juin, expose la méfiance des Grecs vis-à-vis des Vénitiens suite à leur abandon de la Ligue en 1573 : le traité de paix signé par ceux-ci avec les Turcs, faisant de Chypre un territoire exclusivement ottoman, a laissé des traces dans leur mémoire et pourrait provoquer une certaine difficulté à les mobiliser34. En effet, les Maïnotes avaient commencé les hostilités contre les Turcs vers 1568 avant de s’emparer en 1570 d’une forteresse ottomane, avec l'aide d’une flotte vénitienne de 25 galères qui se dirigeait de la Crète vers Voir José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austria, op. cit, p. 270-271 ; Vretos M. PAPADOPOULOS, « Descriptions du pays et courage des Maynottes, leur dessein de d'élever contre le Turc et leur demande à la France à cet effet », Mélange néohellénique, Athènes, Paris, Imprimerie Royale, 1856, p. 13-14. 30 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austria, op. cit, doc. II, p. 477-478. 31 Ibid., doc. XI, p. 196. 32 Ibid., p. 19. 33 Ibid.,doc. IV, p. 39. 34 Ibid., doc. V. 29 170 Il Campiello – n° 1 Corfou35. Les Vénitiens projetèrent alors de conquérir avec l'aide des Grecs tout le Péloponnèse, mais ils les abandonnèrent rapidement afin de reprendre leur destination initiale36. Insatisfaits, les Maïnotes écrivirent à Venise afin de requérir l’aide d’une armée. Elle accepta, voyant une occasion de nuire au Turcs dans le cadre de la guerre autour de Chypre. Or, si une armée de la République fut envoyée, sous le commandement de Sébastien Venier, elle n’accomplit aucune action concrète et ne resta qu'un mois avant d’abandonner les populations au joug turc37. On ne peut donc nier une réelle déception parmi les peuples hellénophones suite à la paix signée entre les Turcs et Venise en 1573. Argyro Mélissène de Ioannina, en Épire, avait quant à lui été envoyé à Naples comme ambassadeur avec plusieurs Grecs de différentes régions, afin de demander une aide étrangère dans le cadre d'un soulèvement contre la domination ottomane. Dans son mémoire de 1606 destiné à la couronne espagnole, il met en garde le souverain contre les Vénitiens, lesquels avaient vu d’un mauvais œil la visite de Jéronimo Combis à Corfou, et ne doute pas que ceux-ci pourraient avertir les Turcs38. La lettre de Giovan Carlo Scaramelli au Sénat du 26 juin 1601 sur les causes du voyage de Combis à Corfou confirme les propos d’Argyro Mélissène sur la surveillance exercée sur les activités de Combis : « il semble que le capitaine Jeronimo Combis, actuellement à Tarente, a l’intention d’analyser en Albanie ou en Morée les soulèvements dont on parle ces temps-ci »39. L’attitude des Vénitiens vis-à-vis des Grecs semble clairement dépendre de leurs relations avec les Turcs. En effet, si une aide était Ibid., p. 248-250. Ibid. 37 Ibid., p. 250. 38 Ibid., p. 204 : Ibid. : « […] nos hemos tambié de guardar dellos/ como de los mismos turcos, porque los venecianos / sospecharán qualquer cosa por lo que passó quan/do fue el capitán Hierónimo Copi, y di esa/ vez sienten los venecianos que V(est)ra mag(esta)d embió/ dos cavalleros, al momento penserán lo que es/ y los prenderán y haviserán al Turco[...] esto se ha de/ hacer secretamente sin que lo entiendan los vene/cianos [...] ». 39 Antonella, BARZAZI, op. cit., p. 385-386 : « Sembla che il capitano Geromino Combi, attualmente a Taranto, intenda passare in Albania o in Morea per le sollevazioni di cui da tempo si parla. » 35 36 Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 171 recherche durant la bataille de Lépante40, le traité de paix autour de la question chypriote avec les Turcs marque clairement la fin d’une période où le désir de collaboration avec les Grecs prévalait, notamment dans les régions de l’Épire et du Magne, dont l’activité semble activement surveillée, du fait de leur proximité avec les routes commerciales de l’empire vénitien. Ainsi, on constate un discours d’altérité, associant les Grecs à des schismatiques peu dignes de confiance, voire à des renégats turcs. Ce discours visant à discréditer les populations helléniques et leurs projets de soulèvements était avant tout dicté par une stratégie politique : nécessité faisant loi, il importait de ménager l’ogre ottoman pour préserver les précieuses voies commerciales, artères de la République. Toutefois, l’Épire et le Magne, comme quelques îles, pouvaient servir de relais d’information, élément précieux pour les Vénitiens, d’autant plus que la Sérénissime accueillait la plus grande communauté d’exilés grecs d’Occident41. Les réseaux intellectuels, religieux et familiaux entre les exilés vivant à Venise et les Grecs des régions d’Épire, du Magne, voire au-delà, facilitaient les rapports entre les populations balkaniques et la République, tout comme la situation géographique de ces régions, proches de la mer et des possessions vénitiennes. Malgré les tensions existantes, la coopération entre Venise et les Grecs (Épirotes et Maïnotes) ne pouvait donc pas s’interrompre brutalement. 2. Grecs et Vénitiens : une collaboration délicate, entre nécessité politique et aspirations communes Là aussi le livre de Michel Lesure serait une bonne référence. Voir Brunehilde IMHAUS, Les minorités orientales de Venise du XIVème siècle au début du XVIème siècle : du particularisme à l'intégration ? », thèse d'état, vol. I-II, Université Toulouse II- Jean Jaurès, 1987 ; Chryssa MALTEZOU, et al., I Greci durante la venetocrazia, Venise, istituto ellenico du studi bizantini e postbizantini di Venezia, 2009 ; Heleni PORFYRIOU, « La presenza greca : Rome e Venezia tra XV e XVI secolo», in Donatella Calabi et Paola Lanaro, La città italiana e i luoghi degli stranieri XIV-XVIII secolo,Rome, 1998, p. 21-38. 40 41 172 Il Campiello – n° 1 Des liens anciens et étroits La période suivant la bataille de Lépante marque une certaine évolution dans les relations entre les Vénitiens et les Grecs d’Épire et du Magne : la méfiance s’avérait réciproque. En effet, les Vénitiens voulaient absolument éviter d’offrir un prétexte aux Ottomans pour les attaquer, et avaient par conséquent adopté une attitude très prudente à leur égard42. Selon un manuscrit italien inédit anonyme daté approximativement de 1572, si une victoire militaire dans l'archipel grec et en Morée serait stratégiquement très profitable aux chrétiens, ceux-ci devaient tenir compte d'une difficulté notable : « […] les Grecs ont dit qu'ils ne se révolteraient pas avant que la victoire soit certaine »43. La peur des représailles et la crainte de se trouver livrés à eux-mêmes ne pouvaient manquer en effet de les faire réfléchir avant de se lancer dans une révolte. Les exemples ne manquent pas : le soulèvement lancé en 1611 à Ioannina par Dionysos le Philosophe, ancien évêque d’origine épirote parti collecter des fonds à Venise avant de lever une armée de paysans faiblement équipés, se solde par une répression sanglante : les Grecs sont expulsés des murs de la citadelle, leurs meneurs exécutés, et un monastère ayant abrité Dionysos rasé et remplacé par une mosquée une fois ses moines mis à mort44. C’est ce type de menaces qui dissuaderait les Grecs, selon l'auteur anonyme, de participer aux opérations contre l’occupant, au moins dans un premier temps. Nicolo Suriano, provéditeur de l’armée, dans sa relation datée de 1583, illustre l’inhospitalité des Maïnotes à Porto delle Quaglie (Porto Kagio) vis-à-vis des vaisseaux vénitiens du fait de la présence des galères turques dans la région45. Or, le traité turco-vénitien de 1573, ainsi que l’attitude ambigüe de la Sérénissime vis-à-vis des populations grecques, n’était pas pour améliorer les relations. Vladimir LAMANSKI, op. cit., p. 800. Trandafir G. DJUVARA, Cent projets de partage de la Turquie (1281-1913), Paris, Librairie Félix Alcan, 1914, p. 116. 44 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, José M., « Felipe II y la empresa de Grecia tras Lepanto (1571 -1578) », Erytheia, n. 15, 1994, p. 155-190, p.2. 45 Vladimir LAMANSKI, op. cit., p. 602. 42 43 Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 173 Néanmoins, il est important de souligner que la collaboration entre ces peuples et Venise remontait à bien avant. De nombreux Grecs, notamment issus de régions sous domination vénitienne ou à proximité de celles-ci, furent employés tout au long des XVIe-XVIIe siècles (et au-delà) au sein des flottes et des armées de la République. Nicolo Suriano n’hésite pas ainsi à qualifier les gréco-albanais employés comme soldats de personnes « de valeur » et « de bonne foi »46. De plus, des représentants étaient tout de même envoyés à Venise afin d’obtenir une aide financière, comme le fit l’archevêque Athanase dans un premier temps (vers 1596) ; non seulement la République constituait une puissance non négligeable, mais celle-ci partageait également des liens historiques avec les Grecs, ne serait-ce que par la présence d’une grande communauté d’exilés grecs en son sein, dont notamment de nombreux Épirotes47. La Sérénissime était également intervenue lors de certaines révoltes, notamment autour de la période de la bataille de Lépante. Une révolte maïnote avait inquiété les Ottomans en 1568, qui avaient par conséquent édifié une forteresse à Porto Kagio afin de renforcer la surveillance de ces populations locales turbulentes. Les Vénitiens reprirent la forteresse aux Ottomans en 1570, évènement accompagné d’un soulèvement maïnote contre la domination turque. Une carte illustrant cette bataille fut éditée par le Vénitien Giovanni Francesco Camocio, cartographe, éditeur et imprimeur vénitien entre 1571 et 1574, puis rééditée par le biais d’une imprimerie grecque48. Ibid., p. 565. Voir Lidia COTOVANU, « Autours des attaches épirotes du futur prince de Moldavie Constantin Duca », in Cristian LUCA et Ionel CÂNDEA, Studia Varia in Honorem, Bucarest, Editura academiei rômane, Muzul Brailei editura Istros, 2009, p. 465-488 et Alain DUCELIER, Bernard DOUMERC, Brünehilde IMHAUS, Jean De MICELI, Les chemins de l’exil bouleversements de l’Est europén et migrations vers l’Ouest a la fin du Moyen âe, Paris, Armand Colin, 1992. 48 Giovanni Francesco CAMOCIO, Isole famose porti, fortezze, e terre maritime sottoposte alla Ser.ma Sig.ria di Venetia, ad altri Principi Christiani, et al Sig.or Turco, novamente poste in luce, Venise, alla libraria del segno di S.Marco, 1574, [en ligne] http://eng.travelogues.gr/item.php?view=45684 (consulté 03/09/2015). 