numéro 1 - Université Toulouse

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numéro 1 - Université Toulouse
NUMÉRO 1
2016
Il Campiello – Revue électronique jeunes chercheurs d’études vénitiennes
NUMERO 1 – 2016 – ISSN en cours d’attribution
http://blogs.univ-tlse2.fr/il-campiello/
https://www.facebook.com/IlCampielloRivista/
Directeur de publication
Fabien COLETTI
Comité de rédaction
Fabien COLETTI – Azzurra MAURO – Sébastien MAZOU
Université Toulouse – Jean Jaurès
Département d’Histoire – Section d’Italien
Équipes de recherche FRAMESPA – Il Laboratorio
Écoles doctorales TESC – Allph@
La revue Il Campiello et ses contenus sont distribués sous licence
Creative Commons – Not Commercial – No Derivative 4.0 International. Il est donc
possible de télécharger, imprimer, photocopier et distribuer la revue et ses contenus à
condition d’indiquer explicitement la paternité de l’œuvre, de ne pas l’utiliser à des fins
commerciales et de ne pas la modifier.
INTRODUCTION
Introduction
Le projet du Campiello plonge ses racines dans une journée d’étude
organisée à l’université Toulouse – Jean Jaurès le 13 mai 2014 sous le titre
Moyen-Âge finissant ou première modernité ? Contrôles et pouvoirs dans les espaces
méridionaux, XV-XVIe siècles, fruit d’une collaboration entre des doctorants
du département d’Histoire et de la section d’Italien. En l’absence de
publication d’Actes, certains de ces doctorants ont souhaité poursuivre ce
travail en commun qui s’était révélé riche et stimulant, en réduisant le
domaine géographique exploré à Venise et son Etat – puis sa région – et en
élargissant les périodes prises en considération pour s’étendre, idéalement,
de l’antiquité à la plus immédiate modernité. Notre projet a été renforcé par
les nombreuses rencontres faites lors de nos recherches à Venise même avec
des jeunes chercheurs, de l’Archivio di Stato à la Marciana en passant par les
bibliothèques universitaires, la Fondazione Querini Stampalia ou encore la
Fondazione Cini. En effet, si les revues spécialisées dans l’Histoire ou la
littérature vénitiennes ne manquent pas, aucune n’est spécifiquement conçue
pour accueillir les travaux des doctorants, jeunes docteurs ou étudiants de
Master qui fourbissent leurs armes à l’ombre de la Sérénissime. Ce Campiello
pour jeunes chercheurs, à l’écart du plus large Campo de la recherche
institutionnelle, veut donc être avant tout un lieu d’échanges et
d’expérimentation pour dépasser nos fréquentes conversations informelles
et contribuer ensemble au développement des études vénitiennes de demain.
Les trois sections qui rythment le Campiello - littéraire, historique et
historico-littéraire - s’inscrivent dans une démarche d’échange et de dialogue,
débouchant sur une approche pluridisciplinaire. Ce choix naît d’une
réflexion d’ordre méthodologique qui tire ses racines des récents travaux de
Judith Lyon-Caen, Dinah Ribard, Antoine Lilti et Ivan Jablonka, entre
autres. En montrant l’importance du texte littéraire et de son intervention
dans le monde social et politique, ces études ont insisté sur la fluidité des
bornes entre ces disciplines, tout en conservant leur spécificité. Par ailleurs,
les études littéraires se sont toujours nourries du travail historique afin
Introduction
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d’enrichir la compréhension des textes. C’est pourquoi nous avons décidé de
favoriser ce dialogue entre deux « disciplines voisines », histoire et littérature,
tout en gardant la particularité de chacune en deux sections distinguées.
Nous vous proposons ici un aperçu des contributions sélectionnées pour ce
premier numéro.
Section Histoire
Alexandra Laliberté montre comment, à l’époque moderne, la
République de Venise se situe à l’avant-garde de la lutte européenne contre
les Ottomans en Méditerranée. Cela fait d’elle un interlocuteur privilégié
pour les populations de l’Empire ottoman cherchant à s’émanciper, à l’instar
des Grecs d’Epire et du Magne. Cependant les intérêts vénitiens et grecs
divergent, la Sérénissime cherche avant tout à sauvegarder ses avantages
commerciaux et rechigne à l’affrontement direct avec les Turcs et des
Hellènes. La méfiance réciproque existante entre Vénitiens et Grecs rend
toute collaboration difficile à instaurer malgré les rapports des représentants
de la République qui soulignent l’intérêt d’une alliance avec les populations
d’Epire et du Magne.
Jérémy Fournet reste lui aussi dans les possessions maritimes
vénitiennes. La conquête de la Crète par la République de Venise à la suite
de la Quatrième croisade offre à cette dernière une base stratégique en
Méditerranée orientale et une colonie d’exploitation. L’île se distingue des
autres territoires du Stato da Mar par un processus de colonisation mis en
place par la République. Néanmoins plusieurs problèmes se posent au
gouvernement vénitien : d’abord les manquements de ses représentants et
surtout les nombreuses révoltes de la population crétoise qui refuse de se
plier à la domination vénitienne.
Section Littérature
Il semblait inévitable que, pour le premier numéro d’une revue
jeunes chercheurs, la section Littérature soit en grande partie consacrée à
l’un des aspects qui ont le plus marqué les dernières décennies d’études
vénitiennes : la place accordée – ou, plutôt, conquise – par les voix
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Il Campiello – n° 1
féminines au sein de la république des Lettres de la Sérénissime. Ainsi
Valentina Manca, après être revenue sur le débat autour de la respectabilité
de la poétesse et courtisane Veronica Franco (1546-1591) tel qu’il fut énoncé
au XIXe et au XXe siècles, s’attarde sur le rôle social des hétaïres de la
Renaissance et sur l’ambiguité avec laquelle ce rôle était perçu par leurs
contemporains. Cette mise au point est le terrain sur lequel se développe son
analyse des stratégies rhétoriques mises en place par Veronica Franco dans
ses Terze Rime, oscillant etre séduction et affirmation de son caractère. Un
parcours poétique qui permet ensuite à la poétesse de pleinement se
présenter dans son recueil épistolaire comme une femme de Lettres,
légitimant ainsi la rupture du silence imposé au genre féminin dans son
ensemble.
Comme l’on sait, il faut attendre le XVIIIe siècle pour retrouver à
Venise un espace où puisse s’exprimer d’une manière large un protagonisme
culturel féminin. Claudio Chiancone reconstruit le parcours d’une actrice
oubliée de la vie littéraire du XVIIIe siècle, Fiorenza Ravagnin (1712-1796).
Issue d’une famille récemment intégrée au patriciat vénitien, elle devient très
jeune l’épouse, mais surtout tout aussi rapidement la veuve, de l’érudit
Giambattista Recanati. Héritière d’une partie des livres de celui-ci, elle se
transforme en agent commercial et s’associe à des entreprises éditoriales de
prestige, jusqu’à devenir un mécène reconnu. Elle épouse en secondes noces
le collectionneur Pietro Vendramin, avec qui elle a deux enfants. Cette
alliance avec l’une des plus grandes familles de la République favorise son
rapprochement avec les milieux de Lumières qui culmine avec sa
souscription au Corriere letterario, anthologie de journaux et de textes
progressistes. Elle décède au moment même où la Sérénissime République
vit ses derniers moments.
Soumise par Napoléon puis par le pouvoir autrichien, Venise serait
alors cette ville morte que les futuristes vouent aux gémonies au début du
XXe siècle. C’est pourtant un Marinetti (1876-1944) surprenant que nous
dévoile Juliette Le Gall, dans un article qui explore la représentation littéraire
de l’espace vénitien dans les œuvres du fondateur du futurisme et dans celles
du poète symboliste Henri de Régnier (1864-1936). Un espace fractionné,
dépourvu de centre de gravité, dans lequel l’irruption de la musicalité
maintient la perception entre songe et réalité.
Introduction
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Section Mixte
La figure féminine fait également l’objet de l’un de deux articles de la
section historico-littéraire. En explorant le débat sur la position de la femme
au XVIIe siècle, à partir de la célèbre Accademia degli Incogniti, Massimiliano
Simone se penche sur des portraits d’héroïnes issues de l’histoire ancienne
qui sont réalisés dans la Venise du Seicento. Tout au long de son étude,
Simone ne cesse d’analyser le rôle et la valeur de femme, avec toutes ses
ambigüités, chez les écrivains et les artistes au sein des Incogniti : à la double
perspective historique et littéraire s’intègre également une réflexion sur les
influences réciproques entre arts et littérature.
La littérature comme objet de l’histoire émerge bien dans le
deuxième article publié dans la section mixte. Par le biais du poète
bergamasque Guidotto Prestinari, Stefano Pezzè nous ramène dans la Milan
des Sforza, ramification extrême de la Serenissima entre XVe et XVIe siècles.
Pezzè analyse douze textes de Prestinari tirés du Canzoniere, dont la nature
politique et encomiastique permet d’éclairer le contexte historique de
l’époque des premières Guerres d’Italie. Le corpus étudié montre bel et bien
la condition d’un poète-sujet à la Serenissima « dans une position
géographique de frontière ».
Enfin, dans la section Recensions sont regroupés les compte-rendus
que Il Campiello a eu le plaisir de publier au cours de l’année 2015, un travail
de veille scientifique qui cherche à signaler huit ouvrages particulièrement
notables publiés lors des deux dernières années.
Nous vous souhaitons une excellente lecture de ce premier numéro,
et nous attelons sans tarder à la réalisation du deuxième, à laquelle nous
invitons bien sûr les jeunes chercheurs d’études vénitiennes à participer.
Fabien COLETTI (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università
degli Studi di Padova).
Azzurra MAURO (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università
degli Studi di Genova).
Sébastien MAZOU (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università
Ca’ Foscari Venezia).
Introduzione
Il progetto del Campiello nasce da una giornata di studi organizzata
all’università di Toulouse – Jean Jaurès il 13 maggio 2014 e intitolata MoyenÂge finissant ou première modernité ? Contrôles et pouvoirs dans les espaces méridionaux,
XV-XVIe siècles, frutto di una collaborazione fra dottorandi del dipartimento
di Storia e della sezione d’Italianistica di quell’università. Di questa giornata
non furono pubblicati gli atti, ma alcuni dei dottorandi coinvolti decisero di
proseguire questo lavoro in comune rivelatosi ricco e stimolante. La scelta fu
di ridurre l’area geografica sottoposta a inchiesta a Venezia e al suo Stato –
poi alla sua regione – allargando nello stesso tempo i periodi presi in
considerazione, che idealmente dovranno spaziare dall’Antichità alla più
incalzante contemporaneità. Il nostro progetto è stato incoraggiato dai
numerosi incontri con giovani ricercatori svoltisi durante le nostre ricerche a
Venezia, dall’Archivio di Stato alla Marciana, dalle biblioteche universitarie
alla Querini e alla Cini. Se non mancano, infatti, riviste specializzate nella
Storia o nella letteratura veneziana o veneta, nessuna è specificamente
concepita per accogliere il lavoro di dottorandi, giovani dottori di ricerca o
anche studenti di magistrale che stanno forbendo le proprie armi all’ombra
della Serenissima. Questo Campiello per giovani ricercatori, che si stende a
qualche passo dal più largo campo della ricerca istituzionale, intende quindi
prima di tutto essere un luogo di scambi e di sperimentazione per andare
oltre le nostre frequenti discussioni informali e contribuire insieme allo
sviluppo degli studi veneziani di domani.
Le tre sezioni che ritmano il Campiello - letteraria, storica, storicoletteraria - s’iscrivono in una pratica di scambio e di dialogo, aprendosi su
una prospettiva pluridisciplinare. Questa scelta nasce da una riflessione di
natura metodologica che affonda le radici nei recenti lavori di Judith LyonCaen, Dinah Ribard, Antoine Lilti e Ivan Jablonka, per citare qualche
esempio. Dimostrando l’importanza del testo letterario e della sua iscrizione
nel mondo sociale e politico, questi studi hanno insistito sulla fluidità dei
confini tra queste discipline, eppure conservandone la loro specificità.
Peraltro gli studi letterari si nutrono da sempre del lavoro storico per
Introduzione
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arricchire la comprensione stessa dei testi. Ecco perché abbiamo scelto di
sperimentare questo dialogo tra « discipline vicine », storia e letteratura,
preservando comunque la peculiarità di ciascuna di esse in due sezioni
distinte. Vi proponiamo qui un panorama dei contributi che abbiamo
selezionato per questo primo numero.
Sezione Storia
Alexandra Laliberté mostra quanto, in epoca moderna, la repubblica
di Venezia si situi all’avanguardia della lotta europea contro gli Ottomani nel
Mediterraneo. Diventa così un interlocutore di primo piano per le
popolazioni che cercano di emanciparsi dalla tutela dell’Impero ottomano,
come i greci d’Epiro e di Maina. Tuttavia gli interessi veneziani e greci
divergono: la Serenissima desidera prima di tutto la salvaguardia dei propri
vantaggi commerciali ed è restia ad affrontare direttamente i Turchi e gli
Elleni. La sfiducia reciproca fra Veneziani e Greci rende difficile avviare
qualsiasi collaborazione malgrado i rapporti dei rappresentanti della
Repubblica che sottolineano l’interesse di un’alleanza con le popolazioni
d’Epiro e di Maina.
Anche Jérémy Fournet dedica un saggio alle possessioni marittime
veneziane. La conquista della Creta da parte della repubblica di Venezia
dopo la quarta crociata offre a quest’ultima una base strategica nel
Mediterraneo orientale e una colonia da sfruttare. L’isola si distingue dagli
altri territori dello Stato da Mar da un processo di colonizzazione attuato
dalla Repubblica. Ma il governo veneziano deve fronteggiare più problemi:
gli errori dei propri rappresentati così come le numerose ribellioni della
popolazione che rifiusta di sottomettersi alla dominazione veneziana.
Sezione Letteratura
Sembrava inevitabile che, per il primo numero di una rivista di
giovani ricercatori, la sezione Letteratura sia in gran parte dedicata ad uno
degli aspetti che più hanno segnato gli ultimi decenni di studi veneziani: lo
spazio accordato alle – anzi, conquistato dalle – voci femminili nella
repubblica delle Lettere veneziane. Così Valentina Manca, dopo essere
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Il Campiello – n° 1
tornata sul dibattito attorno alla rispettabilità della poetessa e cortigiana
Veronica Franco (1546-1591) nel modo in cui fu affrontato nell’Otto e nel
Novecento, analizza il ruolo sociale delle etere rinascimentali e l’ambiguità
con la quale era percepito dai loro contemporanei. È questo il quadro in cui
la ricercatrice sviluppa il suo studio delle strategie retoriche attuate da
Veronica Franco nelle sue Terze Rime, che oscillano fra seduzione e
affermazione del proprio carattere. Un percorso poetico che autorizza poi la
poetessa a presentarsi pienamente nella sua raccolta epistolare come una
letterata, giungendo così a legittimare la rottura del silenzio imposto
all’insieme delle donne.
Bisogna aspettare il Settecento, come si sa, per ritrovare a Venezia
uno spazio dove si possa esprimere un protagonismo culturale femminile.
Claudio Chiancone ricostruisce il percorso di un’esponente dimenticata della
vita letteraria del secolo XVIII, Fiorenza Ravagnin (1712-1796). Figlia di una
famiglia integrata di recente nel patriziato veneziano, diventa molto giovane
la moglie, ma altrettanto presto la vedova, dell’erudito Giambattista
Recanati. Erede di una parte dei suoi libri, si trasforma in agente
commerciale e si associa ad impresi editoriali di prestigio, fino a diventare
una mecenate riconosciuta. Sposa in seconde nozze il collezionista Pietro
Vendramin, col quale ha due figli. Quest’alleanza con una delle famiglie più
importanti della Repubblica dà un ulteriore slancio al suo avvicinamento agli
ambiente illuministi, che raggiunge il suo apice con la sua sottoscrizione al
Corriere letterario, antologia di giornali e testi progresisti. Muore nei mesi in cui
la Serenissima Repubblica vive i suoi ultimi momenti.
Sottomessa da Napoleone e dal potere austriaco, Venezia sarebbe
allora solo quella città morta vituperata dai futuristi all’inizio del Novecento.
Juliette Le Gall ci svela però un sorprendente Marinetti (1876-1944), in un
articolo che esplora la rappresentazione letteraria dello spazio veneziano
nelle opere del fondatore del futurismo e in quelle del poeta simbolista
francese Henri de Régnier (1864-1936). Uno spazio diviso, privo di un
centro di gravità, nel quale l’irruzione della musicalità mantiene la percezione
fra sogno e realtà.
Introduzione
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Sezione Mista
La figura femminile è anche oggetto del primo dei due articoli della
sezione storico-letteraria. Esplorando il dibattito sulla posizione delle donna
nel XVII° secolo, partendo dalla celebre Accademia degli Incogniti,
Massimiliano Simone si focalizza su dei ritratti di eroine della storia antica
realizzati nella Venezia del Seicento. Lungo tutto il suo contributo Simone
non cessa di analizzare il ruolo e il valore della donna, con tutte le sue
ambiguità, in scrittori e artisti gravitanti attorno agli Incogniti. Alla doppia
prospettiva storico-letteraria viene pure integrata una riflessione sulle
reciproche influenze tra arti e letteratura.
La letteratura come oggetto della storia emerge nel secondo articolo
pubblicato nella sezione mista. Attraverso il poeta bergamasco Guidotto
Prestinari, Stefano Pezzè ci conduce nella Milano degli Sforza, estrema
ramificazione della Serenissima tra i secoli XV e XVI. Pezzè analizza dodici
testi di Prestinari estrapolati dal Canzoniere, la cui natura politica ed
encomiastica permette di illuminare il contesto storico dell’epoca delle prime
Guerre d’Italia. Il corpus preso in esame analizza effettivamente la
condizione di un poeta-suddito della Serenissima in una « posizione
geografica di frontiera ».
Infine vengono radunate in una sezione a parte tutte le recensioni
che Il Campiello ha avuto il piacere di pubblicare nel 2015, che segnalano otto
monografie di grande interesse pubblicate negli ultimi due anni.
Vi auguriamo una buona lettura di questo primo numero, mentre da
parte nostra ci accingiamo alla realizzazione del numero 2; invitiamo
senz’altro i giovani ricercatori di studi veneziani a parteciparvi.
Fabien COLETTI (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università
degli Studi di Padova).
Azzurra MAURO (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università
degli Studi di Genova).
Sébastien MAZOU (Université Toulouse – Jean Jaurès / Università
Ca’ Foscari Venezia).
SECTION MIXTE
Stefano Pezzè
Tra il Leone e la Vipera. Guidotto Prestinari, poeta di
confine
Premessa filologica
Nel corso del presente contributo verranno proposti dodici testi di
Guidotto Prestinari. Per quanto riguarda la tradizione alcuni ragguagli
seguiranno nel testo, ma è bene specificare fin da subito che, disponendo di
un'unica attestazione manoscritta in parte idiografa e in parte autografa,
l’edizione si basa esclusivamente su quest’unico importante testimone. In
merito ai criteri ecdotici adottati, la destinazione del saggio mi ha spinto a
muovermi in controtendenza rispetto alla propensione attuale, fortemente
conservativa, preferendo invece privilegiare una maggior facilità di lettura
(segue la stessa logica l’esclusione di un apparato, e alla discussione
dell’unico intervento notevole sono dedicate le ultime righe di questa
premessa); in linea di massima mi sono attenuto alla sempre valida Nota sulla
grafia posta da Pier Vincenzo Mengaldo alla fine della sua edizione delle
Opere volgari di Boiardo (Bari, Laterza, 1962, pp. 456-477) e a quella di Paolo
Bongrani nell’edizione dei Canzonieri di Gaspare Ambrogio Visconti (Milano,
Il Saggiatore, 1979, pp. C-CXIV). Nel dettaglio:
1) Elimino i dittonghi alla latina ae e oe;
2) Ammoderno a i il cultismo y;
3) Ammoderno il grafema j, ricorrente solo nei plurali delle parole in -io,
rendendo -ij in -ii;
4) Distinguo u da v secondo l’uso moderno;
5) Elimino la h etimologica e pseudoetimologica (presente in massima
parte in hor e composti);
6) Ammoderno i digrammi ch (troncha), ph (phenice) e th (thesoro);
7) Conservo x etimologica (extolle, influxo);
8) Conservo ct (victoria, extincto);
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Il Campiello – n° 1
9) Rendo il latinismo -ti- con -zi- (precipitio>precipizio), e allo stesso modo
tratto -entia (prudentia>prudenzia);
10) Mantengo i nessi -pt- (Neptuno), -dv- (advien), -bd- (subditi) e -nstr(monstri);
11) Mantengo i prefissi alla latina con- (constante) e trans- (transportasse);
12) Mantengo et e ad davanti a vocale;
13) Trascrivo chel e sel come ch’el e s’el (se pron. soggetto) e che ’l e se ’l (se
articolo o pron. oggetto);
14) Riordino le maiuscole secondo l’uso moderno, oltre ad impiegarle
per i termini con valore metaforico evidentemente antonomastico
(Moro, Leon);
15) Trascrivo perché e poiché (con valore causale) e per che (con valore
consecutivo) e poi che (con valore temporale).
Nel quadro della poesia settentrionale a cavallo tra Quattro e
Cinquecento, le voci in qualche modo rilevanti che ci sono arrivate sono
effettivamente poche. Il bergamasco Guidotto Prestinari (1455-1527)1 non
rientra certo in questo novero, e tuttavia la lettura delle sue rime traballanti,
Decisamente carente la bibliografia dedicata al poeta: se ne occuparono per primi Carlo
Lochis (C. LOCHIS, Guidotto Prestinari e di un codice delle sue poesie, «Bergamo o sia notizie
patrie. Almanacco scientifico-artistico-letterario», LXXIII (1887), pp. 1-66), che riportò (interi
o a stralci, in edizione diplomatica) un buon numero di testi prestinariani, tra i quali anche
pressoché tutti quelli editi in questa sede, ed Elia Zerbini (E. ZERBINI, Di Guidotto Prestinari,
«Giornale storico della letteratura italiana», XI (1888), pp. 475-477), che contribuì a definire
gli estremi cronologici e diede qualche notizia biografica; su Guidotto cadde poi un silenzio
critico di quasi un secolo, finché non se ne occupò Giorgio Dilemmi in un articolo del 1976
(G. DILEMMI, Le rime di Guidotto Prestinari, «Studi di filologia italiana», 34 (1976), pp. 187248, ora confluito in G. DILEMMI, Dalle corti al Bembo, Bologna, Clueb, 2000), il primo studio
filologicamente rigoroso dedicato al poeta, corredato di un utile incipitario (la cui
numerazione si segue in questo studio) e dell’edizione di alcuni testi, e in un più recente
contributo (G. DILEMMI, Agli antipodi del Canzoniere: le Rime di Guidotto Prestinari, Varia
struttura di un libro d’autore, in «Liber», «fragmenta», «libellus» prima e dopo Petrarca, a c. di F. Lo
Monaco, L. C. Rossi, N. Scaffai, Firenze, Sismel - Edizioni del Galluzzo, 2006) che studia la
strutturazione interna del manoscritto.
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Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
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confinate in «una tradizione non certo massiccia o tentacolare»,2 ha il pregio
di calare il lettore odierno nel drammatico scenario in cui il loro autore si
trovò a barcamenarsi: vale a dire essere abitante di una città posta a due passi
dalla Milano sforzesca (e in seguito francese) che tuttavia rappresenta
l’estrema propaggine orientale della Serenissima, e tutto ciò nel contesto
storico delle prime Guerre d’Italia.
Nel canzoniere idiografo e autografo conservato alla Biblioteca
dell’Accademia Carrara di Bergamo (scatola 59, fasc. 536, precedentemente
Cartella X, fasc. 2), unico collettore significativo di rime di Prestinari,3 c’è di
tutto, com’era prassi nei poeti occasionali a quest’altezza cronologica: testi di
natura amorosa, ma anche storici, politici, filosofici, encomiastici, funerari,
religiosi, burleschi e di invettiva. Alla diffrazione tematica si accompagna,
prevedibilmente, anche una generale disorganicità del macrotesto, in cui
sembra di poter riconoscere il disegno di «un compatto tessuto amoroso»4
solo fino al son. 26 (su un totale di 174 testi più 9 di corrispondenti), dopo
di che il risultato è una messe inarticolata di testi della natura più varia, con
la rara comparsa di brevi sequenze coerenti, di solito riconoscibili attraverso
un nutrito numero di connessioni intertestuali. In sostanza, Guidotto aveva
verosimilmente accarezzato l’idea di condensare la propria esperienza lirica
in un canzoniere sul modello petrarchesco, ma per qualche motivo
l’operazione (per quanto possiamo sapere allo stato attuale delle cose) è
rimasta allo stadio iniziale, e quella che ci è arrivata non è che una semplice
raccolta di rime, o poco più.
Al di là di questo, comunque, si diceva che quanto importa in questa sede
è principalmente reperire lacerti di un contesto storico-geografico al limite;
per questo motivo, l’antologia di testi che propongo interessa esclusivamente
componimenti di natura storica, politica ed encomiastica. Volendo
cominciare secondo un criterio cronologico, sarà bene partire dagli anni che
precedono la caduta del Moro, nei quali Guidotto parrebbe legato
principalmente alla corte sforzesca: lo testimoniano i testi di corrispondenza
indirizzati a membri di detta corte, quali Gaspare Ambrogio Visconti, di cui
DILEMMI, Le rime cit., p. 99.
Per una recensio accurata si veda ivi, pp. 101-120.
4 DILEMMI, Agli antipodi cit., p. 241.
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Il Campiello – n° 1
fu anche maestro e coautore di un affettuoso scambio epistolare (63-64, poi
incluso anche da Gaspare Ambrogio nel suo personale canzoniere),5 e
Antonio Fileremo Fregoso, destinatario di un sonetto tardivo (172) in
occasione della pubblicazione della Cerva bianca (1510). Il rapporto che lega
Guidotto a Milano, non certo disinteressato, è documentato in una coppia di
sonetti encomiastici (32 e 48) dedicati a Ermes Sforza e allo stesso Ludovico.
Il primo, che ha come oggetto appunto il secondogenito (1470-1503) del
defunto Galeazzo Maria, parrebbe fondarsi su un genuino sentimento di
ottimismo nei riguardi del promettente rampollo della casata; di difficile
datazione, si potrebbe intendere nel v. 11 una stoccata nei confronti del
volgarizzamento landiniano (stampato, col titolo di Sforziada, da Antonio
Zarotto nel 1490) dei Commentarii rerum gestarum Francisci Sfortiae di Giovanni
Simonetta, già circolanti grazie alle due edizioni degli anni Ottanta (sempre
per Zarotto, 1481-82 e 1486). In questo senso disporremmo se non altro di
un terminus post quem, con quello ante quem facilmente situabile al 1494, anno
della morte di Gian Galeazzo e della definitiva presa di potere dello zio
Ludovico: in pratica, il sonetto andrebbe collocato nel quinquennio 1490-94.
Se invece Guidotto avesse genericamente inteso il «vulgar» come un
ipotetico termine di paragone peggiorativo, la forbice andrebbe di
conseguenza allargata fino a comprendere anche il decennio precedente.
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Al illustre Ermes Sforza
Sì furon le radici al stabil ferme,
ch’ancor vivendo sotto a verde scorza
rinova qual fenice il magior Sforza,
e pululando cresce il claro germe.
Questa casa real non fia più inerme,
ché di gloria e valor più ognor s’inforza;
GASPARO VISCONTI, I Canzonieri per Beatrice d’Este e per Bianca Maria Sforza, ed. critica a c. di
P. Bongrani, Milano, Il Saggiatore, Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, 1979,
CXXVII-CXXXIII, pp. 93-98.
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Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
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nè fia mai spenta lucida sua torza,
ma ascende di virtù sin al ciel Erme.
Goda, sì, goda quel divin Francisco,
cui trionfo si canta in mille carte,
non con vulgar, ma con stil alto e prisco;
ché per costui s’extolle in ogni parte
e si risviglia il gran stuolo sforcisco,
cui sol bel nome altiero accende Marte.
All’insistito riferimento al capostipite della dinastia fa da contraltare la
totale assenza del nome di Ludovico, che pure di Francesco I era figlio, e che
pure dal 1480 deteneva il potere de facto alle spalle del giovane Gian
Galeazzo. Quanto il Moro fosse inviso a Guidotto sarà chiarissimo nei testi
che seguiranno cronologicamente la sua caduta, ma che il rapporto non
fosse amichevole si può dedurre anche dal sonetto che il bergamasco non
poté esimersi dal confezionare in occasione della presa di potere di Ludovico
(stavolta de iure) nel 1494:
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A lo illustre Moro, Guidotto Prestinari
Or sei pur gionto al destinato scanno
che da’ primi anni ti predisse Sforza;
et ora il Moro altier rinova scorza
al fruttar più felice e fertil anno.
Prosperi e venti a ben in meglio vanno,
e ’l legno in alto mar più ognor s’inforza,
dritto senza alternar poggia con orza,
sicuro di Fortuna e d’ogni affanno.
Adonque, mentre sei destro su l’ale,
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Il Campiello – n° 1
segui il tuo buon destino, e qui memoria
trionfal restarà di te immortale,
ché di qualunque impresa alta victoria
reportar dei, ché d’ordine fatale
propizio il Ciel ti chiama a magior gloria.
Poco più di un ossequio, apparentemente, e dall’insistito riferimento al
fato (destinato, buon destino, ordine fatale) parrebbe che Guidotto più che gioire
dell’evento se ne voglia fare una ragione. Nella fronte si presenta Ludovico
nel suo nuovo ruolo con una metafora vegetale (il moro è il gelso) diffusa
nei poeti di quella corte (cfr. p.e. VISCONTI, Pasitea, 23-24 «sotto un Moro a
l’ombra/che di sua fama tutto il mondo ingombra» o BELLINCIONI,
Ripresentazione di Pavia, 6, 8 «di manna un boticel sotto a un Moro») e si fa
riferimento alle circostanze politiche contemporanee («a ben in meglio
vanno»: forse si allude alla coincidenza favorevole tra l’alleanza con Carlo
VIII e la morte di Gian Galeazzo in poco più di un mese); la sirma invece è
deputata - in modo abbastanza didascalico - ad augurare al Moro il miglior
governo possibile. Da notare l’impiego in entrambi i sonetti della rima in orza, con ben tre parole-rima in comune (scorza : Sforza : inforza), peraltro già
petrarchesche (RVF 278), coincidenza comunque imputabile più ad un
repertorio metrico tendenzialmente povero che a una precisa scelta di natura
stilistica.
Un moto di orgoglio, per la verità, traspare in modo abbastanza evidente
in un sonetto tronco (72) scritto in seguito alla battaglia di Fornovo (1495):
72
Guidotto Prestinari, 1495
Ecco ch’el Gal gridar non s’ode più,
ch’ensuperbito già tal mossa fé;
or spenachiato d’ale e coda c’è,
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
19
e la gran voce gli è caduta giù.
Non so se al rivolar sì l’ale su
seran come fu in giù veloce il pè;
il lui subito gir tal esser dé
qual temerario ardir di Xerse fu.
Dal italico ardor fuger non può,
ché svigliarassi, anci svigliato è già
novo Camillo, antico flagel suo.
Chi senza freno scorre, e ben non ha
risguardo fermo a ciò che seguir può,
nel proprio lazo alfin gabato va.
L’entusiasmo di Guidotto per la vittoria conseguita sul Gal dalla lega
costituita da Milano e Venezia, comunque, doveva principalmente derivare,
più che dalla compresenza di Ludovico, dall’ingresso in campo della
Serenissima, il novo Camillo del v. 11 (Marco Furio Camillo, che sconfisse i
Galli dopo il sacco di Roma del 390 a.C.). Rimarchevole, comunque, il
riferimento all’italico ardor, sentimento non comune in un momento storico
in cui le forze interne della penisola entravano spesso in conflitto tra loro.
Proprio per questo, in effetti, era necessario optare per una potenza in cui
riporre la propria lealtà, e alla definitiva scelta di Venezia sono dedicati
quattro sonetti posti in posizione immediatamente successiva a quello
appena riportato (76-77-80-81), solo uno (80) dei quali riporta in rubrica
un’indicazione temporale; in ogni caso, l’intero gruppo pare ascrivibile al
periodo del secondo conflitto, quando si ribaltarono le alleanze e Venezia
fornì supporto al nuovo sovrano francese Luigi XII per porre fine alla
dominazione sforzesca.
20
76
G. P.
Driza il gran Gallo l’alta cresta or su,
e con gran voce gallizando va;
e tremebondo in sé racolto sta
il fiero Serpe, che non fischia più,
ma con il capo chino a terra giù,
l’orechie agucia atento: a ciò si fa
ch’altro reffugio al suo languir non ha
ch’en pensar qual sarà, qual è, qual fu.
Or, se una parte di la coda gli è
tronca dal Gallo sol col grido suo,
senza in lui mover pur sol ala o pè,
che serà se ’l Leon, che tanto può,
stende sue forze contra? Certo cre’,
non li fia tempo dir nè sì nè no.
77
G. P.
Il Leon, ripossato, or pur si desta
dal longo sonno, e fieramente rugge,
ché pargli ormai ch’el ferir tropo indugge
squassando l’ale e la lanosa testa;
e le gran branche adunche e ’l morso asesta,
tal che tremando il squalido Angue lugge,
e fischiando a sé stesso il sangue sugge,
ché ’l mondo, la Fortuna e ’l Ciel l’infesta.
Il Campiello – n° 1
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
Memore l’alto Re del tempo aretro,
tanta superbia più non vol su saglia,
donde l’expulse già giù al loco tetro,
ma vòl che contra lui san Marco or vaglia:
et a tal fin n’advien chi fuor di metro
s’extolle, e nulla par d’altrui gli caglia.
80
G. P. nel ritorno dil Moro a Milano
Tronco di coda, il lubrico Colubro
sgombrò qual stral scocato di balestra,
sé nascondendo in una tomba alpestra
per ristorar il caso suo lugubro.
Or, ritornato al bel paese insubro,
scorre qual caval sciolto di capestra;
se gli fia puoi, non so, Fortuna destra
o come a Pharaon già nel mar Rubro;
cre’ che la cieca sol gli ha aperto il passo,
mostrandogli a l’entrar esser propizia
per farlo al fin di coda e capo casso,
ché vol, come fe’ già l’alta iustizia,
precipite getarlo ancor giù al basso,
ché intorno di venen l’aer avizia.
21
22
Il Campiello – n° 1
81
G. P.
Svigliasi a l’arme il furibondo Marte,
e giù da l’alto suo soggiorno piomba,
e l’orribil suo strido ormai ribomba
a la bataglia quinci in ogni parte;
e ’l fabro scicilian mai non si parte,
con fier ministri suoi, da l’atra tomba,
ma par più ognor che a la focina incomba,
’doprando a far sagette ingegno et arte.
Bolle la terra e ’l mar a varco a varco,
e Bellona s’accinge ad aspra guerra
l’atroce spada, il scudo, e’ strali e l’arco;
e tutto ciò commove il Ciel in Terra
solo per che si facia al fin san Marco
trionfator di quanto Italia serra.
Il primo sonetto, di cui va rilevata - come per il precedente - la
particolarità di essere tronco,6 riprende anche la metafora animale del Gal,
qui estendendola anche agli altri due attori della scena bellica: il fiero Serpe
Ludovico, per la vipera viscontea mantenuta sullo stemma sforzesco, e il
Leon di san Marco. Il testo parrebbe alludere alla precipitosa fuga verso
Innsbruck del duca in seguito alla caduta di Milano (settembre 1499). Il
La sperimentazione metrica è uno degli elementi più interessanti del manoscritto che ci è
pervenuto: per un totale di 174 componimenti ci sono 8 sonetti caudati, 12 tronchi e 15
sdruccioli, cui vanno aggiunti due capitoli pastorali sdruccioli di discreta estensione (144 di
208 versi e 156 di 130).
6
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
23
dileggio di Guidotto è qui evidentemente sfrontato, visto che non solo si
limita a far riferimento alla facilità con cui i Francesi hanno costretto il duca
a battere in ritirata («senza in lui mover pur sol ala o pè»), ma aggiunge pure
che un potenziale intervento veneziano non gli lascerebbe scampo («non li
fia in tempo dir nè sì, nè no») qualora dovesse decidere di rientrare nel
conflitto; premonizione, del resto, che puntualmente si avverò l’anno
successivo.
Lo stesso Leone è protagonista del sonetto successivo, nel quale è ritratto
come principale antagonista del Serpente, che da fiero è qui degradato a
squalido. Il testo costituisce la naturale prosecuzione del precedente, in cui
l’intervento veneziano era solo auspicato; qui, al contrario, la Serenissima
dispiega il proprio potere militare contro lo Sforza («fieramente rugge», di
petrarchesca memoria: cfr. RVF 256, 7 «e ’n sul cor quasi fiero leon rugge»),
che ormai ha perso ogni supporto («ché ’l mondo, la Fortuna e ’l Ciel
l’infesta»): da notare come Fortuna e Ciel fossero parole-chiave anche nel già
visto sonetto 48, rispetto al quale - a questo punto - è mutato ogni buon
proposito. A sancire poi il disprezzo dell’autore interviene, nella prima
terzina, addirittura il riferimento biblico (Gen. 3, 14-15) al serpente cacciato
al «loco tetro» (stavolta con dantismo, cfr. If. VII, 31 e le stesse rime a retro :
tetro : metro).
Il terzo sonetto della corona, agevolmente databile ai primi mesi del 1500
grazie alla rubrica, affronta il brevissimo recupero della città da parte del
Moro, miseramente fallito il 10 aprile quando venne fatto prigioniero dai
francesi a Novara. Guidotto recupera l’immagine del serpente «tronco di
coda» già impiegata nel son. 76 (vv. 9-10: «coda […] tronca»), quando
Ludovico era stato costretto alla fuga in Austria (la «valle alpestra») dalla
calata di Luigi XII. Allo stesso modo, si vede come viene ripresentato il
trittico del testo precedente mondo-Fortuna-Ciel, sempre nella sirma: la
Fortuna è «la cieca» che ha reso apparentemente agevole il rientro del duca a
Milano, ma solo «per farlo alfin di coda e capo casso», ossia per finirlo,
24
Il Campiello – n° 1
compito che a quanto pare spetterebbe a Venezia (76, 12-13: «che serà se ’l
Leon, che tanto può/stende sue forze contra?»); il Ciel è l’«l’alta iustitia» di
Dio («l’alto Re» di 77, 9), la spinta provvidenziale verso la definitiva caduta
del Moro, che di nuovo (77, 11: «donde l’expulse già giù al loco tetro»)
rigetta la superbia di Ludovico, e si adopera per «precipite getarlo ancor giù
al basso»; il mondo, infine, è nell’explicit, ed è reso malsano dalla presenza del
duca, che «di venen l’aer avizia». Rilevante, poi, come al rimando biblico
della cacciata del serpente se ne vada ad aggiungere qui un altro, ossia
l’episodio del mar Rosso che si richiude sull’esercito egiziano (Es. 14, 26-28);
ma già Dilemmi, a questo proposito, aveva notato come in Prestinari «i testi
biblici ed evangelici si piegano a repertorio di figure e fatti memorabili».7
Il sonetto che chiude la micro-sequenza è anche quello più difficilmente
riconducibile ad un episodio o periodo particolare, dati gli elementi
abbastanza generici del suo contenuto; sembra comunque ragionevole
supporre che il conflitto cui si fa riferimento (con il triplice ricordo di Marte,
Vulcano e Bellona) sia lo stesso a cui sono dedicati i tre testi precedenti. Va
registrata la nota positiva dell’ultima quartina, in cui si profetizza una vittoria
veneziana dai toni provvidenziali; ed effettivamente la Serenissima uscì dalla
guerra arricchita dei territori ricevuti dal re francese in cambio dell’appoggio
nel trattato anti-sforzesco.
Sfortunatamente, nel giro di pochi anni il precario equilibrio delle alleanze
interne ed esterne alla penisola portarono Venezia a trovarsi isolata contro
tutte le potenze italiane e straniere nel 1508 (accordo di Cambrai). Della
disastrosa situazione è specchio una canzone di Guidotto dell’anno
successivo all’accordo (come registrato dalla rubrica), quando la repubblica
vide i propri territori in terraferma passare progressivamente sotto il
controllo nemico.
7
DILEMMI, Le Rime cit., p. 99.
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
25
145
Yesus. Consolatoria di Guidoto di’ Pristinari, citadino di Bergomo, a’ Veniziani per
la rotta del campo suo a Triviglio, e perso tutta terra ferma fin ad Trevigi, de anno 1509
Venezia mia, ben ch’io mi veggia indegno
di alcun consiglio o di arricordo darte,
ché mal pò dar chi d’ogni valor manca;
pur in me sviglia Amor sì ingegno et arte
che mi stringe a mostrar, per qualche segno,
mia servitù che in te non mai fia stanca;
che sola a dir, et a scriver m’affranca
con gran baldanza, onde s’io forsi troppo
fallassi in presunzion, facia ei mia scusa,
e se mia voglia accesa, in ciò mal usa,
me transportasse a qualche duro intoppo
col stil debil e zoppo,
conoscer dei che questo sol procede
da un cor non finto, e da immutabil fede.
Se avessi un stil di accomodate rime,
come si converrebbe a la gran doglia,
per me concetta, di tua iniqua sorte,
fareiti udirla in me più che si soglia
udir, in cui più di doler s’estime,
poco lontana da l’orribil morte;
e se non, ché pur par che mi conforte
che variando suo corso il fier destino
debba sortir ancor miglior fortuna,
nè rinovarsi volte tre la Luna
che facia ribombar ogni confino
tuo nome pellegrino,
26
creggio che già sarei di vita privo,
ma questa speme sola mi tien vivo.
Su adunque, ormai, non ne tener più in forse,
ma ad un raccogli le fiorite genti
spiegando ancora l’alto tuo vessillo,
sì che liete ne fian le fidel menti,
cui voler mai altrove non si torse
sol te attendendo qual novo Camillo;
nè fia l’animo lor giamai tranquillo,
fin che non veggian da benigna stella
qualche prospero influsso a tuo soccorso,
per cui si venga a puor sì forte morso
che volga indietro la crudel procella,
e s’oda la novella
che tu sia risalita al grado primo
et a maggior, sì com’io dritto istimo.
Riconcigliatti ben prima con Dio
tenendo gli toi casti in religione,
e ben purgati d’ogni menda ria,
e ti sia soprattutto la magione
di Lui ricomandata, e ’l tuo desio
pronto sempre a serbar ogn’opra pia;
che ti fia questa più libera via
di poter poi, sicura, prender l’arme,
e vincitrice uscir d’ogni alta impresa,
cussì che chi verrà tieco a contesa
e con copioso stol contra te s’arme
sentirà tristo carme;
ché essendo Dio per te, chi te fia contra?
Il Campiello – n° 1
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
E se pur fia, sarà qual pesce a lontra.
Rinova in te la cortesia primiera,
sgombrando l’avarizia et ogni orgoglio,
con dismisura ch’alti stati abbassa,
e fa’ salir giustizia al primo soglio,
carità riducendo ancor qual era,
ché senza lei virtù qualunque è cassa;
nè mai fa’ che ti trovi stanca o lassa
le liti a terminar, con un fin presto,
che i subditi ciò in fede e in amor tiene:
onde che avinti con sode catene
gli terrai, se in ciò il cor sempre avrai desto,
ponendovi un tal sesto
che l’oprar tuo fia in terra e in ciel laudato,
e vederai più ognor ampliarti il Stato.
Con tal proponimento allarga il freno
sicuramente a l’ordinate squadre,
cortese aprendo il rico tuo tesoro,
et uscir ne vedrai prove leggiadre,
volgendo a te suo sguardo il ciel sereno
benignamente dal supremo coro;
ché, cangiando vicenda, un tal ristoro,
per quel ch’io scerna, ancor dar ti promette
che fia maggior assai di quel che hai perso;
e ben che alor ti fusse alquanto averso,
non fian però sue grazie a te interdette:
ma fel sol perché elette
le conosca da Lui, ch’ogni ben dona,
e non già per virtù d’altra persona.
27
28
Non pensar che un tal caso il summo Giove
mai permettesse a tua total ruina,
ma per darte di sé qualche arricordo
che, benché ascesa fussi in gran regina,
solo il credessi Re che tutto move,
et a cui dar e tuor sta, e parco e ingordo;
o forsi (e mei con tal pensier m’accordo)
che ’l fruttar mei notassi de toi greggi,
qual d’apprezzar e qual da non far conto:
ché, se mai più aggiongessi a simil ponto,
tu sappia da immandrar qual che tu aggreggi
e qual che tu dispreggi,
ne sia più a disgreggiar qual fusti or orba,
ché per un rio sovente un gregge ammorba.
Or su, che fia in favore ogni pianeta,
invita i passi ove il fato ti chiama,
svigliando arditamente il tuo valore,
e vieni a chi t’aspetta e tanto brama,
ché nullo - come sai - tuo venir vieta,
ma stan nemici non senza terrore,
ché acquistarai vettoria con più onore
che non avresti se stato propizio
ti fusse Marte ne la prima zuffa;
per che dirassi: «Ancor che fatto truffa
gli abbiano i suoi fra piciol interstizio,
fuor del comun giudizio
s’è ancor riffatta, e con maggior possanza,
et ha cacciati i suoi nemici in Franza».
Il Campiello – n° 1
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
29
Canzon, vedrai in un sublime trono,
colei che sòl dar legge a tutto il mondo,
e spero ancor darà più che mai desse.
Dille che a l’alta ispedizion s’appresse,
sì che a l’Itaglia levi il grave pondo,
che è per tuffarla al fondo
se ’l suo soccorso ratto non le rende,
ché vita e morte sol da lei depende.
La canzone si apre fin dall’incipit nel segno di Petrarca (RVF 128, 1 «Italia
mia, benché ’l parlar sia indarno»; ma la memoria probabilmente andava
anche al Dante di Pg. VI, 127 «Fiorenza mia, ben puoi esser contenta»), che
fornisce anche lo schema metrico su cui è costruita, identico a RVF 53
(rispetto alla quale però Guidotto aggiunge una stanza). Entrambi i richiami
sono poi anche di natura contenutistica: Spirto gentil è destinata a una figura
del partito filo-colonnese nella lotta tra le famiglie romane (vv. 71-73: «Orsi,
lupi, leoni, aquile et serpi/ad una gran marmorëa colomna/fanno noia
sovente»), immagine che nel bergamasco ha la sua corrispondenza in
Venezia contro il resto delle potenze italiane ed europee: corrispondenza
rimarcata nel congedo, evidentemente architettato su quello petrarchesco.8
Anche Italia mia, per il resto, è canzone riferita ad un conflitto tra signori
dell’area lombardo-padana (benché la critica sia rivolta principalmente
all’impiego di mercenari tedeschi), ed è quindi evidente il gioco di richiami
messo in versi da Guidotto.
S’è visto dunque, nei testi riportati fino a questo momento, come
Prestinari avesse ben chiaro da che parte stesse la propria lealtà nel quadro
8 RVF 53, 99-106 «Sopra 'l monte Tarpeio, canzon, vedrai/un cavalier, ch'Italia tutta
honora,/pensoso piú d' altrui che di se stesso./Digli: Un che non ti vide anchor da
presso,/se non come per fama huom s' innamora,/dice che Roma ognora/con gli occhi di
dolor bagnati et molli/ti chier mercé da tutti sette i colli».
30
Il Campiello – n° 1
politico italiano, una lealtà che viene mantenuta anche nel momento di
massima crisi per la Serenissima. C’è, tuttavia, un secondo polo del
canzoniere in cui la fedeltà politica del poeta viene a fondersi con un
genuino sentimento di affetto: Bergamo. La città natale di Guidotto occupa
senz’altro una posizione di assoluto rilievo nel cuore del bergamasco, che
infatti le dedica testi non solo di fedeltà e di incoraggiamento, ma anche di
severa critica dei costumi, come in un sonetto posto in apertura alla raccolta.
3
In urbem Bergomum, G. P.
Miserabil cità, dove sei gionta?
A sì calamitoso et infelice
Stato, che durtà sol parlar ne lice,
E chi ben opra scende, e mal sormonta.
Crudel etade, a che ti fai sì pronta,
Al mal propizia, al ben persecutrice?
Deh cangia stile, e fatte ormai felice,
E monstra a ben servire e scordar l’onta!
Temp’ è ben d’adulcir le fiere voglie,
E d’amorzar ormai l’accesa vampa
Che dil salir al Ciel par che ne spoglie,
E ridur nostra vita a meglior stampa,
Fin che ’l spirto sustien le fragil spoglie
E che in noi luce ancor celeste lampa.
Naturalmente, alla pars destruens costituita dal severo giudizio cui è
consacrata la fronte corrisponde anche una sirma construens, con un genuino
invito rivolto alla miserabil cità a riscuotersi dal decadimento che l’atterra e a
perseguire piuttosto il bene; il sonetto è stato anche riportato da Lochis, che
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
31
più che una critica di natura morale preferisce leggervi un lamento politico.9
Va segnalato inoltre che il sonetto è acrostico, per quanto il significato della
frase che si viene a comporre rimanga abbastanza oscuro: «Ma se cadete c’è
fe’», forse da interpretare con la speranza che i cittadini, una volta toccato il
fondo dell’abisso morale verso cui pericolosamente tendono, troveranno la
forza di risollevarsi.
Gli stessi toni sono riscontrabili in un sonetto tronco, come il precedente
indirizzato alla città fin dalla rubrica:
51
A la città di Bergomo, Guidoto Pristinaro
Pratica ognun non so qual porà più:
l’un dice: «Quel è buon, quel val, quel può»,
l’altro: «Questo è miglior», quel: «No no no,
ché egli non gli era e ’l patre rebel fu».
Stannosi attenti con l’orechie su,
aspettando ciascun si facia il suo,
nè più si sguarda al danno come al pro,
ove ogni cosa cade a terra giù.
Ahi patria dolce, vedi come va
il tuo governo, ch’ogi in te non è
sol ben, ché quel non vol, l’altro non sa;
se non ti reffa quel che pria ti fé,
certo il tuo stato a gran pericol sta,
ché più non regna carità nì fé.
LOCHIS, Guidotto Prestinari cit., p. 22: «E veramente erano ben tristi quei tempi per la nostra
città; poiché essa in pochi anni mutò padroni un’infinità di volte e vide il suo territorio
corso e devastato da masnade svizzere, spagnuole, tedesche e francesi».
9
32
Il Campiello – n° 1
Qui la critica a Bergamo è indirizzata ad un’evidente inerzia decisionale
(«ché quel non vol, l’altro non sa»), e in merito va segnalata la prima quartina
per il vivace discorso diretto. Ma anche qui, comunque, è ribadito nella sirma
l’auspicio che la situazione venga raddrizzata quanto prima, o la città correrà
seri pericoli; significativo, poi, che in chiusura venga ripreso il motivo
religioso, e in particolare la carità già vista in 145, 61 («carità riducendo ancor
qual era») nella parte della canzone dedicata alle vie da percorrere per uscire
dalla situazione critica.
Tre testi più avanti il poeta pone un sonetto caudato estremamente
enigmatico, quasi alla burchia, uno dei pochissimi testi di Guidotto ad aver
suscitato l’interesse degli studiosi (a causa, come vedremo, del destinatario).
54
Domino Leonardo presbytero florentino, G. P.
Poni per cui si fiuta ove si trulla
a’ bergamaschi, e intenderai luor schermi;
e tien’ a doi de trei ben gli ochi fermi,
e ’l sapor gustarai di la medulla;
sin che Valcava t’hebbi u’ si transtulla
fra quelli boschi solitarii et hermi,
per varii monstri e mille strani vermi
fusti balordo, et ancor posto in culla.
Non so se sei fadapio o sterco in petto,
che ritener ti puossa e poggia et orza,
con penna in man a scriver per diletto;
e quando il gran Neptuno l’ira smorza
a doprar l’ongie alora, a far giubetto
de’ tuoi compagni se ti fesser forza;
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
33
ché pur sol di la scorza
rico saresti da far fodre a veste,
et opra sempre aresti sin le feste.
Nell’interpretazione puntuale della lettera evito di addentrarmi, tanto il
testo è oscuro: parrebbe, tuttavia, possibile ricavare da alcuni elementi («fusti
balordo», «Non so se sei fadapio o sterco in petto») un generale
atteggiamento di scherno nei confronti del destinatario, e che tale scherno
possa essere motivato dalla provenienza geografica (considerato il
riferimento ai bergamaschi nella prima quartina). Ho scritto prima che il
sonetto è uno dei pochi a risultare citato in un discreto numero di studi, e il
fatto è principalmente dovuto a un’errata identificazione del destinatario; più
d’uno, infatti, ha voluto riconoscere il Leonardo florentino in Leonardo da
Vinci, che in effetti nel torno d’anni in cui Guidotto scriveva si trovava a
Milano alla corte del Moro. Il fraintendimento, per quanto è dato sapere,
risale a un errore tardo-ottocentesco nello scioglimento dell’abbreviazione
(“pbro” con “b” titulata, in effetti di difficile lettura) posta nel manoscritto
tra i due termini: errore probabilmente psicologico, nel senso che si è voluto
mettere Leonardo da Vinci dove effettivamente non c’era allo scopo di dare
maggior peso specifico alla produzione di Guidotto per la presenza di un
destinatario illustre. Il peccato originale fu di Gustavo Uzielli,10 che volle
sciogliere in PHO (a intendere philosopho) in uno studio dedicato a Leonardo
da Vinci, nonostante una decina di anni prima già Lochis11 avesse rinunciato,
G. UZIELLI, Ricerche intorno a Leonardo da Vinci, Torino, Loescher, 1896, p. 520.
C. LOCHIS, Guidotto Prestinari cit., pp. 43-44: «ma tra il nome Leonardo e florentino vi è
un’altra parola abbreviata, che non abbiamo potuto leggere: forse significa patritio o forse
petro. Quel nome di Leonardo ci fece subito balenare l’idea che il nostro Prestinari avesse
diretto la sua poesia al gran Leonardo da Vinci […] Ma la lettura del Sonetto, che per la
sostanza e per la forma non si capisce come possa riferirsi a quel grand’uomo, ci persuase
ad abbandonare tale pensiero: e lo facemmo proprio con dispiacere, perché sarebbe stato
interessante l’aver potuto trovare una relazione tra il nostro poeta e il celebre artista
10
11
34
Il Campiello – n° 1
a malincuore, alla prestigiosa identificazione, preferendo leggere un più
cauto «patritio o forse petro». L’errore di Uzielli venne ripetuto in seguito da
Angelo Mazzi12 in un articolo sul rapporto tra Leonardo e l’area bergamasca,
che riprendendo il sonetto dal predecessore sciolse direttamente PHO in
filosofo, e Luca Beltrami,13 che invece mantenne l’abbreviazione; infine, la
svista è sopravvissuta fino ad anni molto più vicini a noi, dato che il sonetto
è riportato (con PHO nella rubrica) anche nella monografia su Leonardo di
Carlo Vecce.14 Per quanto mi riguarda, condivido senza dubbio la lettura
presbytero di Giorgio Dilemmi,15 peraltro confermata rapidamente da una
scorsa al Cappelli.16 Chi sia dunque il religioso fiorentino schernito da
Guidotto rimane un mistero; quanto conta è stabilire che non si tratta di
Leonardo da Vinci, che certo gli ordini non li prese mai.
L’ultimo testo che riporto conclude anche la micro-sezione su Bergamo,
essendo una canzone rivolta alla città, come specificato dalla rubrica, in un
momento storico di crisi.
138
A la patria sua di Bergomo posta quasi in assidio da nemici. Guidoto Pristinaro
Patria dolce, non senza gran dolore
mi trovo quand’io penso
a le calamitati ove or sei avolta,
fiorentino»; prudenza, quella di Lochis, non condivisa da chi l’ha succeduto, evidentemente
entusiasmato all’idea di aver trovato una simile «relazione».
12 A. MAZZI, Schizzi di Leonardo da Vinci riguardanti il territorio bergamasco, «Bollettino della
civica biblioteca di Bergamo», VII, 2, 1913, pp. 45-82).
13 L. BELTRAMI, Documenti e memorie reguardanti la vita e le opere de Leonardo da Vinci, Milano,
Treves, 1919, p. 208.
14 C. VECCE, Leonardo, Roma, Salerno, 1998, p. 131.
15 DILEMMI, Le Rime cit., p. 104.
16 A. CAPPELLI, Dizionario di abbreviature latine ed italiane, Milano, Hoepli, 1912, p. 263.
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
ché già solevi a l’altre puor terrore
con puoter alto e ’mmenso,
et or ogni virtù par ti sia tolta.
Risvigliati una volta
a chi t’han fatto e fanno tanto oltraggio,
col cuor ardito e saggio,
rimembrandoti gli altri tempi e danni,
vindica l’onte de’ presenti affanni!
Dov’è il saper? ove il consiglio antico
de gli ecelsi tuoi Padri,
la magnanimità, l’ingegno e l’arte?
Ove il valor, d’ogni viltà nemico,
de quei spirti legiadri
che te tenean famosa in ogni parte?
E ’l bellicoso Marte
che ti suol esser già propitio tanto?
Extincto è ’l primo vanto,
in gran procella senza guida e scorta,
et in te ogni speranza è quasi morta.
Non ti smarir, ma ognor più ferma e salda,
con grande e constante animo,
ché sai che sei già stata a pegior porto;
dal pigro gielo or ti riscote e scalda,
ché quel forte e magnanimo
chi te diffese già non è ancor morto.
Non longi è ’l tuo conforto
che ti vien a sgombrar tanta paura;
adunque t’assicura,
ché sai che l’acqua, la tempesta e ’l vento
35
36
sovente abonda, e scema in un momento.
La fideltate ogn’altra dote avanza,
ma nulla o poco giova
chi non l’adopra ne le cose adverse;
la prudenzia de l’omo, e la constanza
alor si vede, e prova
quando prosperità sono sommerse.
Se ’l ti rimembra Xerse,
con grande impeto e furia in Grecia venne,
ma presto gli convenne
con gran vergogna e clade fuggir vinto,
lasciando il campo quasi tutto istinto.
Se non afferma chi molesta altrui,
e tal comincia assalto
ch’è superato ne l’istremo ponto,
scioco, fuor di se stesso è ben colui
che per volar troppo alto
precipite nel mar si trova gionto;
chi crede di far conto
senza l’oste, sovente il fa due volte,
cussì a le genti stolte
avenirà del temerario ardire,
e cadran sopra lor le Furie dire.
Fra tutte l’altre vai col capo altiero,
ché insino al cielo tocchi,
magnifica, superba e trionfante,
tal che qua giù non è verun guerrero,
con quanti artiglii scocchi,
Il Campiello – n° 1
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
ch’a pigliarte per forza sia bastante;
nullo fia sì arrogante
che te ispugnar, se fe’ si serba, ardisca,
e chi salir s’arrisca
tant’alto ove altri mai non fecer prove,
gli scontrerà come a’ giganti Giove.
Non ti curar, quantunque tutte intorno
ti fian le membra oppresse,
pur che la testa invitta si conserbe;
ma ricerca ben dentro al tuo soggiorno,
non aspettar le presse,
come già festi ne le guerre acerbe;
e sterpa le mal erbe
che non san mai fruttar in tutto l’anno,
e i tarli che non fanno
che roder sempre, e ’l morso lor non dorme
cercando ogn’altro trar a sé conforme.
Fa’ che toi figlii sian uniti insieme,
scordandosi l’offese
con un eguale amor e una sol voglia,
sì che a guardarsi indietro alcun non treme
venendosi a le prese
contr’a’ nemici quando ti fan doglia;
nulla fia che ti toglia,
serbando ciò, gli vettoriosi onori,
e vedran toi signori
che stata sei fidel sin al essizio
guidardonando il tuo leal servizio.
37
38
Non è svigliato ancor, ma s’el si desta,
l’aligero Leone
che sbigottisce ogni animal terreno,
solo squassando la lanosa testa
e l’Aquila e ’l Dragone
farà tremar morzando il fier veneno;
e vedrai poner freno
a’ barbari che entraro a sì gran corso,
e, fiacato il lor dorso,
in breve tempo per qualunque varco
non altro s’udirà che «Marco! Marco!».
Non è chi possa contra al stabil trono
del sublime senato,
al cui vessillo e terra e mar s’inchina;
ché men potenti fur di ciò che or sono,
e di minore stato,
nè però furon spinti a la marina;
ma a’ nemici la schina
fer più volte voltar senza ristoro.
Or, c’han più impero et oro,
cre’ che terran tutta l’Itaglia in briglia,
e sarai tu la più diletta figlia.
Canzon, in alto colle
una città vedrai turbata in vista,
tutta pensosa, e trista;
dille che viva lieta, e non pavente,
insino a tanto che san Marco sente.
Il Campiello – n° 1
Pezzè – Guidotto Prestinari, poeta di confine
39
La canzone riprende lo schema metrico da Che debb’io far? (RVF 268), il
planctus per la morte di Laura; evidente, dunque, che rispetto all’altra canzone
riportata qui Guidotto impiega la fonte soltanto da un punto di vista
stilistico (è da registrare l’aggiunta, inoltre, di tre stanze). Come noto fin dalla
rubrica, il contenuto articola una consolatoria rivolta alla patria dolce (iunctura
anche in 51, 9), che non scivola nel patetismo ma incita da subito alla
riscossa contro i nemici: «l’Aquila e ’l Dragone», ancora secondo la
consolidata metafora animale, vale a dire Massimiliano I e Massimiliano
Sforza, il figlio del Moro artefice - con l’omonimo imperatore - di
un’effimera riconquista del ducato milanese tra il 1512 e il 1515. Manca
naturalmente il Gallo, che in quest’occasione si trovava alleato del Leone
veneziano, di cui ancora una volta viene auspicato l’intervento; e l’intervento
ci sarà, quando le truppe francesi e venete riprenderanno l’area lombarda e
restaureranno il dominio transalpino sul ducato, lasciando che Bergamo
rientrasse definitivamente fra i territori della Serenissima.
Il 1515, dunque, è l’anno che segna, oltre alla conclusione di un ventennio
terribile per il capoluogo orobico, il momento in cui possiamo presumere
che Guidotto (ormai sessantenne) abbia deciso di abbandonare la tematica
storico-politica - e al 1515 è datato un sonetto (103) dedicato al podestà di
Bergamo Domenico Contarini dai toni decisamente entusiastici - e di
dedicarsi alla produzione religiosa di cui abbonda l’ultima sezione del
manoscritto. I pochi testi che ho riportato non permettono, ovviamente,
alcuna considerazione di poetica; ma, a mio avviso, tratteggiano una
panoramica abbastanza chiara di quello che - come ho scritto all’inizio di
questo contributo - voleva dire essere un suddito della Serenissima in una
posizione geografica di frontiera, durante il periodo storico più
incandescente dell’intero Rinascimento.
Massimiliano Simone
Tra animato e inanimato. Figure di eroine nella Venezia
Incognita
Con la pubblicazione, nel 1633, della Galeria delle donne celebri1, ad
opera di Francesco Pona, a Venezia si assiste a un rinnovato interesse verso
alcune figure di eroine riprese dalla storia antica. Nel corso del Seicento,
nella Serenissima, le descrizioni riservate a donne ‘esemplari’ trovano un
terreno fertile per la propria fortuna presso letterati ma anche artisti
strettamente legati all’Accademia degli Incogniti, attraverso una compulsiva
produzione pittorica per committenti privati. Una simile attenzione verso la
figura femminile si era manifestata nel Boccaccio, ma anche nelle opere di
altri autori stampate a partire dalla fine del Quattrocento. Particolarmente
interessante risulta, però, il ‘caso incognito’ per la riflessione che si innesta sul
ruolo e sul valore della donna, alla luce dei discorsi che si tenevano in
accademia, generatori, talvolta, del risentimento da parte delle ammesse a
prendervi parte (caso eccezionale per l’epoca) in qualità di ascoltatrici e
autrici2.
A partire da questo circolo culturale il dibattito si evolve e si modula
secondo schemi narrativi e stilemi che toccano temi e conducono a
riflessioni dicotomiche. Si evidenziano inflessioni fortemente misogine
associate a vere e proprie esaltazioni del gentil sesso, sia attraverso un sensuale
indugiare sulla bellezza del corpo femminile, sia tramite l’esaltazione di
alcune eroine che vantano un’anima virile ingabbiata in un « petto di donna3 ».
Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Brescia, Bartolomeo Fontana, 1633.
Gli Incogniti vantavano tra le ascoltatrici Elena Lucrezia Cornaro Piscopia, Arcangela
Tarabotti, Zenobia Porto, la letterata Sara Copia, la cantante Barbara Strozzi e la pittrice
Artemisia Gentileschi. Cfr. Monica MIATO, L’Accademia degli Incogniti di Giovan
Francesco Loredan. Venezia 1630-1661, Firenze, Leo S. Olschki Editore, 1998, p. 107-113.
3 Si fa riferimento alla figura di Lucrezia: cfr. Giovan Francesco LOREDANO, Degli scherzi
geniali del Loredano parte prima, Venezia, Giacomo Sarzina, 1637, p. 89.
1
2
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
41
Partendo dall’analisi di alcuni esempi letterari, che si focalizzerà in
particolar modo intorno ai personaggi di Lucrezia e Artemisia, il contributo
si propone di approfondire i rapporti tra la letteratura e le arti figurative, che
sembrano restituire a queste figure qualità immortali. La parte focale della
riflessione ruoterà intorno alla visione della donna in ambito incognito,
sottolineando le ascendenze misogine radicate nel pensiero dell’accademia
veneziana.
1. Figure di eroine nella letteratura ‘incognita’
Si è già citato l’esempio della Galeria delle donne celebri del Pona, a cui si
aggiunge la pubblicazione, appena un anno prima, e sempre in seno agli
Incogniti, degli Scherzi geniali del Loredano4, fondatore dell’Accademia. Ma è
rintracciabile la presenza di talune ‘donne celebri’ pure in altra produzione
accademica5.
La Galeria del Pona è suddivisa in tre parti (corrispondenti a tre
categorie morali) all’interno delle quali sono presentati i racconti delle donne,
collocate nel testo in base alla loro inclinazione di lasciva, casta o santa. Vi
troviamo infatti descritte in ‘pitture’ « Le quattro lascive » (Leda, Elena,
Derceto, Semiramide); « Le quattro caste » (Lucrezia, Penelope, Artemisia,
Ipsicratea); e « Le quattro sante » (Maddalena, Barbara, Monica, Elisabetta
regina d’Ungheria), in una scala che dalla perversione conduce alla santità,
secondo il principio fondante basato sull’opposizione vizio – virtù6.
Giovan Francesco LOREDANO, Degli scherzi geniali del Loredano, Venezia, Giacomo
Sarzina, 1632 (parte I) - 1634 (parte II).
5 Si veda, ad esempio, La Lucerna di Francesco Pona (edita a Venezia nel 1626 presso
l’editore Tommasini), in cui è presente il personaggio di Cleopatra. Cfr. Beatrice COLLINA,
« L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI
(a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma,
Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 103-119.
6 Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e Controriforma »,
in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e
testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 119.
4
42
Il Campiello – n° 1
Il padre fondatore del genere narrativo delle biografie femminili era
stato il Boccaccio col suo De mulieribus claris, che nella dedicatoria dell’opera
indicava come esempi di virtù etiche le donne pagane, dalle quali le cristiane
avrebbero avuto molto da imparare7. La riflessione si estese nel Discorso della
virtù feminile e donnesca del Tasso8, attraversando il XVI secolo sino ad arrivare
a Le vite delle donne illustri della Scrittura Sacra del canonico lateranense Tomaso
Garzoni, stampate a Venezia nel 15869. Il Garzoni, contrariamente al
Boccaccio, attinge alla Bibbia, in cui può reperire una vasta gamma di exempla
per le sue biografie, senza descrivere caratteri eccezionali, ma convertendo le
vite ordinarie delle donne bibliche in illustri10. Pur seguendo l’ordine
cronologico come criterio narrativo, fondamentale è la netta divisione
operata dal Garzoni tra le donne caste ed esemplari - che riescono a
mantenere la propria integrità morale - e le donne oscure e laide, perverse e
dedite a coltivare il vizio11. Ecco affacciarsi, a questo punto, la medesima
categorizzazione adottata dal Pona, che rispecchia – particolare non
trascurabile - la condizione delle donne nel XVII secolo12, alle quali si
presentavano tre alternative di vita: sposarsi, chiudersi in convento o avviarsi
Giovanni BOCCACCIO, « De mulieribus claris » (1370 ca.), in Pier Giorgio Ricci, La
letteratura italiana (Storia e testi), Milano-Napoli, Ricciardi, 1965, p. 20-24.
8 Torquato TASSO, Discorso della virtù feminile, e donnesca del Sig. Torquato Tasso,
Venezia, Bernardo Giunti, 1582.
9 Tomaso GARZONI, Le vite delle donne illustri della Scrittura Sacra. Con l’aggionta delle vite delle
donne oscure e laide dell’uno e l’altro Testamento. E un discorso in fine sopra la nobiltà delle donne,
Venezia, Domenico Imberti, 1586. Per una ricostruzione esaustiva circa la produzione delle
opere biografiche femminili si veda: Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri
fra Umanesimo e Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza
cristiana dal XV al XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura,
1996, p. 103-119.
10 Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e
Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al
XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 117-118.
11 Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e
Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al
XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 118.
12 Cfr. Monica MIATO, L’Accademia degli Incogniti di Giovan Francesco Loredan. Venezia 16301661, Firenze, Leo S. Olschki Editore, 1998, p. 109.
7
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
43
alla prostituzione. A sua volta una tale distinzione diviene un chiaro riflesso
delle tre uniche condizioni possibili per le donne, ovvero quella di puttana,
monaca o moglie.
Esiste, però, un’altra corrispondenza interessante con un’opera di
poco anteriore a quella dell’autore incognito. Ne La Galerìa di Giambattista
Marino13, infatti, compaiono le descrizioni dei dipinti raffiguranti sei delle
dodici donne celebri catalogate da Pona: si tratta di Leda, Elena,
Semiramide, Lucrezia, Artemisia, Maddalena. E il programma mariniano
sembrerebbe costituire il modello per la Galeria delle donne celebri. Come nota
Fabrizio Bondi, a partire dal titolo dell’opera emerge la volontà del Pona di
rifarsi al Marino, perpetuata dall’ordinamento dei racconti sotto la
definizione di pitture. Da questa raccolta l’autore incognito aveva, molto
probabilmente, tratto ispirazione per risolvere un problema strutturale,
volendosi mostrare all’altezza dell’ingegnosa soluzione che aveva adottato
per organizzare le storie all’interno della sua opera precedente, la Lucerna
(1626)14. Il Marino, infatti, rifacendosi presumibilmente al modello
garzoniano, nella prima parte del volume dedicata alla pittura, aveva
suddiviso la sezione dei ritratti di donne celebri in tre sottosezioni: Belle, caste,
e magnanime; Belle, impudiche, e scelerate; Bellicose, e virtuose.
1.1 Lucrezia
Malgrado le analogie strutturali, il racconto del Pona si distanzia,
almeno a un primo livello di lettura, dal significato morale espresso dal
Marino. Una tale disparità connotativa si palesa nel ‘ritratto’ di Lucrezia15. Il
Giovan Battista MARINO, La Galeria, Venezia, Giovan Battista Ciotti, 1619-1620.
Fabrizio BONDI, « Belle infedeli. Una traduzione francese della Galeria delle Donne Celebri
di Francesco Pona (1632) », in Davide CONRIERI (a cura di), Gli Incogniti e l’Europa,
Bologna, I libri di Emil, 2011, p. 11-39.
15 Cfr. Liv. I, 57-58: l’episodio narra la vicenda di Lucrezia, moglie di Collatino, che viene
violata da Sesto Tarquinio, figlio dell’ultimo re di Roma Tarquinio il Superbo, il quale si era
invaghito di lei. Dopo aver spiegato l’accaduto al marito, al padre e agli amici, la donna si
uccise trafiggendosi il petto con un pugnale.
13
14
44
Il Campiello – n° 1
Pona dedica a quest’eroina una vera e propria tragedia in prosa. In essa il
nodo psicologico della donna innocente che macchia la propria purezza col
tradimento ‘forzato’ del proprio consorte, è risolto (o dissimulato) da una
trovata morbosamente geniale16: Lucrezia in un primo momento accetta le
avances di Sesto Tarquinio, introdottosi nelle sue stanze, poiché viene colta in
uno stato di semi-incoscienza, nel momento in cui si sta risvegliando. È lei
stessa a narrare nel suo monologo rivolto al padre e al marito, attraverso un
procedimento analettico, di aver scambiato, in un primo tempo, Sesto per il
consorte Collatino:
Quindi ecco, indi a cert’hora semisvegliata, o sento, o parmi di sentire, persona che mi
accarezzi. Il sonno, provocato dallo essercitio maggior del solito, nel comando della Famiglia per
lo accoglimento di Sesto impiegata, si era oltre il consueto tenacemente impossessato di me: onde né
desta né addormentata, mi volgo; e sì come era con voi l’animo, gettai un braccio col vezzo solito
Maritale intorno il collo della persona, che mi toccava, e dissi: «O Collatino, mia vita!». A me
pareva tra tanto di toccar il Cielo col dito, mentre il sonno replicandomi le forze de’ suoi papaveri
sopra li occhi, maggiormente mi occupava, legando i sensi, ma lasciando la immaginativa vagare,
con una fruttione mirabile di casta felicità, mentre uno spesso scoccar di baci m’invogliava d’altro
nettare.17
Dopodiché la narrazione si sposta sull’epilogo tragico della vicenda,
in cui Lucrezia, terminata la ricostruzione dei fatti, si uccide trafiggendosi il
petto con un pugnale.
Diversa è la narrazione nella Galerìa mariniana, in cui, dopo
un’iniziale celebrazione senz’ombre dell’eroina, introdotta nel primo
madrigale a lei dedicato, nel secondo componimento si affaccia una prima
riserva sulla sua pudicizia, che prelude al sorprendente ribaltamento dei versi
che seguono18:
Fabrizio BONDI, « Belle infedeli. Una traduzione francese della Galeria delle Donne
Celebri di Francesco Pona (1632) », in Davide CONRIERI (a cura di), Gli Incogniti e l’Europa,
Bologna, I libri di Emil, 2011, p. 18-21.
17 Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 8889.
18 Tale ribaltamento è presente pure in Adone XI, 53-54: cfr. Giovan Battista MARINO, La
Galeria (a cura di Marzio PIERI e Alessandra RUFFINO), Trento, La finestra, 2005, p. 308310.
16
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
45
Feci col sangue estinta
L’honestà viè più candida, e più pura.
Ciò solo in parte oscura
La mia loda, il mio pregio:
Ch’assai di me più forte
Non bastasse il dolore a darmi la morte.19
Il terzo madrigale si trasforma in una dura invettiva contro Lucrezia,
alla quale non viene concesso nessuno sconto di pena:
LUCRETIA, s’al’adultero Romano
Cedi senza contrasto,
Loda di nome casto
Da giusta morte ingiustamente chiedi.
Se sforzata gli cedi,
Qual follia, col morire
Portar la pena del’altrui fallire?
Inuano dunque inuano
Morendo aspiri ad immortali honori,
Ch’o scelerata, o forsennata môri. 20
Per poi continuare nei due componimenti successivi con piglio
accusatorio, concludendo con una topica allusione all’avidità di oro della
donna:
Donna, a torto di diè l’etate antica
Titolo di pudica;
Ché se quel sen piagasti,
Che fu d’osceno amor sozzo ricetto,
Non già però lasciasti
Di goderne illegittimo diletto.
Se voleui lodata esser da noi,
Deveui prima ucciderti, e non poi! 21
Giovan Battista MARINO, La Galeria (a cura di Marzio PIERI e Alessandra RUFFINO),
Trento, La finestra, 2005, [10a.], p. 308, 3-8.
20 Ibidem, p. 309, 1-10.
21 Ibidem, p. 309, 1-8.
19
46
Il Campiello – n° 1
Fosti crudel, non saggio,
Quando il bel seno ignudo
A vïolar con violento oltraggio
Latino Re, prendesti.
Oh con quanto minor difesa e scudo
Espugnato l’hauresti,
Se l’hauessi tentato
D’oro più tosto, e non di ferro armato! 22
Il Marino sembra rifarsi all’interpretazione della vicenda data dai
Padri della Chiesa, che avevano duramente condannato un simile
comportamento. Già Sant’Agostino23, infatti, aveva espresso delle manifeste
perplessità sull’onestà della donna, accusando i ‘giudici romani’ di non
conoscere il concetto di virtù proprio in ragione della loro scelta di vederne
un modello esemplare in Lucrezia. Secondo Agostino, una donna che
conserva il proprio onore - essendo stata costretta a concedersi contro la sua
volontà - non ha motivo di togliersi la vita: agendo in questo modo non fa
altro che ammettere la propria colpevolezza.
22
23
Ibidem, p. 310, 1-8.
Cfr. Aug. Civ. Dei I, 19.
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
Guido Cagnacci, Lucrezia, olio su tela, 114,5x112 cm, 1635-1640 circa,
Londra, Collezione privata
47
48
Il Campiello – n° 1
Guido Cagnacci, Lucrezia, olio su tela, 87x66 cm, 1657 circa, Lione, Musée
des Beaux-Arts
Diversi ancora sono l’atteggiamento e il tono riservati dal Loredano
all’eroina Lucrezia. Nei suoi Scherzi geniali, di poco posteriori alla Galeria
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
49
poniana, si rilevano delle sostanziali ed interessanti difformità. Se permane
una sorta di ‘sovrabbondanza’ barocca nella scrittura, che rende la
narrazione legata attraverso la manierizzazione dei caratteri (gettando un
velo sul senso morale del racconto, cui si unisce la narrazione attraverso il
monologo della protagonista)24, diversa è la presentazione dell’historia, il cui
racconto vero e proprio è preceduto da una dedicatoria e dalla presentazione
dell’argomento che fornisce un breve riassunto della vicenda. Nel caso di
Lucrezia, la dedicatoria del Loredano è rivolta proprio al Pona, cui viene
riservato un canonico elogio, tipico escamotage letterario che giustifica
l’obbligata dichiarazione di falsa modestia e la presa di distanza assunta
dall’autore nell’associare il proprio nome alla storia raccontata. Quest’incipit
offre l’occasione al Loredano per incitare il Pona a riscrivere la storia di
Lucrezia25.
Si cede poi spazio al soliloquio di Lucrezia, che comincia in medias res
con la confessione al padre, al marito e a Bruto della violenza subita da parte
di Sesto Tarquinio: qui è assente, però, la descrizione del suicidio, e
l’episodio si conclude col congedo dell’eroina dai suoi cari. Rispetto al
racconto del Pona, quello del Loredano risulta sicuramente meno
interessante da un punto di vista contenutistico, poiché è più ingabbiato
nella riproposizione della fonte classica. Tuttavia, oltre all’emergere delle
connotazioni virili di Lucrezia, interessante è l’incessante difesa, declamata
dall’eroina, della propria integrità morale. La donna pronuncia un discorso
‘profetico’, che preannuncia la sorte letteraria a cui andrà incontro: è un
destino in cui verrà rimessa in discussione la propria innocenza.
Le penne de più celebri ingegni m’haverebbono sollevata all’immortalità, ed alla gloria.
La mia Castità haverebbe inspirato furore a gli spiriti divini de’ Poeti. La mia virtù haverebbe
dato meraviglia alla verità dell’Historia.
Hora, che ne diranno? La passione, e l’interesse, ha mille facce, e mille lingue. La
verità è sempre necessaria, ma non s’attrova sempre nell’Historia. Hanno l’oro, e’l piombo gli
Cfr. Beatrice COLLINA, « L’esemplarità delle donne illustri fra Umanesimo e
Controriforma », in Gabriella ZARRI (a cura di), Donna, disciplina, creanza cristiana dal XV al
XVII secolo. Studi e testi a stampa, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 119.
25 Giovan Francesco LOREDANO, Degli scherzi geniali del Loredano parte prima, Venezia,
Giacomo Sarzina, 1637, p. 81.
24
50
Il Campiello – n° 1
Scrittori per compartire le lodi, e i biasimi. Tarquinio haverà ancor egli i suoi partigiani.
Gl’huomini senza virtù, non sono però senza amici. Ha grandissimo seguito il vitio. Sono rari
coloro, che habbiano perfetti i caratteri della bontà.
Danneranno forse la mia innocenza. Diranno, che i vezzi sono l’esca d’Amore, che le
pannie amorose non prendono i cuori ritrosi. 26
Il Loredano giustifica la ‘sventura’ di Lucrezia come conseguenza del
suo eccesso di bellezza: la virilità del suo animo unita a una « somma bellezza27
» diventano un’« esca di tutti i mali28 ». Lucrezia si mostra consapevole di
essere connotata, suo malgrado, da un fascino lascivo, proprio delle donne
dissolute compiacenti verso la propria avvenenza. Dietro un tale
fraintendimento si giustifica lo stupro subìto:
S’io fossi stata bella, non haverei forse provate l’ingiurie di quel crudele. La bellezza,
ch’eccede hà introdotto il comando nella fierezza de’ cuori più barbari. La violenza non hà
dominio nel bello. La venustà d’un bel volto hà in se spiriti così divini, che conciliano riverenza, e
divotione. È un ritratto della beltà celeste, che rapisce alla sua contemplatione i pensieri, e le
menti. Le mani non v’arrivano con la loro rapacità. 29
1.2 Artemisia
Per fornire un secondo significativo modello di eroina (ma l’analisi
potrebbe estendersi a molte altre figure celebrate all’interno della produzione
incognita), la pittura di Artemisia30, narrata all’interno della Galeria del Pona,
filtra un forte atteggiamento misogino, che veniva ben celato o sottilmente
alluso nel racconto di Lucrezia.
Già l’attacco evidenzia lo scetticismo poniano assunto nei confronti
di questa donna, che non si spiega come un’« anima dotata delle più rare
Ibidem, p. 92-93.
Ibidem, p. 89.
28 Ibidem, p. 88.
29 Ibidem, p. 89.
30 Cfr. Aul. Gell. X, 18: per perpetuare la memoria del fratello e marito scomparso, il re di
Caria Mausolo, Artemisia II fece costruire in suo onore una sepoltura monumentale ad
Alicarnasso: il celebre Mausoleo, una delle sette meraviglie del mondo. La sofferenza
provata per la morte del proprio consorte la indusse a berne le ceneri.
26
27
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
51
eccellenze » possa entrare « à dar vita a una fanciulla », definendolo un « error grave
della Natura ». Il Pona vede infatti il sesso femminile come « fragile, imbelle, e
facile a piegarsi nel vizio »31.
Come spiegare un tale atteggiamento? Se nel caso di Lucrezia il
dogmatico suicidio, conseguente alla violenza subita, lasciava trapelare
un’ambiguità nel suo epilogo (interpretazione, peraltro, avvalorata da un
approccio diacronico che prende le mosse dalla visione patristica) che
rimetteva in discussione la sua virtù, ad Artemisia non si può recriminare
nulla. Sembra che l’autore si ostini, pertanto, a trovare una giustificazione a
tale comportamento, altrimenti non decifrabile – dal suo punto di vista - se
associato a una femmina. Ecco che viene dato spazio a una descrizione del
personaggio, connotato da virtù e inclinazioni mascoline32, dedito alla caccia
e alla scherma:
La scherma, il ballo, la lotta, con Vergini ammaestrate in ciascun di questi esercitij. Vestiva
l’armi talvolta, e coperta la fronte di grave elmetto (…) rappresentava una Pallade, all’hor ch’è
irata.33
Interessante è la presenza del tema del travestimento, caratteristico
della letteratura barocca, che qui contribuisce a restituire virilità al
personaggio34. Il Pona continua dicendo che « Di rado prese l’ago, o’l filo 35»,
Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 113.
A tal proposito, si tenga presente che nel 1595 usciva a Francoforte una dissertazione
latina (Disputatio nova contra mulieres, qua probatur eas homines non esse, s. l. [Francoforte], 1595),
di autore ignoto, in cui si sosteneva la tesi che le donne sono prive di anima, che esse non
appartengono affatto alla razza umana e che pertanto debbono essere considerate escluse,
altrettanto delle bestie, dalla redenzione salvifica in Cristo e dalla vita eterna (Cfr. Giorgio
SPINI, Ricerca dei libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel Seicento italiano.
Nuova edizione riveduta e ampliata, Firenze, La Nuova Italia, 1983, p. 219-232).
33 Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 114115.
34 Per una ricognizione sulla pratica del travestimento in terra veneta, nel corso del XVI e
XVII secolo, vedasi: Giovanni SCARABELLO, « Le “Signore” della Repubblica », in Il
Gioco dell'amore: le cortigiane di Venezia dal Trecento al Settecento. Catalogo della mostra (Venezia,
Casinò municipale Ca' Vendramin Calergi, 2 febbraio-16 aprile 1990), Milano, Berenice, 1990, p.
11-35.
35 Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 115.
31
32
52
Il Campiello – n° 1
all’epoca attività connotative della figura femminile, e introducendo il disagio
provato nell’approcciarsi la prima volta con l’altro sesso, reso attraverso la
descrizione della sua prima notte di nozze:
Nell’accostarsi la prima sera allo Sposo, ella svenne, perche la novità del caso, la cangiò in pietra
quanto a sensi: la vergogna trahendola fuor di se.36
Sebastiano Mazzoni, Sofonisba (?), olio su tela, 113,5x98,8, 1640-1660 circa,
Londra, Walpole Gallery
La narrazione procede con la morte del consorte Mausolo e la
costruzione del mausoleo. A questo punto si giunge all’epilogo della vicenda,
con la scelta di Artemisia di bere le ceneri del marito per seppellirle « nelle sue
viscere37»: si compie la metamorfosi mascolinizzante del personaggio, che
sconfigge i Rodiani come un grande condottiero. Scegliendo di inghiottire le
ceneri del consorte, si può dire che Artemisia si appropri, difatti, del potere e
della forza spirituale di Mausolo, capo dotato di qualità straordinarie.