46 47 174 Il Campiello – n° 1 Le même Camocio illustre le siège de la ville de Margariti, en Épire, effectué par une armée vénitienne en 157149. Cette campagne menée dans la Chimarra par les troupes de la Sérénissime en 1570-1571 fait l’objet d’une autre illustration, figurant le siège de Soppoto (aujourd’hui Borshi) en 157050. Un contingent albanais y est représenté combattant aux côtés des chrétiens sous le commandement d’un Grec, Manoli Mormori, officier d’origine crétoise au service de la Sérénissime qui allait ensuite lui confier cette garnison, et dont la famille, originaire de Nauplie, avait essaimé de l’Épire à Candie. Une version antérieure de cette gravure était même plus explicite : l’expédition vénitienne, non contente de comprendre un détachement grécoalbanais, fait suite aux négociations menées avec les populations chimarriotes pour les faire revenir dans le giron de la Sérénissime, montrant bien la volonté affichée alors par Venise de contribuer aux soulèvements dans la région, en accord avec l’esprit de croisade qui semble régner pour l’occasion51. Cette volonté est pourtant bel et bien de façade : lorsque les Albanais, l’année suivante, tentèrent de provoquer un soulèvement plus général, ils obtinrent de Venise la promesse d’un renfort de 6 000 hommes ainsi que des otages en garantie, mais n’eurent, une fois leur révolte ouvertement lancée, pratiquement aucun soutien réel. Ils subirent alors une vigoureuse répression des troupes ottomanes, en marche vers le Nord pour reconquérir les cités perdues en 1570, à commencer par Soppoto, où ils font prisonnier Mormori. Ce durcissement des rapports entre Grecs et Vénitiens au tournant des XVIe-XVIIe siècles n’empêche pas le maintien de relations suivies tout au long de cette période. Venise reste l’un des principaux centres de Giovanni Francesco CAMOCIO, Isole famose porti, fortezze, e terre maritime sottoposte alla Ser.ma Sig.ria di Venetia, ad altri Principi Christiani, et al Sig.or Turco, novamente poste in luce, Venise, alla libraria del segno di S.Marco, 1574, [en ligne] http://eng.travelogues.gr/item.php?view=45657 (consulté 03/09/2015). 50 Ibid., http://eng.travelogues.gr/item.php?view=45680 (consulté 03/09/2015). 51 Giovanni Francesco CAMOCIO, Fortezza di Soppoto, Venise, libraria del segno di S. Marco, [en ligne] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8494686c/f1.zoom (consulté 03/09/2015); Ibid., [en ligne] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550004938/f1.item.zoom (consulté 03/09/2015). 49 Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 175 diffusion des ouvrages grecs, issus de tous les territoires balkaniques et des îles helléniques, du fait de l’importance de la communauté grecque. Cela permet un véritable transfert d’une littérature portant sur la lutte contre le Turc en Occident mais surtout à travers les Balkans, qu’il s’agisse de projets de révoltes ou d’appels à la croisade. Un grand nombre de ces exilés grecs était d’origine épirote. À titre d’exemple, les Glykis, originaires d’Ioannina, auraient réussi à acquérir, par le biais de liens d'affiliation, une situation économique et politique favorable, via notamment la création d'une imprimerie grecque à Venise par Nicolas Glykis et la mise en place d’alliances matrimoniales avec la famille des Doukas qui dirigeait en Moldavie52. Le frère de Nicolas, Léondaris, était demeuré à Ioannina afin d'assurer la diffusion des ouvrages que son frère éditait. Nicolas, qui bénéficiait ainsi d'un réseau s'étendant de la République de Venise à la Moldavie en passant par la Grèce, avait accès à un grand marché pour son imprimerie. Certes, il s'agit d'une période chronologique un peu plus tardive (deuxième moitié du XVIIe siècle), dépassant le strict cadre de cette étude. Toutefois, elle nous permet de démontrer le maintien de réseaux d’informations et d’idées diffusées depuis Venise et qui transitaient par l’Épire ; à titre d’exemple, l’imprimerie Glykis édita deux chroniques portant sur la révolte du voïvode valaque Michel le Brave contre le pouvoir ottoman vers la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, à laquelle des Grecs avaient participé53. De plus, une grande méfiance existait entre Vénitiens et Grecs à cette période, mais on constate au sein des documents officiels, relazioni et dispacci, un discours plus nuancé à l’égard des populations grecques. Les communications des bayles et des ambassadeurs vénitiens résidents à Constantinople, d’ordre plutôt général, offrent cependant des informations sur l’Empire ottoman. Leurs auteurs n’hésitent pas à souligner, parfois de manière précise, l’état lamentable des populations chrétiennes dans les territoires sous domination turque, à commencer par les Grecs, évoquant la Lidia COTOVANU, op. cit., p. 472. Il s’agit des chroniques de Matthieu de Myre et de Stavrinos le Vestiar. Voir LEGRAND, Émile, Recueil de poèmes historiques en grec vulgaire relatifs à la Turquie et aux principautés danubiennes, Paris, E. Leroux, 1877, p. 16. 52 53 176 Il Campiello – n° 1 possibilité pour celles-ci de se révolter contre l’autorité ottomane et de se joindre aux puissances chrétiennes en lutte contre la Porte, marquant l’intérêt que les Hellènes pouvaient présenter pour les Vénitiens. Des aspirations communes, un ennemi commun : vers une possible alliance ? De nombreux récits et témoignages soulignent l’existence de soulèvements, réels ou encore à l’état de projets, parmi les populations grecques désireuses de recouvrer leur liberté. L'une des principales causes avancées par les bayles vénitiens serait l’état de servitude et de pauvreté auquel ils seraient réduits et voudraient pouvoir échapper. En effet, les Grecs sont décrits de manière générale comme une population véritablement asservie par les Turcs, si ce n’est anéantie par ces derniers. Dans sa relation, de manière assez classique, le Vénitien Octavo Bon fait une description plutôt générale de l'empire ottoman, accordant une attention particulière aux possessions turques en Europe et aux populations chrétiennes vivant sous son emprise. Il insiste sur l'extrême pauvreté de ces populations, écrasées par les guerres depuis des années, qu'il décrit comme étant « pauvres et détruites », « totalement désespérées », et déplorant le sort de leurs enfants victimes d’enlèvements. Ce bayle de Constantinople souligne même le risque de conversion de ces populations qui, sans l'aide des princes chrétiens, ne trouveraient pas d'autre remède à leurs souffrances54. Son discours s'inscrit dans une grande tradition rhétorique (les Lamenti) visant à présenter une image dramatique du sort des populations soumises aux Ottomans, permettant de démontrer par l’occasion leur désespoir et la possibilité d'obtenir leur aide. Son propos est partagé par le bayle Octavo Sapienca : selon lui, les Grecs, entre autres les Maïnotes, espéraient être sauvés de l'oppression turque et de la servitude55. Son avis est confirmé par plusieurs témoins, dont Giovanni Corraro, bayle vénitien à Constantinople en 1578, qui affirmait ni plus ni moins que la moitié des chrétiens de la Luigi FIRPO, op. cit., p. 489. Octavo SAPIANCA, Nuevo tratado de Turquia : con una descipcion [sic] del sitio y ciudad de Constantinopla, costumbres del gran Turco, de su modo de gouierno ... martyrios de algunos martyres, y de otras cosas notables, Madrid, Alonso Martin (éd.), 1622, p. 61-62. 54 55 Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 177 partie européenne de l'Empire ottoman priaient continuellement Dieu afin d'être libérés de la servitude et de la misère dans laquelle ils se trouvaient56. Certains bayles assuraient qu’un vent de révolte soufflait sur les Balkans en proie à ces conditions déplorables, et qu’il serait aisé pour Venise de l’attiser, notamment parmi les populations gréco-albanaises et moréotes. Federico Seneca décrit par exemple l’état lamentable et l’assujettissement des Hellènes sous la tyrannie des Turcs, au point, dit-il, que les anciens Grecs ne se reconnaitraient pas eux-mêmes. Une expédition militaire pourrait selon lui être montée avec une grande facilité, du fait du profond désir de révolte de ces populations57. C’est également le cas du bayle vénitien Matteo Zane dans sa lettre adressée au Sénat en 1594, quand il affirme, en parlant du peuple grec assujetti aux Turcs, que le désespoir l’incitait à la rébellion58. Si certains de ces envoyés de la Sérénissime associaient ce désir de révolte à la tyrannie turque, insupportable pour les populations, d’autres, plus réfléchis, mettaient plutôt l’accent sur la cupidité des autorités locales et la conjoncture économique difficile. Le Vénitien Lorenzo Bernardo, dans un rapport daté de 1590, porte ainsi une attention particulière au comportement des Turcs sur l'ensemble des populations soumises, qu'il juge lui aussi tyrannique et cruel : « Ce grand empire est habité de diverses nations. Les deux tiers de la partie en Europe sont habités par des chrétiens, Grecs, Albanais, Sclavons, Hongrois et Bulgares […] toutes cependant bien qu’elles soient de diverses sectes chrétiennes sont très mécontentes de la domination turque. Car elles sont consumées et détruites par de grandes cruautés.»59 ASV, Collegio, Relazioni, b. 5, 1578, Relatione del Clarissimo messer Giovanni Corraro del baylazo di Costantinopoli : « [...] tutto quello possiede in Europa è tutto habitato da Christiani i quali altro non bramano né d'altro pregano continuamente il Signor Dio che di esser un giorno liberati dalla servitù et molta miseria nella quale si ritrovano. ». 57 Luigi FIRPO, op. cit., p. 315 : « Et credo che, si li Greci delli antiqui tempi ritornassero a vederle, non le riconosceriano : a tanto è devenuta per la tirannide la loro deiettione [...] ». 58 Ibid., p. 393-394 : « [...] come dicono ora nella guerra d'Ungheria dalli rassiani, popoli greci, sudditi turcheschi, di confine, che per disperazione s'inducono a ribellione. ». 59 Maria Pia PEDANIS-FABRIS, Relazioni di ambasciatori veneti al senato- Constantinopoli : relazioni inedite (1512-1789), Turin, Bottega d'Erasmo, 1996, p. 316-317. 56 178 Il Campiello – n° 1 La volonté de la République de Venise n’était pas nécessairement, on l’a vu, de faire la guerre contre les Ottomans, désireuse qu’elle était de protéger ses possessions au Levant ainsi que le privilège d’envoyer un bayle permanent à Constantinople. Pour autant, la menace perpétuelle que représentait la Porte pour les territoires de l’empire vénitien était également une réalité bien tangible dont il fallait tenir compte, et le recours à la force pour les protéger ne pouvait être exclu. Certains représentants officiels de la Sérénissime n’ont pas manqué de réfléchir à des itinéraires maritimes et terrestres pour les armées de la République, voire à des plans de lutte plus généraux contre l’empire ottoman. Certes, l'ensemble des projets de dépeçage de l’empire ottoman n’incluait pas la participation des peuples levantins à la curée. Néanmoins, les terres grecques constituaient une position stratégique, permettant de frapper l'Empire ottoman à la fois par la voie maritime et par la voie terrestre, ce qui explique que la participation de leurs habitants à leur projet était envisagée par un grand nombre de Latins. Les mouvements de révolte pouvant naître dans certaines régions ne pouvaient que favoriser de telles prévisions. Une grande partie de la relation datée de 1590 de Giovanni Moro, porte sur les moyens de lutter contre le Turc60. Contrairement à ses contemporains, l’auteur fait preuve d'un certain réalisme quant à la possibilité d'une participation des populations levantines à une mobilisation chrétienne. En effet, plutôt que d’assurer comme certains l’engagement des Grecs, il souligne simplement que ceux-ci ne représenteraient pas forcément une menace pour les armées catholiques, tout en émettant quelques réserves. Selon lui, malgré les nombreuses possessions ottomanes en Europe, et par conséquent un grand nombre de sujets, la Porte ne pourrait se fier aux populations chrétiennes dans le cas où il y aurait une confrontation d’une expédition occidentale avec l'armée turque : « Mais pour arriver à une connaissance particulière des forces de guerre, la principale considération est le nombre de sujets ; si leur nombre correspondait à la grandeur du pays, il inspirerait à lui seul la frayeur; mais au-delà du fait que le pays 60 Ibid., p. 434 et suiv. Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne 179 se trouve dans plusieurs lieux, comme je l'ai dit, peu habité, et dans certains lieux déserts, les villages en Europe et aussi dans l'Asie étant habités en grande partie par des Grecs, et en Afrique par des Maures, il est possible de dire, que concernant les besoins de l’armée, le nombre des sujets est encore plus réduit car les Turcs ne se servent pas de ceux-là. »61 Il souligne également le dommage provoqué par la division des chrétiens, insistant sur le profit qu’en retirent les Turcs, donnant à son discours certaines connotations en lien avec l’idée de croisade62. Il est tout de même symptomatique que d’alliés potentiels, les Grecs deviennent une menace probable dans le cadre d’une intervention militaire contre l’ogre ottoman. Si Giovanni Moro prend la peine de formuler un avis rassurant sur l’attitude des chrétiens levantins en cas d’offensive catholique, c’est bien que la Sérénissime s’inquiète de l’éventuelle opposition qu’elle pourrait rencontrer parmi ces populations en territoire ennemi. Entre la répugnance traditionnelle des autorités vénitiennes à offrir la confiance, les évolutions récentes de leurs relations avec elles et les éventuelles frictions qui ont pu apparaître dans les territoires frontaliers des possessions de la République, on comprend que ces collaborateurs potentiels puissent être suspects aux yeux du Sénat. Ces relations étaient d’autant plus ambiguës du fait des divergences religieuses dans la région balkanique, et ceci dès le XVe siècle, mais peu d’études ont abordé à ce jour le sujet63. Conclusion Ainsi, le regard des Vénitiens sur les Grecs d’Épire et du Magne se révèle contrasté ; s’ils semblent en général plutôt soupçonneux et méfiants vis-à-vis de ces populations grecques, tantôt du fait d’un préjugé enraciné, tantôt à cause d’un contexte politique tendu, une collaboration n’est pas écartée face au pouvoir ottoman, ennemi commun des chrétiens. Il est Luigi FIRPO, op. cit., p. 338. Ibid., p. 364- 365. 63 Bernard DOUMERC, « La révolte des Kladiotes : défense de la foi ou guerre de libération en Morée vénitienne à la fin du XVe siècle », p.2. 61 62 180 Il Campiello – n° 1 important de souligner le caractère très généraliste des sources officielles lorsqu’il s’agit d’évoquer les populations grecques : les Vénitiens avaient parfois du mal à distinguer les populations autochtones, notamment les Grecs des Albanais, tous deux étant des peuples guerriers organisés en familles, vivant au sein des montagnes, et potentiels alliés ou ennemis. Une chose est évidente, les Vénitiens mentionnent de manière très claire la volonté des Épirotes et des Maïnotes de se libérer du joug turc par le biais de soulèvements, et leur désir d’obtenir une aide chrétienne. Si ce désir de liberté s’exprime clairement dans les sources, la possibilité d’une coopération ne l’est pas nécessairement. Le discours des Vénitiens illustre bien la position délicate de la Sérénissime en Méditerranée, acculée entre un pouvoir ottoman très menaçant et la concurrence des autres puissances chrétiennes au Levant et dans les Balkans. De ce fait, les propos que la République tient sur les Grecs sont révélateurs d’un certain pragmatisme, voire d’opportunisme, et témoignent de sa stratégie politique (tortueuse) en Méditerranée. Les bayles de Constantinople, dans leurs lettres, soulignent régulièrement l’intérêt que Venise pouvait tirer profit du vent de révolte qui soufflait sur les Balkans pour mener une offensive contre le pouvoir ottoman. Il est intéressant de noter que la Sérénissime s’empara de la Morée lors de la sixième guerre turco-vénitienne de 1684-1699 (aussi connue précisément sous le nom de guerre de Morée). Si les Grecs d’Épire, et notamment de la Chimarra, se révoltèrent contre le pouvoir turc, aidés par les Vénitiens, de nombreux gréco-albanais se joignirent aussi à l’armée commandée par le pirate maïnote Limberakis Gerakaris64 pour le compte des Ottomans contre la République. Bien que les événements donnent raison à Giovanni Moro quant à la menace représentée par les Hellènes, l’utilisation des soulèvements épirotes par les Vénitiens illustre bien ici la possibilité d’une coopération qui pouvait s’avérer utile à la Sérénissime, désireuse de sauver son empire. Ancien serviteur de Venise, il devient pirate avant de se faire emprisonné par les Ottomans. Voir Apostolos E. VACALOPOULOS, Origins of the Greek Nation, NewBrunswick, New Jersey, Rutgers University Press, 1970. 64 RECENSIONS Gilles BERTRAND, Histoire du carnaval de Venise. XIe-XXIe siècles, Paris, Pygmalion, 2013, 364 p., 23,90 €. Gilles Bertrand, membre de l’Institut, professeur d’Histoire moderne à l’Université Pierre-Mendès-France de Grenoble, est spécialiste du voyage en Europe au XVIIIe siècle, ainsi que de la fête et du masque à Venise. Son Histoire du carnaval de Venise s’inscrit donc dans la lignée de ces thèmes de recherche, en proposant une histoire de ce moment marquant de la vie vénitienne de ses débuts, à la fin du XIe siècle, à nos jours. Le carnaval – une période festive d’une dizaine de jours avant le Carême – est mentionné pour la première fois dans les chroniques et les lois vénitiennes à partir de 1094. Aujourd’hui organisé et encadré par la Mairie de Venise, le carnaval est un phénomène mondialement connu, qui attire tous les ans un très grand nombre de curieux, au point que son symbole, le masque, est devenu, au même titre que la Place SaintMarc ou la gondole, l’un des emblèmes de la ville. Encore aujourd’hui, le carnaval est associé à ce qui est vu comme son « âge d’or », le XVIIIe siècle, un siècle marqué par les éblouissantes fêtes vénitiennes et leurs masques, qui fascinaient l’Europe entière. Pourtant, Gilles Bertrand pointe un paradoxe : cette vision centrée sur le XVIIIe siècle a été forgée au milieu du XIXe siècle par des écrivains tels que Théophile Gautier ou, plus tard, les Autrichiens Hugo von Hofmannsthal ou Arthur Schnitzler, avant d’être reprise – c’est encore le cas aujourd’hui – par les agences de promotion touristique. Or, une telle vision est nécessairement limitée car elle fait l’impasse sur les importantes évolutions qu’a connu le carnaval depuis le XIe siècle et elle ne prend pas en compte la complexité du phénomène. En effet, au XVIIIe siècle, le carnaval ne se réduisait pas au leitmotiv des fêtes et du plaisir ; étroitement contrôlé par la République, il s’inscrivait au contraire dans un contexte politique, du fait de sa fonction de cohésion civique. C’est pour éviter l’écueil d’une vision univoque ou déformante que Gilles Bertrand entend se placer dans la lignée de la Storia della cultura veneta dirigée par Girolamo Arnaldi et Manlio Pastore Stocchi (1976-1986) dont les dix volumes présentent une histoire de Venise fondée sur une scansion chronologique. Ainsi Gilles Bertrand propose-t-il six grandes étapes permettant de mettre en lumière les principales évolutions du carnaval de Venise de ses premières manifestations à sa recréation au début des années 1980. Dans la première partie, « Le carnaval, rituel civique et affaire d’État (XIe – début XVIe siècle) », il explore l’apparition du carnaval en mettant l’accent sur sa dimension de rituel civique, destiné à unir les Vénitiens autour de la célébration de la puissance de leur ville. Le carnaval de Venise aurait acquis une physionomie propre au XIIIe siècle lorsque, après la conquête du Recensions Levant, apparut l’habitude de se masquer. On sait que les masques se diffusèrent assez largement pour que soit créée au début du XVe siècle une profession spécifique de fabricants de masques, les mascareri. La seconde partie, « La fabrique du carnaval baroque (XVIe – XVIIIe siècle) », s’intéresse à la période baroque, au cours de laquelle le carnaval, à travers ses spectacles théâtraux et musicaux, ainsi que ses divertissements, attirait à Venise une foule d’étrangers. Avec le développement du goût baroque, la République organisa des fêtes grandioses, alliant scénographies travaillées et machineries aquatiques, allant jusqu’à reproduire les fêtes du carnaval lorsque les visites de souverains étrangers survenaient en dehors de la période prescrite. Gilles Bertrand montre que cette image de fêtes splendides et incessantes, que l’on associe traditionnellement au XVIIIe siècle, existait déjà aux siècles précédents, toujours dans une optique patriotique de célébration de la ville elle-même. La troisième partie, « Un carnaval réglé : contrôler les plaisirs, protéger la République » est consacrée à un aspect méconnu, voire négligé, de l’histoire du carnaval, son inscription dans un système supervisé par la République. Gilles Bertrand démontre que, contrairement aux idées reçues, le carnaval de Venise ne renversait pas l’ordre social, mais il constituait au contraire un moyen de canaliser les plaisirs des Vénitiens, ce qui lui conférait une fonction de régulation sociale. De nombreuses pages sont ainsi consacrées aux masques, à leurs règles et à leurs fonctions, ce qui permet à Gilles 183 Bertrand de réfuter de nombreux clichés, à l’image de celui qui voit en l’usage du masque à Venise la garantie de jouir d’un pouvoir de critique ou d’insulte, voire de dérision ou d’ironie. Au contraire, le masque, en particulier l’emblématique bauta, associée au tricorne et au tabarro, garantissait une égalité dans l’apparence qui prenait tout son sens dans une oligarchie comme la République de Venise : s’il donnait à celui qui le portait la possibilité de se mettre hors d’atteinte des regards indiscrets, le masque ne servait pas à déchaîner les passions refoulées des Vénitiens. La quatrième partie, « Un mythe destiné à exorciser l’angoisse (XVIIe – XVIIIe siècle) » s’arrête sur la diffusion des images du carnaval, à travers les gravures, puis les vedute de Canaletto et Guardi – qui comportent presque toujours au moins un personnage masqué – et enfin les scènes de la vie vénitienne de Pietro Longhi et les dessins des Tiepolo père et fils. C’est la diffusion très large, à l’échelle européenne, de ces représentations du carnaval qui contribua à forger une vision mythique de la ville de Venise au XVIIIe siècle, laquelle alimenta par la suite celle des Romantiques et des écrivains de la seconde moitié du XIXe siècle. Gilles Bertrand montre également que l’obsession des masques est principalement le fait des étrangers, au point qu’elle constitue un topos de la littérature de voyage sur Venise. Par ailleurs, de telles images de la vie à Venise étaient également un moyen pour les Vénitiens eux-mêmes d’exorciser leurs propres inquiétudes. 