36
37
Ibidem, p. 115-116.
Ibidem, p. 123.
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
53
Il curioso parallelo che si crea tra il tempio in pietra, luogo
inizialmente deputato ad accogliere le ceneri del defunto, e il tempio del
‘petto’ della regina, era già stato tratteggiato dal Marino nella sua Galerìa, in
cui ancor più chiaramente si delinea l’aspetto petrifico dell’eroina, quasi
volendo sottolinearne il carattere inanimato:
Duo cor’, duo corpi – una vil pietra unire.
Hor dentro il viuo tempio del mio petto
Haurai tomba, e ricetto; 38
La forza d’animo e il coraggio di Artemisia sono tali da renderla
quasi irreale. Sia il Marino che il Pona esasperano il racconto rispetto al
modello offerto dalle fonti classiche39, rimarcando il carattere tragico
dell’episodio ed esaltando la virilità d’animo dell’eroina, secondo moduli
tipicamente barocchi.
2. Donne-statue e immortali
Così come si potrebbero fornire altri numerosi esempi di storie di
eroine, da Agrippina a Cleopatra, da Elena a Semiramide, l’estensione della
riflessione sull’inverosimiglianza e sull’irrealtà della donna, propria del milieu
incognito, potrebbe rivelarsi particolarmente fruttuosa. All’interno della
produzione accademica, i diffusi rimandi alla bellezza delle carni femminili
generano un continuo gioco descrittivo e qualificativo reso attraverso l’uso
di una terminologia convogliata a celebrare una gamma connotativa che
spazia dalla durezza della pietra al candore e alla morbidezza del miele. Per
fornire qualche esempio, a tal proposito, si può citare il caso de La rete di
Vulcano del Pallavicino40, dove viene assunto un simile atteggiamento nei
confronti di Venere, attraverso il passaggio dalla condizione umana a quella
di una statua di cera. Il passaggio è motivato dalla perfezione fisica della dea,
Giovan Battista MARINO, La Galeria (a cura di Marzio PIERI e Alessandra RUFFINO),
Trento, La finestra, 2005, [6.], p. 306, 6-8.
39 Cfr. Aul. Gell. X, 18.
40 Ferrante PALLAVICINO, La rete di Vulcano, Venezia, Guerigli, 1640.
38
54
Il Campiello – n° 1
che così prepotentemente si allontana dal naturale. Il suo corpo risulta
costituito esteriormente di cera, mentre all’interno si può gustare il suo (…)
dolcissimo miele:
Hebbe agio di satollarsi, necessitato al sodisfar a quella, che si mostrava al tutto insatiabile. Era
necessità il gustare dolcissimo miele, nell’interne parti di quel bellissimo corpo, che al di fuori, e
nella morbidezza, e nel candore, mostrava d’esser di cera.41
Ma ancora nel terzo libro la dea è percepita come una scultura, un
oggetto di insuperata perfezione, che riacquista al tatto le caratteristiche di
un corpo animato:
Mostrando desiderio di assicurarsi, se apparivano al tatto quelle fila, che non comparivano a gli
occhi, palpavano la morbidezza di quelle carni, che d’alabastro riuscivano alla pruova, non meno
di durezza, che di candore.42
Tali osservazioni portano ad interrogarsi sulle connessioni esistenti
con le teorie espresse intorno alla natura della donna il cui ruolo fu, senza
dubbio, centrale nel contesto dell’accademia veneziana: a questo proposito
uno studio più strutturato e approfondito potrebbe condurre a nuove
interessanti considerazioni.
Sempre all’interno degli Incogniti si inscrive il racconto del
Loredano, che nelle sue Bizzarrie accademiche43 dedica appunto una ‘bizzarria’
alla figura dell’ateniese Amicleo, il quale, innamoratosi della statua della
Venere di Cnido scolpita da Prassitele, si congiunge con essa lasciandovi
impresso il segno della propria incontinenza. In questo caso vi è uno scarto
ulteriore, in cui si legittima il congiungimento di un essere umano con una
statua di marmo, talmente bella da causare l’innamoramento di un giovane
che non può fare a meno di consumarvi un rapporto sessuale44.
Ibidem, libro I, p. 88.
Ibidem, libro III, p. 204-217.
43 Giovan Francesco LOREDANO, Bizzarrie accademiche, Venezia, Giacomo Sarzina, 1638.
44 La fonte di questo racconto è un dialogo Degli amori di Luciano, ma non bisogna
dimenticare che anche Arnobio narra la storia di Pigmalione innamoratosi di una statua di
41
42
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
55
Siamo di fronte al contrappasso dallo stato di donna a quello di
statua: se le figure femminili descritte sono talmente belle – per qualità che
siano morali e/o fisiche - da non poter appartenere al genere umano, a loro
volta le statue che le rappresentano - o meglio che le incarnano - toccano
una bellezza e una ‘verità’ tali da restituire quel naturalismo che le riconduce
alla condizione umana.
L’intento di rendere in arte il naturalismo nella rappresentazione dei
corpi era già radicato, peraltro, in un artista come Tiziano45.
Non stupisce, quindi, che un pittore come Sebastiano Mazzoni46,
strettamente legato all’Accademia degli Incogniti e attivo a Venezia a partire
dalla metà XVI secolo47, nella sua raccolta di sonetti Il tempo perduto. Scherzi
sconcertati, pubblicata nel 166148, tramite la celebrazione fittizia riservatagli da
Jacopo Fiore in alcuni versi inviati al pittore, affermi:
Afrodite conservata dai Cretesi: cfr. AA. VV., Libertini italiani. Letteratura e idee tra XVII e
XVIII secolo (a cura di Alberto BENISCELLI), Milano, Rizzoli, BUR, 2012, p. 317-321.
45 Carlo GINZBURG, « Tiziano, Ovidio e i codici della figurazione erotica nel
Cinquecento», in Miti emblemi spie. Morfologia e storia, Torino, Einaudi, 1986, p. 133-157: Carlo
Ginzburg pone la sua attenzione su una lettera inviata da Tiziano stesso a Filippo II in cui,
promettendo al sovrano di inviargli un dipinto avente per soggetto Venere e Adone, nel
descrivere l’opera esalta la perfezione con la quale è riuscito a rendere l’ammaccatura della
carne causata dal sedere, sostenendo che il colpo del pennello si può dire del tutto identico a
quelli che suole fare la Natura.
46 Si veda la monografia dedicata al pittore di Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni,
Firenze, Edifir, 1999.
47 Non è chiara la data del trasferimento del Mazzoni a Venezia. La presenza di un
documento datato 1661, sottoscritto dal Mazzoni, ci informa che il pittore in quella data
risiedeva a Venezia da ventidue anni (secondo questa testimonianza il pittore dovette
arrivare nella città intorno al 1639), ma è anche vero ch’egli risulta registrato all’Accademia
del Disegno di Firenze durante il quinto decennio del Seicento (1640, 1643-1644, 1646), la
cui immatricolazione risale al 7 settembre 1638. Possiamo supporre, pertanto, che in questo
periodo non risiedesse ancora regolarmente in laguna, ma che lavorasse già a Venezia (cfr.
Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 20-22).
48 L’opera è una raccolta di poesie che il pittore, strettamente legato all’Accademia degli
Incogniti del Loredano, dedica a Marc’Antonio Chiodo. Molti componimenti sono
indirizzati agli artisti contemporanei; altri, scritti da pittori e scultori in lode dell’autore, sono
rivolti direttamente al Mazzoni, che indirizza loro una risposta in versi; altri ancora sono
autoritratti caricaturali. Si tratta di ‘finzioni’ letterarie, dietro le quali si cela la penna del
56
Il Campiello – n° 1
Le Bellezze hor’ vegg’io MAZZON’ risorte
Grata mercè del tuo Divin Pennello,
Che ben’ tù puoi qual’ Prometeo novello,
Dar ai corpi insensati anima e sorte.49
Ancor più sintomatico è il fatto che tale affermazione sia contenuta
in un sonetto volto a esaltare un quadro del Mazzoni raffigurante
Artemisia50, che come una fenice risorge dalle ceneri grazie al « Divin Pennello
» del pittore:
E te più fortunata ove sol’ lice,
Dal rigor dell’oblio, che hora ti accoglie,
A un Penello Immortal’ surger’ Fenice.51
All’immortalità sono quindi destinate queste eroine: a suggellare la
gloria eterna interviene il ‘pennello’ di un pittore. Tale imperitura
celebrazione sembra opporsi al senso di finitezza legato al destino di queste
creature, la cui storia conduce spesso a un finale drammatico e,
inevitabilmente, alla morte. Ed è emblematico il caso di Artemisia, che beve
le ceneri del marito; dietro la sua storia viene a galla una chiara allusione alla
dissoluzione del corpo dopo la morte, ma anche alla metempsicosi subita da
Mausolo che rivive nel corpo della consorte.
Mazzoni in una sorta di autocelebrazione della sua pittura, che fu anche autore di alcune
opere letterarie (Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 11-22).
49 Sebastiano MAZZONI, “La Pittura Guerriera” e altri versi sull’arte, Massimiliano ROSSI (a
cura di), Sommacampagna, Cierre, [1661] 2008, p. 78, vv. 5-8.
50 Risulta difficile associare al sonetto il quadro corrispondente realizzato dal Mazzoni.
Lorenzo Finocchi Ghersi vi vede celato il ritratto di Sofonisba, conservato alla Walpole
Gallery di Londra, da lui interpretata come Artemisia; Annalisa Varvara, invece, lo ha
accostato a un’Artemisia proveniente da una collezione privata di Venezia. Questa seconda
ipotesi risulta più convincente. (cfr. Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir,
1999, p. 94-95 e 108-109).
51 Sebastiano MAZZONI, “La Pittura Guerriera” e altri versi sull’arte, Massimiliano ROSSI (a
cura di), Sommacampagna, Cierre, [1661] 2008, p. 78, vv. 12-14.
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
57
3. Spunti analitici: i ‘ritratti letterari’ e la componente misogina
Se ai madrigali della Galerìa mariniana riguardanti queste ‘feminae
illustres’ non è possibile associare una tela o un pittore per una mancanza di
riferimenti che ne permettano una sicura identificazione, è innegabile come
le loro storie incontrino una diffusione e una fortuna tali da divenire uno dei
soggetti privilegiati degli artisti, molti dei quali attivi a Venezia. Basti pensare
a Guido Reni, Guido Cagnacci, la cui evoluzione stilistica rispetto al modello
del maestro bolognese si manifesterà durante il suo soggiorno veneziano, e
ancora Pietro Negri, Padovanino, Luca Ferrari e il già citato Sebastiano
Mazzoni. Di quali connotazioni si caricano questi ritratti? Come si declina la
materia pittorica sulla tela? Essa diventa materica o più liquefatta,
restituendo talvolta carnagioni livide in cui scompare il chiaroscuro.
Nel corso del Seicento, poi, a Venezia continuava il rapporto stretto
tra pittori e meretrici che posavano in qualità di modelle per gli artisti, la cui
presenza è rintracciabile in molti temi iconografici dei dipinti barocchi. Si
piegano a questo discorso i temi biblici e i ritratti di Cleopatre e Veneri52. È
forse possibile identificare le figure di queste eroine fissate sulla tela con
quelle delle cortigiane veneziane contemporanee?
Uno studio sui rapporti e sul dialogo che intercorre tra la produzione
artistica e quella letteraria potrebbe condurre a una corretta interpretazione
di una tendenza culturale di così grande portata; non va poi trascurato il
fatto che molti tra i nomi dei pittori menzionati sono strettamente legati
all’Accademia degli Incogniti il cui fondatore, Giovan Francesco Loredano,
fu un grande collezionista di opere d’arte53.
Già Carlo Dionisotti aveva osservato il « vantaggio, per il Marino e per
l’Italia, di una gara in cui la poesia fosse alleata delle arti figurative 54», in un proficuo
interscambio tra le due dimensioni, fissando un criterio di rappresentazione
Cfr. Giovanni SCARABELLO, « Per una storia della prostituzione a Venezia tra il XIII e
il XVIII sec. », in Studi Veneziani, XLVII, 2004, p. 78-86.
53 Cfr. Paolo BENASSAI, Sebastiano Mazzoni, Firenze, Edifir, 1999, p. 27.
54 Carlo DIONISOTTI, « La galleria degli uomini illustri », in Cultura e società nel Rinascimento
tra riforme e manierismi (a cura di Vittore Branca e Carlo Ossola), Firenze, Olschki, 1984, p.
449-461.
52
58
Il Campiello – n° 1
letteraria dell’arte visiva. La ‘letteratura’ seicentesca vuole presentarsi, in
qualche modo, come manifesto di tale tendenza, in una cultura attratta dalla
digressione ecfrastica55: non stupirà il fatto che essa diventi portavoce di una
fenomenologia pittoricistica radunata dal Getto56 per il romanzo veneto
dell’età barocca57.
Come nota Fabrizio Bondi, in Pona « la scrittura – in prosa e in
poesia - imita la pittura nella sua ipostasi retorica, non tanto gareggiando con tele
esistenti, ma convocando piuttosto, quasi per compensazione, il maggior numero possibile
di alleate tra le arti plastiche e figurative 58».
Un ultimo aspetto rilevante coinvolge l’interpretazione della
componente misogina, costantemente presente nei testi analizzati.
Emblematico è il caso del Pona: nella Galeria mostra apertamente, come si è
visto, un atteggiamento maschilista nei confronti del personaggio di
Artemisia; ma ancora più interessante è l’esempio di Lucrezia, soprattutto se
raffrontato alla fonte latina dell’Ab Urbe condita di Tito Livio. Se nell’autore
latino la donna è presentata come forte e risoluta, diverso è il ritratto
restituitoci dal Pona, in cui si allude al suo carattere di ambiguità, di fascino
lascivo. In Livio, infatti, Lucrezia si assolve dalla colpa, anche se si
autopunisce uccidendosi, e ordina in prima persona al marito e al padre di
vendicarla. Sono questi ultimi, insieme agli amici presenti alla confessione, ad
assolverla, in base al principio secondo il quale se manca l’intenzione non vi
è alcuna colpa, in quanto pecca il corpo e non la mente:
(…) mentem peccare, non corpus, et unde consilium afuerit culpam abesse59
Sebastiano MAZZONI, “La Pittura Guerriera” e altri versi sull’arte, Massimiliano ROSSI (a
cura di), Sommacampagna, Cierre, 2008, p. XIII.
56 Giovanni GETTO, « Il romanzo veneto nell’età barocca », in Vittore BRANCA (a cura
di), Barocco europeo e Barocco veneziano, Firenze, Sansoni, 1963, p. 197 .
57 Fabrizio BONDI, « Belle infedeli. Una traduzione francese della Galeria delle Donne
Celebri di Francesco Pona (1632) », in Davide CONRIERI (a cura di), Gli Incogniti e l’Europa,
Bologna, I libri di Emil, 2011, p. 20-21.
58 Ibidem, p. 25.
59 Liv. I, 58: « non è il corpo che pecca, ma la mente, e quindi, se manca l’intenzione, non si
può parlare di colpa ».
55
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
59
In Pona, invece, non solo Lucrezia non ha la forza di impartire
ordini ai familiari in merito alla vendetta da infliggere a Sesto Tarquinio (è
infatti il marito Collatino ad annunciare il suo desiderio di vendetta) ma, una
volta terminato il suo racconto, sviene60.
Inoltre, nella fonte liviana è del tutto assente l’iniziale
accondiscendenza del personaggio verso il suo stupratore, che la sorprende
nel dormiveglia. Sembra quasi che sotto un’apparente esaltazione della
donna si celi un substrato di perentoria condanna contro la stessa. Senza
contare la totale decontestualizzazione che subisce il testo classico: nella
tragedia antica, infatti, la morte inflitta col pugnale rappresentava un modo
nobile di morire, in contrasto con l’uccisione per impiccagione, propria dei
personaggi abietti61. In questo caso si può dire che il personaggio subisca una
trasmigrazione letteraria nel contesto contemporaneo veneziano. Se si
considera il nome stesso dell’eroina, si può facilmente risalire a un’omonimia
diffusa nell’onomastica delle cortigiane veneziane, tra le quali il nome di
Lucrezia risulta tra i più diffusi come pseudonimo utilizzato per offrirsi ai
molteplici amanti62.
4. Conclusioni
Come avviene in altra produzione incognita (si prenda il caso della
Trilogia del Glisomiro di Girolamo Brusoni63), si può notare un dualismo di
Francesco PONA, La Galeria delle donne celebri, Venezia, Francesco Ginammi, 1663, p. 9394.
61 A tal proposito si veda il testo di Nicole LORAUX, Façons tragiques de tuer une femme, Paris,
Hachette, 1985.
62 Antonio BARZAGHI, Donne o cortigiane? La prostituzione a Venezia, documenti di costume dal
XVI al XVIII secolo, Verona, Bertani Editore, 1980, p. 40-54.
63 La cosiddetta Trilogia di Glisomiro di Girolamo Brusoni è composta da tre romanzi seriali:
La gondola a tre remi, Venezia, Francesco Storti, 1657, il Carrozzino alla moda. Trattenimento
estivo, Venezia, Recaldini, 1658, La peota smarrita, Venezia, Gasparo Storti, 1662. Per una
riflessione sul ruolo della donna nella Trilogia brusoniana si veda il testo di Federica
AMBROSINI, « Il cosmo femminile nella trilogia di Glisomiro di Girolamo Brusoni», in
Gino BENZONI (a cura di), Girolamo Brusoni. Avventure di penna e di vita nel Seicento veneto (Atti
60
60
Il Campiello – n° 1
fondo nella posizione assunta verso le figure femminili: se da un lato sembra
che le donne incarnino un modello di indipendenza e di affrancamento dagli
uomini, dall’altro le stesse rimangono intrappolate entro le convenzioni e i
limiti della morale seicentesca. Anche nel passaggio strutturale ripreso dal
Pona, attraverso la redenzione dal vizio alla virtù, possiamo notare come in
fondo queste figure di ‘caste’ non siano portatrici di valori totalmente
positivi. Ma, soprattutto, non riescono a compiere la loro ascesa dalla
perversione alla santità. Viene a crollare, in questo modo, il sistema messo in
piedi dal Garzoni.
Un simile dualismo si riflette all’interno della stessa Accademia degli
Incogniti: se infatti questa dette voce alle donne, dando loro la possibilità di
esprimersi, è pur vero che non mancarono momenti di attrito con le
personalità maschili che vi appartenevano64. Le donne ne escono sempre
sconfitte, rimanendo ingabbiate in un severo controllo sull’etica che non
concede loro molta libertà d’azione e non risparmia nessuna condanna ai
loro sbagli. L’esempio ‘incognito’ resta un affascinante caso di studio per
l’ambiguità che si cela dietro una libertà d’espressione e di pensiero che
occulta, talvolta, segnali di omologazione.
Come nota Federica Ambrosini nel suo saggio sulle voci femminili in
terra veneta65, per le donne ‘letterate’ era indispensabile crearsi una solida
trama di amicizie maschili, in grado di offrire un’autorevole protezione dai
detrattori. Il rapporto che intercorse tra la monaca Arcangela Tarabotti e il
fondatore dell’accademia, Giovan Francesco Loredano, riflette queste
del XXIII Convegno di Studi Storici - Rovigo, 13-14 novembre 1999), Rovigo, Minelliana, 2001, p.
107-121.
64 Una di queste dispute ebbe per protagonista la monaca veneziana Arcangela Tarabotti, la
quale si risentì col Loredano per un discorso contro le donne letto davanti agli accademici,
lanciandogli contro accuse di millantata misoginia (cfr. Monica MIATO, L’Accademia degli
Incogniti di Giovan Francesco Loredan. Venezia 1630-1661, Firenze, Leo S. Olschki Editore,
1998, p. 113-120). Degli esempi ulteriori di dispute consumatesi in ambito accademico e che
vedono coinvolta la Tarabotti vengono narrate nel testo di Giorgio SPINI, Ricerca dei
libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel Seicento italiano. Nuova edizione riveduta e ampliata,
Firenze, La Nuova Italia, 1983, p. 219-232.
65 Cfr. Federica AMBROSINI, « Voci e presenze femminili in terra veneta tra XIV e XVIII
sec. », in Studi Veneziani, L, 2005, p. 257-266.
Simone – Figure di eroine nella Venezia Incognita
61
ambivalenze. Se costui sostenne la Tarabotti e la sua attività letteraria, d’altro
canto sembra che contribuì pure a bloccare la pubblicazione della Tirannia
paterna e dell’Inferno monacale, a dimostrazione del fatto che il Loredano
poteva concedere alla sua amica e protetta fama, ma non libertà.
Una simile serie di fatti ed eventi induce a pensare che se nel
Cinquecento Venezia era stata uno dei centri della misoginia italiana (a livello
di produzione letteraria), spesso si è voluto vedere nel Seicento una
possibilità di cambiamento, in cui le cose sembrerebbero migliorare, grazie al
lancio di lavori letterari di decisa intonazione femminista66. Ma si tratta di un
cambiamento solo apparente. La donna, malgrado la sua presenza sulla scena
del dibattito colto, porta avanti una battaglia dalla quale è destinata a uscire –
nuovamente - sconfitta.
Cfr. Giovanni SCARABELLO, « Per una storia della prostituzione a Venezia tra il XIII e
il XVIII sec. », in Studi Veneziani, XLVII, 2004, p. 86-89.
66
SECTION LITTÉRATURE
Valentina Manca
Da donna di piacere a donna di lettere: la retorica epistolare
al servizio del discorso proto-femminista di Veronica
Franco
1. Introduzione: Veronica Franco, cortigiana e scrittrice
Stefano Bianchi, in suo recente saggio, rileva come Veronica Franco
sia stata l’unica poetessa dell’area veneta a veder pubblicati in vita i propri
componimenti nella forma di una raccolta1, per poi meravigliarsi dell’:
«omissione della Franco (e anche di Chiara Matraini) dal novero delle donne
poetesse che nel Cinquecento italiano ebbero la fortuna di vedere la loro
opera pubblicata a nome proprio2» in diversi studi.
In quanto cortigiana, infatti, un pesante pregiudizio morale gravava
sulla sua persona così come su quella di altre autrici coeve che con lei
condividevano tale condizione- in particolare Gaspara Stampa e Tullia
D’Aragona – impedendo a molti critici di andare oltre l’aspetto biografico.
Nell’Ottocento, dopo un silenzio durato secoli, grazie all’interesse storico di
Arturo Graf e di Giuseppe Tassini emergono i primi studi dedicati
all’autrice, dove però, come amaramente constaterà più tardi Benedetto
Croce, «il nome di Veronica Franco è sempre accompagnato, in fronte ai
libri che di lei trattano, dalla qualifica di cortigiana3».
Cfr. Stefano BIANCHI, La scrittura poetica femminile nel Cinquecento veneto: Gaspara Stampa e
Veronica Franco, Roma, Vecchiarelli Editore, 2013, pp. 90-91. Per quanto riguarda, invece, il
“primato”di Veronica Franco nell’ambito della produzione epistolare femminile
cinquecentesca, si veda Adriana CHEMELLO, «Il codice epistolare femminile. Lettere, “libri di
lettere” e letterate nel Cinquecento», in Gabriella ZARRI (a cura di), Per lettera: la scrittura epistolare
femminile tra archivio e tipografia sec. XV- XVIII, Viella, Roma, 1999, pp. 38-42.
2 Cfr. Stefano BIANCHI, op. cit., p. 91.
3 Benedetto CROCE, «Studi sulla letteratura critica», in Quaderni della Critica, XIV, luglio
1949, p. 46.
1
64
Il Campiello – n° 1
Tale orientamento generale dei critici dell’epoca potrebbe essere
riconducibile alla volontà dell’autrice di non «celare o di velare la professione
sua di cortigiana4», come invece fecero le già citate Tullia d’Aragona e
Gaspara Stampa, urtando quindi la sensibilità dei più moralisti.
In ogni caso, sebbene fino alla prima metà del Novecento siano stati
accordati una maggiore attenzione e un posto di maggior rilievo alla
produzione poetica di Gaspara Stampa rispetto a quella di Veronica Franco,
sarebbe scorretto omettere che anche per la poetessa padovana, specie tra i
suoi contemporanei, la condizione di cortigiana fu un ostacolo al pieno
riconoscimento di letterata5.
Inoltre, proprio nel saggio di Arturo Graf – Un cortigiana fra mille:
Veronica Franco – si assiste alla difesa della sincerità della cortigiana veneziana
sulla sua vita e, allo stesso tempo, alla condanna degli artifici escogitati da
Tullia d’Aragona al fine di nascondere il più possibile la natura di alcuni
commerci da lei intrattenuti. Scrive, infatti, Arturo Graf:
Per quel tanto che noi sappiamo della sua vita: per quel tanto che
dell'indole sua ci rivelan gli scritti, ella doveva essere donna di un pensar risoluto, di
un sentir vivo, di un procedere franco, e di parole e di modi, per quanto la
professione glielo consentiva, semplici e schietti: una natura gioconda, impulsiva,
spontaneamente affettuosa. Per tutti questi rispetti io non mi perito di porla molto
sopra a quella leziosa, a quella svenevole di Tullia d'Aragona, che essendo
cortigiana, dava aria di duchessa, di musa, di ninfa, tutta contegno, e tutta schifiltà.6
Come rileva Riccardo Scrivano, nonostante Graf nel suo saggio si
soffermi ancora molto più sulla cortigiana che non sulla poetessa, egli ha il
merito di mettere in luce una caratteristica che sarà la chiave di volta nella
successiva scoperta del valore artistico della scrittura di Veronica Franco,
Ivi, p. 47.
Cfr. Stefano BIANCHI, op. cit., pp. 10-11.
6 Arturo GRAF, Attraverso il Cinquecento. Petrarchismo ed antipetrarchismo. Un processo a Pietro
Aretino. I pedanti. Una cortigiana fra mille: Veronica Franco. Un buffone di Leone X, Torino,
Loescher, 1916 (Ristampa 1888), p. 348.
4
5
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
65
ossia quella sincerità, accompagnata da una schiettezza nell’espressione dei
propri sentimenti, tanto apprezzata da Croce nel secolo successivo7.
Tuttavia, rispetto al riconoscimento della virtuosità morale di
Veronica Franco consistente nell’ammissione e addirittura nell’elogio della
propria condizione di cortigiana, Luigi Russo, contemporaneo di Croce,
prende le distanze dalle posizioni di Graf e del critico abruzzese.
Russo, infatti, come Graf constata che: «Veronica Franco è una
cortigiana dichiarata, ed essa stessa nella sua poesia non cerca nemmeno di
dissimulare tale suo stato, come pur fa invece la famigerata Tullia
d’Aragona8» lasciando però trasparire dal tono usato come tale affermazione
– a differenza di quanto avviene per Graf e Croce – suoni più come un
monito alla cortigiana che non ricorre neppure alla dissimulazione per
occultare la sua
immorale condizione piuttosto che come un
riconoscimento di virtù nella sincerità.
Del resto, poco più avanti, il critico formulerà nei confronti della
poetessa-cortigiana un giudizio volto al ridimensionamento della scrittura di
Veronica Franco a semplice «fenomeno sociale9». Russo, in particolare si
scaglia contro il Salza che aveva osato accostare il nome di Veronica Franco
a quello di Gaspara Stampa i cui versi reputa nettamente superiori rispetto a
quelli della cortigiana veneziana, tanto da farlo protestare per tale vicinanza
«sconveniente10» poiché: «la Gasparina è veramente poetessa, mentre la
Veronica Franco si serve dei suoi capitoli soltanto per un lustro, si direbbe,
quasi giornalistico, o per uno snob di società11».
In ogni caso, per non dimenticare come in linea generale anche il
Graf nel suo saggio abbia lanciato solo un timido segnale di rivalutazione di
Veronica Franco e l’abbia considerata ancora e soprattutto nelle vesti di
Cfr. Riccardo SCRIVANO, «La poetessa Veronica Franco», in Riccardo SCRIVANO (a
cura di), Cultura e letteratura nel Cinquecento, Roma, Edizioni dell’Ateneo, 1966, pp. 198-199. Si
veda inoltre Elvira FAVRETTI, «Rime e lettere di Veronica Franco», in Giornale Storico della
Letteratura Italiana, vol. CLXII, fasc. 523, 1986, p. 358.
8 Luigi RUSSO, «Veronica Franco e la “corruttela” del ‘500», in Osservatore politico letterario, VI,
1958, p. 39.
9 Ivi, p. 40.
10 Ibidem.
11 Ibidem.
7
66
Il Campiello – n° 1
cortigiana – seppur non con l’asprezza di Russo – si può citare l’ironia del
critico nei confronti della presunta leziosità delle cortigiane oneste tutte, e in
particolare di quella di Veronica Franco che invitava gli spasimanti a
coltivare gli studi per appagare lo spirito e non solo i sensi12.
Graf, infatti, inizia definendo la lettera XVII da cui è tratto il
passaggio citato come: «il più curioso documento che immaginar si possa del
gran concetto in che ella ha lo studio e la coltura13», per poi esclamare:
«Strane meretrici davvero, e non meno strani spasimanti, che dovevano fare
un apposito corso di studi e dar con profitto gli esami prima di poter entrar
loro in grazia! Le Diotime e le Aspasie del tempo antico non credo
chiedessero tanto14».
Russo cita lo stesso passaggio dalla lettera XVII allineandosi al tono
derisorio di Graf, quasi ricalcandone le parole: «Ahimé! Queste cortigiane
oneste tenevano cattedra vera e propria di letteratura, e si appagavano molto
delle conversazioni con gli eruditi e con gli accademici, e mandavano i loro
amanti a fare un corso scientifico di humanae litterae!15».
In conclusione, senza voler passare in rassegna tutti gli studi critici su
Veronica Franco che si sono concentrati sulla peior pars16 della vita
dell’autrice17, si può dire che Croce sia stato il primo a riscattarla dalla
marginalità cui era stata condannata e ad aprire le porte a nuovi orizzonti
critici che guardassero alla cortigiana veneta non più solo come a un
elemento di interesse per la storia del costume, ma anche e soprattutto come
a un significativo tassello nel mosaico della vasta produzione letteraria
cinquecentesca.
Dopo di lui, come già accennato sopra e come rileva Favretti, sarà
Scrivano negli anni Sessanta a «privilegiare la scrittrice in Veronica Franco18»
Veronica FRANCO, Lettere familiari a diversi, a cura di Stefano BIANCHI, Roma, Salerno
Editrice, «Minima», 1998 pp. 59-61.
13 Arturo GRAF, op. cit., p. 300.
14 Ivi, p. 301.
15 Luigi RUSSO, op. cit., p. 41.
16 Ivi, p. 46.
17 Per una puntuale ricostruzione degli studi critici su Veronica Franco cfr. Riccardo
SCRIVANO, op. cit. pp. 197-206; cfr. Elvira FAVRETTI, op. cit., pp. 355-359.
18 Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 358.
12
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
67
esplorando e riconsiderando tutta l’opera dell’autrice, dalle Rime ai sonetti,
passando per le Lettere19. Più recentemente, negli ultimi trent’anni, la poesia e
la prosa della cortigiana-poetessa hanno suscitato l’interesse di critici
stranieri, perlopiù in area anglo-americana e nell’ambito di una rilettura in
chiave femminista20, come del resto anche per altre autrici italiane del
Cinquecento21.
In ogni caso, anche in ambito nostrano l’interesse per la Veronica
Franco scrittrice, non più solo cortigiana, si è fatto più vivo dagli anni
Ottanta e in particolare dal decennio successivo, grazie alle ricerche, in
particolare, di Maria Luisa Doglio, Stefano Bianchi, Adriana Chemello e
V. Riccardo SCRIVANO, op. cit., pp. 197- 222.
V. Ann Rosalind JONES, «City Women and Their Audiences: Louise Labé and Veronica
Franco», in Margaret W. FERGUSON, Maureen QUILLIGAN, Nancy J. VICKERS
(edited by), Rewriting the Renaissance. The Discourse of Sexual Difference in Early Modern Europe,
London-Chicago, The University of Chicago Press, 1986, pp. 299-316; Margaret F.
ROSENTHAL, «A Courtesan’s Voice: Epistolary Self-Portraiture in Veronica Franco’s
Terze Rime», in Elizabeth C. GOLDSMITH (edited by), Writing the Female Voice. Essays on
Epistolary Literature, Boston, Northeastern University Press, 1989, pp. 3-24; M. F.
ROSENTHAL, «Veronica Franco's Terze Rime: the Venetian Courtesan's Defense», in
Renaissance Quarterly, Vol. 42, N. 2 (Summer, 1989), pp. 227-257; M. F. ROSENTHAL, The
Honest Courtesan : Veronica Franco, Citizen and Writer in Sixteenth-Century Venice, Chicago,
University of Chicago Press, 1992; Patricia PHILIPPY, « “Altera Dido”: The model of
Ovid’s Heroides in the poems of Gaspara Stampa and Veronica Franco», in Italica, vol. 69,
n. I, (spring 1992), pp. 1-18; Gabriele NICCOLI, «Autobiography and Fiction in Veronica
Franco’s Epistolary Narrative», in Canadian journal of Italian studies, vol. XVI, n. 47, 1993, pp.
129- 142; G. Niccoli, «Eros and the Art of Self-Promotion in Veronica Franco's Terze rime»,
in Annali di Italianistica, 1988, pp. 52-62; Danilo AGUZZI-BARBAGLI, «Dialettica
femminista di Veronica Franco», in John T. BREWER (ed.), Proceedings: Pacific Northwest
Council on Foreign Languages, Twenty-eight Annual Meeting (April 23-25, 1977), Corvalis, Oregon
State University Press, pp. 84-87; Meredith K. RAY, «The Courtesan’s Voice: Veronica
Franco’s Lettere Familiari», in M. RAY(ed.), Writing Gender in Women’s Letter Collections of the
Italian Renaissance, Toronto, Toronto Univeristy Press, 2009, pp. 123-155; Paul
LARIVAILLE, La vie quotidienne des courtisanes en Italie au temps de la Renaissance (Rome et Venise,
XVe et XVIe siècles), Paris, Hachette, 1975; François RIGOLOT, « Montaigne et Veronica
Franco : de la courtisane à la femme de lettres », in Montaigne Studies, XV (1/2-2003), pp. 117-130.
21 Cfr. Stefano BIANCHI, op. cit., p. 9.
19
20
68
Il Campiello – n° 1
Tatiana Crivelli22. Inoltre anche la vivificazione degli studi biografici risale a
quegli anni, soprattutto per i contributi di Alessandra Schiavon e Marisa
Milani23.
2. La cortigiana onesta nella Venezia del Cinquecento
Dopo questo breve excursus sulla fortuna critica di Veronica Franco si
intende procedere a una breve analisi della condizione della cortigiana nel
milieu in cui la moderna etera operò. Tale riflessione vorrebbe, infatti, porsi
come introduzione alla problematica della fatica della donna per affermarsi
nel mondo delle lettere e delle strategie cui deve ricorrere per veder
legittimata la propria ambizione.
V. Stefano BIANCHI, La scrittura poetica femminile, op. cit.; Cesare CATÀ, «Un
Rinascimento tra Petrarca e passione. Il Neo-platonismo “corporeo” della poesia di
Veronica Franco», in La Parola del testo. Semestrale di filologia e letteratura europea dalle origini al
Rinascimento, II, 2009, pp. 359-378; Adriana CHEMELLO, op. cit. pp. 3-42; Tatiana
CRIVELLI, «“A un luogo stesso per molte vie vassi”: note sul sistema petrarchista di
Veronica Franco», in T. C., Giovanni NICOLI e Mara SANTI, L’una et l’altra chiave: figure e
momenti del petrarchismo femminile europeo. Atti del convegno internazionale di Zurigo (4-5 giugno 2004),
Roma, Salerno Editrice, 2005, pp. 79-102; Marcella DILIBERTI LEIGH, Veronica Franco,
donna, poetessa e cortigiana del Rinascimento, Priuli & Verlucca, Ivrea 1988; Maria Luisa
DOGLIO, «Scrittura e “offizio di parole” nelle Lettere Familiari di Veronica Franco», in M.L.
DOGLIO, Lettera e donna. Scrittura epistolare tra Quattro e Cinquecento, Roma Bulzoni, 1993, pp.
33-48; Dacia MARAINI, Veronica, meretrice e scrittora, Milano, Bompiani, 1992; Valeria
PALUMBO, Veronica Franco, la cortigiana poetessa, Villorba, Edizioni Anordest, 2011;
Alvise ZORZI, Cortigiana veneziana, Veronica Franco e i suoi poeti, 1546-1591, Rizzoli, Milano
1993.
23 Alessandra SCHIAVON, «Per la biografia di Veronica Franco. Nuovi documenti», in Atti
dell’Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, CXXXVII, 1978-1979, pp. 243-256; Marisa MILANI,
«L’“incanto” di Veronica Franco», in Giornale storico della letteratura italiana, n. 162, 1985, pp.
250-263; M. MILANI, «Da accusati a delatori: Veronica Franco e Francesco Barozzi», in
Quaderni veneti, XXIII, 1996, pp. 9-34; Matteo MANCINI, «Tre documenti inediti di
Veronica Franco», in La Rassegna della letteratura italiana, XCVIII, n.3, 1994, pp. 123-125;
Stefano BIANCHI, «Nota biografica», in Veronica Franco, Rime, Milano, Mursia, 1995, pp.
33-34.
22
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
69
In questa prospettiva si vedrà come lo stato di cortigiana e quello di
donna di lettere siano intimamente collegati, tanto da coincidere e rendere
difficile se non impossibile e inutile voler parlare della Veronica Franco
scrittrice censurandone la natura di cortigiana. Su questo Gabriele Niccoli è
senz’altro il critico che maggiormente ha inteso e meglio esplicato la
necessità di non disgiungere la letterata dalla cortigiana e viceversa,
sostenendo come sia importante insistere sulla biografia guardando all’opera
letteraria:
I critici, dall'Ottocento fino al Croce ed oltre, hanno insistito sul rilievo
della componente biografica nell'opera della scrittrice cinquecentesca. Sarebbe
forse necessario insistervi di più; meglio vedervi le modalità storiche secondo cui
tale componente si trasforma in materia d'arte. La letterata veneziana propone se
stessa come protagonista assoluta della propria poesia e delle sue prose, elabora
episodi scelti da una prospettiva singolarmente realistica della propria vita di
cortigiana onesta nel mondo veneziano del secondo Cinquecento. Da questa presa
di posizione risulta prima di tutto, ed anzi come motivo informatore generale, il
tentativo di un tipo di emancipazione femminile.24
Tornando, quindi, al primo stadio di questo percorso, ci ritroviamo a
parlare della cortigiana e della capillare diffusione della prostituzione in Italia
nel Cinquecento, tanto da creare il «mito della cortigiana italiana del
Rinascimento25». Come rileva Graf poggiandosi sulla testimonianza di
Sperone Speroni26, il radicale mutamento di percezione nella società
rinascimentale di tale figura sociale – che va nella direzione di un netto
miglioramento – è riscontrabile già dal cambiamento stesso di
denominazione: non più meretrici ma cortigiane. Scrive, infatti, il critico: «Il
Rinascimento fiorito chiama dunque con nome onorifico la donna che l'età
precedente chiamava con nome d'infamia; […] Ma qui non si tratta di un
semplice mutamento di nome, come potrebbe a prima giunta sembrare, e
come, a torto, lo Speroni vorrebbe lasciar credere. Sotto il nome mutato c'è
Gabriele NICCOLI, «Strategie retoriche e finzioni auto confessionali nelle lettere familiari
di una letterata del Cinquecento», in In forma critica. Realtà sociale, I, (gennaio 2003), p. 1.
25 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit., pp. 195-201.
26 V. Sperone SPERONI, «Discorso contro le cortigiane», in Opere di M. Sperone Speroni degli
Alvarotti tratte da' mss. originali, Venezia, Occhi, 1740, cc. 1r-32r.
24
70
Il Campiello – n° 1
la cosa anch'essa mutata; e se la cortigiana rimaneva pur sempre una
peccatrice, non era più la peccatrice di prima27».
Al «mutamento di nome28» corrisponde dunque «la cosa anch’essa
mutata29», e questo mutamento a livello sociale può certamente trovare
esplicazione nella diffusione del Cortegiano di Castiglione, dove la donna di
palazzo, al pari del suo compagno, è: «persona ornata d'ogni pregio e virtù,
persona compita, della cui conversazione nessuno s'ha a vergognare, come
essa non s'ha a vergognare della sua qualità30».
Jacob Burckhardt, nel suo celebre saggio La civiltà del Rinascimento in
Italia, addirittura accosta la moderna figura della cortigiana a quella antica
delle etère, decantandone la finezza della conversazione e dell’istruzione di
quelle tra loro più note31. Sulla stessa lunghezza d’onda, Russo sostiene di
voler nobilitare le cortigiane comparandole alle «etere o alle Aspasie che
furono nell’antica Grecia32», preceduto in tale intento da Graf33. Di parere
diverso è invece Croce, il quale non concorda su questo punto con
Burckhardt e suggerisce come sia più appropriato collocare la cortigiana nel
suo tempo, e quindi nel culto dell’individualità rinascimentale e del
conseguente «risorto sentimento valore della vita terrena34», di cui il critico
svizzero parla diffusamente nel suo saggio35.
In ogni caso, che le si voglia considerare creature mitiche o terrene, il
potere sociale di cui godettero queste donne è un fenomeno largamente
documentato dalle testimonianze dei contemporanei, in primis i viaggiatori
stranieri e in generale i forestieri di passaggio, affascinati dalla liberalità della
città lagunare in materia di tolleranza. A questo proposito, nel suo Journal de
Arturo GRAF, op. cit., p. 225.
Ibidem.
29 Ibidem.
30 Ibidem.
31 Cfr. Jacob BURCKHARDT, La civiltà del Rinascimento in Italia, Firenze, Sansoni Editore,
1955, pp. 430-432.
32 Luigi RUSSO, op. cit., pp. 41-42.
33 Cfr. Arturo GRAF, op. cit., pp. 276-281.
34 Benedetto CROCE, op. cit., p. 47.
35 V. Jacob BURCKHARDT, op. cit., pp. 144-186.
27
28
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
71
voyage en Italie (1580) Montaigne, nella sua tappa a Venezia, rileva la presenza
di centocinquanta cortigiane e il lusso del loro tenore di vita:
Il n’y trouva pas cette fameuse beauté qu’on attribue aus Dames de
Venise ; et si vit les plus nobles de celles qui en font traficque ; mais cela luy
sembla autant admirable que nulle autre chose d’en voir un tel nombre, comme de
cent cinquante ou environ, faisant une despense en meubles et vestemens de
princesses ; n’ayant autre fonds à se maintenir que de cette traficque; et plusieurs
de la noblesse de là mesme, avoir des courtisanes à leurs despens, au veu et sceu
d’un chacun.36
Certamente qui lo scrittore francese, quando parla di «meubles et
vestemens de princesses», si riferisce allo sfarzo ostentato dalle «cortigiane
oneste», ossia coloro che, rispetto alle colleghe meno fortunate perché in
relazione con uomini di bassa condizione sociale, godevano di maggiori
privilegi e prestigio, in virtù dei loro contatti con i notabili della città.
In questa categoria rientrava la stessa Veronica Franco, la quale, da
sempre a contatto con le alte sfere del potere, fin dal principio della sua
carriera di cortigiana si era impegnata per entrare nelle grazie di nobili,
politici e letterati. Riguardo a questi ultimi, si può dire che essi erano
principalmente oggetto delle mire di Veronica Franco – così come di altre
cortigiane oneste – innanzitutto per ragioni di natura pratica: come osserva
Graf, in una società in cui « tutti eran colti, e in cui l'ingegno e la coltura
erano tenuti sommamente in pregio, anche le cortigiane, se volevano aver
seguito, bisognava si ponessero in grado di soddisfare al gusto comune […
]37 »; in secondo luogo perché esse stesse erano “figlie del Rinascimento” e
dunque amanti delle arti e delle belle lettere, cui si dedicavano talvolta con
esiti felici, come nel caso di Tullia d’Aragona, Gaspara Stampa e ovviamente
Veronica Franco.
Un indizio dell’interesse a coltivare tali relazioni si può cogliere, del
resto, nella sua frequentazione del circolo dell’intellettuale, nonché suo
protettore, Domenico Venier, e dall’omaggio che la Franco rende a
Michel de MONTAIGNE, Journal de voyage en Italie, éd. par F. RIGOLOT, Paris, PUF,
1992, p. 69.
37 Arturo GRAF, op. cit., p.238.
36
72
Il Campiello – n° 1
Montaigne nel corso della sua sosta a Venezia e di cui troviamo riscontro nel
diario di viaggio tenuto dall’autore transalpino: «Le Lundi à souper, la
Signora Veronica Franco, gentifemme Venitienne, envoya vers luy pour lui
presenter un petit livre de Lettres qu’elle a composé. Il [Montaigne] fit
donner deux escus audict home38» dove Veronica Franco viene menzionata
semplicemente come «gentifemme», a indicare forse la volontà di
riconoscerne la fisionomia di letterata piuttosto che quella di cortigiana39.
Tornando poi al contesto generale di “gloria” delle cortigiane oneste
al tempo – reso dalla vastità della portata del fenomeno – si possono citare
le testimonianze di Ortensio Lando il quale ne attesta l’innumerabilità40, e di
Giordano Bruno nella critica libertina del Candelaio (1582) che, seguendo la
tradizione retorica umanistica del paradosso e rifacendosi ai Paradossi (1544)
di Ortensio Lando, procede con un rovesciamento dell’ordinaria prospettiva
morale all’elogio paradossale della prostituzione e alla lode delle città in cui
tale fenomeno è maggiormente tollerato, se non incoraggiato, ossia Roma,
Napoli e Venezia per l’appunto41.
A proposito di quest’ultima, infatti, il Nolano la antepone alle altre
città in materia di liberalità nei costumi: «per magnanimità e liberalità della
illustrissima Republica […] le puttane sono esempte da ogni aggravio; e son
manco soggette a leggi che gli altri42» mettendo in evidenza la condizione
privilegiata di cui beneficiano qui le cortigiane a livello economico e fiscale.
Nel testo di Bruno l’elogio paradossale non è semplice esercizio
erudito da umanista ma strumento di satira che, dietro l’apparente elogio
della corruzione dilagante nell’Italia del tardo Cinquecento, intende
condannare non tanto la lascivia dei costumi quanto l’ipocrisia dissimulatrice
della società post-tridentina.
Michel de MONTAIGNE, op. cit., p. 68.
Cfr. François RIGOLOT, op. cit., pp. 125-126.
40 Cfr. Ortensio LANDO, Sette libri de cathaloghi à varie cose appartenenti, non solo antiche, ma anche
moderne, Vinegia, Gabriel Giolito de' Ferrari, e fratelli, Vinegia, appresso Gabriel Giolito de
Ferrari et fratelli, 1552, p. 23.
41 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit. pp. 36-40 e 186-193.
42 Giordano BRUNO, Candelaio, Torino, Einaudi, 1964 [1582], p. 135.
38
39
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
73
Facendo un considerevole balzo nel tempo, Paul Larivaille nel XX
secolo procede anch’egli a una sorta di elogio paradossale della cortigiana –
non spinto dall’intento di una critica morale come nel caso di Bruno – ma
dall’interesse storico per la maggiore libertà di cui queste donne godettero
rispetto alle altre, al punto di dire che: «les courtisanes sont les principales
béneficiaires de l’étroite brèche ouverte dans les préjugés antiféminins et du
changement de mentalité qui s’amorce au temps de la Renaissance
italienne43» e a considerarle protagoniste della «timide émancipation de la
femme qui se dessine alors44».
Tuttavia, lo stesso Larivaille si pronuncia cautamente rispetto
all’ipotesi di un Rinascimento del tutto favorevole alla causa femminile45,
prendendo le distanze da Burckhardt che invece lo dipinge nei termini di
un’epoca-eldorado per la donna. A detta del filosofo, infatti, non ci sarebbe
stata distinzione tra l’educazione della donna e quella dell’uomo, così come
identiche sarebbero state le possibilità di accedere al mondo delle belle
lettere e della politica, esemplificando questo nuovo modello muliebre con la
figura della virago46, in cui però solo qualche cortigiana onesta e le donne
delle classi sociali più elevate potevano identificarsi. In sintesi, per dirla con
Larivaille, anche se nel secolo ci furono : «plus de poétesses que n’en avait
connu jusqu’à là l’humanité entière et qu’il faut voir là indice indéniable
d’une certaine émancipation de la femme, le tableau est toutefois moins
brillant que ne l’affirme Burckhardt47».
Del resto, non mancano testimonianze di contemporanei sugli
attacchi, spesso feroci, subiti dalle cortigiane oneste perennemente in bilico
tra gloria e infamia, e quindi costrette a macchinare i più sottili stratagemmi
per mantenersi in equilibrio in una condizione di costante instabilità.
Paul LARIVAILLE, op. cit., p. 18.
Ibidem.
45 Ivi, pp. 10-17.
46 Cfr. Jacob BURCKHARDT, pp. 426-431.
47 Paul LARIVAILLE, p. 11.
43
44
74
Il Campiello – n° 1
La stessa Veronica Franco fu il bersaglio della maldicenza di Maffio
Venier48, poeta dialettale, che si scagliò contro la cortigiana in un sonetto
caudato dal titolo Veronica, ver unica puttana, cui la Franco rispose nel capitolo
XVI delle Terze Rime, comunque costantemente livellate sul tono dell’autodifesa e della tenzone49. Per rimanere nell’ambito della scrittura veneta,
Lorenzo Venier redasse due poemi satirici: La Zaffetta e La puttana errante,
rispettivamente ai danni di Angela Zaffetta ed Elena Ballerina50.
Più in generale, dalla satira e dal sarcasmo di cui furono oggetto le
cortigiane in La cortigiana di Pietro Aretino, e in particolare nei suoi
Ragionamenti51 – in cui l’autore traccia uno spietato ritratto della pochezza
spirituale e della disonestà delle cortigiane, specie di quelle «oneste» – così
come, tra gli altri, Andrea Alciato, Fausto Andrelini, Ludovico Bigi, Teofilo
Folengo e Sperone Speroni che furono aspri detrattori delle cortigiane52,
emerge ancora una volta un quadro non del tutto roseo come
superficialmente potrebbe apparire.
Le cortigiane, poi, oltre a subire attacchi letterari, erano anche spesso
pagate con la stessa moneta dai loro amanti-in particolare quelli risentiti per
un imbroglio – ovvero con brutti tiri giocati alla loro persona, che spesso
degeneravano in brutali umiliazioni fisiche, talvolta anche pubbliche53.
Senza volersi attardare sulle miserie della loro condizione, già
ampliamente documentate54, si potrà citare la testimonianza diretta di
Veronica Franco, la quale, nella famigerata lettera XXII ad una madre che si
era rivolta a lei affinché la aiutasse ad avviare la figlia alla carriera di
cortigiana, così descrive i fattori degradanti del suo mestiere: «Darsi in preda
di tanti, con rischio di essere dispogliata, d’esser rubbata, d’esser uccisa […]
infermità contagiose e spaventose; mangiar con l’altrui bocca, dormir con gli
V. Manlio DAZZI, Il libro chiuso di Maffio Venier: la tenzone con Veronica Franco, Venezia,
Pozza, 1956; cfr. Alvise ZORZI, op. cit., pp. 91-111.
49 V. Margareth F. ROSENTHAL, «Veronica Franco's Terze Rime», op. cit. pp. 227-257.
50 Cfr. Arturo GRAF, op. cit. p. 255; Stefano BIANCHI, La scrittura poetica femminile, op. cit.,
p.11
51 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit., pp. 47-64.
52 Cfr. Arturo GRAF, op. cit., p. 255.
53 Cfr. Paul LARIVAILLE, op. cit., pp. 126-135.
54 Ivi, pp. 126-135, 149-168, 176-186 e 197-198.
48
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
75
occhi altrui, muoversi secondo l’altrui desiderio […] ma poi se
s’aggiungeranno ai rispetti del mondo quei dell’anima, che perdizione e che
certezza di dannazione è questa?55» riassumibili in un’unica parola: servitù,
come ella stessa scrive56.
Ancora una volta, Larivaille procede con prudenza sulla fortuna delle
cortigiane osservando come «pour une courtisane à qui la fortune sourit, il
en est des milliers qui végètent un temps, en butte aux brimades et aux
tromperies de clients plus rusés et cyniques qu’elles57». Conclude, poi,
proprio con l’esempio di V. Franco : «Veronica Franco elle-même, la plus
grande et la plus célèbre des courtisanes vénitiennes de la Renaissance, doit
provoquer en duel l’auteur de poèmes injurieux à son égard pour sauver sa
réputation […] et doit faire face de son mieux à une dénonciation auprès du
tribunal du Saint-Office58».
3. Da donna di piacere a donna di lettere
Il punto di partenza: la cortigiana onesta
La vita della cortigiana sembra quindi essere contraddistinta da una
straziante e continua esposizione alla tempesta di mille rischi e tormenti, in
cui soltanto poche riescono a barcamenarsi. Tuttavia, le poche che
riuscivano nell’impresa potevano contare su una visibilità sociale invidiabile,
apportatrice di legami e occasioni utili al raggiungimento di quella stabilità
tanto agognata e più difficilmente conquistata dalle compagne meno
ingegnose e «virtuose».
Quest’ultima parola risulta essere la caratteristica essenziale della
cortigiana onesta che abbia delle ambizioni, come nel caso di Veronica
Franco. Nell’ambito del quadro generale assai desolante delineato dalla
Franco nella lettera XXII, la donna non tralascia infatti di avvertire che
Veronica FRANCO, Lettere, op. cit, p. 74.
Ibidem.
57 Paul LARIVAILLE, op. cit., p. 197.
58 Ivi, p. 198.
55
56
76
Il Campiello – n° 1
riuscirà nella «profession delle cortigiane» soltanto chi «abbia maniera e
giudizio e conoscenza di molte virtù59», come è stato nel suo caso, per
l’appunto.
Da ciò si evince come sia essenziale ostentare e pubblicizzare tali
virtù per fare il grande salto60 come afferma Niccoli: «in her Rime, our
courtesan-poet conducts a discourse of self-promotion and selffashioning61». A tale proposito, l’autrice adotterà come prima strategia quella
della scelta di un genere particolarmente adatto al suo disegno di
emancipazione sociale: l’epistola in versi. Il recupero del capitolo in terza
rima – radicato nella poesia cortigiana di fine ‘400 e in quella giovanile
dell’Ariosto62 – le permette, infatti, di sfruttarne la discorsività al fine di
lasciar spazio alla voce e al pensiero femminili di emergere in quella che
Croce definì una raccolta di lettere in versi63.
Posto che il nostro obiettivo è quello di delineare l’evoluzione di tale
presa di parola femminile da scrittura ancora intima e personale nelle Terze
Rime a pubblica rivendicazione nelle Lettere, si tratterà qui di selezionare i
passaggi più significativi del percorso di maturazione della voce di Veronica
Franco da virtuosa cortigiana onesta nei primi capitoli, passando per quelli
dove nell’ambito di una guerra di parole con detrattori e uomini brutali mira
a rivendicare più apertamente le virtù morali e intellettuali delle donne,
pervenendo infine allo stadio di serena presentazione di sé, nell’epistolario,
come donna di lettere ormai affermata e rispettata.
In quest’ottica esemplare della prima fase di tale viaggio verso il
riscatto sociale della cortigiana, appare il capitolo II delle Rime, scritto in
risposta alla languida dichiarazione d’amore del suo amante favorito, ossia
Marco Venier. Al «petrarchismo stucchevole», come definito da Bianchi, che
caratterizza il capitolo I di Venier, V. Franco oppone la concretezza di un
amore terreno così come la richiesta di prove d’amore e non solo a parole,
lusinghe di cui si dice «avvezza [e] delusa». Scrive dunque al suo amante:
Veronica FRANCO, Lettere, op. cit., p. 73.
Cfr. Gabriele NICCOLI, «Eros and the Art of Self-Promotion», op. cit, pp. 52-62.
61 Gabriele NICCOLI, «Autobiography», op. cit., p. 130.
62 Cfr. Stefano BIANCHI, «Introduzione», op. cit., pp. 27-28.
63 Cfr. Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 361.
59
60
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
77
Certe proprietari in me nascose
vi scoprirò d’infinita dolcezza,
che prosa o verso altrui mai non espose,
con questo, che mi diate la certezza
del vostro amor con altro che con lodi,
ch’esser da tai delusa io sono avvezza:
più mi giovi con fatti, e men mi lodi.64
Ben consapevole del suo ruolo di cortigiana che non rinnega, anzi
esalta ammantandolo di un alone di sincerità e nobiltà, puntualizza come per
«fatti» non intenda regali preziosi bensì la pratica di una virtù, intesa come
esercizio delle lettere. Ecco dunque, che in un duplice movimento
argomentativo, la cortigiana cerca insieme la distinzione dalla massa delle
colleghe più venali e l’approvazione di un uomo «gentile e virtuoso»
dimostrandogli parità al fine che egli la consideri meritevole di esser guardata
non solo come discepola di Venere, ma anche di Febo. Scrive quindi a
Venier:
Di mia profession non è tal atto;
ma ben fuor di parole, io’l dico chiaro,
voglio veder il vostro amor in fatto.
Voi ben sapete quel che m’è più caro:
seguite in ciò com’io v’ho detto ancora,
ché mi sarete amante unico e raro.
De le virtuti il mio cor s’innamora,
e voi, che possedete di lor tanto,
ché con tal mezzo vi vegga bramoso
d’acquistar meco d’amador il vanto:
siate in ciò diligente e studioso,
e per gradirmi ne la mia richiesta
non sia il gentil vostro ozio unqua ozioso.65
In un calibrato gioco di alternanza fra dovere e piacere, dopo aver
lanciato l’appello allo studio V. Franco alleggerisce il tono di saggia
64
65
Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 57.
Ivi, pp. 58-59.
78
Il Campiello – n° 1
dispensatrice di consigli non perdendo di vista la sua fisionomia di amante e
tornando, quindi, a promettere «le delizie d’amor» per poi tornare nel finale a
reclamare la virtuosità dell’amato:
dolcemente congiunta al vostro fianco,
le delizie d’amor farò gustarvi [… ]
Così dolce e gustevole divento
Quando mi trovo con persona in letto,
da cui amata e gradita mi sento,
che quel mio piacer vince ogni diletto […]
Fate che sian da me di lei vedute
Quell’opre ch’io desio, ché poi saranno
le mie dolcezze a pien da voi godute.66
Se nel capitolo II Veronica Franco si presenta come cortigianapoetessa, desiderosa della stima dei letterati cui promette di appagare sensi e
spirito, già nel capitolo I del Venier si può cogliere una testimonianza di
quanto i suoi sforzi per promuovere tanto la cortigiana, quanto la letterata
non sono vani:
La penna e ‘l foglio in man prendete intanto,
e scrivete soavi e grate rime,
ch’ai poeti maggior tolgono il vanto[…]
A Febo è degno che si sodisfaccia
Dal vostro ingegno, ma da la beltate
A Venere non meno si compiaccia.67
La tappa intermedia: la rivendicazione della virago
Tuttavia, in virtù degli attacchi frequenti da parte di letterati alle
cortigiane cui più sopra si è accennato, Veronica Franco mostra anche l’altro
aspetto della sua personalità: quello combattivo di un’autentica virago al fine
di mettere in luce l’altra caratteristica – insieme alla saggezza – che le
66
67
Ivi, pp. 60-61.
Ivi, pp. 53 e 55.
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
79
permetterà di guadagnarsi il rispetto degli uomini. Nella società
rinascimentale, infatti, non c’è ancora spazio per la valorizzazione della
differenza femminile. Le donne, in una sorta di degré zéro del cammino verso
l’emancipazione, per essere considerate alla pari dei loro compagni devono
annullare la propria femminilità e allinearsi al modello maschile.
Nell’ambito, quindi, di un’ostentazione di virilità dietro cui si cela il
disegno di far parlare la femminilità, seppur camuffata, la Franco dà vita a un
gruppetto di capitoli polemici – XIII, XVI, XXIII e XXIV – per dimostrare
«her familiarity with satiric debate68».
I capitoli XVI e XXIV sono, ai nostri fini, quelli più significativi, in
quanto in essi alla volontà di dar sfoggio della padronanza di un genere
tradizionalmente maschile si aggiunge, dapprima, la difesa personale della
Franco della propria dignità di donna, per poi passare ad un discorso di
portata universale sulla rivendicazione del valore delle donne tutte, specie nel
XXIV.
Nel capitolo XVI Veronica controbatte al violento sonetto caudato
di Maffio Venier, in un modo che a Favretti è parso blando69. In realtà il non
eccedere in ingiurie fa parte di quel progetto tanto a cuore della Franco,
ossia dar prova, al contempo, di virilità e cortesia, dosando sapientemente
attacco e riposo, condanna e perdono. Del resto il modello
comportamentale di riferimento è quello del Cortegiano di Castiglione70 e la
virago può parlare e agire da uomo, ma non deve dimenticare di essere una
donna.
Per tale ragione, quindi, la parte finale della lettera sarà dedicata alla
ricerca della riconciliazione in virtù di quella clemenza femminile tanto
acclamata dalla trattatistica del tempo, e di quella saggezza cortigiana che
rifugge dai conflitti. In ogni caso, nelle prime due parti del capitolo Veronica
Franco mira a demolire l’ethos avversario dapprima ricorrendo alla dialettica
della virago, per poi passare a ridicolizzare la tesi del nemico, che da ingiuria
viene rovesciata in lode.
Ann Rosalind JONES, «City women and their audiences», op. cit., p. 312.
Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 374.
70 Cfr. BIANCHI, Scrittura poetica femminile, op. cit., p. 108; V. Baldassarre CASTIGLIONE,
Il libro del Cortegiano, Torino, Einaudi, 1998, libro III, pp. 255-352.
68
69
80
Il Campiello – n° 1
Nel primo movimento del suo discorso, dunque, dopo un breve
preambolo sulla viltà del detrattore che ha colpito una donna inerme71 ,
segue il risveglio della guerriera pronta a competere col maldicente:
Quasi da pigro sonno or poi svegliata,
dal cansato periglio animo presi,
benché femina a molli opere nata;
e in man col ferro a essercitarmi appresi,
tanto ch’aver le donne agil natura,
non men che l’uomo in armeggiando intesi72
Un breve intermezzo sull’addestramento bellico della virago, che poi
vediamo farsi carico della responsabilità di una difesa non più solo della
propria persona, bensì della collettività delle donne, cominciando a parlare al
plurale:
Quando armate ed esperte ancor siam noi,
render buon conto a ciascun uomo potemo […]
Di ciò non se ne son le donne accorte;
che se si risolvessero di farlo,
con voi pugnar porian fino alla morte.
E per farvi vedere che l’ vero parlo,
tra tante donne incominciar voglio io,
porgendo esempio a lor di seguitarlo. […]
E le donne difender tutte tolgo,
contra di voi, che di lor sete schivo,
sì ch’a ragion io sola non mi dolgo.73
Come già hanno rilevato Jones e Rigolot, le donne nelle loro
rivendicazioni di libertà tendono a cercare l’appoggio e la solidarietà delle
proprie compagne, alimentando uno spirito di sorellanza74 che aleggia nelle
loro parole, pronunciate da una donna che parla in nome di tutte.
Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 106
Ivi, pp. 106-107.
73 Ivi, pp. 107-108.
74 V. François RIGOLOT, «La Préface à la Renaissance : un discours sexué ? », in Cahiers de
l'Association internationale des études françaises, 1990, N°42. pp. 121-135 ; Ann Rosalind JONES,
op. cit., pp. 299-316.
71
72
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
81
Al grido di battaglia fa seguito l’ammonizione della Franco al
misogino privo di gentilezza, incapace di cogliere la bellezza e la dolcezza
femminili, motivo scatenante della furia della virago, che sfida Maffio in un
duello, al fine di dimostrargli come «al vostro prevaglia il sesso femminil» e
concedendogli il vantaggio della scelta anche dell’arma linguistica con cui
affrontare il confronto- il veneziano, il toscano, il selvaghesco75- dando a
intendere di esser padrona di tutte.
Questa prima parte si chiude sull’allusione alla verosimile caduta del
nemico, sotto i colpi di una guerriera così abilmente addestrata al dibattito,
in modo da intimidirlo.
Su quest’immagine si apre e si innesta il secondo movimento con il
rimprovero a Maffio di non aver usato in modo corretto l’aggettivo «unico»,
usato nel titolo del suo sonetto oltraggioso. La «lezioncina», così come
definita da Favretti76, serve a intaccare la reputazione del nemico che non
riesce neppure nel suo intento di biasimare la cortigiana. Quest’ultima si
lancia poi, stavolta, nella difesa della categoria più ristretta delle cortigiane,
per poi chiudere su una rinnovata sfida a duello.
Infine, in virtù della saggezza cortigiana cui si faceva riferimento
sopra, Veronica tende la mano all’avversario:
Ma perché alquanto manco dubitiate,
son contenta di far con voi la pace,
pur ch’una volta meco vi proviate:
fate voi quel che più vi giova e piace.
La maturazione del discorso rivendicativo della Franco nel capitolo
XXIV, emerge dal tono più amichevole e familiare che si sostituisce a quello
aggressivo della virago, che aveva caratterizzato la replica a Maffio Venier.
Qui, infatti, Veronica rende omaggio alla tradizione umanistica
presentandosi devota al nobile sentimento dell’amicizia e comportandosi da
amica, ossia dispensando conforto e consiglio all’amico caduto nell’errore,
nonché aumentando il numero di saggi aforismi. Organizzato anch’esso in
75
76
Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 109.
Cfr. Elvira FAVRETTI, op. cit., p. 374.
82
Il Campiello – n° 1
due movimenti, nel proemio la Franco informa delle circostanze in cui è
venuta a conoscenza del fatto che l’amico conosciuto come «onesto [e]
diviso dai fecciosi costumi del vil volgo77» abbia minacciato di sfregiare il
viso di una donna.
Nelle vesti di amica, la cortigiana offre la propria solidarietà
all’uomo, riconoscendo come spesso la ragione non riesca a controllare l’ira
che conduce a compiere «quel ch’è vergognoso ed inonesto». A questa
dimostrazione di comprensività segue un invito a meditare sull’inopportunità
dell’ingiuria alle donne, abbordando quindi una riflessione che a partire da
un singolo e privato aneddoto, si prefigge di riflettere sulla condizione delle
donne in generale e di procedere a un’universale apologia del sesso
femminile, che ha corso in tutta la prima sezione del capitolo. Scrive quindi
all’amico:
Povero sesso, con fortuna ria
Sempre prodotto, perch’ognor soggetto
E senza libertà sempre si stia!
Né però di noi fu certo il diffetto,
che se ben come l’uom non sem forzute,
come l’uom mente avemo ed intelletto.
Né in forza corporal sta la virtute,
ma nel vigor de l’alma e de l’ingegno,
da cui tutte le cose son sapute;
e certa son che in ciò loco men degno
non han le donne, ma d’esser maggiori
degli uomini dato hanno più d’un segno.
Ma se di voi si reputiam minori,
fors’è perché in modestia ed in sapere
di voi siamo più facili e migliori78
Alla rivendicazione della parità intellettuale con l’uomo fa seguito
una lunga argomentazione sulla saggezza e sulla modestia della natura
femminile apprezzata dagli uomini gentili, i quali rifulgono dall’offendere le
donne, riconoscendo i loro meriti:
77
78
Veronica FRANCO, Rime, op. cit., p. 148.
Ibidem p. 148.
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
83
Da questo argomentando si discorre
Quanto l’offesa fatta al nostro sesso
La civiltà de l’uom gentile aborre79.
«L’uom gentil» viene quindi invitato, nella seconda parte, a ravvedersi
e a riconciliarsi con le donne tutte prospettandogli il gratificante scenario
della pace interiore:
Cessin l’offese omai, cessin gli sdegni
E tanto più che d’uom nato gentile
Questi non sono portamenti degni;
ma è profession d’uom basso e vile
pugnar con chi non ha diffesa o schermo
se non di ciance e d’ingegno sottile […]
ritorna ancor l’amata al doppio cara
nel rifar de la pace; e per turbarsi,
più d’ogni parte l’alma si rischiara.
Così nel ben vien a moltiplicarsi,
e così certa son che voi farete[…]
l’error di voi non degno emenderete.80
Perfettamente calata nel ruolo di consigliera mondana, V. Franco
ingentilisce un discorso che potrebbe prendere i toni della severità, cercando
di non insistere sulla reprensibilità della condotta dell’amico; piuttosto apre
alla possibilità di recuperare all’errore commesso, di redimersi. In questo
modo, del resto, la cortigiana porta a termine qui la prima parte di un lavoro
destinato a continuare nelle Lettere, ossia quello di costruire l’immagine di un
ethos benevolo e magnanimo, in una prospettiva in cui le virtù intellettuali
non devono dissociarsi da quelle morali81.
Ivi, p. 150.
Ivi, p. 151.
81 Cfr. Jean LECOINTE, «Vers une rhétorique de la personne», in J.L., L’idéal et la différence.
La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, 1993, pp. 375-468.
79
80
84
Il Campiello – n° 1
Il punto di arrivo: il genere epistolare al servizio della donna di lettere
Veronica Franco, in linea con le tendenze editoriali del mercato
librario veneziano del tempo82, si immerge dunque nella scrittura di lettere
familiari, dove porta all’apice il discorso auto- rappresentativo di donna
virtuosa e letterata, iniziato nelle Rime. Qui, infatti, a parte qualche rimando
alla sua attività di cortigiana, Veronica si presenta nei panni della donna di
lettere ormai affermata e ricercata nel suo ambiente, che disquisisce di una
varietas di argomenti con i più «gentili spiriti» di Venezia.
Il leitmotiv della raccolta è quello di una saggezza morale che emerge
nelle lettere in cui dispensa consigli ad amici caduti in disgrazia per
rincuorarli così come in quelle dove ammonisce, specie la celeberrima
epistola XXII83. Tuttavia, ancora più marcatamente e consapevolmente che
nelle Rime, l’epistolario mira a donare l’immagine di una donna virtuosa
moralmente e soprattutto intellettualmente.
Non mancano quindi le lettere dove chiede o ringrazia per un
consiglio ricevuto in merito alla sua attività di scrittrice, così come quelle in
cui discute di arte e letteratura, ad esempio la nota epistola XXI al
Tintoretto, in cui nell’ambito della questione degli antichi e dei moderni, si
schiera a favore dei secondi.
Infine, nelle lettere XIX, XXXII, XXXIX e XLV. Franco si pone
come organizzatrice di una raccolta lirica in omaggio alla memoria del
defunto Estor Martinengo, commissionatagli dal fratello maggiore di questi,
Francesco. Proprio nel voler lasciar traccia di questo impegno possiamo
cogliere la volontà dell’autrice di celebrare la propria realizzazione sociale.
Per riuscire nell’intento Veronica si mette in moto per sollecitare i suoi
contatti migliori, provenienti in larga parte dall’ambiente culturale veneziano
che gravita attorno alla figura di Domenico Venier.
V. Ludovica BRAIDA, «Mercato editoriale e dissenso religioso nella riflessione
storiografica. Le raccolte epistolari cinquecentesche», in Società e Storia, XXVI, 2003, pp.
273-292; V. Amedeo QUONDAM, Le 'Carte Messaggiere' : retorica e modelli di comunicazione
epistolare : per un indice dei libri di lettere del Cinquecento, Roma, Bulzoni, 1981.
83 Maria Luisa DOGLIO, op. cit., pp. 33-42.
82
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
85
A questo proposito si noterà, infatti, come gli autori di tali
componimenti siano persone appartenenti al milieu delle accademie e ai quali
Veronica scrive per richiederne la collaborazione ricorrendo alla strategia
dell’adulazione. Scrive, infatti, nella lettera XXXII: «Questa è la somma
breve dell’informazione, la qual io mando perché Vostra Signoria scriva e
faccia scrivere da quei suoi academici secondo che le piacerà, affermandole
che le sue composizioni tra tutte l’altre mi saranno carissime, sì come sono
certa che di bellezza e di dottrina saranno notabili tra tutte l’altre84».
Da letterata, quindi, Veronica non dismette i toni della ruffianeria
che usava da cortigiana coi suoi amanti. L’ammiccare alle virtù del
destinatario fa parte, infatti, di un protocollo osservato scrupolosamente
dall’autrice che vuole e deve, anche in questo caso, sedurre. Esemplare, a
questo proposito, la lettera XL in cui la Franco si dichiara «inamorata» della
virtù dell’interlocutore, resa con l’immagine del chiarore: «chiarissimo
splendore […] raggio di così chiara luce» che la mittente si compiace di
ammirare in «beata contemplazione».
Meno enfatica, invece, la lettera XXXIX, dove l’autrice comunque
elogia gli studi dell’amico allettandolo con la prospettiva di prender parte ad
una «impresa [cui parteciperanno molti altri] valorosi compagni85», nonché
Veronica stessa.
Il riferimento alla «valorosa e virtuosa gentilezza»86 si ritrova anche
nella lettera L, così come nella lettera XLIX e nelle ultime in generale si
incontrano anche le lodi dei destinatari attribuite al libro della Franco.
Quest’ultima, pur se coinvolta in uno scambio intellettuale ormai paritario,
non tralascia di dimostrare una virtuosa modestia, chiedendo a più riprese ai
suoi amici di voler rileggere i propri scritti al fine di emendarli da eventuali
errori.
Veronica FRANCO, Lettere, op. cit., p.92.
Ivi, p. 101.
86 Ivi, p. 116.
84
85
86
Il Campiello – n° 1
Conclusione
In conclusione sembra inevitabile constatare come questa singola
figura poliedrica sia particolarmente rappresentativa dell’insieme delle
diverse sfumature della società veneziana del tardo Cinquecento, nella
complessità delle sue contraddizioni.
Cortigiana, poetessa e autrice di un libro di lettere, Veronica Franco
risulta essere un interessante oggetto di ricerche per gli studiosi del tardo
Rinascimento, sia da un punto di vista sociologico che letterario, nella
misura in cui vita e opera sono in lei inscindibili. Partendo dall’ottica
letteraria possiamo, infatti, inquadrare il caso della Franco – nell’ambito dei
gender studies – quale esemplare di quelle istanze ugualitarie in direzione
proto-femminista che hanno caratterizzato il secolo, così come si può
riflettere sugli elementi di contatto e distanza dal modello petrarchesco nella
sua poetica; proseguendo con quella storico-sociologica possiamo
soffermarci sulla «corruttela» della Venezia di quegli anni di cui la Franco è
un’importante testimone, oppure sulla figura divenuta mitica della cortigiana
onesta, da molti considerata foriera di venti di emancipazione per la donna
della società umanistica; infine dalla prospettiva degli studi sulla storia della
lingua si può osservare in che modo l’autrice partecipa al dibattito della
Questione della lingua – specie per quanto concerne le Lettere – che animava
gli studiosi dell’epoca.
Tornando alla prospettiva degli studi sulla scrittura di genere, in cui
questo contributo intende inserirsi, possiamo concludere che sebbene possa
essere ardito voler cogliere nelle parole di Veronica Franco l’intento di un
rivoluzionario capovolgimento dei ruoli, vi si possono intravedere, tuttavia,
frammenti di un discorso femminista ante-litteram. Pur se in un contesto
culturale in cui i trattatisti insistono sul valore del silenzio e della modestia
nel modello comportamentale femminile87, V. Franco riesca a farsi
portavoce di una massa di donne mute per cui funge da exemplum.
Cfr. Ann Rosalind JONES, op. cit. pp. 299-300; V. Helena SANSON, Donne, precettistica e
lingua nell’Italia del Cinquecento: un contributo alla storia del pensiero linguistico, Firenze, Accademia
della Crusca, 2007.
87
Manca – Veronica Franco da donna di piacere a donna di lettere
87
Grazie al ricco bagaglio di astuzie e strategie retoriche che la
cortigiana mette a disposizione della letterata, l’autrice riesce dunque a
legittimare la rottura del silenzio femminile indossando la maschera
linguistica di una cortese «civile conversazione».
Inoltre, più specificamente per quanto riguarda la sua raccolta
epistolare, la scrittura di Veronica Franco appare esemplare anche per un
altro aspetto, finora poco esplorato: la sperimentazione degli autori moderni
in rapporto al modello autorevole dei «famosi auttori».
Se nella lettera XXI, infatti, Veronica difende la credibilità degli
artisti moderni, allo stesso modo vuole dimostrare quella degli autori di libri
di lettere d’autore88. Influenzata dal nuovo modello del Segretario del
Sansovino, la Franco si pone dunque come moderna autrice di epistole
familiari volte alla dimostrazione dell’ «esemplarità tutta retorico-linguistica
della lettera89» che deve offrire un modello di scrittura corretta in quella
lingua italiana volgare cinquecentesca, ancora in divenire e oggetto di vive
discussioni.
88
89
Amedeo QUONDAM, op. cit., pp. 49-59.
Ivi, p. 57.
Claudio Chiancone
Une histoire d’émancipation féminine dans la Venise du 18e
siècle : Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
1. Fiorenza Ravagnin : une mécène oubliée
Tout au long du 18ème siècle, l’histoire de Venise fut riche de
personnages féminins que l’on qualifie généralement de « mineurs » mais qui,
à y regarder de plus près, acquirent une telle réputation uniquement parce
qu’elles exercèrent leur talent sous l’aile protectrice de maris célèbres et
puissants.
C’est le cas de Fiorenza Ravagnin. Comme d’autres femmes de
culture de l’époque, cette aristocrate a connu un oubli posthume difficile à
expliquer si on le compare aux éloges reçus tout au long de sa vie1. Et
Parmi les essais qui ont fait mention de Fiorenza on rappellera Opere di Pietro Giannone,
dans Illuministi Italiani, éd. S. Bertelli, G. Ricuperati, Milan-Naples, Ricciardi, 1971, vol. I, p.
XXVIII; M. Infelise, L’editoria veneziana nel ’700, Milan, FrancoAngeli, 1999, p. 353; R.
Carriera, Lettere, diari, frammenti, éd. B. Sani, Florence, Olschki, 1985, II, ad indicem; M.
Magrini, I pastelli di Rosalba Carriera della collezione Recanati, dans Per sovrana risoluzione. Studi in
ricordo di Amelio Tagliaferri, sous la direction de G.M. Pilo et B. Polese, Monfalcone, Editions
della Laguna, 1998, p. 539-546; G. Pavanello-A. Mariuz, La collezione Recanati, “Atti
dell’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti”, t. CLIX (2000-2001), Classe di scienze
morali, lettere ed arti, p. 65-175; P. Del Negro, Rosalba Carriera: la famiglia e la società veneziana,
dans Rosalba Carriera «prima pittrice de l’Europa», sous la direction de G. Pavanello, Venise,
Marsilio - Istituto di Storia dell’Arte Fondazione Giorgo Cini, 2007, p. 33-39; B. Sani,
Rosalba Carriera 1673-1757. Maestra del pastello nell’Europa ancien régime, Turin, Allemandi, 2007,
ad indicem; P. Del Negro, Giovanni Poleni e i Riformatori dello Studio di Padova. Una carriera
universitaria nel XVIII secolo, dans “Quaderni per la storia dell’Università di Padova”, 46
(2013), p. 3-60; ID., Giovanni Poleni e la Repubblica delle Lettere: i periodici, le accademie, i
corrispondenti, dans Giovanni Poleni tra Venezia e Padova, sous la direction de P. Del Negro,
1
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
89
pourtant, les témoignages évoquent une gente dame autonome, à l’aise dans
le monde culturel vénitien du milieu du 18ème et qui sut tenir tête aux
hommes auxquels elle eut affaire.
Ces témoignages nous permettent de comprendre non seulement le
rôle de mécène de premier ordre, mais aussi de « souche » d’une
descendance littéraire essentiellement féminine2.
Durant toute son existence qui accompagna presque tout le siècle
des Lumières, Fiorenza Ravagnin fut témoin et participante active de l’ultime
grande saison de la République Sérénissime caractérisée par une
effervescence sociale, philosophique et artistique sans précédent. En même
temps, sa vie est emblématique de la crise de ce patriciat vénitien qui, malgré
des difficultés financières réitérées, ne sut renoncer au status symbol du
collectionnisme et de la promotion artistique.
C’est justement en s’appuyant sur cette activité que Fiorenza bâtit
cette affirmation personnelle qui allait la porter, année après année, au
sommet de la Sérénissime. Elle avait compris très jeune le pouvoir du
mécénat en tant qu’instrument de sociabilité, de prestige et d’émancipation,
et l’importance d’une riche bibliothèque comme centre d’attraction pour
artistes et intellectuels.
A l’aide de documents divers publiés ou inédits, nous pouvons
aujourd’hui parcourir étape par étape la progression de la promotion sociale
et de l’émancipation personnelle de celle qui ne fut à l’origine qu’une des
représentantes de la petite noblesse de province.
Venise, Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti, 2013, p. 131 e 173. Au cours de notre
étude nous citerons les lettres inédites de Fiorenza Ravagnin conservées dans la British
Library de Londre, Manuscripts Additional 22964 (I) - 22971 (VIII), (dorénavant “BL, IVIII”). Je tiens à remercier Pietro Del Negro, Giuseppe Gullino, Mario Infelise, Mathilde
Rossi et Anne Blanchon pour leur relecture ainsi que pour les remarques et conseils dont ils
m’ont fait part.
2 Sur les femmes Vendramin cf. C. Chiancone, Le lettere d’amore di Alba Corner Vendramin al
Bertola (1793-1795), dans “Archivio veneto”, CLXVII (2006), p. 155-192; ID., Le lettere inedite
di Fiorenza Vendramin Sale a Luigi Cerretti (1795-1796), dans “Quaderni veneti”, 40 (2004), p.
121-164.
90
Il Campiello – n° 1
2. Les premières années
Fiorenza Ravagnin est née à Venise le 6 mai 1712 de Giulio
Ravagnin di Girolamo, descendant d’une ancienne famille aristocrate de la
Marche Trévisane, et de Maria Bonfadini di Giovanni. Noblesse aisée certes,
mais associée très récemment aux patriciens de la capitale : le trisaïeul avait
obtenu son inscription au livre d’or – c’est-à-dire l’accès au Maggior Consiglio
pour lui-même et pour ses descendants masculins – en 1682 suite au
versement au Trésor public de 100 000 ducats3.
On ne sait rien de l’enfance de Fiorenza à part ce que l’on peut
extraire de documents plus tardifs : une éducation ordinaire pour une femme
de petite noblesse, un esprit religieux sans bigoterie, qui ne l’empêcherait
pas, très jeune, d’entrer en contact avec des représentants de la francmaçonnerie ; marque révélatrice d’un esprit entreprenant, ambitieux,
pragmatique et un flair précoce pour les affaires brillamment porté par une
lignée qui en matière d’échanges et de relations haut placées avaient
construit son ascension sociale.
La vie documentée de Fiorenza commence à 21 ans, au moment où
elle convole en justes noces avec Giambattista Recanati : quarante-six ans,
sénateur de la République et premier enfant d’une famille aisée elle aussi
depuis peu, très peu4.
Personnage érudit caractéristique du 18ème siècle, Recanati s’était
distingué dans toutes les branches de l’érudition5. Auteur d’une tragédie
(Demodice) portée sur scène plusieurs fois avec succès, collaborateur du
Cf. Biblioteca del Museo Civico Correr, Ms. P.D. 2536 / 6, De Ravagnina familia Summarium
Historicum, manuscrit latin datant de 1685 environ. Pour ce qui est de la date de naissaonce
de Fiorenza cf. Magrini, cit., p. 545.
4 Cf. D. Raines, Idee di nobiltà nel dibattito sulle aggregazioni (1685-1699 et 1704-1718), dans
Venezia e la guerra di Morea: guerra, politica e cultura alla fine del ’600, sous la direction de M.
Infelise ed A. Stouraiti, Milan, FrancoAngeli, 2005, p. 94.
5 Cf. Del Negro, Rosalba, cit. Sur les ouvrages de Recanati cf. E. Cicogna, Saggio, cit.; E.
Lugato, Alla ricerca del codice pliniano di Giambattista Recanati (1687-1734), bibliofilo veneziano,
dans “Studi umanistici piceni”, 19 (1999), p. 54-67; ID., “…Breve, fugitiva relazione..”. Una
lettera di Giambattista Recanati ad Apostolo Zeno, dans Humanistica Marciana: saggi offerti a Marino
Zorzi, sous la direction de S. Pelusi ed A. Scarsella, Milan, Biblion, 2008, p. 165-173.
3
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
91
“Giornale de’ letterati d’Italia” qui était le point de référence culturel des
Lumières italiennes, fin collectionneur de tableaux (il fut mécène et ami
intime de Rosalba Carriera) et de manuscrits précieux recueillis au cours de
divers séjours à l’étranger (parmi lesquels un à Paris en 1718). Recanati était
au centre d’un réseau culturel comprenant la fine fleur de l’érudition et de
l’archéologie italiennes et européennes : Zeno et Calogerà à Venise, Muratori
à Modène, Poleni et Facciolati à Padoue, Maffei à Vérone, sans oublier
Crozat, Montfaucon à Paris, Rolli en Angleterre, Nemeitz en Allemagne6.
C’est justement pour se consacrer entièrement à l’érudition que
Giambattista avait renoncé à ses droits d’ainesse et choisit les ordres
mineurs. Mais ses projets de calme studieux disparurent soudainement en
janvier 1733 quand la mort de l’aîné Philippe, qui n’avait pas d’héritier, et
l’entrée en religion du troisième enfant de la famille, Antonio, l’obligea à
prendre épouse pour assurer la descendance de la famille.
Le 23 septembre 1733, en l’église de San Giorgio Maggiore, Recanati
conduisait donc à l’autel la jeune Fiorenza. De cette brève union ne
naquirent pas de descendants. Mais au moins ce très bref mariage joua-t-il
un certain rôle dans la formation spirituelle de la gente dame ? Certes,
Recanati était plus âgé mais il était tout sauf rabougri, et sa santé fragile ne
l’avait pas empêché de mener une vie sociale active, de voyager, de tisser un
vaste commerce épistolaire. Il était lettré de niveau national et européen,
persuadé qu’il fallait rajeunir la culture italienne en commençant par les
forces vives du pays et que les femmes pouvaient contribuer à un tel
renouveau7.