184 Les deux dernières parties, « Le long traumatisme de la chute de la République » (mai 1797-début XXe siècle » et « Une tentative de réenchantement (des années 1920 à aujourd’hui) » étudient le carnaval après la chute de la République. Dans une Venise privée de sa souveraineté politique, le carnaval disparut peu à peu, le calendrier des réjouissances publiques étant désormais dicté par la puissance dominante, l’Autriche, sans aucun lien avec l’histoire vénitienne. Pourtant, au même moment, il devint un véritable stéréotype dans la littérature européenne, en premier lieu grâce aux Romantiques qui associèrent les fêtes et les plaisirs du carnaval au déclin de Venise. En explorant les écrits des frères Goncourt ou de Théophile Gautier consacrée au carnaval de Venise, Gilles Bertrand montre l’ampleur que connut, au XIXe siècle, la diffusion du cliché d’une Venise focalisée sur les fêtes et les plaisirs du XVIIIe siècle : or cette vision a forgé un imaginaire qui survit encore aujourd’hui. Enfin, Gilles Bertrand analyse la lente renaissance du carnaval de Venise au XXe siècle, qui commença avec des tentatives de récupération sous le fascisme. Alors que son esprit survivait dans les fêtes privées, le carnaval fut rétabli officiellement dans l’espace public vénitien en 1980. Organisé par la Mairie de Venise, qui détermine chaque année un thème autour duquel la manifestation doit être centrée, le carnaval attire de nouveau à Venise des milliers de touristes costumés, pour la plupart étrangers. Pourtant, tel qu’il existe aujourd’hui, il résulte d’une vision déformée qui n’a plus grand-chose à voir Il Campiello – n° 1 avec ce qu’était le carnaval à l’époque de sa splendeur. Néanmoins, paradoxalement, il reste l’une des vitrines de la ville de la Venise, et l’importance – économique et symbolique – qu’il revêt aujourd’hui dans la vie vénitienne montre qu’il est devenu l’un des éléments marquants du mythe de Venise, en dépit des clichés et des idées reçues, patiemment réfutés par Gilles Bertrand. Marguerite Bordry – Université ParisSorbonne. Équipe Littérature et Culture Italiennes (ELCI – EA 1496) ___ Anna CAROCCI, “Non si odono altri canti”. Leonardo Giustinian nella Venezia del Quattrocento. Con l'edizione delle canzonette secondo il ms. Marciano It. IX 486, Roma, Viella, 2014, 276 pp., 32 €. Come ricorda opportunamente il titolo di questo volume, i versi – cantati – di Leonardo Giustinian (c. 1388-1446) conobbero a Venezia un successo fenomenale e duraturo, dalla loro composizione nel Quattrocento fino alla metà del secolo successivo. Graziose canzonette in cui il poeta umanista contaminò di delicati dialettismi veneziani un limpido toscano, furono apprezzati dai dotti come dal popolo, fino ad essere paradossalmente celebrati dal Bembo nelle sue Prose della volgar lingua. Cadde in seguito su di loro una fitta nebbia che non riuscirono a dissipare pienamente i ripetuti tentativi dei filologi dell'Otto e del Novecento. Infatti la stessa profusione dei testimoni – almeno 53 manoscritti e 14 edizioni a Recensions stampa pubblicate dal 1472 al 1550, secondo l'elenco steso da Anna Carocci – propone un quantità di varianti a volte difficilmente collazionabili. Così, dopo l'edizione diplomatica di Wiese (1883), in un po' più di un secolo si sono arenate la tesi di una diffusione solo orale dei componimenti durante la vita dell'autore (Oberdorfer), quella di una doppia lezione d'autore che presuppone l'esistenza di un canzoniere (Billanovich), o quella di un variare meccanico legato alla diffusione orale (Pini). Conseguenza non trascurabile del fallimento di questi progetti di edizioni critiche, il lettore desideroso di conoscere le vaghe canzonette del patrizio è costretto a recarsi in biblioteche specializzate per sfogliare volumi più o meno antichi e più o meno attendibili, come il Fiore della lirica veneziana del Dazzi (1956) o la selezione operata nel 1915 da Vittorio Locchi. Possiamo quindi accogliere con entusiasmo la pubblicazione recente della monografia di Anna Carocci. Questo lavoro è diviso in due parti: nella prima metà del volume Carocci propone un'efficace sintesi sulla vita, la poesia e i generi praticati da Giustinian; nella seconda metà la studiosa trascrive l'integralità di uno dei più importanti testimoni della tradizione giustinianea, il manoscritto Marciano Italiano IX 486, che contiene trentanove componimenti. Il primo capitolo torna sulla documentatissima biografia di Leonardo Giustinian. Esponente di una delle più importanti famiglie della Repubblica, è un perfetto rappresentante dell'identità multipla che implica questo status, insieme «patrizio, uomo politico, umanista, oratore, bibliofilo e mercante» 185 (p. 44). La sua educazione, dopo studi di legge e filosofia a Padova, è umanista: a Venezia diventa insieme a Francesco Barbaro allievo di Guarino Veronese, uno dei principali maestri della prima generazione di veneziani cultori degli studi classici. Ottimo ellenista, Giustinian accoglie l'imperatore bizantino Giovanni Paleologo al suo arrivo in laguna e traduce tre delle vite di Plutarco. Non per questo trascura la vita pubblica: conosce un classico cursus honorum di patrizio, che di cariche in Terraferma in magistrature lagunari lo porta fino alle soglie del dogato, quando diventa nel 1441 membro del Consiglio Ristretto che consiglia il doge. In linea con la tradizione veneziana, esercita inoltre la professione di mercante e guida il figlio Bernardo sulle sue orme con un trattatello, le Regulae artificialis memoriae. Com'è di regola sottolineare, un tale profilo è a priori difficilmente conciliabile con la figura del «poeta del popolo» per eccellenza, alla quale Carocci dedica il secondo capitolo della sua monografia. Nelle lettere ai dotti amici umanisti Giustinian non accenna mai alla sua attività di poeta in volgare : si tratta di un passatempo, che ruota attorno ad un unico tema: «un amore che si vuole conquistare o riconquistare, e di cui si piange l'assenza» (p. 50). L'interesse principale del capitolo è la ripresa da parte di Carocci dell'analisi della tematica amorosa fatta da Dazzi nel 1934 (Leonardo Giustinian, poeta popolare d'amore), accogliendone alcune proposte ma modernizzando e approfondendo un testo per necessità alquanto invecchiato. Infine il terzo capitolo – il quarto è dedicato alla fortuna del poeta, alla quale 186 abbiamo già alluso in apertura – torna sul rapporto fra testo e musica nell'opera di Giustinian, e ipotizza una diffusione che travalica il confine delle classi sociali, in una Venezia quattrocentesca in cui le barriere tra feste «popolari» e «private» non sono ancora pienamente stabilite. Per quanto riguarda l'edizione dei testi, Carocci segue il metodo inaugurato da Enzo Quaglio: «non si concentra su un nucleo di testi caratterizzati dal fatto di essere presenti in più di una silloge importante, ma lavora su un testimone per volta, prendendone in considerazione tutte le canzonette nell'ordine in cui appaiono» (p. 105). Gli interventi si accontentano di sanare incongruenze ortografiche o metriche, per cui l'apparato è limitato alla lezione del manoscritto Marciano. Ci è così consentita la lettura di alcuni dei componimenti più famosi del Giustinian. In Amante, a sta fredura, un tipico «contrasto» fra due innamorati che si svolge durante una gelida notte di carnevale, l'amante cerca di convincere la sua bella ad aprirgli la porta, intimamente deciso ad approfittare ad ogni costo dell'occasione. I due scambiano battute insieme feroci e delicate, che si concludono con la vittoria dell'uomo. La solita dolcezza delle giustiniane cede il passo ad una spregiudicatezza che svela la violenza del rapporto di seduzione, e sfocerà in un vero e proprio stupro al quale il protagonista si risolve in un a parte: Se entro da costei, Ben serò pazo a perder tal bocone. Io galderò con lei, Avogador non temo ni presone. Il Campiello – n° 1 La brama me torone Dal mio longo desire. Io l'aldo parire, el mio zoco è spazato. (IX, 168-74) Altre canzonette oppongono una madre a una figlia, o cantano i dissidi comuni fra amanti: Lasso mi, cum la farò? Mia dona è corozata, Più non vedo el volto so, Verso mi la sta turbata. Meschinello, e' pianzerò. (XII, 1-5) In conclusione, possiamo vedere nella monografia di Anna Carocci un triplice pregio: quello, in primis, di rilanciare lo studio della poesia d'amore di Giustinian; quello di farlo con una proposta metodologica che promette, ce lo auguriamo, nuove pubblicazioni; ma anche quello di permetterci una lettura agevole dei testi, in un volume non troppo costoso, di bella fattura e filologicamente sicuro. Fabien Coletti – Université Toulouse Jean Jaurès / Università degli Studi di Padova. ___ Ivan JABLONKA, L'histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Seuil, 2014, 350 pp., 21.50 € À l'heure où l'on cherche à s'affranchir des séparations nettes entres sciences sociales et littérature, en vertu Recensions d'une pluridisciplinarité de plus en plus invoquée dans le domaine de la recherche, le livre d'Ivan Jablonka L'histoire est une littérature contemporaine est incontestablement bienvenu et enrichissant. À la fois écrivain et professeur d'histoire, l'auteur de l’Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus place l'accent, tout au long de son livre, sur la vocation narrative commune à l'histoire et à la littérature, en invitant le chercheur à écrire d'une manière plus libre et sensible et à ne pas sacrifier la vérité au profit de la beauté. Tout en s'inscrivant dans la lignée des travaux de Judith Lyon-Caen, Dinah Ribard, mais aussi d'Antoine Lilti - ayant analysé de près le rapport entre littérature et histoire en montrant que l'une ne va pas sans l'autre - l'étude de Jablonka reformule à nouveau la vexata quaestio du "compagnonnage difficile" entre ces disciplines voisines. Le postulat qui les hante depuis longtemps est le suivant : d'un côté, les sciences sociales n'ont pas de portée littéraire ; de l'autre, la littérature ne produit pas de connaissance. Rythmé en trois parties (« la grande séparation», « le raisonnement historique », « littérature et sciences sociales »), le livre possède une cohérence interne qui met en valeur le message principal : renouveler l'écriture des sciences sociales en se donnant librement de nouvelles règles. En effet, la préoccupation de Jablonka ne demeure pas seulement dans la démonstration de l'osmose entre les sciences sociales et la littérature mais également dans le besoin de trouver un point de contact entre épistémologie et esthétique, méthode et texte. Lorsqu'il 187 affirme que « l'histoire est moins un objet qu'une méthode », la référence est à la manière de penser, à l'aventure intellectuelle de l'historien. Il en ressort une analyse passionnante fondée sur des sources antiques, modernes et contemporaines, recherchant les origines, la nature et l’évolution de leur rapport. L'auteur explore le lien entre sciences sociales et littérature à partir d'Hérodote, Thucydide, Polybe, Lucien de Samosate et Cicéron entre autres, la manière dont la « grande séparation » s'élabore dans leurs textes il y a vingt-cinq siècles ; ensuite c'est le tour de l'âge classique et des Lumières, l'époque du roman historique de Walter Scott, la méthode naturaliste de Zola et la démarche documentaire dont les écrivains réalistes se servent. La référence constante à Pierre Bayle, philosophe du XVIIe siècle, n'est pas anodine : en effet, l'auteur du Dictionnaire historique et critique (1697) est représentatif de ce que Jablonka définit comme une « technique littéraire de la véridiction », consistant à purger l'histoire de ses erreurs, s'en remettant toujours aux documents afin d'en tirer les preuves. Le livre entier abonde de références et de multiples exemples, constituant ainsi un répertoire très utile pour tout chercheur désirant se pencher sur cette question. Ainsi Jablonka parvient à déconstruire, d'une manière agile et agréable à lire, le lieu commun selon lequel les sciences sociales n'ont aucune portée littéraire tout comme la littérature ne débouche sur aucun discours de vérité. Au fur et à mesure que l'on se laisse transporter par son analyse, on perçoit le paradoxe, voire l'incohérence 188 du divorce entre l'histoire et la littérature. Comme il l'affirme à plusieurs reprises, rapprocher la littérature et l'histoire ne