Si c’est grâce à sa famille qu’elle avait appris l’importance des
relations sociales et de l’accroissement du patrimoine financier, ce fut
certainement grâce à cet homme que Fiorenza apprit l’autre leçon
fondamentale de sa vie : qu’à travers la promotion artistique une femme
Cf. Del Negro, Rosalba, cit., p. 195. De nombreuses correspondances de Recanati sont
signalés dans C. Viola, Epistolario italiano del Settecento, Verona, Fiorini, 2004, ad vocem. Ses
lettres à Montfaucon sont conservées à la Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits
Français, 17711 (XI).
7 Cf. Poesie italiane di rimatrici viventi raccolte da Teleste Ciparissiano pastore arcade, Venise, 1716.
6
92
Il Campiello – n° 1
pouvait se faire valoir à l’égal d’un homme, et transmettre aux futures
générations un patrimoine culturel et spirituel précieux.
Mariage très bref, disions-nous, et peu détaillé mais riche d’échanges
et de rencontres fructueuses. Les époux purent croiser et fréquenter, entre
autres, Pietro Giannone, le célèbre libre-penseur anticlérical et proscrit
napolitain désormais compté parmi les pères du libéralisme économique,
alors soumis à un étroit espionnage, plusieurs fois menacé et finalement
expulsé par le Gouvernement Vénitien8.
Fiorenza conserverait longtemps le souvenir de cette fréquentation,
qui ne put se prolonger, étant donné que deux mois après la venue du
proscrit bourbonien sur la lagune, le 17 novembre 1734, Giambattista
s’éteignit brusquement. Il avait 47 ans et ne laissait aucun héritier derrière lui.
Sur les Recanati pesait la menace de l’extinction.
3. Le premier veuvage : un apprentissage culturel
À compter du jour de la disparition de Recanati, Fiorenza se trouva
réduite au rang de personnage secondaire. Elle payait pour la faute – nous
savons aujourd’hui que ce n’était pas la sienne – de ne pas avoir assuré une
descendance à son époux. À la lecture des dernières volontés de ce dernier, il
fut clair aux yeux de tous que la vraie bénéficiaire, à défaut de ne pas avoir
de descendant direct, était « Madame Laura Recanati Giustinian ma sœur
bien aimée9 ».
À Fiorenza ne revenait que la formule exécutoire du legs de la
précieuse collection de manuscrits anciens à la Bibliothèque Marciana10, ainsi
que la moitié des rentrées d’argent restantes après extinction des dettes.
Giambattista laissait par ailleurs à « Madame mon épouse » cette
« Bibliothèque privée » (Libreria) rassemblée par tant de voyages et de
Cf. A. Merlotti, Giannone, Pietro, dans Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 54 (2000).
Cf. Magrini, cit., p. 542-543.
10 Cf. M. Zorzi, La Libreria di San Marco, Milano, Mondadori, 1987, p. 250-252.
8
9
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
93
recherches. Ce fut le legs le moins précieux mais sentimentalement le plus
significatif11.
À tout juste 22 ans, Fiorenza commençait donc un long veuvage qui
devint son apprentissage social et culturel.
Une fois passée l’année de deuil traditionnel, et non sans décliner
nombre de propositions pour de nouvelles noces, la « veuve Recanati » (c’est
ainsi qu’elle signait désormais) se consacra à réorganiser sa vie. Femme
active et pragmatique, elle se retrouva inopinément libre de gérer l’héritage
matériel de la famille, et qui plus est, l’héritage culturel d’un mari illustre.
Et ce fut justement à partir de la bibliothèque de celui-ci qu’elle
commença. Des correspondances et acquisitions libraires de Recanati furent
confirmées et gérées personnellement ; des souscriptions et des
abonnements s’en vinrent renouvelés.
Un intéressant document inédit nous révèle les moments saillants de
ce long “apprentissage” social et commercial. Il s’agit de cinquante lettres
que Fiorenza expédia entre 1735 et 1769 à l’imprimeur florentin Domenico
Maria Manni : témoignage éclairant non seulement en ce qui concerne
l’évolution de la carrière de mécène de Fiorenza Ravagnin, mais également
sur sa personnalité et son émancipation sociale.
Descendant d’une importante famille d’imprimeurs, Domenico
Maria Manni (1690-1788) fut imprimeur, archiviste, polygraphe, érudit et
grammairien12. En 1726, l’Académie de la Crusca avait confié à Manni la
révision ainsi que la quatrième édition du célèbre Dictionnaire académique
(1729-1738). L’imprimeur, déjà au centre d’un vaste réseau épistolaire avec la
fine fleur de l’érudition italienne, était alors entré en contact avec
Giambattista Recanati qui était devenu un fidèle client et référent
commercial à Venise13.
Cette bibliothèque se trouvait dans l’élégant nymphée du jardin de Palazzo Vendramin,
qui existe toujours.
12 Cf. M.B. Guerrieri Borsoi, Manni, Domenico Maria, in Dizionario Biografico degli Italiani, vol.
77 (2012).
13 Six lettres de G.B. Recanati a D.M. Manni (datant de la période 1731-1734), sont
conservées dans BL, I, ff. 74, 76, 96, 101, 141, 191.
11
94
Il Campiello – n° 1
A la disparition prématurée du patricien vénitien, la jeune veuve
succéda à son mari en prolongeant sa correspondance avec Manni. Ce fut le
début d’un échange qui allait durer plus de trente ans, que les documents du
British Museum nous permettent de parcourir en détail.
Ce sont, pour la plupart, des billets de quelques lignes dictées à la
hâte à quelque secrétaire, au bas desquels Fiorenza Ravagnin apposait sa
signature. Ces billets nous révèlent un caractère féminin pour qui les livres
devenaient avant tout des comptes rendus et des calculs14. Dans un monde
traditionnellement masculin comme celui du commerce libraire, elle
affrontait avec naturel des considérations sur des frais, des budgets, des
envois en relation serrée avec l’imprimeur florentin.
Bien que caché sous la froide objectivité des calculs et derrière un
rigoureux respect de l’étiquette, ces lettres mettent en lumière le caractère
fort singulier de Fiorenza. Femme franche et concrète, très loin du cliché
plaintif et capricieux qui était en vogue à l’époque, la gente dame nous
dévoile ici une image originale de féminité du 18ème siècle et un profil
psychologique tel qu’en lui-même, avec son esprit méthodique rationnel,
digne d’une vraie illuministe, sa précision presque maniaque dans les
comptes, ses scrupules continuels relatifs à sa propre image publique.
Les lettres constituent donc un témoignage rare et précieux de ce
mécénat féminin vénitien qui précisément à cette époque, non seulement
grâce à la gestion directe des patrimoines familiaux, mais aussi à travers la
création de salons privés et de conversations, jetait les premières bases d’une
émancipation sociale15.
La première lettre à Manni remonte au mois d’octobre 1735. Avec
quelques jours d’avance sur la fin de la traditionnelle “année de veuvage”,
Cf. Infelise, cit., p. 9-61.
Sur les femmes vénitiennes gérant les patrimoines familiaux cf. G. Gullino, I Pisani Dal
Banco e Moretta. Storia di due famiglie veneziane in età moderna e delle loro vicende patrimoniali tra 1705
e 1836, Rome, Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea, 1984. Sur les
salons cf. B. Craveri, Madame du Deffand e il suo mondo, Milan, Adelphi, 1983; EAD., La civiltà
della conversazione, Milan, Adelphi, 2001 (2ème ed. 2006) [traduction française, L’âge de la
conversation, Paris, Gallimard, 2002] ; cf. aussi Salotti e ruolo femminile in Italia : tra fine Seicento e
primo Novecento, sous la direction de M.L. Betri et E. Brambilla, Venise, Marsilio, 2004.
14
15
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
95
Fiorenza reprit sa correspondance avec l’imprimeur florentin pour lui
annoncer une décision drastique, probablement due au désarroi : se défaire
des livres du mari16.
Bien entendu, elle revint rapidement sur sa décision et elle opta pour
une vente des meilleures pièces. A cette fin, l’imprimeur la mit en contact
avec l’abbé Giovan Battista Casotti, bibliothécaire de la toute nouvelle
Bibliothèque Roncioniana di Prato17. A la disparition de ce dernier, survenue
en 1737, la dame intensifia sa correspondance directe avec Manni, et
redevint un fidèle acquéreur.
Durant ces premières années, les lettres de la jeune veuve montrent
la volonté de compléter la bibliothèque du mari dans le but d’honorer sa
mémoire. Fiorenza acquérait régulièrement tout ce qui pouvait sortir des
presses de l’imprimeur florentin, justement parce que c’était lui le
fournisseur officiel des Recanati18.
Entre la fin des années Trente et le début des années Quarante, toute
référence à l’ancien mari disparait. Les lettres deviennent plus méthodiques
et révèlent une stratégie nouvelle, essentiellement commerciale, fondée sur
une claire délimitation des objectifs et ayant pour fin la création d’un
rapport de confiance avec l’imprimeur.
Comme nous le disions, la correspondance révèle, entre les lignes,
une femme d’affaire habile et bien au courant des stratégies commerciales. Il
est intéressant de relever, par exemple, la circonspection avec laquelle
Fiorenza conduisait ses affaires :
Cela me déplairait que trop de personnes en viennent à connaître nos intérêts19.
Le socle fondamental prouvant le rapport de confiance était,
naturellement, la recherche d’associés. A partir de 1739, Fiorenza mit à
contribution son vaste réseau de contacts héritée par son mari et partit à la
Venise, le 29 octobre 1735 (BL, I, f. 281).
Cf. les lettres envoyées depuis Venise datées du 16 mars, 5 mai, 25 août et 23 novembre
1736 (BL, II, f. 11, 20, 35, 39).
18 Venise, le 12 octobre 1738 (BL, II, f. 123).
19 Venise, le 8 septembre 1742 (BL, III, f. 342).
16
17
96
Il Campiello – n° 1
recherche de souscripteurs pour les nouvelles éditions de Manni. Elle se
proposa en outre comme agent commercial pour les recouvrements et les
livraisons. Des noms prestigieux du mécénat deviennent alors fréquents
dans la correspondance :
J’ai fait tout ce que j’ai pu pour trouver des souscripteurs pour le livre que
vous m’avez conseillé, et j’ai réussi à contacter Monseigneur le Maréchal
Scolemburgh [sic] et Monseigneur Giacomo da Riva. Vous me suggérerez la façon
dont je dois m’organiser pour pouvoir vous transmettre l’argent nécessaire20.
J’espère que dans le courrier du jour vous avez reçu la nouvelle envoyée
par Monseigneur Giacomo de cinq souscripteurs du Décaméron, pour lesquels je
vous serai redevable du montant des cinq Originaux qui ont été imprimés sur
papier gros format, comme je vous l’ai écrit.
Je vous ordonne d’ajouter Madame Rosalba Carriera, qui elle aussi le
désire sur papier gros format, et vous assure que je ne manquerai pas de m’en
occuper21.
Un amour invétéré de la précision et de la ponctualité, une peur
constante de perdre la face en société sont les aspects saillants de cette
correspondance. Encore une fois, ce sont de petites phrases révélatrices qui
restituent la psychologie de l’épistolière : sa conscience de l’enjeu élevé de
chaque échange ou lors du repérage de chaque nouvel associé possible, dans
l’encaissement de tel ou tel paiement, dans le solde d’un débit.
Son carnet d’adresses augmenta rapidement. Tout en maintenant un
rapport privilégié avec le cercle du premier mari, entre la fin des années
Trente et le début des années Quarante, Fiorenza Ravagnin tira profit de son
rôle d’agent de confiance de Manni pour tisser d’autres liens culturels
surtout en Vénétie et en Toscane.
Venise, le 30 janvier 1739 [1738 more veneto] (BL, II, f. 91). Johann Matthias von der
Schulenburg (1661-1747) fut le lieutenant général de l’armée vénitienne de 1715 al 1745,
ainsi que l’un des plus importants collectionneurs de son époque, cf. A. Binion, La galleria
scomparsa del maresciallo von der Schulenburg. Un mecenate nella Venezia del Settecento, Milan, Electa,
1990.
21 Venise, le 9 juillet 1740 (BL, III, f. 105).
20
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
97
4. L’ascension et la consécration
Dans la première moitié des années Quarante, les billets de Fiorenza
révèlent une nouvelle prise de conscience et, surtout, une ambition plus
mature. De simple acquéreur et agent commercial, la jeune veuve décide en
effet de se lancer dans des entreprises libraires de plus grande ampleur.
Suivant ainsi une mode européenne qui s’était affirmée depuis désormais une
vingtaine d’années, elle fit le choix de s’associer à des éditions de prestige.
En 1744, la « N.D. Fiorenza Ravagnini Recanati » (on notera
l’italianisation du nom de jeune fille ainsi que l’élimination du titre de
« veuve », devenu encombrant) apparaissait pour la première fois sur la
longue liste des souscripteurs, presque tous des hommes, aux volumes des
Poesie drammatiche d’Apostolo Zeno, le plus célèbre représentant de
l’Illuminisme vénitien22. L’année suivante, sous la même signature, Fiorenza
s’associait à la Gerusalemme liberata di Torquato Tasso dédiée « à sa majesté
sacrée Marie Thérèse d’Autriche », véritable bijou typographique orné de
splendides gravures de Piazzetta23.
Dix ans après la disparition de Recanati, Fiorenza faisait ainsi son
entrée dans la jet set de la Sérénissime, et commençait à faire parler d’elle non
pas en vertu d’un nom d’épouse illustre, mais suite à une initiative
totalement personnelle.
Au cours de la décennie suivante, cette même stratégie se poursuivit
de plus belle. Une fois encore, en flairant dans la bonne direction, elle
s’aperçut que l’élection d’un doge mécène et lettré de profession (à savoir
Pietro Grimani, 1741-1752) et la concomitante conjoncture économique
favorable revigoreraient la vogue des associations éditoriales.
Les documents datés de la période 1745-1755 témoignent de
l’activisme, de la méticulosité, du grand soin apporté à cette stratégie et
parallèlement de la popularité croissante de Fiorenza. Femme d’affaires
Cf. Poesie drammatiche di Apostolo Zeno già poeta e istorico di Carlo VI imperadore e ora della S.R.
maestà di Maria Teresa regina d’Ungheria e di Boemia, Venise, Pasquali, 1744, 10 vol.
23 Cf. La Gerusalemme liberata di Torquato Tasso con le figure di Giambatista Piazzetta alla sacra real
maestà di Maria Teresa d’Austria regina d’Ungheria, e di Boemia, Venise, Albrizzi, 1745.
22
98
Il Campiello – n° 1
avisée, même dans l’ardeur de l’enrichissement libraire, elle sut se montrer
sélective et prudente dans le choix d’œuvres qualitativement impeccables
certes, mais accessibles :
J’ai bien votre commentaire sur le Boccace mais il me manque un
exemplaire du même auteur à savoir celui qui concerne ses Journées. S’il s’en
trouvait un d’une bonne édition à moindre prix, je vous saurai gré de l’avoir24.
L’accès direct aux organes officiels de la censure vénitienne lui était
dès lors garanti :
J’ai reçu du Père Inquisiteur les tomes de votre ouvrage Sigilli destinés aux
souscripteurs, mais vous ne m’indiquez pas (ou cela m’échappe) combien je dois
recevoir pour le paiement25.
Au fil des années 1750, la correspondance avec Manni, tout en se
raréfiant, confirme le prestige croissant de Fiorenza dans le monde éditorial
vénitien. Comptes et recettes disparaissent, et de ses lettres à l’imprimeur –
non plus des requêtes, mais de simples réponses – nous comprenons sa
proximité accrue avec les hautes sphères de l’État. Désormais, de son
approbation, de sa signature pouvait dépendre le succès d’une maison
d’édition ou d’un auteur.
Le phrasé de Fiorenza s’en trouve apaisé, et elle rédige elle-même de
sa propre main, dans un italien élégant et soigné. Enrichir sa bibliothèque
privée se transforme en plaisir :
Je veux absolument enrichir ma Bibliothèque de tous vos célèbres
ouvrages et je ne manquerai pas de le faire […] Je vous ferai savoir ceux que je n’ai
pas encore pour pouvoir en faire l’achat26.
Non plus agent commercial, mais mécène à titre officiel, Fiorenza
Ravagnin pouvait finalement jouir des fruits de son ambition personnelle.
Finis les pourparlers pour le compte d’un tiers, pleinement libre, elle faisait
Venise, le 9 décembre 1747 (BL, IV, f. 200).
Venise, le 4 mars 1747 (BL, IV, f. 168).
26 Venise, le 16 juillet 1769 (BL, VIII, f. 244).
24
25
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
99
maintenant siens non seulement les livres mais aussi les auteurs et les
imprimeurs qui, toujours plus nombreux, devenaient ses protégés.
À un tel niveau, les lettres de Fiorenza montrent un ultime
paroxysme de ses compétences de mécène : non plus seulement l’habileté
dans les relations publiques, mais aussi dans l’étude du target commercial, du
caractère des acquéreurs, et dans le fait de suivre personnellement la
réalisation d’un livre, de l’idéation au “projet graphique”, de la promotion à
la vente. « J’ai reçu les deux frontispices de vos œuvres, […] et je
m’emploierai à les proposer à quelques personnes de bon goût pour qu’ils
l’acquièrent », écrivait-elle en septembre 1757, montrant ainsi une
considération inédite pour la qualité des acquéreurs.27
Fiorenza se montrait aussi consciente que le fait de trouver des
associés et de garantir des paiements ne suffirait plus et qu’il fallait établir un
lien direct avec ces derniers, afin de les informer de toute nouveauté ou
modification28. Il faut souligner une fois encore le flair commercial
grandissant de Fiorenza non seulement pour les achats, mais également sur
le fait de se tenir au courant de la concurrence des autres mécènes et qu’il
fallait donc ne pas être pris de vitesse29.
Dans les années 1760, la sphère d’influence de la gente dame avait
grandi au point que l’on recourrait à elle non seulement pour des projets
éditoriaux, mais aussi en vue de nominations académiques30. L’événement
capital de sa vie ne pouvait pas être étranger à cela. En septembre 1750, à la
limite de l’âge fertile, elle mettait fin à seize années de veuvage et célébrait
son second mariage.
5. Mariage et patrimoine
Le 8 septembre 1750, Fiorenza Ravagnin, trente-huit ans, convolait
en justes noces avec le sexagénaire Pietro Vendramin ai Carmini. L’époux
Venise, le 18 septembre 1757 (BL, VI, f. 82). Mon italique.
Venise, le 12 août 1758 (BL, VI, f. 128).
29 s.d. [peu après le mois de février 1758] (BL, VI, f. 224).
30 Venise, le 16 juillet 1769 (BL, VIII, f. 244).
27
28
100
Il Campiello – n° 1
était à nouveau un vieux célibataire en pressante nécessité de descendance31.
Mais cette fois l’enjeu était bien plus important.
Membre d’une des familles nobles les plus illustres de l’Etat Vénitien,
qui avait donné à la République des doges, des procureurs, des
ambassadeurs, des gouverneurs et des prélats, Pietro Vendramin était un
homme d’Etat célèbre et estimé depuis près d’un demi-siècle pour son
infatigable zèle patriotique. Jeune amiral lors de la dernière guerre contre les
Turcs, au cours d’une longue et brillante carrière il avait occupé des postes
importants, parmi lesquels plusieurs fois celui de provveditore da mar, c’est-àdire chef de la flotte et gouverneur des Iles Ioniennes32.
Homme extrêmement religieux et entièrement dévoué à la vie
publique arrivé à la soixantaine sans descendant, il accepta de prendre pour
épouse Fiorenza Recanati. Vu l’âge de madame, les probabilités d’avoir des
enfants étaient faibles, à tel point que Pietro accomplit un pèlerinage au
sanctuaire de la Vierge de Loreto afin d’implorer sa grâce et d’avoir ainsi une
progéniture masculine.
Loin d’être un célibataire des plus avantageux, Pietro apporta à
Fiorenza un nom de famille ancestral mais à la situation financière difficile. Il
faut croire qu’il avait entendu parler de ses qualités peu communes
d’économe : en l’épousant, il ne lui demanda aucune dot. Elle accepta mais
demanda en échange la gestion totale des biens familiaux : chose qui lui fut
accordée deux ans plus tard, en 175233.
Une fois qu’elle eut emménagé dans le beau palais Vendramin de
Dorsoduro (notons, juste à côté de l’habitation de l’érudit et futur doge
Marco Foscarini), Fiorenza appliqua immédiatement des mesures vouées à
rétablir l’économie de la maison. Elle mit fin à plusieurs dettes de son époux
en vendant des biens mobiliers et immobiliers de famille, en payant parfois
de sa poche34. De surcroît, elle réorganisa sa politique de collectionneur35.
ASV, Libro d’Oro, Matrimoni.
Les informations sur Pietro Vendramin sont tirées de D.M. Pellegrini, Della prima origine
della stampa in Venezia, 1794, p. VI-VII, et Epitalamio di C. Valerio Catullo volgarizzato, p. 5.
33 Nous rappellerons, entre autres, le doge Andrea Vendramin (1393-1478) et le patriarche
et cardinal Francesco Vendramin (1555-1619).
34 Cf. infra, en référence au testament de Fiorenza Ravagnin.
31
32
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
101
Si aucune dot pécuniaire n’avait été versée, elle avait fait don au mari
d’un autre capital, probablement plus précieux encore : le très large réseau de
contacts culturels hérité du temps de son premier mariage, et élargi – comme
nous avons pu le voir – tout au long de son veuvage36. Pietro ne manqua
pas d’en bénéficier : ce fut, entre autre, par l’intermédiaire de son épouse,
qu’en avril 1751, il entra en contact avec le professeur Poleni, dont l’œuvre
d’ingénieur hydraulique et naval s’avéra bénéfique au vieil amiral et
Inspecteur da mar37.
La naissance à distance rapprochée de deux enfants – le tant espéré
héritier masculin Francesco (1751) et la cadette Moceniga (1752) – couronna
l’heureuse union38.
Ceci marqua pour Fiorenza la consécration sociale définitive et peutêtre aussi une douce revanche sociale. Non plus seulement garante de
l’héritage culturel du premier mari, mais aussi de la survie dynastique du
second, elle pouvait maintenant se présenter comme mère providentielle,
bienfaitrice publique, matrone de la République. Les productions culturelles
qui lui furent dédiées devinrent la réclame de tels mérites.
En 1752, « Son Excellence la Gente Dame Fiorenza Ravagnini
Vendramin » n’était plus seulement souscriptrice, mais dédicataire de
l’édition des Dissertazioni Vossiane d’Apostolo Zeno39. Même si elle ruisselle
de formules et de compliments, la lettre de dédicace témoigne à la fois de la
renommée de Fiorenza et de sa proximité au groupe intellectuel progressiste
vénitien, dans lequel justement lo Zeno et Recanati étaient les figures de
proue :
Cf. Magrini, I pastelli di Rosalba Carriera, cit., p. 252.
Sur la correspondance Recanati-Poleni (datée de 1733-34) cf. Bibliotèque Nationale
Marciana, Mss. it. cl. X 135-136 (6713-6714) et Mss.it. cl. X 318 (6558).
37 Cf. P. Del Negro, Giovanni Poleni e la Repubblica delle Lettere, cit., p. 131.
38 Pour la date de naissance de Francesco (5 juillet 1751) cf. ASV, Libro d’Oro, Matrimoni.
Pour l’année de naissance de Moceniga cf. Archivio Patriarcale de Venise, San Marco,
Morti, reg. 10, le 8 avril 1834.
39 Cf. Dissertazioni Vossiane di Apostolo Zeno, cioè Giunte e Osservazioni intorno agli Storici Italiani,
che hanno scritto latinamente, rammentati dal Vossio nel III libro De Historicis Latiniis, en deux
tomes.
35
36
102
Il Campiello – n° 1
Si l’illustre Auteur de ces essais pouvait sortir de sa tombe et découvrir
qu’on publie sous le Nom respecté de Votre Excellence, je suis absolument certain
qu’il en éprouverait une satisfaction singulière. Lui, qui n’avait pas à se donner la
peine d’aduler quelqu’un, avait une estime toute particulière votre esprit et vos
talents.
Trois ans plus tard, une nouvelle entreprise éditoriale liait le nom de
Fiorenza Ravagnin à la fine fleur du mécénat vénitien et aux grands noms de
l’Illuminisme italien. En 1755 l’avocat Camillo Manetti faisait paraître à
Genève (sous la fausse date de « Palmyra ») les anticuriales et interdites Opere
postume di Pietro Giannone in difesa della sua Storia Civile del Regno di Napoli. Des
documents découverts récemment ont révélé que les deux mille copies de
cette œuvre arrivèrent sur la lagune cette même année au mois de juin, et
que c’était effectivement Fiorenza qui avait financé l’impression40.
Durant les années qui ont suivi, la dame appuya trois nouvelles
éditions illustrées.
En 1756, elle comptait parmi les rares femmes associées à Le rime del
Petrarca brevemente esposte per Lodovico Castelvetro (1756) que l’éditeur Antonio
Zatta imprimait en élégant format et dédiait à « Son Altesse Royale MarieAntoinette de Bavière princesse de Pologne »41.
L’année suivante, elle approuvait de sa signature La Divine Comédie de
Dante Alighieri, imprimée en hommage à « Sa Majesté Impériale Elisabeth
Petrowna, Impératrice de toutes les Russies »42.
En 1766, signant désormais du seul et plus illustre de ses noms,
« Son Excellence Madame Fiorenza Vendramin » était la seule femme parmi
les nombreux souscripteurs du Corriere letterario, une anthologie périodique de
journaux assemblée par l’imprimeur Antonio Graziosi et comprenant, entre
Cf. Opere postume di Pietro Giannone in difesa della sua Storia Civile del Regno di Napoli: con in fine
la di lui professione di fede, Palmyra [idest Genève], all’insegna della Verità, 1755. Cf. aussi G.
Bonnant, Pietro Giannone à Genève et la publication de ses oeuvres en Suisse au XVIIIe et au XIXe
siècles, dans “Annali della Scuola speciale per archivisti e bibliotecari dell’Università di
Roma”, III, 1-2 (1963), p. 131; Opere di Pietro Giannone, dans Illuministi Italiani, cit., p.
XXVIII; Infelise, L’editoria veneziana, cit., p. 353.
41 Cf. Le rime del Petrarca brevemente esposte per Lodovico Castelvetro, Venise, Zatta, 1756.
42 Cf. La Divina Commedia di Dante Alighieri con varie annotazioni, e copiosi rami adornata, Venise,
Zatta, 1757.
40
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
103
autres, des extraits de “Il Caffé” des frères Verri, de “Le Novelle Letterarie”
de Lami, et de l’“Encyclopédie universelle” de Paris, et encore d’autres
« extraits tirés des meilleurs Journaux d’Europe » et de « nouvelles
particulières communiquées par les érudits »43.
Un simple coup d’œil au volume témoigne de l’orientation politique
et progressiste de toute l’entreprise. Outre les symboles ouvertement
maçonniques exhibés dans le frontispice (le compas, l’équerre et l’ancre), la
longue liste des souscripteurs étalait la fine fleur de l’intelligentsia réformiste
vénitienne44.
6. « Parmi les Matrones Vénitiennes ». Les dernières années
La souscription au Corriere letterario (1766) marque le sommet de
l’activité de mécène de Fiorenza Ravagnin. A partir de l’année suivante,
soudainement et pendant plus de vingt ans, sa signature disparaissait des
lettres de dédicace, des souscriptions et des correspondances d’hommes
érudits. Les rares documents de cette période nous présentent un chef de
famille plus intéressé par les questions familiales et par son patrimoine
vacillant que par la promotion culturelle.
Il fallait caser le premier enfant Francesco, désormais prêt à
embrasser la carrière politique et déjà protagoniste de fiançailles de haut rang
bien que controversées à en croire les mauvaises langues, et la fille
Moceniga, pour laquelle il fallait préparer une dot conséquente. Pour ses
deux enfants, la mère – ambitieuse et omnipotente entremetteuse, selon un
témoin – assura des noces prestigieuses avec Alba Corner della Ca’ Granda
(1771) pour l’un et Jacopo Nani San Trovaso (1772) pour l’autre45.
Cf. Il Corrier Letterario già pubblicato in fogli periodici, Venise, Graziosi, 1766.
On y trouve, entre autres, les hommes politiques et réformateurs Angelo Querini et
Giorgio Pisani, le diplomate et collectionneur anglais Joseph Smith, les professeurs Carlo
Antonio Pilati et Natale Dalle Laste, le typographe G.B. Albrizzi, le journaliste Domenico
Caminer, le médecin (et futur jacobin) Rocco Melacini.
45 Sur les fiançailles de Francesco Vendramin cf. les lettres de ce dernier à Giulio Perini
datant de 1771 (Archivio di Stato de Florence, Acquisti e Doni, b. 94, ins. 255). Sur
43
44
104
Il Campiello – n° 1
Ensuite, naturellement, le destin du patrimoine. Pour nous informer
sur ce propos il existe deux testaments que Pietro et Fiorenza dicteraient
quelques années plus tard : quasiment deux autobiographies, intéressantes en
ce qu’elles nous révèlent la nature différente des deux conjoints.
Agé de quatre-vingt-cinq ans et souffrant parfois de problèmes de
goutte – comme le précisait le notaire –, en 1755 Pietro Vendramin nommait
comme héritier universel « Francesco mon enfant [...] et ses descendants
mâles46 ». Il ajoutait des informations intéressantes sur l’épouse, pour
laquelle il nourrissait une immense reconnaissance, ainsi que sur leur vie
conjugale :
Pour toute chose je suis redevable à Fiorenza Ravagnin, ma très chère
épouse, à laquelle je n’ai pas voulu demander quelque dot que ce soit, au contraire
elle possède à ce sujet un acte notarial de renoncement qui montre clairement que
je lui ai laissé au moment de notre mariage tout ce qu’elle possédait à son entière
disposition.
Ainsi revivait-il en paroles qui trahissaient l’admiration, les dépenses
considérables engagées par la femme en pleine liberté jusqu’aux dettes
engagées par cette dernière, que le fils devait dorénavant régler « d’autant
plus qu’elles furent contractées pour lui, la sœur et pour la dignité de la
maison ».
Vendramin s’éteignit deux ans plus tard, en 1777. Veuve pour la
seconde fois, le 14 septembre 1785, Fiorenza Ravagnin, alors âgée de
soixante-treize ans, dictait à son tour ses dernières volontés.
Elle commençait par un long et solennel compte-rendu de sa gestion
du patrimoine. A chaque mot transparaissaient cette fierté, cette conscience,
cet amour de la précision avec lesquels pendant trente-trois ans elle avait
administré les biens qui lui avaient été confiés. A son habitude pragmatique
et méthodique, avec un style de dissertation, Fiorenza passait en revue les
sommes déboursées pour solder les dettes héritées avec le mariage. Elle
l’autorité de Fiorenza Ravagnin dans l’organisation des mariages de ses petites-filles cf. les
Mémoires et confessions de Mad. Vendramin Sale de Francesco Testa (Biblioteca Civica Bertoliana
de Vicence, Ms. 1916).
46 ASV, Canc. Inf., Miscell., 31.D, n.° 3831.
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
105
démontrait, point par point, le respect des directives attribuées par son
époux trente ans auparavant et la bonne gestion d’un patrimoine qui, grâce à
sa propre œuvre d’économe, avait été conservé et transmis aux descendants.
Elle tenait à mentionner « mon argent personnel employé », et qui
aurait dû « lui être restitué par le Fils par devoir, et par justice ». En dressant
la liste des nombreuses propriétés, des biens, « les métayages et terrains »
laissés par Vendramin, elle n’oubliait pas de mentionner le bien à partir
duquel elle avait réalisé son ascension sociale, « la Bibliothèque, où […] j’ai
rangé tous les livres de ma propriété », et qui maintenant était « en usufruit
commun avec mon Fils ».
Elle évoquait à nouveau la confiance aveugle que Vendramin avait
toujours placée dans sa gestion, et elle demandait donc au fils et premier
héritier d’éteindre « toutes les dettes engendrées […] pour l’Honneur de la
Famille », à savoir principalement pour son onéreux mariage et pour celui de
la sœur Moceniga.
Florence nommait enfin Francesco « héritier libre universel » laissant
à Moceniga, son exécutrice testamentaire, « toutes les dettes restantes, qui au
total représentent une faible somme ».
Comme on peut le voir, malgré la gestion avisée, quelques vieilles
dettes restaient encore à régler, et de nouvelles avaient été contractées.
Cinq ans après, le budget des Vendramin était à nouveau dans le
rouge. En effet, du mariage de Francesco et Alba Corner étaient nées deux
filles, Fiorenza (1772) et Maria (1777), auxquelles s’ajoutait Lucrezia, le
premier enfant de Moceniga : trois nouvelles et couteuses dots à prévoir.
Les noces des petits enfants constituèrent le dernier effort de
l’infatigable dame et coïncidèrent avec son extrême célébration publique.
Elle chercha des prétendants de prestige d’où qu’ils vinssent grâce à son
réseau de contacts, et elle en trouva enfin à Venise, dans la Terraferma
vénitienne et même dans les Etats Pontificaux. Les trois affaires furent
conclues en l’espace d’un an47.
En 1792, la fille aînée de Francesco, elle aussi appelée Fiorenza, et Lucrezia convolèrent à
justes noces avec le marquis vicentin Luigi Sale l’une, et le noble vénitien Lorenzo
Sangiantoffetti l’autre. L’année suivante, Maria épousa Francesco Ricci, un riche marquis de
Macerata.
47
106
Il Campiello – n° 1
Les traditionnels livrets de noces, bien plus que célébrer les jeunes
épouses, se transformèrent en l’énième consécration de la puissante grandmère. Ils nous témoignent à quel point le prestige et le réseau clientéliste de
Madame Vendramin étaient étendus. Le dédicataire Girolamo Trevisan y
louait « cette extrême gentillesse » et « ces éminentes vertus qui vous
signalent parmi les Matrones Vénitiennes »48.
La fin de siècle réserva un ultime moment de gloire à la famille
Vendramin. Ce n’était toutefois que le chant du cygne. Au mois de juillet
1794, le fils Francesco était élu « Riformatore allo Studio di Padova », c’està-dire un des trois ministres de l’Instruction de la République Sérénissime. A
cinquante ans de l’entrée dans le monde scintillant du mécénat, Fiorenza
goûtait à la satisfaction de voir son premier enfant aux commandes de la
culture officielle vénitienne. Trois mois plus tard, le même héritier était
nommé ambassadeur vénitien à Constantinople, et ce fut alors l’apogée. Il
partit pour la capitale ottomane en avril 1796 : par un destin tragique, il ne
verrait plus ni la mère, ni sa première née, ni sa patrie indépendante. Durant
ces mêmes journées, Fiorenza sentit peut-être venir la fin de tout un monde.
Elle qui avait vécu aussi pleinement les derniers fastes de la Sérénissime,
sembla s’éteindre avec celle-ci.
Le 1er septembre 1796, malade et sentant la mort imminente, elle fit
ajouter un codicille au testament avec de nouvelles dispositions. Elle en
rédigea certaines de sa main, avec une graphie tremblante : une hausse de
rente pour la fidèle femme de chambre Marietta Manfredi et pour le batelier
Piero, qui depuis quelques mois l’assistaient affectueusement. Arguant
qu’elle ne reverrait plus son héritier désormais lointain, elle confiait aux deux
domestiques « la garde de la Maison jusqu’au retour de mon Fils ».
Pendant les deux mois qui suivirent, depuis le lit dans lequel elle était
contrainte de rester alitée, peut-être entendit-elle le grondement des canons.
Cf. Epitalamio di C. Valerio Catullo volgarizzato per le faustissime nozze del Nob. Sig. March. Luigi
Sale di Vicenza e di Sua Eccellenza Fiorenza Vendramin N.V., Padova, nella Stamperia del
Seminario con permissione, 1792, et cf. Poema di Catullo sulla Chioma di Berenice tradotto dal
signor abate Antonio Conti di nuovo pubblicato per le nozze di S.E. la N.D. Maria Vendramin patrizia
veneta e del sig. marchese Francesco Ricci gentiluomo maceratese, Crisopoli [idest Parme], co’ tipi
bodoniani, 1793.
48
Chiancone – Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
107
Le 21 novembre, à quatre-vingt-quatre ans, elle finit ses jours dans la maison
de famille, sur la fondamenta des Carmini. Quatre jours plus tôt, la bataille du
pont d’Arcole avait élevé le général Bonaparte au rang de maître absolu de la
Vénétie, ce qui avait mis fin, de fait, à la souveraineté de la République de
Saint-Marc.49
49
Archivio Patriarcale de Venise, San Raffaele, Morti, 22 (1796-1805).
Juliette Le Gall
L'écriture vénitienne chez Henri de Régnier et le
« premier Marinetti ». L'imaginaire de l'espace vénitien
sous le signe du Symbolisme, prémices au Futurisme.
Lieu symbolique à l'origine de discours multiples au XIXème siècle,
Venise en tant qu'espace réel transposé dans la fiction donne lieu
notamment au mythe de sa propre mort. « Venise la Rouge », pour
reprendre l'expression de Musset en 1830 s'imposera tout au long du XIXème
siècle comme l'« un des comptoirs du romantisme européen »1. Dans la
lignée de l’œuvre romanesque de Paul Bourget, les « romans vénitiens » du
poète symboliste Henri de Régnier (1864-1936), auquel Jean Lorrain dédie
Jeune Homme au masque (1905), semblent à leur manière faire écho à ce que
Uwe Israel désigne par le « phénomène Venise »2, ou encore la « folie
vénitienne »3 à l'origine d'un éclatement des imaginaires liés à l'espace
vénitien au XXème siècle.
Après le « roman à épisodes vénitiens »4 Le passé vivant (1904), Les
esquisses vénitiennes en 1906 puis l'Altana ou la vie vénitienne en 1928, Henri de
Stéphane Guegan, « Rouge Venise », Venise en France: du romantisme au symbolisme, actes des
journées d'études Paris-Venise, École du Louvre et Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti,
École du Louvre, 10 et 11 mai 2004, p. 147-166.
2 Uwe Israel, « Premessa », La diversa visuale : il fenomeno Venezia osservato dagli altri, a cura di
Uwe Israel, Roma, Edizioni di storia e letteratura, Venezia, Centro tedesco di studi
veneziani, 2008, p.7-11. « Ma per capire Venezia e ciò che è stata in passato, è necessario
ogni tanto distaccarsi da questa malià : è cioè necessario operare un cambiamento di
prospettiva (…) questo fenomeno Venezia (…) viene osservato con gli occhi di un non
veneziano. »
3 Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français de Paul Bourget
à Maurice Dekobra, Champion, 2000, Paris.
4 Ibid.
1
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
109
Régnier admiré par Marinetti5 mais aussi par Proust6, semble s'inscrire dans
cette « réinterprétation de Venise, au tournant du siècle, charri[é]e, encore
[par] des éléments nourris par les descriptions antérieures (labyrinthe,
décrépitude, spécularité) mais minimalisés, réduits à des proportions
symboliques. »7
L'incipit des Esquisses vénitiennes chez Henri de Régnier paraît ainsi
condenser ces différents éléments attribués à l'espace vénitien sous le signe
du geste d'écriture : dans l'Altana ou la vie vénitienne, Henri de Régnier rappelle
explicitement dans les premières pages, en guise d'avertissement au lecteur,
dans quelle mesure son projet d'écriture « s'il ne manque point d'un certain
ridicule à écrire un livre sur Venise, le risque en est compensé par le plaisir
qu'il y a à le courir ». D'emblée, la description minutieuse d'un encrier rouge,
à travers laquelle on perçoit un goût certain pour les détails et la description
fragmentaire (deux éléments en accord avec l'esthétique et l'imaginaire
décadent symboliste) qui tend à l'apparenter à un objet artistique issu d'une
collection, rappelle dans le même temps l'acte scriptural, à l'origine de toute
une littérature dédiée à Venise. Par des effets d'échos, le geste scriptural se
voit prolongé et répété au fil des Esquisses vénitiennes : « L'écritoire » fait écho
à « l'encrier rouge » , notamment dans l'approche mimétique de l'objet décrit,
en tant qu'indice d'une Venise du dix-huitième siècle révolue, mais qui survit
dans l'imagination :
« Son plateau, peint d'un rouge vif, à la mode vénitienne d'autrefois, présente les deux
encriers de cuivre, au couvercle surmonté d'un fruit ciselé. Devant eux la sébile offre la
poudre à sécher. De chaque coté se dressent le plumier et la clochette pour avertir le
petit laquais qui portera la lettre. Chaque fois que j'étends la main et que je trempe ma
plume d'oie dans l'encre, il me semble voir à mon poignet la dentelle d'une manchette et
le parement brodé d'un habit de soie. Je me pense revenu aux vieux temps. Dès que j'ai
fini d'écrire, j'agite la sonnette. »
Hommage de Marinetti à Henri de Régnier.
Proust, au sujet de l'édition illustrée des Esquisses vénitiennes en 1906, évoque les « superbes
études de Maxime Thomas », composées de 10 planches hors-texte, gravées en taille douce
et de dessins dans le texte, collection de L'Art décoratif, Paris.
7 Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit., p. 37.
5
6
110
Il Campiello – n° 1
Venise, érigée en composante de l'image de l'Italie8, en « cité
prismatique »9 chez Marinetti et Henri de Régnier a pour particularité de
mettre en lumière l'évolution de différents courants littéraires. Érigé en un
véritable laboratoire, l'espace vénitien a ainsi l’intérêt d’esquisser l’évolution
des doctrines littéraires, du romantisme jusqu'au décadentisme10, bien que
« ses canaux [soient] noirs comme l'encre » d'après Paul Morand11. En effet,
la pièce de théâtre historico-romantique en quatre actes Dramma senza titolo12
écrite par Marinetti, bien avant qu'il ne devienne le représentant du
Futurisme en 1910, esquisse également un imaginaire de l'espace vénitien
particulier, bien que certains éléments peuvent le rapprocher de celui donné
à voir par l'auteur symboliste Henri de Régnier à travers les Esquisses
vénitiennes et L'Altana ou la vie vénitienne. Malgré les différences d'écriture du
point de vue générique, Marinetti et Henri de Régnier, qui rompt avec son
esthétique habituelle (absence de maniérisme), recourent communément à la
fiction pour mettre en scène l'imaginaire de l'espace vénitien. La perception
sensorielle, qui oriente l'écriture de Régnier donne à voir Venise à la fois
comme un espace parcouru, perçu et appréhendé sous l'inspiration
symboliste, contre la fausse sensibilité de la description objective. La place
de la description et de la perception s'avère être une autre caractéristique de
l'espace vénitien9 lorsqu'il est saisi par la fiction. Du point de vue de l'écriture
de la perception, œuvrant à la création de l'imaginaire vénitien, plusieurs
indices peuvent être identifiés. D'une part le choix de Régnier de recourir à
la perspective panoramique pour donner à voir Venise au lecteur se trouve
matériellement justifiée par un détail architectural propre au Palais Dario
dans lequel le narrateur le séjourne : celui de l'altana, permettant d'avoir une
M.M. Martinet, Le voyage d'Italie dans les littératures européennes, cité par Sophie Basch.
Sophie Basch, Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman français, op. cit., p. 13.
10 Giovanni Calendoli, « Introduzione », Marinetti, Dramma senza titolo, tradotto dal francese
da Benedetta Marinetti, Vito Bianco Editore, collana « Spettacolo », n°3, vol. 1, 1960.
11 Xavier Tabet, Venise en France : du romantisme au symbolisme,op. cit.
12 Marinetti, Dramma senza titolo, a cura di Giovanni Calendoli, op. cit.
9 Eugenio Bernardi, « L'incontro con il sogno. Poeti e scrittori di lingua tedesca a Venezia»,
Uwe Israel, La diversa visuale : il fenomeno Venezia osservato dagli altri, op.cit, p. 151-171.
« Venezia rappresenta pur sempre un apello per chi la guarda, è una città che chiede una
reazione, una risposta. Scrivere, dipingere, fotografare. », p. 154.
8
9
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
111
perception en hauteur, de dominer du regard l'espace vénitien. Certains
éléments faisant lieu d' obstacles à la vision complète de l'espace vénitien se
révèlent être favorables à l'imaginaire. La perception chez Marinetti apparaît
à différents endroits du texte fragmentaire, notamment dès l'acte I, au cours
d'une scène nocturne dans laquelle le personnage Pasquale Cicogna est
décrit comme émergeant de la lagune. La question de la perception fait
même l'objet de discours chez les personnages et donne lieu dans le texte au
motif de l'aveuglement : la figure mythologique d'Ulysse paraît partiellement
reprise sous les traits du personnage de Giovanni revenant à Venise, auquel
la métaphore de l’aveuglement est mise en correspondance.
Si la question de la nécessité romanesque de Venise a pu être mise en
doute par Henri de Régnier lui-même en 192513, son usage du genre
romanesque permet de s'appuyer sur « la fonction instrumentale d'une ville
au rôle essentiellement de catalyseur empêche[rait] sa réduction au
pittoresque du motif. Parce que, aussi, le roman seul est reconstitution
»14. Tandis que le poète symboliste décrit ses Esquisses vénitiennes
comme un ensemble de« petites proses cadencées »15 donnant à lire et à voir
en partie Venise à l'époque de Casanova et du président de Brosses16, la
pièce de Marinetti Dramma senza titolo introduit par différents éléments
dramaturgiques une intrigue se déroulant à Venise, à la fin du XVème siècle,
Remarques d'Henri de Régnier dans le Figaro du 19 mars 1925, au sujet de la publication
de l'Alcyon d'Edmond Jaloux : « Le décor vénitien, un peu arbitraire, car l'Alcyone pourrait
avoir un autre cadre que celui-là, a donné à M.Edmond Jaloux l'occasion d'exprimer
d'excellentes pages descriptives. M. Jaloux nous dit en phrases harmonieuses et colorées les
palais, les canaux, les calli de la Ville Incomparable.Il a pris, on le sent, plaisir à cette
évocation, sans pourtant lui laisser une place trop prépondérante.Il y a quelque mérite à ne
pas céder outre mesure aux séductions descriptives que Venise fait subir à quiconque
s'expose à son sortilège ».
14 Sophie Basch, « Avant-propos », Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman
français, op. cit., p. 14.
15 Henry de Régnier, Esquisses vénitiennes, préface de Sophie Basch, Editions Complexe, 1921,
Bruxelles.
16 Sophie Basch, « Avant-propos », Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman
français, op. cit. : « le déplacement de l'action au XVIIIème siècle, l'époque où l'écrivain
retrouvait sa vérité, ne peut qu'accentuer cette fonction [protectrice du labyrinthe]», p. 95.
13
112
Il Campiello – n° 1
d'après la didascalie initiale17. Comme le souligne Sophie Basch, l'aspect
géographique suggéré dans la fiction s'avère dévalué, par rapport aux
passages descriptifs18, trop souvent associés à la littérature de voyage par la
critique. Chez Marinetti, l'évolution des personnages à travers l'espace
fictionnel vénitien semble posséder un point commun avec la « géographie
vénitienne »19 d' Henri de Régnier : celui du décentrement, décrit par Franco
Moretti comme « ce mouvement centrifuge, ce déplacement vers les zones
écartées, détachées de Venise, amènent un changement de forme ; la
correspondance entre lieux marginaux et situations marginales s'affirment
progressivement »20. L'écriture dramaturgique marinettienne tend ainsi à
tracer un parcours jouant sur cet effet de décentrement : si la pièce s'ouvre à
proximité de la place Saint Marc21, lieu à nouveau utilisé à l'acte III22, c'est
aussi par le discours des divers personnages que paraît s'opérer cet
éloignement, favorable à esquisser un imaginaire de l'espace vénitien dans la
17 Marinetti,
Dramma senza titolo, a cura di Giovanni Calendoli, op. cit.
Sophie Basch, « Avant-propos », Paris-Venise 1887-1932, « la folie vénitienne » dans le roman
français, op. cit. : « Ainsi, la fragmentation croissante de sa représentation, l'importance
accordée au détail, la tendance à l'éclatement ne m'apparaissent en rien caractéristiques de
l'évolution de la description à Venise mais de la description en général, dont le symbolisme,
puis l’expressionnisme et la naissance de l'art abstrait vont modifier le statut- le
morcellement, l'éclatement, sont typiques d'une ville en particulier. », p.14-15.
19 Sophie Basch, « La Géographie vénitienne d' Henri de Régnier » (préface), Henri de
Régnier, Esquisses vénitiennes, op. cit., p.9-26. : « Les Venises d'Henri de Régnier se disposent,
se dilatent et se contractent autour de repères bien précis. La Cà Dario, le Palazzo Venier et la
Casa Zuliani... tremplins du rêve et du fantastique, les jardins de la Guidecca. », p. 19.
20 Ibid., p.15. Franco Moretti, Atlante del Romanzo europeo, cité par Sophie Basch, concernant
les rapports entre modifications de l'espace et changement des formes pouvant donner lieu
à des œuvres littéraires analysables comme des sortes de cartes géographiques.
21 Marinetti, Dramma senza titolo, op. cit. : « la riva degli Schiavoni , nell'ore torbida dell'alba»,
Acte I, p.3 ; « Le lagune si sono intieramente coperte di barch, di gondole, di burchielli delle
ricche vele tutte sovraccariche si popolo la cui policromia sgorgiente si mescola al luccichio
delle acque assolate. Da innumerovole barche giunge molto popolo, che ingombra la Riva
degli Schiavoni, malgrado lo sforzo violento dei soldati che cercano di liberare la piazza
davanti al palazzo », Acte I, p.18.
22 Ibid. : « decorate a festa secondo il gusto dell'epoca. La Basilica appare nel fondo con le
cupole fiameggiante », Acte III, p. 39 ; « Divertimenti sulla piazza, specie di ballo, regolato
secondo le abitudini dell'epoca », Acte III, p. 65.
18
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
113
fiction : Pasquale Cicogna évoque dès le début de la pièce l’île de Burano,
l'Arsenal, la Miséricorde ou se pressent des marchands juifs, des arabes et
des grecs, des esclaves23 ; Giovanni évoque également l'Arsenal ou il a
grandit et les marins de Chioggia24; l'acte II se passe autour d'un campiello
désert donnant sur le canal25 tandis qu'un rendez-vous amoureux secret est
prévu au campiello dei Martiri26. Enfin, le dénouement de l'intrigue27 à l'acte IV
semble matérialiser cet effet de déplacement en évoquant une île de la
lagune, abritant un palais en ruine28, dans laquelle les amants Paolo Baglione
et Rosalba Candiano, fille du peuple29, sont réduits à des figures marginales,
échappant à l'espace vénitien.
Bien que l'imaginaire vénitien d'Henri de Régnier semble s'inscrire
effectivement dans l'une des dimensions du paysage évoquées par Renzo
Zorzi à travers le terme « in natura »30, on peut distinguer certains traits de
l'espace vénitien tels qu'il les donne à voir ou à suggérer dans certains
passages de ses textes dédiés à la Sérénissime. Ces particularités esquissées se
trouvent cependant associées à des images plus communes, héritées de la
littérature mythologique antique. Ainsi, la figure de Circé31 assimilée à
l'espace vénitien parcouru et perçu est d'emblée présente dans L'Altana ou la
Ibid., Acte I, p. 3 : « l'isola di Burano » ; « l'Arsenale » ; « Misericordia » ; « mercanti
ebrei » ; « Arabi e greci » ; « Schiavi negri ».
24 Ibid., Acte I, p. 8.
25 Ibid., Acte II, p. 33 : « Ardente sera di estate. Il Canal Grande è addormentato come uno
stagno opaco sotto la febbre tragica e ilare delle numerose stelle. Nel fondo della scena si
intravede il profilo solenne dei palazzi, le cui sogome si rifflettono tremolanti nell'amoerro
dell'acqua ».
26 Ibid., Acte I, p. 17.
27 Ibid., Acte IV, p. 71 : « E' trascorso un mese della fuga di Baglione e l'asilio ignorato dei due amanti,
non è stato encora scoperto dai congiurati acceniti, né dai soldati del Doge ».
28 Ibid., Acte IV, p. 71.
29 Ibid., Acte I, p.3 : « [Rosalba Candiano] divenuta leggendaria a Venezia per la sua belezza e
la voce affascinante» ; Pietro à Pasquale Cigogna : « sapi che Rosalba è il prezzo di colui che
salverà il popolo di Venezia ! », Acte I, p. 17.
30 Fondazione Cini, Il paesaggio: dalla percezione alla descrizione, a cura di Renzo Zorzi,Venezia,
Marsilio, 1999.
31 Henri de Régnier, L'altana ou la vie vénitienne, op. cit.
23
114
Il Campiello – n° 1
vie vénitienne. Venise trompeuse, ensorceleuse, mais aussi maudite32, d'après les
propos du personnage dramaturgique marinettien Pasquale Cicogna dès
l'acte I de Dramma senza titolo, peuplée de démons33 et d'espions. Cette
malédiction se manifestant dans l'espace vénitien est même à nouveau
rappelée par Paolo Baglione à l'acte IV34, l'amant secret de Rosalba
Condiano35. Dans la lignée de cette image d'une Venise fausse, devenant
véritablement un lieu propice à la comédie36, le décor « théâtral » de la
tromperie37 . Face à cette malédiction perçue dans l'espace vénitien, la
superstition se manifeste à travers le discours de Pasquale Cicogna,
demandant l'aide du vendeur d'amulettes Giovanni38 tandis que le motif de la
tromperie est utilisé comme un élément dramaturgique par Marinetti car
directement lié à l'intrigue de la pièce.39
De plus, l'imaginaire décadent40 sert à moduler cet espace vénitien à
travers lequel les personnages évoluent, par l'intermédiaire à nouveau de la
parole : l'image morbide de Venise surgit à plusieurs reprises, dans le
discours de Pasquale par des allusions à la lèpre et à ses effets. A travers
l'expression d'un fantasme de nature morbide, ce personnage amoureux de
Marinetti, Dramma senza titolo,op. cit. : « (…) dimmi quale destino ti ha ricondotto in
questa città maledetta ! … », Acte I, p.7. « Ho encora nei miei occhi morti queil maladetti
riflessi elastici e violenti come dei serpenti. », Acte I, p. 13.
33 Ibid. : Pasquale Cicogna comparant Pietro à un démon : « Tu sei veramente un
Demonio !... », Acte I, p. 16.
34 Ibid. : « come è violento la corrente, in questa canale della Maledizione ! ... » , Acte IV, p.
72.
35 Ibid. : « Queste onde sono coperte giorno e notte, d'un anesso di petali che esse
trasportano ogni sera fino ai piedi del sole calante. », Acte IV, p. 72.
36 Ibid. : « Appena entrato, presto informa Boldu sulla commedia che bisognava giocare. »,
Acte I, p. 16.
37 Ibid. : Une des scènes de tromperie a lieu dans une taverne, pouvant faire penser à une
scène de genre pictural.
38 Ibid. : « (…) Non hai tu un amuleto per guarirmi ? », Acte I, p. 14.
39 Paolo Baglione se faisant passer pour un gondolier, auprès de Rosalba Candiano (Acte I,
p. 29).
40 Jean Pierrot, L'imaginaire décadent (1880-1900), PURH, Rouen-Le Havre, 1977.
32
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
115
Rosalba imagine la maladie à l’œuvre sur le corps féminin41. L'imaginaire
décadent chez Henri de Régnier apparaît à travers les Esquisses vénitiennes
plutôt dans la perception de l'espace vénitien, soumis à la décomposition,
dont les traits semblent défigurés : « Et cette curieuse porte avec ses marches
rongées, ses colonnettes torses et son blason effrité » (p.41) ; « (…) Des
masures galeuses reflètent leurs cheminées en hottes dans un « rio » verdâtre
et vaseux. » (p.42).
La pièce Dramma senza titolo se clôt sur l'image d'une gondole servant
de cercueil, réinvestissant ainsi explicitement un cliché nécrophile associé à
l'imaginaire de l'espace vénitien chez Marinetti42 , dont on ne trouve pas de
continuité dans les écrits dédiés à Venise chez Henri de Régnier, dont les
Esquisses vénitiennes s'achèvent sur l'évocation du masque, un motif cher aux
symbolistes. Même si son écriture et son imaginaire vénitien semblent bien
relever de l'esprit décadent43 inspiré par l’impressionnisme et cultivant le
charme de la vie quotidienne. La spécularité associée à l'espace vénitien,
décrite par Sophie Basch comme un des éléments déjà présents dans les
descriptions des écrits littéraires antérieurs de Venise est reprise par
Marinetti mais en y ajoutant une tonalité épique : le soleil se reflétant sur les
lagunes les colore d'une splendeur guerrière44. L'acte II, à travers le discours
de Baldo, met en scène le soleil presque assimilé à un personnage de la pièce,
Marinetti, Dramma senza titolo, op. cit. : « Io prego tutti a gettare un maleficio che copra il
corpo di Rosalba di una lebbre imonda (…) che la lebbre mangi la sua carne, tutta la sua
carne morbida ! », Acte I, p.10.
42 Ibid. : « (…) dopo avere posato i corpi nella barca encora tutta carica di nomi in fiore,
togliono gli ormeggi, in modo che la barca si allontana, salendo al largo, dove trema encora
l'ultimo riflesso del sole sparito. », Acte IV, p. 88.
43 Michel Décaudin, « Définir la décadence », L'esprit de décadence, Colloque de Nantes (21-24
avril 1976) , Institut des lettres de l'Université de Nantes, coll. « la Thésotothèque », n°8,
vol.1., Minard, 1984, p. 5-13 : « Comme l’impressionnisme, la décadence participe au monde
de la sensation et de la sensibilité à la présence du paysage urbain. » (p. 10), tandis que « le
déplacement de point de vue » avec l'apparition du symbolisme en 1885 revient à ne plus se
limiter à « la sensation à l'état pur, on s'interroge sur sa signification. » (p. 10) , « on ne voit
plus le monde des yeux, on le questionne. » (p. 10).
44 Marinetti, Dramma senza titolo, op. cit. : « (…) le isole lontane si disegnano su vasto
specchio delle lagune che il sole sorgente sembra colorire di splendore guerriero. », Acte I,
p. 17.
41
116
Il Campiello – n° 1
qui introduit à travers le motif du songe45 également présent chez Henri de
Régnier. La description du rêve de Baldo, empreinte de merveilleux46, met en
scène le retour du bateau Fortunata à Venise47, assimilé au soleil et au
miracle48.
Si, comme le souligne Xavier Tabet, « notre imaginaire vénitien est
encore travaillé par les clichés nécrophiles du Décadentisme, présentant une
Venise équivoque, magicienne, une ville Circé, séduisante mais aussi
dangereuse et tentatrice »49, l'imaginaire vénitien d'Henri de Régnier se
trouve empreint d'une forte musicalité, qui peut rappeler l'image de la « ville
musique » de Nietzsche, tout en y ajoutant une dimension temporelle :
l'allusion au tintement d'une sonnette dans les Esquisses vénitiennes, au détour
de « l'encrier rouge » puis à nouveau dans « l'écritoire » semble fonctionner
comme un indice du passé de Venise, qui ne serait perceptible que sous la
forme d'ombres évanescentes :
« Hélas ! Il faudrait que son tintement traversât le temps, remontât l'espace de plus d'un
siècle, pour arriver à l'oreille du passé. Fou que je suis, Jacinto et Geromino ne sont plus
que des ombres vaines »
(Esquisses vénitiennes, p. 80-81)
Roland Bietry, « Les théories poétiques à l'époque symboliste 1883-1896 », L'esprit de
décadence, op. cit., p. 243 : « Le symbolisme est sûrement la forme d'art qui se rapproche le
plus de la réalité du rêve (…) Aussi, le symbolisme est-il ou plutôt doit-il être suggestif au
suprême degré , comme la Musique (…) la Poésie- Vers ou Prose- lui donne des ailes,
pouvant à elle-seule synthétiser tous les arts » [Léon Deschamps, « Esthétique moderne »,
La Plume, 1er septembre 1890].
46 Ibid., p. 14 : la poupe du bateau Fortunata est notamment décrite comme étant incrustée de
pierres précieuses.
47 Ibid. : « Il sole se ne andava a passi lenti come un pellegrino, sul mare, e, a momenti , il
suo gosto rosso si attardava a benedire i visi stanchi delle montagne (…) Il maraviglio
magico si profilo nelle bruma crepuscolare, e, i suoi atrezzi fiammeggiavano … Allora, tutte
le compane della città scoppiarono nelle loro voci di cristallo e di metallo sonoro. », Acte II,
p. 51.
48 Ibid. : « Sarà rosso e flammeggiante come questo sole che sorge laggiu, sopra le lagune !
... », Acte I, p. 14.
49 Xavier Tabet, Venise en France : du romantisme au symbolisme, op. cit.
45
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
117
En effet, après avoir fini d'écrire, « les bons Vénitiens portaient la
main vers cette clochette. Et il fallait voir comme à son signal accourait le
petit laquais chargé du soin des commissions ». Dans les Esquisses vénitiennes,
le tintement de l'encrier vénitien du XVIIIème siècle lie le présent au passé50 et
déclenche l'imaginaire de l'espace vénitien, auquel le narrateur a pourtant
tenté « d'autres images plus grandioses, et plus éclatantes. […] J'ai même
demandé aux terres brutales et mornes pour aveugler mes yeux et les rendre
insensibles à tes traits délicats »51. De même, l'occurrence de parties
chantées52 dans Dramma senza titolo aux actes II, III en plus de La « romance
amoureuse » mentionnée à l'acte IV semble inscrire dans la fiction un espace
vénitien au sein duquel la perception sensorielle esquisse un lieu à la fois
sous le signe du réalisme et de l'imaginaire. A travers la perception partielle
de l'espace dans la « fiction vénitienne » chez Henri de Régnier, c'est un jeu
entre l'espace perçu et l'espace suggéré qui s'établit ou en d'autre termes celui
de l'espace « restreint » et de l'espace « lointain » selon la terminologie utilisée
par Stéphane Lojkine à propos de la construction de l'espace dans le
roman53. Ainsi, le narrateur précisera à un moment de L'Altana ou la vie
vénitienne qu'il ne put percevoir « Du grand Canal, entre (vu) un instant car la
gondole l'a traversé de biais, pour s'insinuer de nouveau dans le dédale de
l'autre rive».
Marinetti, se présentant en défenseur du symbolisme avant qu'il ne
devienne le représentant du Futurisme, fait l'éloge d'Henri de Régnier.
D'Annunzio lui-même a été influencé par le symbolisme entre 1886 et 1889
et sera d'ailleurs l'auteur de l'ode rendant hommage au peintre symboliste
Henri de Régnier, « L'encrier rouge », Esquisses vénitiennes, op. cit. : « Ils portaient la main
vers cette clochette. Et il fallait voir alors comme à son signal accourait le petit laquais
chargé du soin des commissions (…) il fallait pour qu'on l'entendit, le silence des vieilles
demeures et la paix des quartiers tranquilles (…) le monde a changé et [qu']elle n'a plus rien
à faire dans le nôtre. », p. 33-34.
51 Henri de Régnier, « L'encrier rouge », Esquisses vénitiennes, op. cit., p. 38.
52 Ibid. : Acte II, p. 42-43 ; Acte III, p. 59-61 et p. 66-67 ; Acte IV, p. 71.
53 Stéphane Lojkine, La scène de roman : méthode d’analyse, coll. « U. série Lettres », Armand
Colin, Paris, 2002.
50
118
Il Campiello – n° 1
Giovanni Segantini, le Marcozza54. Pour Bontempelli, le mérite de Marinetti a
été de marquer une rupture nette entre les XIXème et XXème siècles55, même
s'il semble rester sous l'influence de la culture romantique, perceptible
notamment par la reprise de la « mystique du surhomme ». Influencé par la
culture romantique, Marinetti entretien aussi un rapport particulier au
symbolisme, tout comme l'artiste futuriste Boccioni, si l'on s'en tient à la
lecture de l'essai de Gaetano Mariani, Il primo Marinetti, à travers lequel à la
fois la notion de « préhistoire du futurisme » et le projet d'esquisser « la
fisionomizzazione del primo Marinetti »56 sont proposés. En effet, entre 1897 et
1908, Marinetti défendra son goût pour la poésie symboliste et interprétera
le symbolisme en lui-même comme un fait à la fois historique et culturel.
Son attraction pour l'image, tout comme Henri de Régnier, et son recours
aux motifs de la poésie astrale est marqué notamment par l'influence de Jules
Laforgue. La figure de Klingsor à coté de celle incarnée par Marinetti
montre à quel point une osmose symboliste franco-italienne a pu émerger.
L'influence non négligeable du symboliste belge Émile Verhaeren se
retrouve aussi chez Marinetti du point de vue technique mais aussi
thématique. Le principe théorisé par le symboliste René Ghil, consistant à
doter les images de sonorités singulières est assimilé également par Marinetti.
Le rapport entretenu par Marinetti avec le Symbolisme a été illustré de
manière originale par Luciano De Maria : associé à la figure mythologique
d'Orphée, Marinetti serait cet Orphée57, qui sur le point de prendre ses
distances avec le Symbolisme (assimilé à l'enfer) qui ne peut s’empêcher de
se retourner et d'écouter les anciennes voix. A cette comparaison de
Marinetti prenant les traits d'Orphée, on pourrait y ajouter celle établie de
Fernando Mazzoca, « D'Annunzio e il simbolismo », Il simbolismo in Italia, Venezia,
Marsilio, 2011, p.17-21.
55 Michel Carrouges cité par Luciano De Maria dans F. T. Marinetti, Teoria e invenzione
futurista, op. cit.
56 Gaetano Mariani, Il primo Marinetti, Firenze, Le Monnier, 1970.
57 F. T. Marinetti, Teoria e invenzione futurista, op. cit. : « E come se Marinetti nell'accomiatarsi
dal movimento [ il simbolismo], alle cui fonti si era abbeverato così a lungo e
appassionatamente, si fosse volto, come Orfeo agli inferi una volta encora al mondo che
stava abbandonando, per riecheggiare nello stile la voce della figura vanente » (Gaetano
Mariani) , p. 34-35.
54
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
119
manière explicite par Henri de Régnier, qui présente au lecteur le narrateur
percevant et parcourant l'espace vénitien sous les traits d'une autre figure
mythologique : celle de Thésée, perdu dans la structure labyrinthique de
Venise, à travers laquelle seul le fil de l'Ariane du Tintoret58 peut le guider.
L'image de la Venise labyrinthique, assimilée au labyrinthe de Dédale à
travers la référence plastique se révèle être ainsi un élément à la fois
constitutif et structurel dans la construction d'un imaginaire de l'espace
vénitien tant diurne que nocturne (« un labyrinthe nocturne », p. 15), tel qu’il
est décrit dans L'Altana ou la vie vénitienne de Régnier.
Si la poésie de Marinetti se trouve marquée par l’occurrence
thématique de la mer après 1897, comme dans le poème Tempête sur la mer,
donnant lieu à une interprétation du paysage marin, notamment par
l'intermédiaire de la technique analogique (lune-étoile, mer-étoile, « lunafilatrice ») elle aboutit dans La mort de la lune (1899) à une « fantasia ponteistica
di Marinetti : il sole e il mare »59, pour reprendre l'expression de Gaetano
Mariani s'intéressant au profil du « premier Marinetti », avant qu'il ne
devienne l'auteur des différents manifestes futuristes.
Chez Henri de Régnier, faisant partie de ces « derniers amants de la
60
lune » auxquels Marinetti renoncera plus tard, le recours au motif lunaire
est fréquent dans L'Altana ou la vie vénitienne : tandis que le narrateur y décrit
une « gondole [qui] glisse sur une eau de clair de lune »61, il perçoit aussi dans
le même temps « le Grand Canal, magnifique et lunaire »62 puis des « façades
obscures ou enlunées »63.
Par ailleurs, le traitement du paysage vénitien chez Henri de Régnier
semble être d'abord sous l'emprise d'un imaginaire symbolique chargé
d'exprimer la complexité des émotions. L'originalité de l'écriture de Régnier
quand il s'agit de décrire l'espace vénitien semble puiser d'abord dans la
force des images et l'exploration du du songe. Donnant lieu à une « écriture
Henri de Régnier, L'altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 10.
Gaetano Mariani, Il primo Marinetti, op. cit., p. 8.
60 Henri de Régnier, L'Altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 15 .
61 Ibid.
62 Ibid, p. 15.
63 Ibid.
58
59
120
Il Campiello – n° 1
déceptive » celle-ci se trouve cependant marquée par le goût de Régnier à
expérimenter les questions liées à l'écriture de la mémoire : ses réflexions en
ce qui concerne le phénomène de la mémoire involontaire, à l'origine d'
« épiphanies libératrices » se révèlent ainsi favorable à un ensemble de
superpositions d'images, qui s’imposent d'abord comme des sortes de
témoins des moments séparés du passé. Jean Starobinski, s’intéressant à la
question des prédispositions et de la sensibilité du regardant face à un
espace, à un paysage s'offrant à sa perception, utilise ainsi l'expression de
« paysages orientés », en la mettant en jeu avec la notion de souvenir qu'il
décrit comme étant fréquemment associée au sentiment de devoir, lui-même
motivé par un impératif du « voir plus clair »64. La notion de « mémoire
réfléchissante » est utilisée aussi par Starobinski pour établir une
comparaison entre Proust et Régnier, dans la manière appréhender l'écriture.
Tandis que chez Régnier la narration offre au regard une description
possible de l'espace romanesque construit, chez Proust la description a pour
particularité de demeurer impossible, et de nature toujours prétéritive65.
Ainsi, la présence chez Henri de Régnier de plusieurs détails architecturaux,
disséminés au fil des nombreux passages descriptifs de L'Altana ou la vie
vénitienne paraît faire écho à cette idée avancée par Jean Starobinski selon
laquelle sa narration fait en sorte que la description demeure possible : le
palais Dario et l’île Saint Georges aux pages 18 et 19 sont l'objet d'une
description possible. Les particularités de l'architecture vénitienne
minutieusement transcris par Henri de Régnier s'opposent ainsi de manière
explicite aux principes architecturaux prônés par exemple dans les dessins de
Sant'Elia. La ville, perçue par les futuristes d'abord comme un lieu
d'émergence des forces sociales mais aussi politiques est assimilée à un
creuset sensé exprimer toutes les potentialités de l'avenir. Appréhendé par le
Futurisme auquel adhère Marinetti après le Symbolisme, la ville futuriste
incarne véritablement l'antithèse de l'image romantique associée à Venise,
jusqu'au XXème siècle66. Le discours anti-vénitien des futuristes entre 1909 et
Jean Starobinski, « paysages orientés », Fondazione CINI, Il paesaggio. Dalla percezione alla
descrizione, a cura di Renzo Zorzi, op. cit.
65 Ibid.
66 Contre Venise passéiste en avril 1910 et Discours aux Vénitiens en août 1910.
64
Le Gall – L’écriture vénitienne chez de Régnier et Marinetti
121
1911 s'accompagne d'ailleurs de la création d'une cartographie des lieux du
Futurisme, à travers laquelle la destruction de la Venise-amphibie est
projetée. Cependant, la distinction entre Venise en tant que symbole du
passéisme et la Venise réelle est à prendre en compte : le passé vénitien
glorieux est valorisé tandis que le présent vénitien est remis en question et
attaqué. Quand Marinetti recourt au terme de « passéisme » en 1915, c'est
pour désigner surtout « un état d’âme statique, traditionnel, professoral,
pessimiste, pacifiste, nostalgique, décoratif et esthète », d'après la Guerra sola
igiene del mondo67. Sur ce point, le rapport de Régnier à Venise est à interroger.
S'il semble que Venise « la courtisane décatie s'est découverte pudiquement
pour lui dire qu'elle n'est pas seulement un décor mais une présence »68 c'est
notamment parce que Régnier refuse non seulement la posture d'esthète
mais aussi de rejoindre « la foule de ses admirateurs »69 et son « cortège »70,
de sorte que, comme le souligne André Beaunier, « sa Venise est à rebours
des complaisances névrotiques de son époque, la sienne est quotidienne, à la
fois précise et fragmentée, vue de façon très libre »71 et non uniquement « un
cadre ou un sujet »72.
Ilona Gault, Venise et le Futurisme de l'Avant-garde : une confrontation mise en scène (1909-1915),
2010-2011.
68 Gérard-Julien Salvy, « Veneziamente », André Beaunier, La Poésie nouvelle ,op.cit, p. 5-17.
69 Henri de Régnier, L'Altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 9.
70 Ibid.
71 André Beaunier, La Poésie nouvelle, op. cit.. p. 13.
72 Henri de Régnier, L'Altana ou la vie vénitienne, op. cit., p. 9.
67
SECTION HISTOIRE
Jérémy Fournet
La Crète : colonie d’exploitation et nœud stratégique du
réseau vénitien en mer Égée
Introduction : la géographie de l’île
L’île de Crète, longue de deux cent cinquante kilomètres et large
de trente-cinq, se compose de plaines, comme Candie et Réthimo, et de
groupes montagneux, comme Sélino et Kissamos. La péninsule de Sitia
dessine une courbe descendante vers la mer221. Le blé est cultivé dans la
plaine de la Messarée, ou le long des littoraux joignant Réthimo et
Milopotamos222. Le district de Sitia se révèle moins propice à la
céréaliculture, mais moins densément peuplé, il peut produire un surplus
céréalier223.
Outre son rôle agricole, la Crète forme un nœud stratégique du
réseau commercial vénitien car située au carrefour de la mer Egée et de la
Méditerranée orientale, la Crète est un grenier à blé (et une source de
revenus financiers) et constitue une colonie d’exploitation pour la
221
Bernard DOUMERC, « La difesa dell‟impero », Girolamo ARNALDI, Giorgio
CRACCO, Alberto TENENTI, Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima.
III. La formazione dello stato patrizio, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1997, p.
237-250 ;
Eodem, « Gli armamenti marittimi », in ibid., p. 617-640. Frederic Chapin LANE,
Venetian ships and shipbuilders of the Renaissance, Baltimore, Md., 1934 ; Eodem, Venice. A
maritime republic, Baltimore and London, John Hopkins University Press, 1973. John E.
DOTSON, « Foundations of Venetian Naval Strategy from Pietro II Orseolo to the
Battle of Zonchio, 1000-1500 », Rose Susan (éd.), Medieval Ships and Warfare, Aldershot,
2008, p. 427-440 ; Eodem, « Venice, Genoa and control of the seas in the thirteenth
and fourteenth centuries », John B. Hattendorf, Richard W. Unger (éds.), War at sea in
the Middle Ages and the Renaissance, Woodridge, 2003, p. 119-135. Mario GALLINA, Una
società coloniale del Trecento. Creta fra Venezia e Bisanzio, Venezia, Deputazione editrice,
1989, p. 15.
222 Ibid., p. 22.
223 Ibid., p. 22-23.
124
Il Campiello – n° 1
métropole. Depuis son annexion par Venise à la suite de la Quatrième
croisade, elle fait office de relais aux ports de Coron et Modon,
principales bases de la flotte vénitienne, et joue un rôle essentiel face à la
piraterie.
En dehors de son rôle stratégique au sein du Levant vénitien, son
administration politique s’organise de la manière suivante. Au sommet de
l’administration de l’île se trouvent le duc et ses conseillers. La carte
réalisée par Freddy Thiriet montre que l’île de Crète se compose de
châtellenies disposant de plusieurs châteaux224 et regroupées en quatre
districts, d’ouest en est, La Canée, Réthimo, Candie et Sitia225. Des
recteurs les dirigent et appartiennent, comme les châtelains, aux
magistratures subalternes. Freddy Thiriet, se fondant sur les registres du
Grand Conseil226, démontre que les rectorats de La Canée et Réthimo ne
furent créés qu’en 1307227, tandis que celui de Sitia le fut en 1314228. Ces
trois chefs-lieux organisent et règlementent, sous la domination
vénitienne, la vie civile de l’île229.
Nous venons d’évoquer brièvement la géographie de l’île, sa
place dans le système maritime vénitien et son administration politique.
Plusieurs travaux ont éclairé les premiers siècles de la domination
vénitienne sur cette île mais une partie de la documentation reste encore
inédite et délaissée, notamment des notaires dont les archives sont
entreposées à l’Archivio di Stato de Venise, en particulier dans les séries
Cancelleria inferiore, Notai et Notai del Regno di Candia. Ces documents
permettent d’affiner notre connaissance des évolutions que connaît la
Crète de 1261 à 1334 et de mieux saisir quels sont les principaux enjeux
de sa relation avec son centre dominant, Venise.
On évoquera d’abord le défi que représente pour Venise
l’entretien de l’île de Crète comme colonie d’exploitation. Ensuite, on
analysera les contestations de la domination vénitienne. Enfin, on
Cf. les annexes 1 et 2.
Pour plus de détails sur les rouages de son administration politique, cf. Freddy
THIRIET, La Romanie vénitienne au Moyen Âge : le développement et l’exploitation du domaine
colonial vénitien : XIIe – XVe siècles, Paris, De Boccard, 1959, p. 124 et seq.
226 Ibid., p. 184, nb. 3.
227 Archivio di Stato di Venezia désormais ASVe, Deliberazioni del Maggior Consiglio
désormais Deliberazioni del MC, Liber Capricornus, fol. 52 v°: 10 août 1307.
228 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Presbiter, fol. 292 v° : 21 juillet 1314.
229 Mario GALLINA, Una società coloniale, op.cit., p. 26.
224
225
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
125
terminera en expliquant en quoi ce nœud stratégique a une efficacité
limitée au sein du réseau vénitien en mer Égée.
1. L’entretien malaisé de l’île de Crète comme colonie
d’exploitation
1.1 L’évasion des responsabilités publiques en dépit de
l’interdiction du refus et de l’obligation de rester sur place
Certains individus, à qui le Grand Conseil fait don de certaines
châtellenies ne s’y rendent pas, privilégiant d’autres destinations. Ces
largesses ne permettent pas à la métropole de bien contrôler ce qui se
passe sur l’île. Le Grand Conseil engage une mesure de rétorsion le 25
mars 1324. Il décide que le titulaire d’un office en Crète perd cet office
s’il en accepte un autre, à Venise ou dans le Dogado. Il en sera de même
pour celui qui aura été pourvu, par grâce, d’un office ou d’une châtellenie
situés en Crète et qui n’a pas accepté son mandat dans le délai d’une
année. Celui-ci perd automatiquement ce mandat. Une telle décision
s’explique car des offices et des châtellenies en Crète sont régulièrement
concédés per gratiam à des gens peu soucieux de se rendre au lieu où ils
doivent rentrer en fonction. De plus, ces derniers acceptent d’autres
offices, n’allant « en Crète qu’au moment où cela leur plaît230 ». Or, avant
même la Serrata du Grand Conseil en 1297, qui peut être définie comme
à la fois l’élargissement et la fermeture de cette assemblée vénitienne231, le
ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Fronesis, fol. 129 r° ; Freddy THIRIET,
Délibérations des assemblées vénitiennes concernant la Romanie. Tome 1 1160-1363, Paris – La
Haye, Mouton & Co, 1966, p. 186 ; cf. l’annexe n°2 pour la liste des châtelains de l’île
de Crète. Pourtant, d’après une pars du Grand Conseil en date du 22 juillet 1300, les
châtellenies octroyées par grâce ne devaient l’être que pour deux ans (Freddy
THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 79).
231 Pour mieux comprendre ce processus, cf. Margarete MERORES « Der grosse Rat
von Venedig und die sogennante Serrata vom Jahre 1297 », Vierteljahrschrift für Sozialund Wirtschaftsgeschichte, vol. 21 (1928/1929), p. 193-237 ; Frederic Chapin LANE, « The
enlargement of the Great council of Venice”, J. G. ROWE, W. H. (Hg.)
STOCKDALE, Florilegium Historiale. Essays presented to Wallace K. Ferguson, Toronto,
1971, p. 237-274, repr. dans Frederic Chapin LANE, Studies in Venetian social and
Economic History, Benjamin G. KOHL, Reinhold C. MUELLER (éds.), London,
Variorum Reprints, 1987, III ; Stanley CHOJNACKI, « La formazione della nobiltà
230
126
Il Campiello – n° 1
citoyen vénitien n’était pas libre d’agir aux dépens de l’intérêt de la
commune232. Aussi, Donald Queller conseille de faire la distinction entre
offices désirés et non-désirés233. Il pose le problème ainsi : comment
surmonter alors l’apparente contradiction entre la chasse aux offices
publics et, dans le même temps, le refus de ceux-ci ?
Pour éviter que ce genre de pratique ne se reproduise, le Grand
Conseil, dans une pars datée du 7 mai 1298, décide qu’il est interdit
désormais « d’échanger avec un magistrat ou un recteur l’office ou la
charge auxquels on a été régulièrement désigné234. » Quelques semaines
plus tard, le 26 juillet, il décrète que les recteurs venus séjourner à la
métropole pour cause de maladie ne peuvent y rester que deux mois au
maximum. Au-delà, « ils perdront automatiquement leurs charges235 ».
1.2 Des problèmes de corruption mettent en péril la
protection des biens de la Commune
dopo la Serrata », (dir.) Girolamo ARNALDI, Giorgio CRACCO, Alberto TENENTI,
Storia di Venezia. Dalle origini alla caduta della Serenissima. III. La formazione dello stato patrizio,
Roma, Istituto della Enciclopedia italiana, Roma, 1997, p. 641-722, p. 641 ; Dennis
ROMANO, Patricians and Popolani : the social foundations of the Venetian Renaissance state,
Baltimore : John Hopkins University Press, 1987, p. 28-29 ; Gerhard RÖSCH, « The
Serrata of the Great Council and Venetian Society, 1286-1323 », DENNIS Romano,
MARTIN John Jeffries (dir.), Venice reconsidered. The history and civilization of an Italian CityState 1287-1797, Baltimore, John Hopkins University Press, p. 67-88 ; Jean-Claude
HOCQUET, « Solidarités familiales et solidarités marchandes à Venise au XIVe siècle
», Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 27e
congrès, Rome, 1996, p. 227-255, p. 228-229 ; Eodem, « Oligarchies et patriciat à Venise
(XIIe-XVe siècles) », Studi Veneziani, Pisa, Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali,
vol. 17-18 (1975/1976), p. 401-410, p. 409 ; Victor CRESCENZI, Esse de maiori consilio.
Leggitimità civile e legittimazione politica nella Repubblica di Venezia (secc. XIII-XVI), Roma,
Istituto storico italiano per il medio evo, 1996.
232 Donald QUELLER, Il patriziato veneziano. La realtà contro il mito, Roma, Il Veltro
editrice, 1987, p. 203-204.
233 Ibid., p. 204.
234 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Pilosus, fol. 565 r° ; Roberto CESSI, Deliberazioni
del Maggior Consiglio, op.cit., tome 3, p. 440 ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 75 ;
ASVe, Avogaria di Comun, Liber Cerberus, fol. 23 v°-24 r° ; Donald E. QUELLER,
Early legislation on venetian ambassadors, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 61 : « Non
commutentur ambaxatores in officiales vel rectores ».
235 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 75.
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
127
Pourtant, ce système législatif connaît des limites avec
l’irresponsabilité du patricien vénitien dans de nombreux cas. La
Commune de Venise utilise certes nombre de délibérations pour lutter
contre « la cupidité des gestionnaires et les abus de pouvoirs236. »
Cependant, la législation imposée par la métropole accuse certaines
faiblesses : « les responsables qui appartiennent au même groupe social
que les enquêteurs, parfois aux mêmes clans familiaux, sont rarement
punis et les victimes jamais indemnisées237. » La Commune de Venise fait
preuve de beaucoup de tolérance, coupable ou non, face aux
comportements de certains de ses patriciens.
Prenons l’exemple de l’ancien duc de Crète Andrea Zen. Le
Grand Conseil, dans une pars du 2 mars 1277 évoque son cas. Les
Avocats de la Commune présentent au Grand Conseil leur rapport à son
sujet. Il stipule que ce dernier s’est rendu coupable d’avoir accepté des
cadeaux de ses administrés238. Malgré l’évidente preuve de sa corruption,
sur 268 présents au Conseil, 144 se prononcent pour l’acquittement
(capta), 44 pour une condamnation tandis que 64 s’abstiennent (non
sinceri)239. Du fait des lacunes des sources, on ne peut pas savoir quels
sont ceux qui, parmi les membres du Grand Conseil présents pour
délibérer sur ce cas, ont intérêt à ce qu’Andrea Zen ne soit pas
condamné.
On l’a vu, les tentatives de détournement des fonds existent, ou
du moins peuvent être supposées. Une pars du Grand Conseil du 9
novembre 1288 accuse Andrea da Molin, duc de Crète de 1286 à 1287240,
de diverses malversations. On pourrait s’attendre à une condamnation,
mais « la proposition le condamnant est repoussée (seulement 43 voix
pour, 100 contre et 47 non sinceri)241. »
Michel BALARD, Les Latins en Orient, XIe-XVe siècle, Paris, Presses Universitaires de
France, 2006, p. 333.
237 Ibid.
238 Par conséquent, entre le 8 décembre 1265 et le 27 juillet 1269, cf. Silvano BORSARI,
Il dominio veneziano, a Creta nel secolo XIII, Napoli, Fausto Fiorentino Editore, 1963, p.
129.
239 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 38.
240 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130.
241 Roberto CESSI, Deliberazioni del Maggior Consiglio, op.cit., tome 3, p. 223 ; ASV, M.C.,
Liber Zanetta, fol. 304 v° ; Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 57.
236
128
Il Campiello – n° 1
Ainsi, le Grand Conseil sait s’adapter à certaines situations et
passer outre les lois habituelles. Le 16 mars 1305, il fait grâce de l’office
de châtelain de La Bicorne (Apokoronas), situé sur l’île de Crète, pour
deux ans à Marco Venier. L’excellence de ce personnage dicte le choix
du Grand Conseil. Pourtant les statuts interdisaient de faire grâce d’un
office en faveur d’un particulier242. Toutefois, selon Donald Queller,
« l’empire vénitien offrait de multiples possibilités d’emplois pour les
nobles pauvres243. » Il se fonde sur l’exemple des châtellenies et des
postes de commandements vénitiens utilisés en temps de paix pour
distribuer les offres. Et peu importe d’ailleurs si une guerre éclate
soudainement. En effet, une grâce de l’année 1311 concède la châtellenie
de Castro Nuovo sur l’île de Crète à Giovanni Zancaruolo, car ce dernier
a passé onze mois en prison ayant été capturé pendant la guerre de
Ferrare244.