signifie pas nier son but d'objectivité, de sorte que « la narration n'est donc pas le carcan de l'histoire, son mal nécessaire ; elle constitue au contraire l'une de ses plus puissantes ressources épistémologiques » (p. 139). Retrouver les traces des hommes signifie aussi se mettre à leur place, en essayant de comprendre les raisons intrinsèques des faits : en ce sens l'auteur fait un constant appel à la capacité de cosentir, à une attitude d'écoute et de réceptivité ; c'est à ce moment là, que l'histoire devient une littérature dans la mesure où elle est recherche, enquête et dévoilement. Autre point remarquable : le livre s'adresse constamment au chercheur, en tenant compte des difficultés rencontrées par celui-ci, notamment les contraintes de l'écriture. Car, déjà au XVIe siècle, la naissance de l'histoirescience s'accompagne de la nécessité d'un style nu qui se perpétuera dans les périodes à venir. Dans cette perspective, les chapitres consacrés à la question stylistique et à celle du « je » relèvent d'une importance indéniable : Jablonka met en garde contre la hantise de la première personne, perçue pendant longtemps comme une subjectivité excessive. Selon lui le « moi » ne peut qu'enrichir le travail de recherche, en montrant l'implication du chercheur mais également une modestie épistémique. C'est pour cette raison qu'il conseille d'embrasser un sujet qui nous touche personnellement, une recherche motivée par une quête personnelle : grâce à ceci, Il Campiello – n° 1 la méthode devient vivante, se plongeant dans la fiction pour enquêter, formuler des hypothèses, ordonner des données en explorant les possibilités multiples. Lorsqu'on parvient aux derniers pages, le titre s'éclaire tout seul. Bien qu'au premier abord il puisse sembler relever de la provocation, il n'en est rien par la suite : l'histoire est une "littérature" dans la mesure où elle se sert de la fiction dans sa démarche de véridiction ; "contemporaine" car elle ne comprend pas seulement le passé mais elle aide aussi à agir sur le présent dans le cadre d'une représentation hic et nunc. L'appel à l'utilité de la recherche en sciences humaines est accompagné par l'espoir d'un nouvel avenir de « postdisciplinarité », d'expérimentation et d'échange. Finalement, dans une époque difficile pour la recherche en sciences humaines, Jablonka rappelle que le chercheur représente un « bien public » qui aide à comprendre le fonctionnement de la société. Azzurra Mauro – Université Toulouse Jean Jaurès / Università degli Studi di Genova. ___ Claire JUDDE DE LARIVIERE, La révolte des boules de neige. Murano face à Venise, 1551, Paris, Fayard, coll. L'épreuve de l'histoire, 2014, 360 pp., 22 €. Il 27 gennaio 1511 Vitale Vitturi, Podestà di Murano, lascia la propria carica. Durante la cerimonia di passaggio dei poteri, viene duramente rimbrottato Recensions dalla folla che lo insulta e lo prende di mira con palle di neve. Per essersi attaccato a un rappresentante della Repubblica, alcuni abitanti di Murano vengono convocati dai tribunali veneziani. Quest'evento apparentemente insignificante è il punto di partenza di un'inchiesta condotta da Claire Judde de Larivière sulla comunità di questa piccola isola della laguna di Venezia, ai primi del Cinquecento. Una ricerca in corso sul popolo minuto veneziano 189 Larivière. Infatti la studiosa svolge da più anni un'indagine sul popolo degli invisibili di Venezia, nel Quattro e nel Cinquecento. Le sue ricerche si basano in gran parte sulle fonti giudiziarie veneziane, studiate ancora troppo poco, nello scopo di conoscere meglio questo popolo. L'approccio non è ovvio, perché quest'ultimo non è dotato di una coscienza collettiva: l'identità viene invece definita in funzione dal mestiere, dalla parrocchia, dalla famiglia e dalle reti di amicizia. La rivolta c'è stata? Il metodo dell'autrice, chiaramente presentato nell'introduzione, è triplice: anzitutto, interrogarsi sugli attori della rivolta, una folla di anonimi che ha lasciato solo poche orme negli archivi. Riflettere poi alla possibilità di scrivere la storia del popolo minuto veneziano, poiché non ha prodotto fonti specifiche, e che esiste solo in opposizione ai ceti superiori. La popolazione veneziana è infatti costituita da tre gruppi sociali: se i patrizi e i cittadini possiedono una definizione giuridica, il popolo non è dotato di uno statuto preciso. I suoi membri vengono quindi caratterizzati solo dalla non appartenenza ai due primi. Infine, ultima ambizione dell'autrice, « ripoliticizzare » la storia sociale, cioè rendere alla massa degli anonimi una reale capacità di azione all'interno della società, e farla uscire dalla passività nella quale è stata rinchiusa dagli storici. Le tre problematiche si fondano sulla più recente storiografia (per esempio i lavori sullo spazio pubblico o l'influenza dei Subaltern Studies) e si situano al centro delle ricerche di Claire Judde de Il titolo del libro è audace, e rimanda ad un altro problema presentato dall'autrice: le fonti lasciano pensare che quel giorno non ci sia stata nessuna rivolta. D'altronde, nelle loro testimonianze gli accusati tentano loro stessi di minimizzare la gravità dei fatti. Ma Claire Judde de Larivière vi legge piuttosto la costruzione ideologica dei ceti dominanti veneziani. Questi ultimi cercano di nascondere ogni agitazione interna per non compromettere il mito di una Venezia Serenissima Repubblica. Nei loro racconti i cronachisti veneziani, che tutti appartengono all'élite, danno un'immagine levigata della vita sociale e politica veneziana, e ne attenuano le tensioni. Ora, se viene integrata ai loro racconti la contestazione di Vitale Vitturi, rivelano «un raro momento di confronto fra gli abitanti della laguna di Venezia e i governanti». In parallelo, la riflessione sulle fonti e i loro silenzi torna incessantemente lungo i capitoli, e viene a costituire una linea di ricerca indipendente. Bisogna a questo 190 proposito segnalare l'uso di una documentazione in gran parte inedita, specialmente per quanto riguarda Murano, così come l'uso di fonti giudiziarie, quando uomini e donne del popolo prendono la parola per testimoniare, illuminando per noi la società dell'epoca. Murano nell'ombra di Venezia Un ultimo elemento va sottolineato: la scelta dell'isola di Murano come luogo di inchiesta. Infatti, l'impero veneziano nel Mediterraneo e in Terraferma hanno, fino ad oggi, maggiormente suscitato l'interesse degli ricercatori che non la stessa laguna di Venezia. Rare sono le pubblicazioni su Murano che non siano dedicate all'industria del vetro. Solo Elisabeth Crouzet-Pavan aveva scelto nel 1995 di svolgere una ricerca sul tempo lungo per sostrarre un'altra isola del ducato, Torcello, al silenzio della storiografia. Per quanto la riguarda, Claire Judde de Larivière preferisce un procedimento di microstoria all'approccio multiscalare, analizzando la comunità di Murano grazie all'alternare del racconto del caso e uno studio sul periodo lungo. Il processo come apertura sulla società muranese Il primo degli otto capitoli dell'opera stabilisce la geografia economica e sociale di Murano all'inizio del Cinquecento, seguita da un'analisi delle relazioni fra la piccola isola e il centro dominante, Venezia, lontano solo alcune centinaia di metri. E' difficile studiare Murano senza Il Campiello – n° 1 interessarsi alla sua imponente vicina; consapevole di questo dato di fatto, Claire Judde de Larivière interroga nel suo secondo capitolo il rapporto fra Murano e Venezia, interessandosi all'influenza che quest'ultima esercita sulla città del vetro. Il terzo capitolo parte dal rito del passaggio dei poteri fra il vecchio e il nuovo podestà – il momento in cui scoppia la rivolta – per illuminare l'organizzazione sociale e politica dell'isola. In quel preciso momento l'insieme della società muranese è presente e partecipa all'evento. L'autrice studia poi i fattori esterni che concorrono nella contestazione a Vitale Vitturi: le guerre d'Italia costituiscono lo scenario, la sommossa si svolge d'inverno (avrebbe il popolo buttato sassi se la cerimonia si fosse svolta d'estate?), mentre la vita e la personalità dello sfortunato podestà vengono meticolosamente interrogate. Dal quinto capitolo in poi, il caso e il processo istruito dal governo veneziano occupano il centro del racconto. Si tratta di capire i meccanismi della giustizia veneziana, il problema del mantenimento dell'ordine e l'inchiesta svolta dai tre giudici mandati da Venezia. L'autrice descrive poi i diversi indagati e le loro testimonianze per sciogliere la matassa del caso, ma questo non è l'obbiettivo principale di Claire Judde de Larivière: data la natura stessa delle fonti, la verità dell'accaduto rimane difficile da individuare. Al di là della conclusione del processo, cerca di capire come i dettagli ci informano sulla società muranese. L'autrice si sofferma anche sul momento stesso della rivolta, con un'attenzione ai Recensions gesti e alle emozioni di stampo antropologico. Infine, l'ultimo capitolo analizza la sentenza e il destino dei protagonisti dopo il caso. Oltre l'apporto storiografico dell'opera, ci sembra importante sottolineare la qualità dello stile dell'autrice, fra l'altro le scelte operate per rendere il libro acessibile a un pubblico più largo di quello dei soli storici. Potranno seguire una «bella» inchiesta svolta sul modo narrativo, e rimarranno col fiato sospeso fino alla fine: la sentenza viene svelata solo nell'ultimo capitolo. Le numerose descrizioni e citazioni di fonti (tradotte in francese dall'autrice) così come il rinvio delle note alla fine dell'opera rendono il testo una piacevole lettura, completata da una bibliografia recente e commentata, che sarà apprezzata dai non specialisti di storiografia veneziana, compresi gli studenti. In conclusione il libro di Claire Judde de Larivière si distingue grazie all'originalità della tematica scela, e dall'approccio influenzato dalla più recente storiografia. Costituisce un efficace stato dell'arte sulle ricerche che si interessano al popolo veneziano, e permette al non specialista di iniziarsi alla storiografia della Serenissima. Altre letture consigliate: Boucheron P., Offenstadt N., dir., 2011, L’espace public au Moyen Âge, débats autour de Jürgen Habermas, Paris : PUF, 380 pages. Crouzet-Pavan E., 1995, La mort lente de Torcello : histoire d’une cité disparue, Paris : Fayard, 440 pages. 