Le cas de l’île de Crète est symptomatique de tentatives
frauduleuses. Pour éviter qu’elles se reproduisent, la métropole resserre
son contrôle. En effet, l’avidité pour les offices de l’île de Crète, liée à la
libéralité avec laquelle ils sont concédés, est l’objet d’un décret du Grand
Conseil le 17 décembre 1304245. Ils doivent dorénavant être distribués
seulement avec le consentement de cinq membres du Conseil ducal,
trente membres des Quarante246 (et les deux tiers du Grand Conseil)247.
En dépit de cette mesure, la fraude continue. La pars du 16 septembre
1326 affirme d’abord que le décret du Sénat réservant la moitié des
offices aux vénitiens habitant l’île, notamment les feudataires, doit être
respecté, « sans aucune restriction ni fraude248. »
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 109.
Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 79.
244 Ibid., p. 79-80.
245 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Magnus, fol. 74 r° ; Freddy THIRIET,
Délibérations, op.cit., p. 108.
246 Cf. Jean-Claude HOCQUET, Venise au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p.
34 : « C’est la plus ancienne commission du grand Conseil, apparue dans la première
moitié du XIIIe siècle. Elle est alors cours de justice pénale et civile, juge d’appel,
principale autorité en matière économique et monétaire, institution de contrôle du
fonctionnement des autres conseils et magistratures. »
247 Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 81.
248 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Spiritus, fol. 10 r° ; Freddy THIRIET,
Délibérations, op.cit., p. 189.
242
243
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
129
L’autre moitié doit être laissée à la discrétion des recteurs.
Concernant les feudataires, la nomination nécessite d’être faite par un
vote du Grand Conseil de l’île de Crète. Le partage entre ces deux
moitiés a pour obligation d’être référencé sur une liste des offices,
envoyée par le duc de Crète à la métropole. C’est la condition sine qua non
pour que les offices soient concédés. En outre, les membres du Regimen
de Crète n’ont pas le droit de faire des concessions d’office, sinon ils
s’exposent à une « peine de cinquante livres (de petits deniers) d’amende
imposée au conseiller ou à tout magistrat défaillant249. » On est en
présence d’une véritable carence de l’application des lois250. En effet,
pour Donald Queller, la simple répétition des lois sur le même sujet peut
être l’indicateur le plus évident du fait que la pénalisation des refus et des
démissions des offices n’était pas appliquée avec continuité et
cohérence251. Par exemple, les nombreuses lois contre la corruption
évoquées précédemment montrent que le problème ne se résout pas.
De ces limites ressort une conclusion, dictée par Guillaume
Saint-Guillain : « nul ne niera que l’État vénitien produit dès cette époque
de l’idéologie, mais c’est moins elle qui le fait tourner au quotidien que la
résultante des intérêts privés confrontés dans le cadre des
institutions252. » La détermination de la Commune de Venise est de facto la
conséquence des intérêts en jeu253. En veillant à la bonne des gestions des
affaires d’Orient, ici l’île de Crète, le patriciat veille ainsi aux intérêts du
groupe qu’il incarne. L’honneur est une question de point de vue, celui
d’un groupe social dirigeant, dont l’image de soi se construit depuis
plusieurs décennies autour d’un concept fondé sur des origines illustres,
dont les chroniques vénitiennes du XIIIe et XIVe siècles se font
l’écho254.
Ibid., p. 189.
Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 238.
251 Ibid.
252 Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs : pouvoirs, société et insularité dans
les Cyclades à l’époque de la domination latine (XIIIe-XVe siècles), thèse dirigée par Michel
Balard, Paris, Université de Paris Panthéon-Sorbonne, 2003, p. 143.
253 Ibid., p. 146.
254 Dorit RAINES, L’invention du mythe aristocratique. L’image de soi du patriciat vénitien au
temps de la Sérénissime, Venezia, Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 2006, 2 vols,
vol. 1, p. 370-373.
249
250
130
Il Campiello – n° 1
L’honneur est un principe politique servant de prétexte pour
rendre les patriciens vertueux et légitimes aux yeux du popolo, notamment
des hommes du popolo minoto, qui ne peut accéder aux postes à
responsabilité en Orient, puisqu’ils n’appartiennent pas au Grand
Conseil. Cette emprise du patriciat pour les offices de intus et de foris au
Levant n’est pas seulement générale. Elle est la somme du regroupement
de stratégies nobiliaires mises en place par les familles, avec les
répercussions afférentes sur la fama du patricien et du lignage concerné.
En effet, les familles, amis et autres personnes avec qui ils partageaient
des intérêts économiques et politiques soumettaient les nobles qui
détenaient des charges à de nombreuses et lourdes pressions255.
colons
1.3 Une colonie d’exploitation avec une faible population de
Au-delà des détenteurs des charges, qu’en est-il de la population
vénitienne sur cette île ? Les Vénitiens constituent une minorité,
« quelques milliers tout au plus256. » Ils ont des possessions dans les
campagnes, même s’ils n’y habitent pas, puisqu’ils doivent vivre dans les
villes. Une loi les oblige en effet à « résider à Candie, sous la surveillance
constante du duc de Crète257. » Les actes de la pratique sont
indispensables pour donner un bref aperçu, avec le prisme du patriciat,
de cette présence vénitienne.
De 1278 à 1281, les actes notariés de Leonardo Marcello
recensent quelques patriciens, dont un Nicolaus de Canal258, et deux
feudataires, Andrea et Giovanni Corner, qui louent à perpétuité une
terre, située dans le casal de Lembaro, à leur vilain (à l’origine tout
habitant d’une villa, d’où le sens de paysan)259 Michalli Fornicata260.
Donald E. QUELLER, Il patriziato veneziano, op.cit., p. 301.
Michel BALARD, Les Latins en Orient, op.cit., p. 300. Michel Balard se fonde sur
l’étude de Mario Gallina : Mario GALLINA, Vicende demografiche a Crete nel corso del XIII
secolo (Quaderni della Rivista di Studi bizantini e slavi, 2), Rome, 1984.
257 Michel BALARD, Les Latins en Orient, op.cit., p. 300.
258 Mario CHIAUDANO, Antonio LOMBARDO (éds.), Leonardo Marcello. Notaio in
Candia (1278-1281), Venezia, Il Comitato editore, 1960, p. 176.
259 François-Olivier TOUATI (dir.), Vocabulaire historique du Moyen-Âge : Occident, Byzance,
Islam, Paris, Les Indes savantes, 2007, p. 332.
255
256
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
131
Ensuite, d’après les actes du notaire Crescenzio Alessandrino, l’île de
Crète est fréquentée de 1281 à 1285 par les case Michiel261, da Canal262, da
Molin263 et Signolo264. Certains sont possesseurs d’un casal (c’est-à-dire
d’une tenure dotée d’une habitation, d’une exploitation rurale familiale,
dans les régions méditerranéennes) 265 sur l’île, d’autres passent des
contrats avec des hommes d’affaires grecs et latins. Les actes des notaires
Angelo de Cartura et Donato Fontanella266, édités par Alan Stahl267,
donnent un aperçu supplémentaire respectivement pour les années 13051306 et l’année 1321268.
Dans les différents actes édités par Sally McKee pour son étude
sur les testaments dans cette île269, on recense plusieurs familles de
dirigeants. On retrouve Biagio Semitecolo, dont on est pas sûr qu’il fut le
futur châtelain de Cérigo270, témoin d’un testament rédigé le 4 mai 1321
par le notaire Andreas de Bello Amore pour Maria, fille de Filippo
Querini271. On découvre des liens matrimoniaux existants entre la Cà
Ibid., p. 41. Il s’agît peut-être du même feudataire, Andrea Corner, qu’évoque
Guillaume Saint-Guillain dans sa thèse, cf. Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des
seigneurs, op.cit., p. 226.
261 ASVe, Notai di Candia, b. 115, Crescenzio Alessandrino, ff. 23 v° - 24 r°.
262 Ibid., fol. 8 v°.
263 Ibid., fol. 10 v°, 14 v°, 17 r°, 20 r°, 22 r°.
264 Ibid., fol. 17 r°.
265 François-Olivier TOUATI (dir.), Vocabulaire historique du Moyen-Âge, op.cit., p. 61.
266 ASVe, Notai di Candia, b. 97, Donato Fontanella ; ASV, Notai di Candia, b. 186,
Angelo de Cartura.
267 Alan M. STAHL (éd.), The Documents of Angelo de Cartura and Donato Fontanella, venetian
notaries in fourteenth century Crete, Washington, Dumbarton Oaks Research Library and
Collection, 2000.
268 Les actes du notaire Angelo de Cartura couvrent la période allant du 7 mai 1305 au
30 mai 1306, tandis que ceux de Donato Fontanella s’étendent du 27 février 1321 au 28
novembre de la même année.
269 Sally MCKEE (éd.), Wills from late medieval Venetian Crete. 1312-1420, Washington
D.C.., Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 1998, 3 vols.
270 Alain MAJOR, Les colonies continentales de Venise en Grèce méridionale. 14e – 15e siècles,
Toulouse, 2 vols., 1989, 2 vols., 728 p., thèse, (dir.) Alain DUCELLIER, p. 724. Il
utilise alors le catalogue des gouverneurs établi par Karl Hopf dans ses chroniques
gréco-romanes. Cf. à ce propos Karl Hopf, Chroniques gréco-romanes inédites ou peu connues,
publiées avec notes et tables chronologiques, Berlin, Weidmann, 1873. La source n’étant pas
mentionnée par Karl Hopf, le doute reste permis.
271 ASVe, Notai di Candia, b. 9 : Andreas de Bello Amore, fol. 59 r° ; Sally MCKEE
(éd.), Wills from, op.cit., vol. 1, p. 4.
260
132
Il Campiello – n° 1
Barbarigo et la Cà Corner, avec le cas de Filippa, exécutrice testamentaire
de feu Giovanni Barbarigo, le 18 mai 1324272. On croise aussi des
membres de la Cà Giustinian273. Pour les actes du notaire Giovanni
Gerardo274, Sally McKee trouve notamment un Giovanni Trevisan pour
le 28 juillet 1334275. De notre côté, pour les actes du notaire venant
uniquement de la busta 100, nous avons repéré un acte mentionnant un
Zorzi de la Cà Zen276, et quelques autres actes faisant référence à
nouveau à des membres de la Cà Corner277. De même, on peut déceler
aussi la Cà Gradenigo en 1329278. La Cà Corner semble entretenir des
liens avec la Cà Barbo aussi279. En 1327, des membres de la Cà Barozzi
sont cités avec Agnes, épouse et exécutrice testamentaire de feu
Giovanni Querini280. Deux ans plus tôt, le 26 septembre 1325, on trouve
un Fantino Soranzo, alors originaire de Venise, de la paroisse Santa
Maria281. En somme, nous sommes en présence d’un réseau d’alliances
matrimoniales tissé par des familles de feudataires, exerçant leur
domination sur l’île de Crète. Certains Vénitiens, tels ceux de la Cà
Soranzo, semblent être de passage sur cette île en 1325.
2. Une domination vénitienne contestée au sein de l’île
Ibid., fol. 131 r° ; Ibid., p. 14.
Ibid., fol. 216 v° ; Ibid., p. 17.
274 ASVe, Notai di Candia, b. 100 : Giovanni Gerardo. D’après une annotation rédigée par
les archivistes, Giovanni Gerardo exerça son métier de notaire du 1er septembre 1329
au 1er novembre 1361. Les 92 premiers folios sont intéressants, ils couvrent la période
allant de l’année 1329 au mois de septembre 1334. La busta 100 contient aussi d’autres
actes de Giovanni Gerardo, provenant des buste 122 et 295.
275 ASVe, Notai di Candia, b. 122, fol. 10 v° ; Sally MCKEE (éd.), Wills from, op.cit., p.
145-147.
276 Ibid., b. 100, fol. 1 v° : « Georgius de Ca Geno ».
277 Ibid., fol. 2 r° « Marcus Cornario filius condam Petri Cornario habitator Candida », et, dans
un autre acte au même folio : « Antonius Cornario habitator in casali Camnea ».
278 Ibid., fol. 3 v° : « Marcus Gradonico filius condam Leonardi Gradenigo habitator Candida ».
279 Ibid., fol. 4 r° : « Antonius Cornario […] a te Barbo Barbo, habitator Candida et tuis
heredibus ».
280 ASVe, Notai di Candia, b. 233, Leonardo Quirino, fol. 105 r° ; Sally MCKEE (éd.),
Wills from, op.cit., vol. 2, p. 453.
281 ASVe, Notai di Candia, b. 295, fasc. 2., Bonacursius de Fregona, fol. 1 r° ; Ibid., vol. 2, p.
495-496.
272
273
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
133
Si les Vénitiens s’installent et colonisent l’île, leur domination se
révèle loin d’être aisée : la pacification de l’île progresse difficilement.
Plusieurs révoltes éclatent contre le « pacte colonial » organisé par la
métropole. « Les deux plus graves sont celles de Georges Cortazzi et
d’Alexis Kalergis282. »
Le premier grand mouvement insurrectionnel dure de 1264
jusqu’en 1299. En 1267, lors d’une bataille dans la plaine de la Mésarée,
les Vénitiens subissent une défaite. Ils connaissent un autre échec en
1274. Toutefois, Freddy Thiriet doute de la fiabilité de cette chronologie
fournie par le chroniqueur Antonio Kalergis283. L’intraitable Georges
Cortazzi préfère l’exil en 1269, car il ne veut pas se soumettre à des
maîtres latins284. La famille des Cortazzi fait encore parler d’elle en 1275,
quand le duc de Crète Marino Zen trouve la mort dans une
embuscade285.
De son côté, Alexis Kalergis mène une autre série de révoltes.
Celle-ci dure dix-huit ans, de 1281 à 1299, si l’on s’en réfère au document
édité et publié en 1857 par Ludwig Friedrich Taffel et Georg Martin
Thomas286. La signature du traité de paix par le duc de Crète Vitale
Michiel, mentionnée dans la Cronica brevis d’Andrea Dandolo287, ne
constitue pas une victoire pour Venise, mais un soulagement288. Elle est
l’aveu de l’incapacité de la métropole à résoudre ce conflit autrement
qu’en faisant de nombreuses concessions à un chef autochtone. De plus,
Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 152.
Ibid., p. 137.
284 Ibid., p. 134.
285 Peter LOCK, The Franks in the Aegean 1204-1500, London and New York, Longman,
1995, réimpr. 2002, p. 154.
286 Gottlieb Lukas Friedrich TAFFEL, Georg Martin THOMAS, Urkunden zür alteren
handels-und Staatgeschichte der Republik Venedig mit besonderer Beziehung auf Byzanz un die
Levante, 814-1299, Vienne, Aus der kaiserlich-koniglichen hohund Staatsdr, 1857,
réimpr. Amsterdam, Hakkert, 1964, 3 vols, vol. 3, 1256-1299, p. 376-390, p. 377- 380
pour la lettre du duc de Crète Vitale Michiel au doge de Venise, p. 380-383 pour le
traité de paix.
287 Ester PASTORELLO (éd.), Andreae Danduli Chronica Brevis, Rerum Italicarum
Scriptores, nouvelle édition, tome XII, parte I, Bologne, 1938, passim.
288 Ibid., p. 376-377 : « De pace cum Alexio Calergi. Cum inter comune Venetiae et Alexium
Calergi, Magnatem insulae Cretae, iam annos XVIII discordia et guerra durasset, auctore Vitale
Michaele, Duca Cretae, in pacem tranquillam… ».
282
283
134
Il Campiello – n° 1
elle montre l’inefficacité de la colonisation militaire engagée de 1211 à
1252289. Pourtant, si l’on cite Michel Balard :
« par la Concessio Cretae de septembre 1211, le doge Pietro Ziani
réserve à l’État vénitien la région de Candie en toute propriété et concède le
reste de l’île à perpétuité à 180 colons vénitiens, soit 132 chevaliers et 48
fantassins […] Les feudataires vénitiens, membres des grandes familles de la
Sérénissime, reçoivent des « chevaleries », s’engagent à défendre l’île par un
service militaire permanent. Les fantassins, recrutés parmi les gens du peuple,
reçoivent des « sergenteries » et sont tenus de servir avec un armement
approprié à leur rang. Le recrutement s’effectue sur la base du volontariat,
mais reste toujours inférieur aux besoins, de sorte que d’autres contingents
sont envoyés en 1222, 1233 et 1252, pour l’installation desquels le
290
gouvernement vénitien est contraint à un engagement financier accru . »
Pour résumer, cette colonisation militaire combine mise en valeur
de la terre et mise en défense de l’île291.
Les feudataires et la métropole ont beaucoup de chance qu’Alexis
Kalergis ne réponde pas à l’appel des Génois en 1296292. Toutefois,
Venise, en apaisant un des plus puissants archontes de l’île de Crète293,
espère pouvoir ainsi pacifier l’île, d’autant que le soutien de
Constantinople à la résistance crétoise s’affaiblit progressivement au
XIVe siècle294. Il n’est pas étonnant que la création des districts de La
Canée, Réthimo et Sitia ne date que du début du XIVe siècle.
La création de ces trois districts n’empêche pas la révolte de
1333-1334, organisée par les feudataires. Elle dure quelques mois autour
David JACOBY, « La colonisation militaire vénitienne de la Crète au XIIIe siècle.
Une nouvelle approche », Michel BALARD, Alain DUCELLIER (dir.), Le partage du
monde. Échanges et colonisation dans la Méditerranée médiévale, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1998, p. 297-313, p. 312.
290 Michel BALARD, Les Latins en Orient, op.cit., p. 227-228.
291 Ibid., p. 228.
292 Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 153.
293 Ainsi, Venise concède à lui et sa famille d’archontes un certain degré d’autonomie
juridique dans leurs dépendances : cf. Sally MCKEE (éd.), Wills from late, op.cit., vol. 1 :
Preface, p. IX-XVI, p. X ; Chryssa A., MALTÉZOU « Byzantine “consuetudines“ in
Venetian Crete », Dumbarton Oaks Papers 49, 1995, p. 269-280.
294 Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 153; Eodem, Régestes, p. 28 :
« Alexis Kalergis fut le chef de la grande révolte crétoise de 1282-1299 qui tint un
moment les ¾ de l’île. Il accepta cependant les conditions de paix avantageuses que lui
fit la Commune de Venise et devint son loyal collaborateur. »
289
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
135
du castel-Selino295. La limitation du pouvoir du duc de Crète n’améliore
pas la situation. Ainsi, le 25 septembre 1308, il « n’a pas à se mêler des
affaires qui opposent la communauté des feudataires à cinq nobles de
Candie296. »
En outre, la métropole doit tenir compte des revendications des
feudataires. « En 1302, les feudataires de la Canée s’élèvent contre la
détention, par des bâtards et des Grecs, de fiefs ou d’offices qui leur sont
réservés, et contre leur présence dans des assemblées de feudataires297. »
Cette protestation est causée par le non-respect de l’interdiction de 1293,
qui interdit « à tous les Latins détenant des fiefs ou des terres en
bourgeoisie de conclure des alliances matrimoniales avec des Grecs, sous
peine de perdre les biens et d’être expulsés de l’île298. » La métropole
donne raison aux feudataires de la Canée, sauf pour le cas des fiefs299.
Cette politique de ségrégation de la Commune contre les
mariages mixtes, pour éviter la naissance de vasmuli300, ne doit pas nous
amener à conclure à une volonté d’homogénéité ethnique, selon Sally
McKee301. Les actes notariés qu’elle a édités montrent au contraire que
les Latins et les Grecs de Candie et ses districts font du commerce
ensemble. D’ailleurs si les Kalergis ne sont pas « les premiers à franchir
« la barrière ethnique », comme l’a écrit Freddy Thiriet »302, leur exemple,
comme union mixte entre les feudataires latins et les familles grecques
nobles n’est pas isolé303.
Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 164.
Eodem, Délibérations, op.cit., p. 119.
297 David JACOBY, « Les états latins en Romanie : phénomènes sociaux et
économiques (1204-1350 environ) », Eodem, Recherches sur la Méditerranée orientale du XIIe
au XVe siècle. Peuples, sociétés, économies, Londres, Variorum Reprints, 1979, I, p. 1-51, p.
30.
298 Ibid.
299 Ibid., nb. 154.
300 Les vasmuli sont les enfants nés d’unions illégitimes de pères latins et mères grecques,
dans la grande majorité des cas, même si l’inverse est possible.
301 Sally MCKEE, Uncommon dominion : Venetian Crete and the Myth of Ethnic Purity,
Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2000, p. 168.
302 Freddy THIRIET, La Romanie vénitienne, op.cit., p. 135, cité par JACOBY David, « Les
états latins en Romanie… », op.cit., p. 30 ; Cf. aussi ASV, Notai di Candia, b. 295,
Albertinus Maça, ff. 12 r°-12 v° ; Sally MCKEE, Wills from, op.cit., vol. 2, p. 541-543, pour
l’exemple de l’alliance matrimoniale des Kalergis avec les Corner : Agnes, fille d’Alexis
Kalergis, fut l’épouse de Chornarachus Corner.
303 Sally MCKEE, Uncommon dominion, op.cit., p. 168-169.
295
296
136
Il Campiello – n° 1
3. Un nœud stratégique à l’efficacité relative
Sur le plan interne, la métropole et les familles de feudataires
présents sur l’île à partir de la Concessio Cretae de 1211 peinent à
s’imposer. Cette pénétration limitée n’empêche pas l’intégration de la
Crète dans l’empire vénitien. L’île forme un avant-poste relativement
efficace pour la métropole face aux dangers en Méditerranée orientale et
en mer Égée.
En effet, une pars (délibération) du 29 novembre 1309 nous
apprend que le Grand-Maître des Hospitaliers, Foulques de Villaret,
compterait s’emparer de Mytilène, voire de Chypre et même de Candie,
alors qu’il fait route vers Rhodes. Le gouvernement charge le Regimen de
Crète d’organiser la défense de l’île. Pour ce faire, il lui envoie des armes
et de l’argent304. De plus, il informe le duc et les conseillers de Crète que
Niccolò Trevisan vient de recevoir l’ordre de gagner La Canée, avec une
bonne galère, afin de protéger le port des attaques possibles de la part de
la flotte des Hospitaliers. La galère de Trevisan doit apporter des armes,
qui seront débarquées à La Canée et à Candie305.
Ainsi on peut constater que l’influence du duc de Crète ne se
limite pas à l’île de Crète. Plus tard, le duc de Crète Niccolò Zane et ses
conseillers Marinus Viglioni et Giacomo Gradenigo rappellent à l’ordre
le seigneur de Santorin Andrea Barozzi en 1318 : une sentence
enregistrée à Candie le 7 septembre donne raison à Gerardo Desde306. En
effet, Andrea Barozzi demande avec insistance à Gerardo Dresde de lui
fournir un vilain, mais Gerardo Dresde ne cède pas à sa requête307.
Freddy THIRIET, Délibérations des assemblées vénitiennes, op.cit., p. 129.
Ibid., p. 130.
306 ASVe, Duca di Candia 29, Memoriali 1, fol. 1 v° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN,
L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1015 ; ASV, Duca di Candia 26, Sentenze civili 1, fol. [2]
r° ; Ibid., p. 1016 : cet acte donne le nom du duc de Candie et de ses conseillers.
307 ASVe, Duca di Candia 29, Memoriali 1, fol. 1 v° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN,
L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1015 : « …Gerardus frater Desde […] nobilis vir Andreas
Baroci dominator insule Sancte Heriny petebat pro suo villano dicte insule videlicet pro filio quondam
Hemanuelis Vradhiano filii quondam Iohannis Vradhiano sui villani dicte insuli, sit absolutus a
petitione dicti nobilis… ».
304
305
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
137
Malheureusement pour Venise, les excès des feudataires, les abus
de pouvoir ou la négligence dont font preuve les officiers désignés par la
métropole mettent à mal l’efficacité de cet avant-poste. Le 5 décembre
1330, les membres du Conseil des Dix approuvent « à l’unanimité la
proposition de poursuite contre Andrea Bragadin. » Ce dernier, alors
recteur de la Canée, a fait preuve d’incurie : il n’a pas recherché les
traîtres de la Cà Barozzi, en dépit des ordres308. La conjuration des frères
Barozzi ayant eu lieu en 1328309, soit deux ans auparavant, il s’avère donc
peu étonnant que le Conseil des Dix décide de poursuivre Andrea
Bragadin. Il serait intéressant de savoir si le lignage auquel appartient
Andrea Bragadin avait des relations matrimoniales ou de commerce avec
le lignage des Barozzi incluant les traîtres. Cela pourrait expliquer le peu
d’entrain du recteur à accomplir sa tâche. La série comissarie du fond des
Procurateurs de Saint-Marc de l’Archivio di Stato de Venise pourrait
peut-être donner des informations à cet égard. En effet, on peut espérer
y trouver parmi les exécuteurs testamentaires les personnes susdites,
membres des deux Cà concernées.
L’île de Crète est une colonie d’exploitation de l’empire vénitien
en Méditerranée. Le contrôle et la gestion de la Crète, colonie
d’exploitation de l’empire vénitien en Méditerranée se révèle malaisé.
Trois explications nous semblent déterminantes : l’irresponsabilité de
certains patriciens, la collusion entre bien privés et biens publics dont
certains patriciens sont responsables et le faible nombre de colons.
Ces dysfonctionnements entrainent une contestation récurrente
de la domination vénitienne sur l’île. Malgré une colonisation militaire
engagée de 1211 à 1252, les conflits demeurent endémiques de 1261
jusqu’en 1334 ». (La révolte des années 1360 n’est pas prise en compte ici
vu les bornes chronologiques de notre enquête)
L’île de Crète est bien un nœud stratégique du réseau vénitien en
mer Égée mais, il faut le souligner, elle « dépend du regimen de Coron et
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 191 ; ASVe, Consiglio dei Dieci, Parti Miste,
reg. III, fol. 83 r°.
309 Cf. le troisième registre des Deliberazioni, Parti miste du Consiglio dei Dieci : Ferrucio
ZAGO, Consiglio dei Dieci. Deliberazioni miste. Registri III-IV. (1325-1335), Venezia, Il
Comitato Editore, 1968, p. 338 : Maffeo Querini, Nicolò Barozzi, Jacopo (ou
Giacomo ?) Barozzi et Marino Barozzi sont mentionnés le 30 décembre 1328.
308
138
Il Campiello – n° 1
Modon pour la défense de la thalassocratie vénète310. » Son efficacité est
relative à l’échelle régionale, c’est-à-dire celle de la mer Égée.
310
Alain MAJOR, Les colonies continentales, op.cit., p. 99.
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
Annexe n°1 – Les ducs de Crète de 1261-1334
1257-1259 : Giovanni Belligno
1259-1261 : Giacomo Delfino
1262-1263 : Nicolo Navigaioso
1264-1265 : Marino Dandolo
1265-1269 : Andrea Zeno
1269-1270 : Pietro Badoer
1270-1272 : Giovanni Belligno
1272-1273 : Marino Zeno
1274-1275 : Marino Morosini
1276-1278 : Pietro Zeno
1278-1279 : Marino Gradenico
1280-1281 : Andrea Dandolo
1281-1283 : Giacomo Dondulo
1284-1285 : Pietro Giustinian
1286-1287 : Andrea Da Molin
1287-1290 : Albertino Morosini
1290-1292 : Ermelao Zusto
1292-1297 : Andrea Dandolo
1297-1299 : Giacomo Tiepolo
1299-1301 : Vitale Michiel
1301-1303 : Giacomo Barozzi
1303-1305 : Guido Da Canale
1305-1307 : Federico (Belleto Giustinian)
1307-1309: Guido da Canal
1309-1311 : Niccolò Sanudo
1311-1313 : inconnu ?
1313-1315 : Marino Badoer
1315-1317 : Fantin Dandolo
1317-1319 : Nicolai Zane
1319-1321 : Giustiniano Giustiniani
1321-1323 : Tommaso Dandolo
1323-1325 : Enrico Michiel
1325-1327 : Filippo Bellemo
1327-1329 : Giovanni Morosini
1329-1331 : Marino Morosini
1331-1332 : Marco Gradenigo
1332-1334 : Biagio Zeno
139
140
Il Campiello – n° 1
Orientation bibliographique : BORSARI Silvano, Il dominio
veneziano a Creta, op.cit., p. 129-131 pour les années 1257-1311 ; RATTI
VIDULICH Paola, Duca di Candia – Bandi, op.cit., p. XI pour les années
1313-1329 ; THIRIET Freddy, Régestes des délibérations du Sénat, op.cit. pour
les années 1329-1334.
Annexe n°2 : Les châtelains de Crète
Apokoronas (La Bicorne)
Rigatio Gradenigo : 1302-1304
Marco Venier : 1305-1308
Andrea Barbo : 1308-1309
Andrea Barbo : 1310-1311
Matteo Bondumier : 1311-1312
Adriano Contarini : 1312-1314
Crisostomo Boldù : 1316-1317
Marino Trevisan : 1317-1320
Belvedere
Andrea Dolfin 1313-1315
Bonifacio
Niccolò Girardo : 1304
Filippo Gradenigo : 1311-1313
Bonriparo
Marco Caravello 1317-1319
Castel Selino
Marino Gradenigo 1278
Castel de La Canée
Solse Nani 1316-1318
Castro Nuovo
Tommaso Pantalon (de Crète) : mai 1300
Giovanni Zancaruolo : 1311-1313
Damiano Capello : 1313-1315
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
Giovanni Mocenigo : 1315-1319
Hierapetra
Marco Caravello (Candiote) : 1318-1320
Kissamos
Luce Mudazzo : 1300-1303
Giacobello Mudazzo : 1304
Filippo Viadro : 1312-1314
Giovanni da Ruggiero : 1315-1317
Francesco Aycardo : 1318-1320
Malvoisie
Tommaso Sanudo, fils de Marco Sanudo de Crète : 1317-1319
Milopotamos
Andrea Barbo : 1304-1306
Lorenzo Malipiero : 1311-1313
Nicolò Staniento : 1316
Nicolò da Ranieri : 1316-1318
Mirabello
Marino Malazas : 16 mars 1305
Lucà da Molin : 1313-1315
Leone Sanudo : 1317-1319
Pédiade
Andrea Querini detto Greco : avant 1303
Michele Gradenigo : avant 1303
Marino Barbarigo (habitant de l’île de Crète) : 1302-1304
Marco da Molin : 1304-1306
Giovanni da Molin : 1309-1311
Sitia (castel de sa forteresse)
Giovanni Foscarini, feudataire :
Giovanni Mocenigo : 1312-1314
Téménos
Andrea Corner : 1317-1319
141
142
Il Campiello – n° 1
Annexe n°3 : Les recteurs de Candie
août 1270 : Marino Soranzo, Pietro Falier
octobre 1273 : Giovanni Barbo, Marino Badoer, Gabriele Gausono
novembre 1273 : Giovanni Barbo, Marino Badoer
15mai-2 septembre 1281 : Ranieri Dolfin, Matteo Soranzo
Orientation bibliographique : BORSARI Silvano, Il dominio
veneziano a Creta, op. cit., p. 129-130.
Annexe n°4 - Ébauche de corpus prosopographique
Les partes (délibérations) du Grand Conseil pour les concessions de
châtellenies y sont détaillées.
Aycardo Francesco
Francesco Aycardo se voit concéder pour deux ans la châtellenie de
Kissamos, le 28 mars 13181.
Badoer Marino
Marino Badoer est cité recteur de Candie d’abord le 5 octobre 1273,
puis au mois de novembre la même année2. Peut-être qu’il s’agit de Marino
Badoer, fils aîné de Marco Badoer de la paroisse de Santa Giustinia, et époux
de Balzanella Peraga3.
Badoer Marino
Marino Badoer, de la paroisse San Giacomo dell’Orio, est duc de
Crète du mois d’octobre 1313 au mois de septembre 13154.
Badoer Pietro
12705.
1 Freddy
Pietro Badoer est duc de Candie du 11 novembre 1269 au 5 janvier
THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 175.
Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130.
3 L. BASTIANELLI, « BADOER, Marino », Dizionario Biografico degli Italiani, url :
http://www.treccani.it/enciclopedia/marino-badoer_(Dizionario-Biografico)/ consulté le
10 décembre 2015.
4 Paola RATTI VIDULICH, Duca di Candia. Bandi (1313-1329), Venezia, Il Comitato
Editore, 1965, p. XI.
5 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130.
2
144
Il Campiello – n° 1
Barbarigo Marino (de l’île de Crète)
Marino Barbarigo, habitant de l’île de Crète, se voit concéder la
châtellenie de Pédiade le 21 mai 13026.
Barbo Andrea
Le 20 août 1304, Andrea Barbo se voit concéder la châtellenie de
Milopotamos7.
Barbo Castellano
Castellano Barbo, en tant que camérier de Crète, dans une pars du 20
septembre 1316, a le droit de manger avec ses parents8.
Barbo Giovanni
Giovanni Barbo est cité recteur de Candie d’abord le 5 octobre 1273,
puis au mois de novembre de la même année9.
Barozzi Andrea
Andrea Barozzi « donne procuration à plusieurs parents et relations »
le 12 octobre 131710. Le duc de Crète le rappelle à l’ordre en 1318 : une
sentence enregistrée à Candie le 7 septembre 1318 donne raison à Gerardo
Desde11.
Elena FAVARO, Carlo GUIDO MOR, Cassiere della bolla ducale, Grazie, Novus liber (12991305), Venezia, Il Comitato Editore, 1962, passim.
7 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 108.
8 Ibid., p. 166-167.
9 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130.
10 ASVe, Notai di Candia, busta 233, notaio Lenoardo Querini, protocollo, fol. 30 r° ;
Guillaume SAINT-GUILLAIN, L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1013.
11 ASVe, Duca di Candia 29, Memoriali 1, fol. 1 v° ; Guillaume SAINT-GUILLAIN,
L’archipel des seigneurs, op.cit., p. 1015.
6
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
145
Barozzi Giacomo, detto Mozzo
Il est duc de Crète du 15 septembre 1301 au 11 mars 130412.
Bellegno Filippo
Filippo Bellegno est cité duc de Crète le 18 mai 1326, dans une lettre
qu’il envoie au doge Giovanni Soranzo13.
Bellegno Giovanni
Giovanni Bellegno est duc de Candie une première fois de 1257 à
1259, puis de 1270 à 127214.
Bellegno Marco
Marco Bellegno est cité le 22 janvier 1319 comme inquisiteur de la
commune de la Canée15.
Bellemo Filippo
Filippo Bellemo est duc de Crète du mois d’août 1325 au mois de
juillet 132716.
Biacqua Angelo
Angelo Biacqua est nommé avocat de Candie le 7 avril 130217.
Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 131.
ASVe, Secreta, Serie diverse, Commemoriali, reg. 3, fol. 7 r° ; Riccardo PREDELLI, I libri
commemoriali della reppublica di Venezia, regesti, tomo II, Venezia, Deputazione di Storia Patria
per le Venezie (idem pour la suite), 1878, p. 12.
14 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 129-130.
15 Paola RATTI VIDULICH, Duca di Candia, op.cit., p. 74-75.
16 Ibid., p. XI.
12
13
146
Il Campiello – n° 1
Boldù Crisostomo
Crisostomo Boldù est châtelain d’Apokoronas (La Bicorne) de 1316
à 1317. En effet, il est nommé le 13 février 1316 pour deux ans à ce poste18.
Bondumier Marco
Marco Bondumier se voit concéder la châtellenie de la Bicorne
(Apokoronas) pour quatre ans le 22 juin 131119.
(da) Bora Marco
Marco da Bora est nommé avocat de Candie le 7 avril 130220.
Bragadin Pietro
21
1330 .
Pietro Bragadin est mentionné recteur de la Canée le 26 février
Canal (da) Guido
Guido da Canal est cité duc de Crète le 13 juin 130422. Selon Silvano
Borsari, il est duc de Crète de 1303 au 10 juin 130523. Il est de nouveau élu à
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 92.
Ibid., p. 163 et 164.
19 ASVe, Deliberazioni del MC, Liber Presbyter, fol. 43 r° (44 r°) : « Item quod fiat gratia nobili
viro Marco Bondimiro quod sit castri Bicornie per quatuor annos cum condicione consuetis possendo vendi
facere vinum sit possunt alii. » ; Freddy THIRET, Délibérations, op.cit., p. 141.
20 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 92.
21 ASVe, Senato, Sindicati, reg. 1329-1425, fol. 9 v° : « Nos Franciscus Dandolo con consilio
comittimus nobis nobili viro Petro Bragadino de nostro mandato rettori Canee […] Datum in nostro ducali
palacio comuni incarnatione domini […]millesimo trecentessimo trigessimo die XXVI februari XIIIIa
indictione. »
17
18
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
147
cet office en 1308, puisqu’il est mentionné du 29 mars 1308 au 18 février
1310 comme duc de l’île de Crète24.
Cappello Damiano
Damiano Capello est châtelain de Castel Nuovo sur l’île de Crète
avant 1315, si l’on se réfère à une pars du Grand Conseil, en date du 3 juillet
1315. Giovanni Mocenigo lui succède à ce poste25. En effet, le 12 mars 1313,
Damiano Capello se voit concéder pour deux ans la châtellenie de Castro
Nuovo26.
Caravello Marco
Marco Caravello reçoit en concession le 10 décembre 1317 la
châtellenie de Bonriparo27. Le 29 avril 1318, il se voit concéder la châtellenie
de Hiérapétra28. Soit il a refusé l’office de châtelain de Bonriparo entre
temps, soit il cumule ces deux charges administratives. Cette dernière
hypothèse ne doit pas être écartée, puisque ces deux castri (châteaux) sont
assez proches l’un de l’autre.
Corner Andrea
Il semble qu’Andrea Corner soit l’ambassadeur des feudataires
candiotes auprès de la métropole, le 17 et le 21 janvier 130129. La même
ASVe, Secreta, Serie diverse, Commemoriali, reg. 1, fol. 53 ; Georg Martin THOMAS,
Diplomatarium Veneto-Levantinum sive Acta et Diplomata res venetas, graecas atque levantis
illustrantia, 2 vols, vol. 1, Venetis, Sumptibus societatis, 1880, p. 24.
23 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 131.
24 Ibid., p. 131.
25 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 159.
26 Ibid., p. 149.
27 Ibid., p. 175.
28 Ibid., p. 176.
29 Roberto CESSI, Paolo SAMBIN, Le Deliberazioni del Consiglio dei Rogati, op.cit., p. 12-13 ;
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 80-81.
22
148
Il Campiello – n° 1
année, le 30 mai, lui et le notaire Pietro Pizolo doivent rembourser à Cecilia,
épouse de Giovanni Gradenigo, cent vingt-deux hyperpères qu’elle leur avait
prêté30. Le 26 août, lui et Giovanni da Molin affirment qu’eux et leurs
héritiers vendent un esclave grec nommé Vuda à Valori Dandolo de la
paroisse de San Polo. Le prix fixé est de huit hyperpères31. Le 24 septembre
1301 Vido de Zara fait savoir à Giovanni da Molin et à Andrea Corner qu’il
a bien reçu en main propre la commission disant qu’il doit comparaître ainsi
qu’il lui est ordonné32. Le 15 mars 1317, le Grand Conseil décide de lui faire
grâce de la châtellenie de Téménos pour ses services rendus à la métropole
lors des récentes guerres en Crète33. D’autres informations sur ce feudataire
de Crète sont disponibles grâce à Giorgio Ravegnani34. Il se peut qu’il
s’agisse aussi de lui dans les actes du notaire de Candie Crescenzio
Alessandrino. Si c’est le cas, on apprendrait alors qu’il a pour épouse au
tournant des années 1281-1282 une certaine Thomasina35.
Dandolo Andrea Beretta, detto il Calvo
Il est duc de Candie du mois de janvier 1280 au 21 mai de la même
année . Il rentre alors à Venise en 1281. Les affaires de la mer Égée le
rappellent en 1292 : il est élu duc de Crète pour la deuxième fois. Il reste à ce
poste jusqu’en 1296 (en fait, du 7 octobre 1292 au 17 janvier 1297), dans une
36
Raimondo MOROZZO DELLA ROCCA, Benvenuto de Brixano, Notaio in Candia 13011302, Venezia, Alfieri Editore, 1950, p. 59.
31 Ibid., p. 115.
32 Ibid., p. 139.
33 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 169-170.
34 Giorgio RAVEGNAGNI, « CORNER, Andrea », Dizionario Biografico degli Italiani, url :
http://www.treccani.it/enciclopedia/andrea-corner_res-43900b29-87eb-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015.
35 ASVe, Notai di Candia, b. 115, Crescenzio Alessandrino, ff. 24 v°, 25 r°.
36 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130.
30
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
149
période caractérisée par un état de guerre continuel, avec pour ne rien
arranger l’explosion du conflit entre les Génois et les Vénitiens37.
Dandolo Fantin
Fantin Dandolo, de la paroisse San Fantin38, est duc de Crète entre
1315 et 1317. En effet, le 2 avril 1316, il dénonce la mauvaise gestion du
pouvoir par les châtelains de l’île. La paix est menacée selon lui39. Le même
jour, il parle des camériers de Candie, de La Canée et de Réthimno. On y
apprend entre autres que grâce au dazio sur les vilains, la métropole récupère
annuellement 1 000 hyperpères par an40.
Dandolo Marino
Marino Dandolo est duc de Crète de 1264 à 126541.
Dandolo Tommaso
Tommaso Dandolo est duc de Crète du mois décembre 1321 au
mois de novembre 132342.
Dolfin Papone
Au mois d’août 1293, Papone est mentionné conseiller de l’île de
Crète, mais pour la ville de Candie. Il ne doit pas être envoyé à La Canée43.
Gerhard RÖSCH, « DANDOLO, Andrea », Dizionario Biografico degli Italiani, url :
http://www.treccani.it/enciclopedia/andrea-dandolo_res-cd42714e-87eb-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015.
38 ASVe, Marco Barbaro, Arbori de’ patritii veneti, ms. III, vol. 12, p. 183.
39 Georg Martin THOMAS, Diplomatarium, op.cit., p. 99.
40 Ibid., p. 99 et seq.
41 Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 129.
42 Paolo RATTI-VIDULICH, Duca di Candia, op.cit., p. XI.
43 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 69.
37
150
Il Campiello – n° 1
Dolfin Pietro
Au mois d’août 1293, Pietro Dolfin est cité conseiller et camérier de
La Canée dans une pars du Grand Conseil44.
Dolfin Renier (Ranieri)
128145.
Renier Dolfin est recteur de Candie du 15 mai au 2 septembre
Dondulo Giacomo
Il est duc de Crète de 1281 à 128346. Marco Pozza démontre que ce
personnage a été trop longtemps assimilé au cognomen Dandolo47.