191 Judde de Larivière C., Salzberg R.M., 2013, « ‘Le peuple est la cité’. L’idée de popolo et la condition des popolani à Venise (XVe-XVIe siècles) », Annales, vol. 4, 1113-1140. Offenstadt N., 2013, En place publique. Jean de Gascogne, crieur au XVe siècle, Paris : Stock, 262 pages. Sébastien Mazou – Université Toulouse Jean Jaurès / Università Ca’ Foscari di Venezia. ___ Emmanuelle PUJEAU, L’Europe et les Turcs, la croisade de l’humaniste Paolo Giovio, Toulouse, PUM, 2015, 504 pp. 27€. La recente pubblicazione fatta dalle Presses Universitaires du Midi e intitolata L’Europe et les Turcs, la croisade de l’humaniste Paolo Giovio, offre a un ampio pubblico un accesso agli studi condotti da Emmanuelle Pujeau nella sua tesi di dottorato discussa nel 2006 su Paolo Giovio et la question turque. Come viene sottolineato dal cambiamento di titolo, la ricerca si è allargata fino ad abbracciare, dal punto di partenza dei numerosi scritti di Giovio da lei molto ben conosciuti, la questione più generale della figura dei Turchi nella cultura umanistica. Nel suo studio l’autrice combina quindi approcci letterari e storici nel soffermarsi in particolare su alcuni temi riguardanti la letteratura sui Turchi, soprattutto di natura politica, che si sviluppò nel Cinquecento e in cui si distinsero i lavori di Giovio. Il lavoro di Emanuelle Pujeau, perciò, si inserisce nell’attuale ripresa d’interesse 192 degli studiosi per l’ampio corpus umanistico riguardante i Turchi, paragonabile per quantità alla contemporanea letteratura relativa alle grandi scoperte, la cui originalità era rimasta a lungo trascurata sotto il pretesto che fosse solo una reminiscenza medievale. Le “concezioni umanistiche” sono appunto l’oggetto del suo primo capitolo, in cui la studiosa dimostra come i lettori e gli autori del Cinquecento condividessero valori comuni che consentissero loro l’uso di termini intellegibili a tutti. Fra questi, ad esempio, il concetto di “Europa” era usato da Giovio come l’equivalente geografico della cristianità latina senza bisogno di alcuna glossa, un punto in cui Emmanuelle Pujeau individua un precedente all'avvio secentesco di questa nozione. Secondo l’autrice l’accessibilità a questi valori condivisi valeva anche per l’idea di crociata, i cui principi si estendevano anche agli avversari del papa – come viene illustrato anche da Erasmo – o per il concetto di libertas italiae, già valorizzato da Zimmermann, che si sviluppava nei diversi Stati italiani di fronte alla doppia minaccia francese ed imperiale. Queste comunità di significati vengono messe in evidenza da l’autrice attraverso una serie di paragoni tra diversi scritti contemporanei che reinseriscono l’opera di Giovio, e soprattutto il suo Commentario delle cose de Turchi, nel suo universo intellettuale ma anche politico. Dimostra ad esempio l’importanza delle crociate tardive nell’ideologia e nella retorica del potere del Cinquecento, un tema anche studiato durante i seminari tenuti all’Università di Il Campiello – n° 1 Tolosa, dove l’autrice compì il suo dottorato, dal 2007 in poi. Appare quindi ovvio che il Commentario, senza essere di natura propriamente bellicosa, fosse soprattutto un’opera politica, scritta inizialmente in italiano con lo scopo di promuovere la crociata presso un ampio pubblico e non un opera puramente scientifica come suggerirebbe la traduzione posteriore in latino. Il progetto di crociata concepito da Giovio è l’oggetto del secondo capitolo, basato in particolare sul Consiglio di Monsignor Giovio intorno al modo di far l’impresa contra infideli. L’autrice ci ricorda il carattere fortemente materiale dei consigli dati dal vescovo di Nocera, che prevedevano ogni aspetto del finanziamento e dell’organizzazione della sperata crociata, fino, ad esempio, al divieto di bestemmia fra i soldati. Nell’opera di Giovio vengono anche esaminate le strade più adatte per attaccare l’impero di Solimano, benché nell’ultimo capitolo Pujeau dimostri come il concetto di crociata in quell’epoca finì per essere ridotto a quello di crociata difensiva, ossia come dovere di tutti i principi cristiani alla protezione dei territori di confine. L’autrice nota anche che le strategie proposte da Giovio corrispondevano ai piani generalmente proposti dai militari riguardanti l’avanzata dell’esercito ottomano in un contesto di successo della letteratura poliorcetica. Ma il vantaggio di Giovio consisteva in una conoscenza maggiore di questo stesso esercito, illustrata da Pujeau per mezzo di un paragone fra la struttura delle armate descritta dallo storico Colin Imber e quella spiegata dallo stesso Giovio. Recensions L’opera di Giovio, in quanto migliore conoscitore delle ‘Cose dei Turchi’, appare dunque come una chiave essenziale nel capire le percezioni europee di fronte all’impero di Solimano, così come l’organizzazione politica dei principi cristiani. Le concezione di Giovio relative agli Stati cristiani vengono dunque trattate nel terzo e ultimo capitolo attraverso lo studio dei suoi “campioni”, cioè le potenze politiche suscettibili di guidare la crociata tanto desiderata. Carlo V, col suo partito degli imperiali, viene naturalmente menzionato per primo e il suo titolo prestigioso garantirebbe inoltre che, durante la crociata, gli fosse riservata la strada della Morea, considerata più prestigiosa. Il caso del re di Francia è più ambiguo, data non solo la discesa recente e traumatica dei Francesi in Italia, ma anche il patto concluso da Francesco I con Solimano, eventi che rendevano i Francesi una potenziale minaccia per la Respublica Christiana . L’ultima potenza considerata è certamente la Repubblica veneziana, dove Giovio, avendo studiato medicina a Padova, aveva sviluppato numerosi contatti, come Pietro Bembo. Nonostante un atteggiamento generalmente pacifico di Venezia verso gli Ottomani, la Repubblica, non avendo mai compiuto un’alleanza militare con loro, rimaneva un alleato su cui Giovio si soffermava a lungo. Le descrizioni dei rapporti con Venezia si ricollegano alla parte del primo capitolo dedicata allo studio delle fonti usate, ma di rado esplicitamente nominate, da parte di Giovio. Quest’analisi ricorda anche il lavoro di Géraud Poumarède, in quanto quest’ultimo nel suo libro sulle crociate 193 tardive rivela l’esistenza di un “crogiolo veneziano” essenziale a ogni conoscenza sui Turchi. Infine, quest’ultimo capitolo esamina anche una crociata più personale: quella condotta dallo stesso Giovio per affermarsi come un esperto indiscutibile sulla questione turca nell’ambito letterario umanistico, un’impresa letteraria destinata a procurarsi appoggi politici al di fuori del protettore fedele, Cosimo de’ Medici. Ogni capitolo di quest’opera viene accompagnato da un caso di studio approfondito riguardante eventi famosi dove le specificità di Giovio appaiono ben chiare. Nell’analisi di questi episodi Pujeau riprende alcune ricerche già da lei pubblicate sotto forma di articoli, come ad esempio l’assedio di Rodi, a lungo evocato nel primo capitolo, già considerato dal punto di vista delle fonti. Sulla battaglia di Prevesa si concentra il secondo capitolo, dove sono confrontati gli scritti di più autori contemporanei riguardanti soprattutto i ritratti dei protagonisti belligeranti. Andrea Doria, Vincenzo Capello o Barbarossa vengono esaminati a lungo attraverso diversi ritratti secondo un metodo che ricorda l’accento messo dallo stesso Giovio sui ritratti, ad esempio nel suo Elogia Virorum bellica virtute illustrium. Infine nel terzo capitolo l’analisi si focalizza più brevemente sul cosiddetto affare del Rincone (1451), che mette in luce la fragilità della Respublica Christiana. L’approccio mischia dunque letteratura e storia politica. L’analisi lessicale spesso concorre a sostenere l’argomentazione o a introdurre interessanti sfumature che disegnano una percezione degli Ottomani tutt’altro che 194 monolitica. Fra timore e fascinazione, la distanza sembra ridotta quando Giovio descrive un esercito efficace e credente, il che pone le basi di una paura veneziana e poi europea di fronte all’ubbidienza percepita come totale degli Ottomani nei confronti del loro sultano. Per quanto riguarda la storia culturale e in particolare la storia delle percezioni, questa cautela verso i testi è molto istruttiva. Conoscitrice di lettere classiche, l’autrice arricchisce anche l’analisi letteraria con ipotesi pertinenti riguardanti il sostratto culturale di alcune descrizioni di Giovio. Ad esempio le descrizioni militari vengono paragonate a quelle del De Bello Gallico. Ciononostante, è meno sicura l’attribuzione agli stessi testi classici di un’influenza diretta sugli attori ottomani, sia delle strategie militari di Cesare, sia della politica di Filippo di Macedonia. Anche se le loro opere e azioni erano conosciute a Istanbul, la questione dell’umanesimo ottomano e di una sua influenza nei campi politici e militari è ancora dibattuta. Nello stesso modo i paragoni fra testi europei e ottomani, ad esempio con le Ghazavat-Name, avrebbero più senso in uno studio politico degli eventi narrati, mentre nell’ambito di una storia culturale questi confronti sono meno pertinenti. Eppure questi limiti rimangono trascurabili in uno studio la cui principale forza rimane la capacità di aprire, attraverso parecchi testi «a finestra», come lo stesso Giovio affermava di scrivere, una finestra solida verso la letteratura italiana ed europea in un periodo turbato dai pericoli politici. Pauline Guéna – CRM. Il Campiello – n° 1 ___ Courtney QUAINTANCE, Textual Masculinity and the Exchange of Women in Renaissance Venice, Toronto / Buffalo / Baltimore, University of Toronto Press, 2015, 259 pp., 70$. La pubblicazione di Textual Masculinity si iscrive in una stagione felice per gli studi sulla letteratura veneziana anticlassicista, che sia popolare o erotica, qualche mese dopo quella di Ephemeral City di Rosa Salzberg (dedicato alle «cheap prints», lo abbiamo recensito qui). Essendo i due testi rielaborazioni di tesi di dottorato, possiamo solo augurare che venga completato questo quadro della ricerca recente con la pubblicazione del lavoro di Daniella Rossi sul volume inedito di poesie erotiche di Domenico Venier e Benetto Corner, che si trova anche al centro degli interessi di Courtney Quaintance. La tesi principale della studiosa americana ha il pregio della chiarezza e può facilmente essere così riassunta: i testi erotici del Rinascimento veneto sono discorsi su corpi femminili che vengono scambiati – stampati o manoscritti – all'interno di una ristretta cerchia di nobiluomini e contribuiscono alla definizione della loro identità di genere e di classe. Quaintance propone così un doppio approccio: un'analisi dell'identità maschile del tempo, sempre ansiosa ma sempre trionfante, e una lettura di quello che i testi ci dicono sull'essere donna nel Rinascimento. Il primo capitolo è dedicato agli albori della letteratura pornografica veneziana, con la lettura di due poemetti Recensions di Lorenzo Venier (1510-1550), membro di una delle più importanti famiglie veneziane nonché fedele amico di Pietro Aretino. Venier compone all'inizio degli anni 1530 la Puttana Errante e il Trentuno della Zaffetta, che per Quaintance definiscono il topos della prostituta: il primo costituisce una parodia di romanzo cavalleresco che si chiude con il trionfo della sua protagonista, la famosa Elena Ballarina, durante il sacco di Roma, mentre il secondo narra lo stupro di gruppo – il cosiddetto «trentuno» – letterariamente subito dalla cortigiana Angela del Moro, detta la Zaffetta. L'autrice si interessa soprattutto alla tonalità comica con la quale vengono descritte scene di un'efferata violenza sessuale. Dimostra così la funzione primaria di questa violenza, dentro e fuori dal testo: lo sviluppo di una sociabilità maschile a scapito di un corpo di donna. Il legame fra l'Aretino e un patrizio come Lorenzo Venier appare, infatti, come tutt'altro che casuale. Il poligrafo, approdato in laguna nel 1527, seppe presto procacciarsi il patrocinio culturale e civile della classe dirigente e frequenta la cerchia riunito attorno al fratello di Lorenzo, Domenico (1517-1582), a cui sono dedicati i tre capitoli centrali del libro di Quaintance. L'informale accademia Venier di Santa Maria Formosa, attiva dagli anni 1540, è priva dei minuti e dei riti che caratterizzano le più tarde adunanze di letterati; costituisce nondimeno un luogo privilegiato di scambi testuali e funge da acceleratore di promozione sociale per uomini, come il giovane organista e letterato vicentino Girolamo Parabosco o lo stesso Aretino, 195 che non appartengono alla nobiltà veneta. Quaintance mostra come gli autori che frequentano l'accademia la rappresentano come uno spazio di uomini soli, nel quale vengono scambiati discorsi sulle donne con l'unico scopo di fare valere un virtuosismo retorico. Ma dietro a quest'immagine pubblica – concretizzata nei Diporti del Parabosco o nella pubblicazione delle antologie intitolate Rime diverse di molti eccellentissimi autori – si nasconde una fitta letteratura privata scritta in dialetto. Quaintance sottolinea lo statuto paradossale della lingua veneziana: praticata da buffoni e canterini, è disprezzata dai «middle class umanists» come Lodovico Dolce che la percepiscono come umile e provinciale, ma è invece lautamente utilizzata dai poeti patrizi, come segno distintivo per eccellenza della loro identità di classe. E infatti se a lungo Domenico Venier fu conosciuto come cultore di un petrarchismo raffinato e tecnicista, da qualche decennio è stata rivelata la sua produzione erotica dialettale, che i copisti spesso attribuivano al nipote Maffio (1550-1586), figlio di Lorenzo. Parzialmente suo è uno dei testi più affascinanti del Rinascimento veneto, purtroppo ancora inedito e conservato alla British Library: un libro manoscritto lungo più di duecento carte composto a quattro mani dal Venier e dall'amico Benetto Corner a proposito della loro amante Elena Artusi. Quaintance propone una lettura del codice che mette in risalto il carattere omosociale – se non omoerotico – del carteggio poetico fra i due patrizi: più che di un romanzo d'amore si tratta del racconto di un'amicizia maschile che si fonda sulla 196 descrizione di un corpo femminile, talora esaltato e talora vilipeso. Nel quarto capitolo, Quaintance ricostruisce il percorso di poesie del manoscritto inglese in tre antologie: il Ms It. IX 173 della Marciana, la più grande raccolta di poesia veneziana del Cinquecento stesa di pugno del poeta Giovanni Querini (1567-1610); la Caravana (1565), stampa che raccoglie vari testi veneziani privi di attribuzione; infine i Versi alla venitiana (1613) conosciuti per contenere numerose poesie di Maffio Venier – o a lui attribuite. In un lungo panorama delle varianti testuali dimostra che se nei manoscritti l'identità degli autori è una componente essenziale del discorso, sparisce del tutto quando i versi vengono presentati al più largo pubblico dei consumatori di stampe. I poeti patrizi costruiscono così una doppia immagine: quella semi-privata del «gentlemen's club» dell'accademia, in cui la poesia erotica serve a rafforzare i legami di amicizia maschile, e quella pubblica, fortemente limitata dalla nascente Controriforma e dall'onere delle cariche politiche. Infine l'ultimo capitolo cerca di confrontare queste strategie maschili con quelle usate da due poetesse vicine alla cerchia di Venier, Gaspara Stampa (c. 1523-1554) e Veronica Franco (15461591). Quaintance rovescia l'immagine di una Venezia intesa come luogo privilegiato di libertà femminile e illustra le reticenze che ostacolano la carriera poetica delle due donne rispetto a quella, per esempio, della cortigiana romana Tullia d'Aragona. Mentre Stampa cerca di sfruttare le strategie classiche di Il Campiello – n° 1 collaborazione letteraria – fra l'altro radunando testi per celebrare la memoria del suo nobile amante Collaltino di Collalto – viene perseguita se non da un'avvilente riputazione di cortigiana, almeno dal permanere di un'ambiguità morale di cui si farà portavoce anche Benedetto Croce. Veronica Franco invece, cortigiana di mestiere, è costretta a letterariamente sbandierare le sue doti sessuali, ma riesce a capovolgere il rapporto con un cliente-amante come Marco Venier richiedendo come pagamento una collaborazione poetica. Possiamo, in conclusione, rilevare un solo limite al libro di Quaintance, di cui certo non vogliamo accusare la stessa studiosa, ma piuttosto lo stadio ambiguo di una ricerca che troppo poco ha saputo elargire i suoi risultati oltre la cerchia degli addetti ai lavori. Dal punto di vista del corpus infatti, Textual Masculinity è lievemente problematico: per chi ha letto i testi affrontati dalla monografia, le pagine della studiosa americana non portano sostanziali novità; per chi non li ha letti invece rimarrà un senso di frustrazione, in quanto sono pagine e versi molto difficilmente reperibili, se non addirittura introvabili fuori da Venezia. Vengono così indicate due strade da proseguire in futuri studi: da una parte la pubblicazione di testi citati da tutti ma illegibili fuori dalle rare biblioteche che li custodiscono (esemplare il caso della Caravana), e dall'altra un lavoro di catalogazione dei numerosi inediti nascosti fra le carte della Marciana o di altre biblioteche. Aspettando questi sviluppi, il lavoro di Quaintance si configura quindi – oltre alla vigorosa tesi che difende – come Recensions 197 un'ottima introduzione a una letteratura erotica che è ancora lontana dall'aver svelato tutti i suoi tesori. Fabien Coletti – Université Toulouse - Jean Jaurès / Università degli Studi di Padova. ___ Rosa SALZBERG, Ephemeral City: Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, Manchester, Manchester University Press, 2014, 199 pp., 75 £ (circa 100 €). Prima di aprire quest'appassionante volume sulle cosiddette «stampe popolari» della Venezia rinascimentale, ci tocca purtroppo segnalare col prezzo di questo libro un limite grave - ovviamente indipendente dalla volontà dell'autrice, ma ironicamente in linea con i suoi interessi scientifici – legato a deplorevoli abitudini di certe case editrici, particolarmente anglo-sassoni. In tempi in cui cospicui sforzi economici vengono richiesti da parte delle istituzioni, riducendo di fatto il numero di acquisizioni librarie, e in cui la figura del ricercatore si sta sempre più precarizzando, vendere monografie di dimensioni contenute a prezzi che superano i cento euro è un abuso di posizione dominante, oltre che un freno al progresso della ricerca. Del tutto diverso è l'oggetto di studio qui preso in considerazione, le «cheap prints» veneziane, certamente un termine più adatto a descrivere questa produzione che l'italiano «stampa popolare» (su questo tema cf. per esempio Chiara Lastraioli, Pasquinate, grillate, pelate ed altro Cinquecento minore, Manziana, Vecchiarelli, 2012). Rosa Salzberg, che insegna la Storia dell'Italia moderna all'Università di Warwick, rielabora con queste pagine la sua tesi di dottorato (The Dissemination of Cheap Print in Sixteenth Century Venice, University of London, 2008), debitamente aggiornata e aumentata da ricerche parzialmente pubblicate in una serie di articoli. In introduzione Salzberg sottolinea i vari paradossi che accompagnano quegli opuscoli: legati al mondo elitario delle parole stampate, si affermarono come un potente strumento di communicazione di massa; numerosissimi già dai primi tempi della storia dell'editoria, la loro natura effimera li rese invisibili per lo studioso di fronte alla schiacciante supremazia concettuale del libro; infine, prodotti per eccellenza di una tecnologia nuova, il loro uso rimase indissolubilmente legato ad altre forme di comunicazione, prima di tutto alla recitazione orale che accompagnava spesso la loro vendita. A Venezia, città che produce all'inizio del Cinquecento il 65% della carta stampata italiana, si ritrovano così al centro di una triplice interazione, fra il potere laico ed ecclesiastico che alternativamente li utilizza o li censura, un'industria che ne fa una fonte di guadagno e un popolo che li ricerca con crescente desiderio. Nel primo capitolo Salzberg cerca di definire il suo oggetto di studio e si sofferma più genericamente sulle consequenze dello sviluppo della stampa. Mostra come la proliferazione dei «cheap prints» sia stata accolta con sentimenti constrastanti, generando profonde ansietà nei depositari tradizionali della 198 cultura. Infatti, con la diffusione di stampe poco costose si allarga il pubblico, cambia il rapporto fra scritto, lettore e sapere; di conseguenza, il sistema medievale basato sullo scambio di testi (manoscritti e poi stampati) fra dotti si sente minacciato dall'irruenza del mercato. Lontana dalla figura di un Aldo Manuzio, Salzberg descrive una folla di piccoli stampatori, a volte tutto tranne che letterati, con il guadagno come unica ambizione. Particolarmente interessante a questo proposito risulta il corto elenco di astuzie impiegate per allettare il lettore: titoli ricercati che nascondono la povertà dei contenuti, insistenza sul nome di un autore o di un saltimbanco conosciuti sul frontispizio di un'opera altrui... Nel secondo capitolo Salzberg delinea una geografia delle botteghe di cartolai, stampatori, e venditori di libri: principalmente concentrati fra Rialto e San Marco, nelle costose Mercerie o nella variegata parrocchia di San Moisè, quei negozi godono di una grande visibilità e contribuiscono a ridefinire il paesaggio urbano della Venezia del Cinquecento. A volte dipendenti di queste botteghe, a volte proprietari di un carro stabile o di un semplice cestino, i venditori ambulanti distribuiscono notizie, canzoni, poemetti o consigli medicali, insieme a prodotti di uso corrente come profumi o saponi. Questo modo di diffusione è intimamente legato al mondo dei ciarlatani: i saltimbanchi di Rialto o di San Marco vendevano opuscoli che potevano essere il testo della rappresentazione appena eseguita, o un'opera del tutto diversa, come il buffone Zuan Polo che dopo i propri spettacoli spacciava una sua parodia di Il Campiello – n° 1 romanzo cavalleresco, mettendo così a contatto con i testi anche chi non sapeva leggere. Nel terzo capitolo Salberg si concentra su alcune figure di stampatori di «cheap prints», con lo scopo di sottolineare la mobilità – geografica, professionale, sociale – inerente al mestiere. Per esempio il ferrarese Nicolò Zoppino, in una carriera che lo porta ad esercitare la professione in una decina di città del Nord Italia, riesce proprio grazie alla sua attività di cantibanco ad individuare le richieste del mercato. Altri, che non disponevano del materiale per la stampa e per cui la rappresentazione pubblica era l'unica fonte di guadagno, facevano realizzare fogli volanti da editori diversi in ogni città che attraversavano, per poi rivenderli sulla piazza. Il contenuto delle stampe è affrontato nel quarto capitolo: a metà strada fra letteratura e rappresentazione, fra importanti opere contemporanee e oscuri poetastri, i testi venduti a poco prezzo trasmettono al popolo delle piazze un eco della più alta cultura rinascimentale. La popolarità del Furioso spinge i saltimbanchi a produrre una serie di parodie o imitazioni di bassa qualità; le più recenti notizie sugli eventi bellici in corso vengono trascritte in versi e cantati a un popolo avido di informazioni, dando così alla luce i lontani antenati dei nostri giornali; il sapere tecnico o medico viene pure volgarizzato in opuscoletti, creando un mercato per le false ricette dei ciarlatani; infine, la maggioranza dei fogli in circolazione sono di tipo religioso: indulgenze, preghiere e varie opere devozionali erano gelosemente custodite Recensions dai clienti per i quali erano in qualche modo investite da un potere magico ma anche, a volte, sospette di eterodossia. Infatti, dopo un primo periodo di controllo durante la guerra della Lega di Cambrai, i rischi sociali e religiosi della diffusione in massa di stampe dal contenuto non controllato allarmano già dagli anni 1540 le autorità civili ed ecclesiastiche. Nel 1543 il potente Consiglio dei Dieci rende obbligatoria l'ottenimento di un'autorizzazione di stampa che teoricamente colpisce qualsiasi scritto e affida il controllo alla recente magistratura degli Esecutori contro la Bestemmia. Nel 1549 i Dieci esigono la creazione di una corporazione degli stampatori e dei venditori di libri, che faccia insieme da garante del materiale stampato e da un valido interlocutore per il governo veneziano; lo stesso anno – cioè dieci anni prima dell'indice paolino – nasce un primo progetto, non realizzato, di indice dei libri proibiti. Negli anni 1550 anche il Santo Uffizio incomincia ad esaminare gli stampatori che pubblicano storie amorali e bastano probabilmente alcuni processi per fare da avvertimento a tutta la professione. Se alcuni di loro cercano allora di sostrarsi alle regole con falsi luoghi di stampa, il più sembra lentamente orientarsi verso una produzione consona ai requisiti del potere. In conclusione Salzberg illustra l'evoluzione che conobbe la diffusione della stampa nella Venezia rinascimentale con l'esempio di due crisi maggiori della fine del Cinquecento e dell'inizio del Seicento. Mentre alla fine del secolo XV il pubblico che comprava libri non era 199 diverso da quello che, nel medioevo, si procurava copie di manoscritti, una crisi come quella della peste del 1575-7 vede la circolazione di un'immensa quantità di stampe di ogni tipo, diventate un comune bene di consumo. Qualche decennio dopo, la polemica sull'Interdetto del 1606-7 dà il via ad una produzione di «cheap prints» ancora più ampia, che il governo veneziano rinuncia a controllare: ormai incapace di arginare il fiume di carta, si deve accontentare di rispondere con proprie opere di propaganda. L'unico rimpianto che può avere il lettore di quest'agile ricostruzione, specialmente dopo essere stato allettato dalla riproduzione di alcuni frontispizi di «cheap prints», è l'assenza di un appendice che vada oltre la semplice bibliografia e presenti sintetiche schede individuali. Un piccolo catalogo, insomma, che possa avviare ricerche mirate alla sostituzione di un lavoro oggi ancora fondamentale come la Bibliografia delle stampe popolari italiane del Segarizzi (1913), limitato al fondo della biblioteca Marciana. Fabien Coletti – Université Toulouse Jean Jaurès / Università degli Studi di Padova. ___ Marino SANUDO, Itinerario per la Terraferma veneziana, Edizione critica e commento a cura di Gian Maria Varanini con saggi di Alfredo Buonopane, Antonio Ciaralli, Michael Knapton, John Law, Gian Maria Varanini, Roma, Viella, 2014, 684 pp., 50 €. 200 Pour tout historien s’intéressant à la République de Venise à la Renaissance, l’œuvre de Marino Sanudo il Giovane (1466-1536) se révèle incontournable. La période 1400-1550 représente une période de production intense de récits historiques écrits par des membres de l’élite vénitienne. L’un d’eux, Marino Sanudo, se démarque surtout par les cinquante-deux volumes de ses Diarii, véritable récit quotidien des Guerres d’Italie entre 1496 et 1533. Parmi les autres textes du chroniqueur, on note son Itinerario per la Terraferma veneziana. Un travail collectif dirigé par Gian Maria Varanini, professore ordinario à l’université de Vérone, en propose une nouvelle édition. Jeune vénitien de 17 ans, Marino Sanudo accompagne entre le 15 avril et le 5 octobre 1483 son cousin Marco Sanudo, membre des Auditori Nuovi, pour une inspection du Stato da Terra vénitien. Le récit tiré de ce voyage couvrant l’ensemble de la Terre ferme, nous livre ainsi une description très riche des lieux visités, qu’il s’agisse de grandes cités comme Padoue ou Vérone ou de lieux d’importance moindre. Le parcours réalisé par les Auditori Nuovi est considérable : plusieurs centaines de kilomètres à cheval ou en bateau et pas moins de cinquante-sept cités et dix-sept provinces traversées. Mais de leur mission, Sanudo n’en souffle pas un mot. Son récit comporte en réalité une description minutieuse des territoires visités. Sanudo explique comment ces lieux sont passés sous la domination vénitienne. Si les zones rurales et les paysages ne sont pas ignorés du chroniqueur, ce sont les cités qui Il Campiello – n° 1 reçoivent la plus grande attention. Il évoque la vie quotidienne des habitants, décrit les palais et forteresses des gouverneurs vénitiens, donne les noms et les salaires de ces derniers, etc. L’architecture des villes concentre une part importante de son attention, notamment les ponts, les tours et les murs. Le jeune noble ne se contente pas de dresser un tableau des possessions terrestres vénitiennes, il aborde également un enjeu crucial pour la République en 1483 : le conflit qui l’oppose à la ville de Ferrare depuis plus d’un an. Cette dernière est d’ailleurs l’objet d’une description, comme si elle faisait partie du Dominio vénitien. Sanudo rencontre condottieres et commissaires vénitiens, observe la construction des nouveaux bastions destinés à répondre aux défis lancés par le développement de l’artillerie et assiste même à des combats mais sans en donner de véritables descriptions. De même, des soldats on ne connaît guère que leur nombre, leurs armes et parfois leurs soldes. Par ses descriptions minutieuses, Sanudo sous-entend, sans l’écrire clairement, l’hétérogénéité de la Terre ferme vénitienne et l’adaptation vénitienne aux réalités locales. Il montre par exemple la place particulière du Frioul dans le Stato da Terra. Une première lecture donne l’impression d’être en présence du récit exalté d’un jeune patricien mais un regard plus attentif permet de faire apparaître les enjeux du texte. La culture humaniste de Sanudo apparaît clairement. Vénitien membre de l’élite dirigeante, Marino Sanudo ne manque jamais une Recensions occasion de mettre en valeur sa propre famille et livre toujours des descriptions dithyrambiques des lieux visités en insistant sur la richesse des cités et des territoires, sur la qualité de leurs fortifications, etc. On notera quelques erreurs commises par le chroniqueur dans ses commentaires historiques des lieux mentionnés. Par exemple, le capitaine général Bartolomeo Colleoni meurt en 1475 et non pas en 1470 comme Sanudo l’avance dans son texte. Il faut également prendre en compte que le chroniqueur a retravaillé sa source plusieurs fois et semble l’avoir laissé inachevée. On connaît mal le but éditorial de Sanudo mais il fait parfois référence à d’hypothétiques lecteurs. Toujours est-il que son œuvre n’est pas imprimée avant sa redécouverte au XIXe siècle. On doit à l’historien britannique Randown Brown la mise à jour d’un manuscrit à Padoue dont il tire une édition en 1847. Un autre exemplaire, fragmentaire, découvert à la Biblioteca Nazionale Marciana fut édité par Rinaldo Fulin dans l’Archivio Veneto en 1881. Michael Knapton considère cette édition comme moins rigoureuse et moins aboutie que la précédente de Brown. Un autre fragment de cet Itinerario, copié dans un autre manuscrit de la Marciana, avait déjà été édité à Venise en 1853 sous le titre Descrizione della patria del Friuli. Si l’on excepte quelques éditions partielles au XXe siècle, on doit attendre 2008 pour une nouvelle publication, collective, du texte. Celle-ci offre une version originale du texte et en regard une traduction en italien parfois approximative selon Michael Knapton. En revanche on 201 doit lui reconnaître la présence de centaines d’illustrations dont beaucoup de cartes de la Terre ferme vénitienne. Une nouvelle édition scientifique demeurait donc nécessaire. Celle-ci dirigée par Gian Maria Varanini offre au lecteur les deux versions du texte (celle de Padoue et celle de la Marciana), soigneusement transcrites, annotées et complétées par un riche appareil critique. L’introduction réalisée par deux historiens britannique spécialistes du Stato da Terra vénitien à la Renaissance, Michael Knapton et John Law, offre une synthèse sur la Terre ferme, une biographie de Marino Sanudo et situe ce texte dans l’œuvre du chroniqueur. L’ouvrage comporte également un glossaire, un répertoire des patriciens vénitiens cités dans le texte, une bibliographie et un index des noms et des lieux. L’édition de l’Itinerario per la Terraferma veneziana de Marino Sanudo dirigée par Gian Maria Varanini se révèle un ouvrage d’une exceptionnelle qualité et dont l’utilité sera grande pour les chercheurs. Outre la mise à disposition d’un texte soigneusement édité et d’un appareil critique d’une grande rigueur, l’ouvrage apporte aux historiens de précieuses notices sur Marino Sanudo et sur l’historiographie de la Terre ferme vénitienne au XVe siècle. Ce travail se situe dans un mouvement de réédition de plusieurs textes de Sanudo (Vite dei Dogi en plusieurs étapes dans les années 90 et De origine, situ et magistratibus urbis Venetae en 2011), nous pouvons donc espérer qu’il s’étendra aux autres œuvres de Marino Sanudo (notamment ses 202 Commentarii della guerra di Ferrara et sa Spedizione Di Carlo VIII in Italia). Il Campiello – n° 1 Sébastien Mazou – Université Toulouse - Jean Jaurès / Università Ca’ Foscari di Venezia. Table des matières – Il Campiello – I (2016) Fabien COLETTI, Azzurra MAURO, Sébastien MAZOU INTRODUCTION INTRODUZIONE 4 8 SECTION MIXTE Stefano PEZZE Tra il Leone e la Vipera. Guidotto Prestinari, poeta di confine 13 Massimiliano SIMONE Tra animato e inanimato. Figure di eroine nella Venezia Incognita 40 SECTION LITTERATURE Valentina MANCA Da donna di piacere a donna di lettere: la retorica epistolare al servizio del discorso proto-femminista di Veronica Franco 63 Claudio CHIANCONE Une histoire d’émancipation féminine dans la Venise du 18e siècle : Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse 88 Juliette LE GALL L’écriture vénitienne chez Henri de Régnier et le « premier Marinetti » 108 204 Il Campiello – n° 1 SECTION HISTOIRE Jérémy FOURNET L’île de Crète : colonie d’exploitation et nœud stratégique du réseau vénitien en mer Égée 123 Alexandra LALIBERTE DE GAGNE Entre défiance et collaboration : les Grecs d’Épire et du Magne aux XVIe-XVIIe siècles au regard des sources vénitiennes 159 RECENSIONS 182 205 Il Campiello Revue électronique jeunes chercheurs d’études vénitiennes NUMERO 1 – 2016 http://blogs.univ-tlse2.fr/il-campiello/ Les propositions d’article (400 mots, pour un article de 7 000 mots maximum) ou de recensions (1 000 mots) peuvent être envoyées à [email protected]. Les langues acceptées sont le français, l’italien et l’anglais. Les normes pour les articles peuvent être trouvées sur le site de la revue, tout comme la liste des recensions déjà en projet. Le proposte di articolo (400 parole, per un articolo di 7 000 parole) o di recensioni (1 000 parole) possono essere mandate a [email protected]. Si accettano articoli in francese, italiano o inglese. Le norme per gli autori così come le recensioni già previste sono elencate sul sito della rivista. Directeur de publication Fabien COLETTI Comité de rédaction Fabien COLETTI – Azzurra MAURO – Sébastien MAZOU Avec la précieuse collaboration d’Éric FERRANTE La revue Il Campiello et ses contenus sont distribués sous licence Creative Commons – Not Commercial – No Derivative 4.0 International. 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