Erizzo Marco
Le 12 mai 1302, Marco Erizzo est nommé amiral de Crète en
remplacement de son père qui est malade48.
Falier Francesco
Francesco Falier est cité conseiller de Crète dans une pars du Grand
Conseil, le 13 août 128949.
Falier Pietro
Ibid., p. 68.
Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 130.
46 Ibid., p. 130.
47 Marco POZZA, « DONDULO, Giacomo », Dizionario Biografico degli Italiani, url :
http://www.treccani.it/enciclopedia/giacomo-dondulo_%28Dizionario-Biografico%29/
consulté le 10 décembre 2015.
48 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 93 no. 55.
49 Ibid., p. 59.
44
45
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
151
Pietro Falier est recteur de Candie au mois d’août 127050.
Giustinian Marco
Marco Giustinian appartient au rameau de San Moisè51. Il est nommé
en 1314 recteur de Sitia en Crète52.
Gradenigo Giovanni, detto « Greco »
Né à Venise vers la fin du XIIIe siècle, Giovanni Gradenigo est de la
paroisse de San Lio. Son surnom « Greze », « Grece » ou « Greco » permet
de le distinguer d’homonymes contemporains, notamment d’un certain
Giovanni Gradenigo de San Vidal. Giovanni Gradenigo detto « Greco »
débute son cursus honorum en mai 1318 au sein du Consiglio dei Rogati, dans une
commission de sages chargée d’examiner la conduite tenue par le duc de
Crète Nicolò Lion53. En 1334, on fait appel à lui pour s’occuper d’une
rébellion sur la même île54.
Gradenigo Marino
Silvano BORSARI, Il dominio veneziano, op.cit., p. 129.
Giorgio RAVEGNAGNI, « GIUSTINIAN, Marco », Dizionario Biografico degli Italiani, url :
http://www.treccani.it/enciclopedia/marco-giustinian_res-21697e42-87ee-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015.
52 Et non en 1313 comme Giorgio Ravegnagni le suppose. En effet, le district de Sitia n’est
créé que le 21 juillet 1314 par décision du Grand Conseil (cf. Freddy THIRIET,
Délibérations, op.cit., p. 155). Le mandat de Marco Giustinian se terminerait vers le 22 août
1316 (cf. Ibid., p. 166).
53 Nicolò Lion n’est pas mentionné dans la liste des ducs de Crète. Peut-on le placer alors
par déduction à cet office entre 1311 et 1313 ? Il faudrait trouver des actes de la pratique le
mentionnant.
54 Toutes ces données sur ce personnage sont extraites de Franco ROSSI, « GRADENIGO,
Giovanni »,
Dizionario
Biografico
degli
Italiani,
url :
http://www.treccani.it/enciclopedia/giovanni-gradenigo_res-39e3351e-87ee-11dc-8e9d0016357eee51_(Dizionario-Biografico)/ consulté le 10 décembre 2015.
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Il Campiello – n° 1
Marino Gradenigo, frère du doge Pietro Gradenigo, fonde le château
de Castel Selino (situé au Sud-Ouest de La Canée) sur l’île de Crète. Il est
duc de Crète en 127855, ce que les recherches de Silvano Borsari confirment,
en outre56.
Gradenigo Marino
Marino Gradenigo est cité conseiller de Crète et recteur de La Canée
dans un document du 8 mai 1302. Si c’est le cas, il donne une commissio à
l’ambassadeur Rigatio Gradenigo, parlant des difficultés de La Canée (« de
statu et necessitabus Caneae »)57.
Gradenigo Rigatio
Dans un document du 8 mai 1302, Rigatio Gradenigo est
l’ambassadeur de Marino Gradenigo, conseiller de Crète, auprès du doge
Pietro Gradenigo, sur les faits concernant La Canée58. Quelques mois plus
tard, il est nommé châtelain de La Bicorne (Apokoronas, située dans le nordouest de l’île de Crète, à l’est de La Canée) pour deux ans, le 7 novembre, sur
décision du Grand Conseil59.
Granella Brando
Le 12 avril 1302, Brando Granella est nommé scribe de l’office des
Seigneurs de la nuit de Candie60.
Marcello Filippo
Cf. l’image en annexe extraite des généalogies de Marco Barbaro di Barbaro : ASVe,
Marco Barbaro, Arbori de’ patritii veneti, ms. IV, vol. 17, p. 70.
56 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130.
57 Georg Martin THOMAS, Diplomatarium, op.cit., p. 3.
58 Ibid.
59 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 100.
60 Ibid., p. 92.
55
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
153
Il est cité comme recteur de La Canée le 25 septembre 130861.
Michiel Enrico
Il est duc de Crète de 1323 à 132562.
Michiel Vitale
Vitale Michiel est cité conseiller de Crète dans une pars du Grand
Conseil, le 13 août 128963. Par la suite, il est duc de Crète de 1299 à 130164.
En 1299, il écrit au doge de Venise, sur la paix conclue avec Alexis
Calergis65. Il est cité notamment dans un document du 24 avril 129966.
Mocenigo Giovanni
Dans une pars du Grand Conseil en date du 3 juillet 1315, Giovanni
Mocenigo se voit concéder la châtellenie de Castel Nuovo sur l’île de Crète,
pour une durée de quatre ans. Il succède alors à Damiano Capello67.
Molin (da) Andrea
Andrea da Molin est duc de Crète de 1286 à 128768.
Molin (da) Marco
Giuseppe GIOMO, « Lettere di Collegio rectius Minor Consiglio, 1308-1310 », Miscellanea
di storia veneta, R. Deputazione di storia patria, serie terza, tomo I, Venezia, A spese della società,
1910, XII-135p = p. 269-403, p. 286.
62 Paola RATTI-VIDULICH, Duca di Candia. Bandi 1313-1329, op.cit., p. XI.
63 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 59.
64 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131.
65 Georg Martin THOMAS, Lukas Friedrich TAFEL, Urkunden zür alteren, op.cit., p. 376-390.
66 Paola RATTI-VIDULICH, Duca di Candia. Bandi 1313-1329, op.cit., p. 16-17.
67 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 159.
68 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130.
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Il Campiello – n° 1
Sur l’île de Crète, Marco da Molin est nommé par le Grand Conseil,
le 1 septembre 1304, châtelain de Pédiade, pour deux années69.
er
Morosini Albertino
Il est duc de Crète de 1287 à 129070.
Morosini Marino
Le 9 décembre 1316, il a le droit de démissionner de son poste de
conseiller de Crète71.
Morosini Nicolò de San Cancian
Niccolò Morosini serait de la paroisse san Cancian de Venise et
serait recteur de La Canée avant 1310, d’après une déposition d’un certain
Paolo Morosini de la paroisse santa Fosca aux Juges de Pétition, au mois de
juillet 131072.
Morosini Ruggero
Ruggero Morosini est capitaine de la flotte opérant en Romanie,
dans une pars du Grand Conseil en date du 2 avril 1283 : le « Regimen de
Crète fera préparer 4.700 sacs de biscuits, afin de subvenir aux besoins des
équipages » de cette flotte73.
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 108.
Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131.
71 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 167.
72 ASVe, Giudici di Petizion, frammenti antichi, b. 2, parchemin de 15x25 cm, annexé au
registre « Quaternus interdictorum 1307-1308 », ff. 48 r°-49 r° (information et édition par
Alfredo STUSSI, Testi veneziani del Duecento e dei primi del Trecento, Pisa, Nistri-Litschi, 1965, p.
70-71.
73 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 43.
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70
Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
155
Navigaioso Nicolò
Nicolò Navigaioso est duc de Crète de 1262 à 126374.
Ruzzini Marco
Marco Ruzzini est recteur de Sitia le 4 septembre 131675.
Sanudo Marco
Marco Sanudo est recteur de Rétimo sur l’île de Crète d’après une
délibération du Consiglio dei Rogati, datée du 13 mars 133276. Il ne doit pas
être confondu avec Marco Sanudo, le conquérant de l’Archipel au début du
XIIIe siècle.
Sanudo Niccolò
Niccolò Sanudo est duc de Crète du 8 avril 1310 au 31 juillet 131177.
Sanudo Tommaso
Le 29 mai 1317, le Grand Conseil lui fait grâce de la châtellenie de
Malvoisie pour deux ans78.
Semitecolo Biagio
Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 129.
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 167.
76 Roberto CESSI, Mario BRUNETTI, Le Deliberazioni del Consiglio dei Rogati (Senato) Serie
Mixtorum, I, Libri I-XIV, Venezia, A spese della deputazione, 1960, p. 8.
77 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131.
78 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 170.
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Il Campiello – n° 1
Biagio Semitecolo est présent sur l’île de Crète en 1301, comme
l’atteste un acte notarié de Benvenuto de Brixano, en date du 27 mai 1301.
On y apprend que Blasius Simiteculo vit à Rethimno. Lui et ses héritiers ont
alors jusqu’à la mi-août pour rembourser cent cinquante mesures de blé,
conduites à Candie à ses frais, à commander pour Jean Burgondione et ses
héritiers79.
Staniento Nicolò
Nicolò Staniento est châtelain de Milopotamos pour deux ans par
grâce du Grand Conseil, le 13 février 131680. Il semble qu’il ne soit pas allé
exercer cet office sur l’île de Crète puisque le noble Nicolò da Ranieri se voit
concéder cette châtellenie deux mois plus tard, le 29 avril81.
Soranzo Matteo
128182.
Matteo Soranzo est recteur de Candie du 15 mai au 2 septembre
Tiepolo Giacomo
Giacomo Tiepolo est duc de Crète de 1297 à 129983.
Viglioni Marino
Le 22 février 1317, Marino Viglioni, alors élu conseiller de l’île de
Crète, reçoit l’ordre de rejoindre son poste84.
Raimondo MOROZZO DELLA ROCCA, Benvenuto de Brixano, op.cit., p. 54.
Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 163.
81 Ibid., p. 164.
82 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130.
83 Ibid., p. 131.
84 Freddy THIRIET, Délibérations, op.cit., p. 168.
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Fournet – La Crète, colonie d’exploitation et nœud stratégique
157
Zane Nicolai
Nicolai Zane est duc de Crète de 1317 à 131985.
Zen Andrea
Andrea Zen est duc de Crète de 1265 à 126986. On possède une
epistola de ce dernier, datée du 1er avril 1269, ayant pour destinataire le doge
Lorenzo Tiepolo87. En 1300, il est évoqué comme recteur dans l’île de
Crète88.
Zen Biagio
Biagio Zen est duc de Crète de 1332 à 133489.
Zen Marino
Marino Zen est duc de Crète de 1272 à 127390, puis il meurt en 1275
dans une embuscade, lors d’une lutte qu’il avait initié contre la famille
Cortazzi91.
Ziani Marco
Paola RATTI-VIDULICH, Duca di Candia. Bandi 1313-1329, op.cit., p. XI.
Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 129.
87 Gottlieb Lukas Friedrich TAFFEL, Georg Martin THOMAS, Urkunden zür alteren, op.cit.,
p. 102-114.
88 ASVe, Secreta, Serie diverse, Commemoriali, reg. 1, fol. 8 v° ; Riccardo PREDELLI, I libri
Commemoriali della Repubblica di Venezia, t. I, 1876, p. 11.
89 ASVe, Senato, Sindicatus, reg. 1 (1329-1425), fol. 16 v°.
90 Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 130.
91 Peter LOCK, The Franks in the Aegean 1204-1500, London and New York, Longman,
1995, réimpr. 2002, p. 154.
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86
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Il Campiello – n° 1
Marco Ziani est mentionné comme conseiller de l’île de Crète le 8
septembre 1304 pour une affaire entre Guido Da Canal, duc de Crète, et le
génois Ottobono de la Volta92.
Zusto Ermolao
Ermelao Zusto est duc de Crète de 1290 à 129293. Est-il de la
paroisse Santo Stefano confessore94, comme le suppose le régeste d’un acte daté
de 1257 ? Il semble que l’arbre généalogique de sa famille confirme cette
hypothèse.
Georg Martin THOMAS, Diplomatarium, op.cit., p. 28.
Silvano BORSARI, Il dominio, op.cit., p. 131.
94 ASVe, Madonna dell’Orto o Santa Maria dell’Orto e San Cristoforo (3038), b. 1, n. 78.
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93
Alexandra Laliberté de Gagne
Entre défiance et collaboration : les Grecs d’Épire et du
Magne aux XVIe-XVIIe siècles au regard des sources
vénitiennes
Introduction
L’Épirote Argyro Mélissène dédia en 1606 au vice-roi de Naples un
mémoire dans lequel il donnait des informations importantes sur les Turcs et
la manière dont les chrétiens pouvaient les combattre1. Il mettait en garde,
par la même occasion, le monarque espagnol contre les Vénitiens, dont il ne
doutait pas qu’ils pourraient prévenir les Turcs de la présence d’agents et
d’espions, privilégiant selon lui la paix afin de protéger leurs avoirs. Isolée
diplomatiquement et inférieure sur le plan militaire, la République de Venise
désirait avant tout conserver une position favorable au Levant, et pour cette
raison mènerait une politique conciliante à l’égard du Turc, comportement
que le pape et l'Espagne fustigeaient alors en l’accusant de connivence2.
Venise jouait néanmoins un rôle majeur en Méditerranée en tant que centre
de diffusion d’informations sur les Ottomans comme sur les populations
levantines et balkaniques (notamment grecques) 3. Certes plutôt conciliante
José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austrias: la
documentación griega del archivo de Simancas, 1571-1621, Universidad de Leon, 1988, p. 39 et 208.
2 Voir à ce sujet les ouvrages portant sur les croisades tardives de Géraud POUMAREDE,
Pour en finir avec la Croisade mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux XVIe et XVIIe siècles,
Paris, Presses universitaires de France, 2009 ; Stefan OLTEANU, Les pays roumains à l'époque
de Michel le Brave: l'Union de 1600, Bucarest, Editura Academiei Republicii socialiste
România,1975.
3 Raphaël CARRASCO, « L'espionnage espagnol du Levant au XVIe siècle d'après la
correspondance des agents espagnols en poste à Venise », Ambassadeurs, apprentis espions et
maîtres comploteurs-Les systèmes de renseignement en Espagne à l'époque Moderne, Béatrice Perez (dir.),
Paris, Presses de l'université Paris-Sorbonne, 2010, p. 207. Voir également Éric
1
160
Il Campiello – n° 1
avec les Turcs pour sauvegarder ses intérêts, la Sérénissime n’hésitait pas
cependant à les affronter.
La bataille de Lépante marque une étape importante dans l’histoire
de la région ; en effet, la mobilisation, victorieuse, d’une flotte chrétienne
contre le pouvoir turc fut accompagnée de divers mouvements de révoltes
au sein des Balkans, alimentés tantôt par la persistance d’une crise socioéconomique, tantôt par l’espoir d’une aide militaire ou financière contre le
pouvoir ottoman4. L’impact de ces mouvements de révolte n'est pas à
négliger. En effet, ces soulèvements jouèrent un rôle certain dans les guerres
qui opposaient les Turcs aux États chrétiens, facilitant le transfert
d’informations par le biais de représentants régulièrement envoyés par les
régions rebelles. À cette période, si les contacts entre les Grecs et les
Vénitiens persistaient, notamment du fait des possessions maritimes de la
Sérénissime et de la présence d’une importante communauté grecque exilée
à Venise, soulignons que, suite au traité turco-vénitien de 1573, les Grecs se
méfièrent de plus en plus de la République et que, si de nombreuses
ambassades furent envoyées, ce fut, non pas nécessairement à Venise, mais
plutôt vers la Couronne espagnole ou encore le Saint-Empire romain
germanique.
Les régions de l’Épire et du Magne se révèlent particulièrement
intéressantes en ce sens. En effet, ces territoires, placés sous une autorité
ottomane plus théorique que réelle du fait de leur caractère montagneux
rendant leur accès plus difficile aux troupes turques, constituaient deux
foyers de révoltes constantes contre la Porte5. La proximité de la mer
permettait à ces populations locales d’entretenir des échanges diplomatiques
avec les puissances latines. Ces deux régions constituaient un atout
DURSETELER, « Power and Information: The Venetian Postal System in the
Mediterranean, 1573-1645 » in Diego RAMADA CURTO et al., From Florence to the
Mediterranean: Studies in Honor of Anthony Molho, Florence, Olschki, 2009 ; Agostino
PERTUSI, et al., Venezia centro di mediazione tra Oriente e Occidente, Aspetti e problemi, Florence,
Leo S. Olschki, 1977.
4 Voir Michel LESURE, Lépante : la crise de l’Empire ottoman, Paris, Gallimard, 2012.
5 Ces régions ont constitué des foyers de révoltes contre le pouvoir ottoman bien avant la
période que nous étudions. Voir Bernard DOUMERC, « Le recul vénitien dans les Balkans
(1463-1503) », Etudes Balkaniques, Sofia, 2007.
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
161
inestimable dans le cas de l’envoi hypothétique d’une flotte ou d’une armée
chrétienne contre le pouvoir ottoman de par leur emplacement
géographique, faisant d’elles des voies d’accès idéales vers Constantinople.
Elles représentaient une pièce maîtresse dans les réseaux d’informations,
constituant une source de renseignements précieux, mais aussi un carrefour
par où transitaient les messagers6. La proximité de Corfou pour l’Épire, mais
aussi de ports anciennement vénitiens en Morée (Modon, Coron,
Malvoisie…) ou de Cythère pour le Magne, a sans aucun doute facilité les
rapports entre les voyageurs, ambassadeurs, espions ou négociants vénitiens
et les populations locales.
Le terme « grec » doit pour cette période être utilisé et analysé avec
précaution. Il a pu servir en effet à désigner autant les chrétiens orthodoxes
sous domination ottomane que les marchands balkaniques. Par conséquent,
cette expression ne fait référence ni à une identité nationale définie (alors
inexistante), ni à une ethnie homogène, du fait de la prégnance d’identités
régionales fortes. Maïnotes et Épirotes sont unis par l’usage du grec et la
religion orthodoxe, mais l’identité locale de ces régions demeure forte. Les
Maïnotes sont proches des Moréotes et les Épirotes des Albanais, cela
entraine des confusions7. Il s’agit de populations montagnardes de culture
guerrière, structurées en clans et en grandes familles, disséminées sur un
territoire peu densément peuplé. Ces caractéristiques, et les liens particuliers
les unissant à Venise (comme en témoigne la présence de nombreux
ressortissants de ces communautés parmi les stradiotes combattant sous la
bannière du lion de Saint Marc), les rendent plus enclins à participer aux
projets de révolte.
Cependant, si une collaboration entre Venise et les Grecs semble
possible, voire souhaitée, celle-ci s’avère également difficile. En effet, au
regard des sources, une méfiance perdure de la part des Latins envers les
Grecs, toujours perçus comme schismatiques. Les ressources dont ils
disposent réellement et leur motivation laissent également les puissances
Emmanuelle PUJEAU, Paolo Giovio et la question turque, thèse de doctorat, Toulouse,
Université de Toulouse II- Jean Jaurès, 2006, p. 300.
7 Sur le thème de l’identité épirote dans une période antérieure (XIIIe-XVe siècle), voir
Brendan OSSWALD, L'Épire du 13e au 15e siècle, Université de Toulouse- Jean Jaurès, 2011.
6
162
Il Campiello – n° 1
catholiques sceptiques. Néanmoins, leur participation est aussi recherchée, et
tout un discours de lamentation sur l’état de servitude de ces chrétiens sous
domination musulmane est développé pour justifier une intervention.
On peut donc se questionner, du fait de ces ambiguïtés et de
l’histoire complexe des relations entre ces populations et les « Latins », sur le
regard porté sur les Grecs d’Épire et du Magne par les sources vénitiennes.
Le discours officiel vénitien fluctue en effet au gré des nécessités politiques
de la Sérénissime vis-à-vis de la Sublime Porte, entre soupçons, trahisons et
promesses d’alliance. Dès lors, peut-on considérer ces déclarations comme
révélatrices de la politique de Venise en Méditerranée, tenant plus du
réalisme pragmatique que de l’idéologie, ou ne peut-on pas les
contrebalancer par des sources plus informelles, qui laisseraient une plus
grande place aux considérations personnelles ? Il faut ici insister sur la nature
conflictuelle et l’évolution permanente des rapports entre Grecs et Latins, et
plus particulièrement Vénitiens : de nombreux éléments sont à prendre en
compte, du lourd passif hérité des conflits entre Byzance et la République à
la signature du traité qui entérine la possession de Chypre par les Ottomans
en 1573, tournant majeur pour l’image des prudents vénitiens auprès des
populations hellénophones susceptibles de se révolter. Entre méfiance
réciproque et intérêts tantôt divergents, tantôt convergents, la vision de
l’Autre ne manque pas d’apparaître contrastée (si ce n’est menaçante) dans
les deux camps. Pour autant, l’altérité supérieure (et supérieurement
menaçante) de l’ennemi commun musulman peut aussi permettre de
dépasser ces clivages entre chrétiens, voire de développer un discours de
croisade devant amener à la libération des populations soumises (à
commencer par les Épirotes et les Maïnotes, si proches et si enclins à la
révolte), soudainement solidaires de l’Occident.
2. Une méfiance persistante entre Grecs et Vénitiens
Les Grecs : schismatiques, indignes de confiance et vendus aux Turcs ?
Une certaine méfiance vis-à-vis des Grecs revient régulièrement dans
les sources officielles vénitiennes (dispacci, relazioni …). On peut en effet
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
163
constater une insistance sur l’altérité des Hellènes, pourtant chrétiens. Le
discours anti-grec assez fort qui se développe alors met notamment en avant
le caractère schismatique de la région qu’ils professent. Les disparités
culturelles induites par ce schisme nuisaient à la mobilisation latine pour la
libération des populations orthodoxes. Le bayle vénitien de Constantinople,
Matteo Zane, écrivait dans sa relation de 1594 :
« […] il y a l'opinion chez les Turcs que les Grecs sont naturellement ennemis des
Latins, étant mieux disposés envers les Turcs qu'envers l’Église romaine ; et je
peux le confirmer véritablement, ayant aperçu certains prélats grecs à
Constantinople pratiquement arabes et opposés à la foi apostolique ; et j'ai vu
beaucoup d'efforts dans la séparation totale de l'année grégorienne, qui n'est pas
acceptée dans le rite grec […]8 ».
Le bayle vénitien Giovanni Moro, dans sa relation de 1590, met en
garde le Sénat que si certains peuples balkaniques pourraient grossir les rangs
des armées chrétiennes, certains Grecs, notamment parmi les renégats,
seraient également susceptibles de rejoindre les Turcs9. De plus, il affirme
avoir eu vent du cas de Grecs, littéralement associés à des bandits, travaillant
pour les Ottomans, voire vendant leurs services au plus offrant10. Si cette
méfiance tend à s'appliquer à l'ensemble des peuples orthodoxes dans les
Balkans, elle semble plus accentuée à l’égard des Grecs, du fait de
ressentiments plus anciens. En effet, à la suite du grand schisme de 1054
entre les Églises catholique et orthodoxe, le fossé entre les Latins et les
Grecs n'a cessé de se creuser, avec pour point culminant la première chute
de Constantinople en 1204 sous les coups des Latins, chute dans laquelle le
rôle des Vénitiens ne fut pas oublié11. La crise au sein du clergé orthodoxe et
du peuple byzantin provoquée par le concile de Florence en 1439, lequel se
conclut par l'union des Églises, témoigne du sentiment anti-unioniste d'une
Luigi FIRPO, Le relazioni degli Ambasciatori veneti al Senato Eugenio Albèri, Florence, Società
editrice florentina, 1855, p. 388-389.
9 Ibid., p. 346 - 347.
10 Ibid., p. 350 et p. 354.
11 Donald NICOL MACGILLIVRAY et Hugues DEFRANCE, Les derniers siècles de Byzance,
1261-1453, France, Paris, Les Belles Lettres, 2005.
8
164
Il Campiello – n° 1
majorité des Grecs, dont une partie de l'élite12. Épirotes et Maïnotes,
quoique plus portés vers la négociation avec les Occidentaux et plutôt
pragmatique, étant éloignés du pouvoir constantinopolitain, ne faisaient pas
nécessairement exception s’agissant des préjugés religieux des Vénitiens. Du
fait d’une telle méfiance, la République soupçonnait fréquemment les Grecs
d'être des espions à la solde de l'Empire ottoman13. Cela nuisait à la cause
des Épirotes et des Maïnotes en Europe, populations parmi les plus actives
dans la recherche de soutiens financiers, politiques ou militaires en Occident,
tâche déjà relativement ardue, compte-tenu de l'attitude prudente des États
catholiques.
Grecs et Vénitiens : une relation ambigüe
Les relations entre Venise et Grecs d’Épire et du Magne tendent à
s’envenimer suite à 1573 : la Sérénissime, craignant la menace turque, tout
comme les velléités impériales, papales et espagnoles en Méditerranée,
redoubla de méfiance vis-à-vis des Grecs qui, pour certains, n’hésitaient pas
à collaborer avec le premier qui leur fournirait une aide concrète contre les
Ottomans. Le cas de l’archevêque d'Ohrid d'origine grecque, Athanase, se
révèle particulièrement éclairant à cet égard. Il est l’instigateur d’une
rébellion vers 1595-1596 dans la région de la Chimarra, en Épire, pourtant
dépendante de l’évêché de Delvinon, suffragant de Ioannina, mais très lié à
Valona et à Ohrid. On peut noter le synchronisme de ce soulèvement avec la
série de révoltes secouant alors les Balkans, de l’Albanie actuelle à la
Valachie du voïvode Michel le Brave. Selon une lettre adressée au Conseil
des Dix en 1596 par le bayle, provéditeur et capitaine de l’île de Corfou,
Athanase, décrit comme un « homme discret, intelligent, de bon aspect,
d’une trentaine d’années, de grande estime et prélat important », serait entré
secrètement en contact avec le provéditeur vénitien de Corfou à Butrint en
donnant de faux prétextes aux Ottomans « pour parler du malheur de
Deno John GEANAKOPLOS, Interaction of the sibling Byzantine and Western cultures in the
Middle Ages and Italian Renaissance, New Haven, Londres, Yale University Press, 1976.
13 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, « Las relaciones hispano-griegas en los ss. XVIXVII », Mésogeios, n.8, 2000, p. 55.
12
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
165
l’Albanie sous la tyrannie des Turcs »14. Selon les propos du prélat rapportés
par le Vénitien, un soulèvement est prévu, la situation semble opportune
compte tenu du mécontentement général de populations locales, « la
République pourrait facilement apporter son aide et s’apporterait l’affection
des locaux »15. L’archevêque affirme avoir vu des preuves formelles que les
Espagnols agitent la population de Valona et d’Albanie mais prétend plutôt
offrir aux Vénitiens tout le pays, avec Durazzo et Valona contre une aide de
2 000 à 3 000 hommes ainsi que des armes16. Il se rend dans la Chimarra
toute proche dans l’attente de la réponse du gouvernement de la
Sérénissime, qui s’avère négative17.
Athanase devait en effet recevoir des armes, fournies par les
Napolitains, par l’entremise d’un espion et saboteur corfiote au service de la
couronne espagnole, Pierre Lantza, personnage sulfureux détesté par Venise
et soupçonné d’être un agent double, ce qui permet à la République
d’accuser l’archevêque de trahison. Sur l’ordre de Doria, aucune aide
supplémentaire n’est accordée aux rebelles et Athanase se résout alors à
venir demander du soutien directement en Italie, se rendant à Naples en
Il s’agit d’une lettre, datée de 1596, du bayle, provéditeur et capitaine de l’île de Corfou au
chefs du Conseil des Dix Voir Vladimir LAMANSKY, Secrets d’État de Venise, SaintPétersbourg, imprimerie de l’Académie impériale des sciences, 1884, p. 498-500 : « Con non
minor secretezza, che confidenza a me Proc. Et Cap. Fu da Butintro fatta capitare l’occlusa
lettera, […] ci si fece incontro persona molto discreta et intelligente, di grato aspetto, di età
di anni trentasei, di gran stima, et di principal autorità nella prelatura, per haver sotto il cuo
commando diecisette vescovati. Cominciò in lingua franca a discorrer dell’infelicità
dell’Albania, sottoposta a tanta tirrannide de Turchi, conosciuta da lui in questa sua visita,
per sollevatione della quale le pareva [...] ».
15 Ibid., p. 499 : « [...] che il Sr. Dio havesse sin’hora mandato occasione commoda, et
opportuna, et da altri tentata con sommo suo dispiacere, mentre che la Republica poteva
facilmente di quella impatronirsi, et che per l’affettione che portava a questo Serenissimo
Dominio si era mosso a veni costi, per affermarci, che da Spagnuoli si opera la sollevatione
di tutta Albania contra il Turco, et di venir l’anno venturo a prender la Vallona, as instantia
del Re di Spagna. »
16 Ibid. : « Si offerse questo per l’autorità, che ha sopra genti, che si trovano in pronto, con il
solo aviso di doi et tre mille soldati dar la Vallona, et tutta l’Albania da Durazzo in qua, alla
Serenissima Signoria […] ».
17 Ibid., p. 500.
14
166
Il Campiello – n° 1
159618. C’est le début d’un long périple, qui voit l’archevêque aller et venir
entre Naples (où le vice-roi refuse de le recevoir au cours de son premier
séjour), Lecce (où il retrouve une forte communauté grecque) et Rome (pour
demander de l’aide au pape), puis même à Prague, à Côme, en Allemagne et
jusqu’en Russie19. Quittant Naples pour la deuxième fois en 1598 pour se
rendre à la cour de Rodolphe II à Prague, alors en guerre contre le Turc et
allié de Michel le Brave, il donne à l’empereur un mémoire dans lequel il
accuse Venise de vendre des informations aux Turcs et d’empêcher les
soulèvements20. Il prend ensuite le chemin de Milan via la Suisse en 1599
avec des lettres de recommandations du souverain, mais est arrêté par
l’Inquisition à Côme et emprisonné avec défense de contacter l’empereur. Il
parvient cependant à lui envoyer une lettre le 19 mars de la même année, où
il fait part à mots couverts de ses soupçons à l’égard de Venise, cause
supposée de ses tourments21. Athanase aurait en effet affirmé à Prague que la
situation serait bien meilleure si Corfou appartenait à l’Espagne ; il ajoute
même devant Crusius que les Vénitiens n’entretiennent pas de bonnes
relations avec les Albanais, qu’ils soupçonnent de sympathie envers les
pirates uscoques virulents en Adriatique, grande source de préoccupation
pour les marchands de la République22, ce pour quoi l’archevêque cherche à
J.-P., PECHAYRE, « Les archevêques d'Ochrida à la fin du XVIe siècle et au début du
XVIIe », Échos d'Orient, t. 36, n. 188, 1937, p. 410-411.
19 Ibid., p. 412-418.
20 Il s’agit d’un rapport de l'ambassadeur vénitien à Naples, Scaramelli, adressé au Sénat
vénitien le 19 août 1598. Voir Antonella BARZAZI, Corrispondenze diplomatiche veneziane da
Napoli (27 mars 1597- novembre 1604), Rome, Istituto poligrafico e zecca dello Stato, Libreria
dello Stato, 1991, p. 210, doc. CXCVI : «L'arcivescovo Atanasio, a quanto si è appreso, ha
presentato all'imperatore un memoriale in cui si lamenta del viceré, il quale, pur di
compiacere la Serenissima, avrebbe impedito le sollevazioni che si preparavano in Albania e
in Grecia contro il Turco. Poiché Atanasio cercherà ora di farsi ricevere dal re di Spagna,
l'Olivares va raccogliendo prove della falsità delle accuse rivoltegli e dei « delitti di fede » del
prelato e del greco che l'accompagna ».
21 Il évoque « les ennemis de l’empereur », mais un rapport de l’ambassadeur de Venise à
Prague, Brendamin, indique clairement que c’est la Sérénissime qui serait en cause. Voir J.-P.
PECHAYRE, op. cit., p. 415.
22 Voir les ouvrages de Michael MALLET et John R. HALE, The Military organization of a
Renaissance state: Venice c.1400 to 1617, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ;
18
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
167
éviter de passer dans les possessions vénitiennes23. Cette animosité persiste :
lorsqu’Athanase tente encore en 1614 de provoquer un soulèvement, c’est
vers Naples qu’il se tourne, partageant avec Pedro Téllez-Girón, duc
d’Osuna (vice-roi de Sicile, puis de Naples), une commune aversion à
l’encontre de Venise, soupçonnée de vendre ses informations aux Ottomans.
La République, qui maintient une surveillance constante envers le prélat,
constate rapidement l’échec de ses pourparlers24.
Si les populations épirotes gréco-albanaises ont en effet demandé à
maintes reprises l’aide des Vénitiens, du fait de leur proximité avec l’empire
maritime de la République, elles n’hésitaient pas à contacter également le
Pape, les Impériaux, ou encore les Espagnols. Le recteur et provéditeur de
Kotor, Barbaro, prévenu par un habitant de Budva, le 9 octobre 1595 de
velléités papale sur les possessions vénitiennes et de l’aide proposée aux
populations locales par le Saint-Père contre le joug turc25, écrivit dans une
lettre datée du 12 octobre 1595 : « Les Albanais sont vraiment déterminés à
se libérer de la tyrannie turque » ; selon lui, ils « sont résolus de donner le
territoire au premier qui serait prêt à prendre en main leur protection »26. Ses
Alberto TENENTI, Cristoforo Da Canal : La marine vénitienne avant Lépante, Université de
Paris, 1962.
23 Vladimir LAMANSKY, op. cit., p. 592.
24 Deux dispacci sont envoyés par l’agent vénitien Scaramelli au Sénat le 3 juin 1597 et le 8
juillet 1597. Le premier explique que l’archevêque, qui était venu pour demander une aide
pour le soulèvement des Chimariotes, fut renvoyé par le vice-roi de Naples. Le deuxième
document informe qu’Athanase n’obtint aucun résultat à Naples, et qu’il quitta la cité pour
se rendre à Lecce, où il y avait des contacts grecs. Antonella BARZAZI, op. Cit., p. 41:
« L'arcivescovo Atanasio ha inviato a Napoli die messi a chiedere aiuti militari per una
prossima sollevazione dei cimarioti, ma il viceré li ha printamente licenziati. », et p. 57 :
« L'arcivescovo Atanasio, avendo visto ritornare i messi da lui inviati a Napoli senza alcun
risultato concreto, s'è deciso a trasferirsi personnalmente nel Regno.Il viceré ha già dato
ordine che sia fermato ed ospitato col suo seguito a Melendugno, casale di Lecce, ove alcuni
greci vivono nel loro rito. ».
25 Vladimir LAMANSKY, op. cit., p. 496-497.
26 Ibid., p. 498 : « gli Albenesi hanno veramente determinato di liberarsi dalla tirannide
turchesa, cresciuta per l’insuportabile comando del novo sanzacco…sono rissoluti di darsi a
chi prima prenderà la loro prottettione, anzi si tiene opinione che le galee di Sua Maestà
passate verso Brindisi siano per venire alla volta di Albania per far impresa delli sudetti
168
Il Campiello – n° 1
propos sont confirmés par Nicolo Donato, dans sa lettre adressée le 15
octobre 1595 à son frère Leonardo, alors procurateur vénitien en ambassade
à Constantinople, dans laquelle il parle de révoltes en Épire et en Albanie,
soulignant la menace que représentaient l’Espagne et le Pape, et sous-entend
l’opportunité qu’il pourrait y avoir pour Venise d’informer les Turcs des
évènements qui se préparent. Ces correspondances, issues des secrets d’État
de Venise, éclairent d’un jour nouveau la nature des relations entre Vénitiens
et populations balkaniques, ici épirotes.
La tension qui se devine dans les rapports entre Athanase et la
République s’explique par un contexte politique délicat pour la Sérénissime,
soucieuse de préserver ses intérêts en Méditerranée : un soulèvement contre
le Turc paraîtrait bel et bien « inopportun » si les concurrents chrétiens de
Venise en retirent tous les bénéfices. Tous ne partagent pas cette opinion, le
provéditeur de Corfou par exemple, davantage confronté au problème turc,
prenait au sérieux les propos du prélat grec Athanase. L’expérience de cet
archevêque est à l’image de celle de ses compatriotes épirotes, ou maïnotes
(qui ne manquent pas eux non plus d’envoyer des ambassades en Occident à
cette période ; l’une d’entre elles aurait même croisé le chemin d’Athanase à
Naples lors de leur recherche de soutien)27. La multiplication des
correspondances et des ambassades grecques témoigne des vaines tentatives
des Hellènes pour acquérir une audience et une aide concrète, et l’attitude de
Venise n’est pas sans les décourager de s’adresser à elle. Les projets de
révolte de 1609-1619 dans le Magne, pour lesquels les Grecs cherchèrent
une aide en France auprès du duc de Nevers, en Espagne ou encore auprès
de l’empereur et du pape, et qui intéressaient tant le métropolite grec de
Tarnovo en Bulgarie Dionysos Rhallys qu’Athanase, Jeronimo Combis28 ou
luoghi, la quale dubito che non segua, se la contrarietà di tempi non differisce la essecutione
» ( Extrait d’une lettre d’Alv. Barbaro, recteur et provéditeur de Kotor le12 octobre 1595).
27 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, « Los contactos de la Chimarra con el reino de
Nápoles durante el siglo XVI y comienzos del XVII », Erytheia, n. 13, 1993, p. 61 -63.
28 José M. Floristan Imizcoz fait de Combis un gréco-albanais descendant d’Épire (p. 617),
néanmoins, selon l’une des sources éditées par celui-ci, il serait chypriote. José M.
FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austrias, op.cit., doc. XI, p. 196.
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
169
les ambassadeurs maïnotes, ne furent ainsi aucunement soumis aux
Vénitiens, jugés peu fiables29.
Jeronimo Combis offre justement un autre cas intéressant. D’origine
probablement épirote30, il servit dans un premier temps comme officier dans
la cavalerie coloniale vénitienne. Fait prisonnier par les Turcs en 1570 ; libéré
peu après (serait-ce après le traité de 1573 entre ceux-ci et la Sérénissime ?),
il passe alors au service de la couronne espagnole, pour laquelle il visite la
Grèce afin de collecter des renseignements et d’évaluer les chances de
réussite d’un soulèvement, notamment en Épire et dans le Magne. Se
rendant de Naples à Corfou en 1601 pour son premier voyage31, il rejoint le
continent et donne dans son rapport une opinion très positive quant à
l’opportunité d’une intervention militaire, insistant sur l’écrasante supériorité
en hommes des Grecs32. On peut ici citer deux de ses lettres faisant suite à
son deuxième voyage de 1604-1605. La première, du 30 mai 1605, compare
la Grèce centrale au Magne, jugeant la deuxième région plus propice à une
rébellion, car si elle offrait moins de combattants, ceux-ci étaient mieux
organisés et armés, donnant de meilleures garanties33. La deuxième lettre, du
1er juin, expose la méfiance des Grecs vis-à-vis des Vénitiens suite à leur
abandon de la Ligue en 1573 : le traité de paix signé par ceux-ci avec les
Turcs, faisant de Chypre un territoire exclusivement ottoman, a laissé des
traces dans leur mémoire et pourrait provoquer une certaine difficulté à les
mobiliser34. En effet, les Maïnotes avaient commencé les hostilités contre les
Turcs vers 1568 avant de s’emparer en 1570 d’une forteresse ottomane, avec
l'aide d’une flotte vénitienne de 25 galères qui se dirigeait de la Crète vers
Voir José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austria, op. cit, p.
270-271 ; Vretos M. PAPADOPOULOS, « Descriptions du pays et courage des Maynottes,
leur dessein de d'élever contre le Turc et leur demande à la France à cet effet », Mélange
néohellénique, Athènes, Paris, Imprimerie Royale, 1856, p. 13-14.
30 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, Fuentes para la política oriental de los Austria, op. cit, doc.
II, p. 477-478.
31 Ibid., doc. XI, p. 196.
32 Ibid., p. 19.
33 Ibid.,doc. IV, p. 39.
34 Ibid., doc. V.
29
170
Il Campiello – n° 1
Corfou35. Les Vénitiens projetèrent alors de conquérir avec l'aide des Grecs
tout le Péloponnèse, mais ils les abandonnèrent rapidement afin de
reprendre leur destination initiale36. Insatisfaits, les Maïnotes écrivirent à
Venise afin de requérir l’aide d’une armée. Elle accepta, voyant une occasion
de nuire au Turcs dans le cadre de la guerre autour de Chypre. Or, si une
armée de la République fut envoyée, sous le commandement de Sébastien
Venier, elle n’accomplit aucune action concrète et ne resta qu'un mois avant
d’abandonner les populations au joug turc37. On ne peut donc nier une réelle
déception parmi les peuples hellénophones suite à la paix signée entre les
Turcs et Venise en 1573.
Argyro Mélissène de Ioannina, en Épire, avait quant à lui été envoyé
à Naples comme ambassadeur avec plusieurs Grecs de différentes régions,
afin de demander une aide étrangère dans le cadre d'un soulèvement contre
la domination ottomane. Dans son mémoire de 1606 destiné à la couronne
espagnole, il met en garde le souverain contre les Vénitiens, lesquels avaient
vu d’un mauvais œil la visite de Jéronimo Combis à Corfou, et ne doute pas
que ceux-ci pourraient avertir les Turcs38. La lettre de Giovan Carlo
Scaramelli au Sénat du 26 juin 1601 sur les causes du voyage de Combis à
Corfou confirme les propos d’Argyro Mélissène sur la surveillance exercée
sur les activités de Combis : « il semble que le capitaine Jeronimo Combis,
actuellement à Tarente, a l’intention d’analyser en Albanie ou en Morée les
soulèvements dont on parle ces temps-ci »39.
L’attitude des Vénitiens vis-à-vis des Grecs semble clairement
dépendre de leurs relations avec les Turcs. En effet, si une aide était
Ibid., p. 248-250.
Ibid.
37 Ibid., p. 250.
38 Ibid., p. 204 : Ibid. : « […] nos hemos tambié de guardar dellos/ como de los mismos
turcos, porque los venecianos / sospecharán qualquer cosa por lo que passó quan/do fue el
capitán Hierónimo Copi, y di esa/ vez sienten los venecianos que V(est)ra mag(esta)d
embió/ dos cavalleros, al momento penserán lo que es/ y los prenderán y haviserán al
Turco[...] esto se ha de/ hacer secretamente sin que lo entiendan los vene/cianos [...] ».
39 Antonella, BARZAZI, op. cit., p. 385-386 : « Sembla che il capitano Geromino Combi,
attualmente a Taranto, intenda passare in Albania o in Morea per le sollevazioni di cui da
tempo si parla. »
35
36
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
171
recherche durant la bataille de Lépante40, le traité de paix autour de la
question chypriote avec les Turcs marque clairement la fin d’une période où
le désir de collaboration avec les Grecs prévalait, notamment dans les
régions de l’Épire et du Magne, dont l’activité semble activement surveillée,
du fait de leur proximité avec les routes commerciales de l’empire vénitien.
Ainsi, on constate un discours d’altérité, associant les Grecs à des
schismatiques peu dignes de confiance, voire à des renégats turcs. Ce
discours visant à discréditer les populations helléniques et leurs projets de
soulèvements était avant tout dicté par une stratégie politique : nécessité
faisant loi, il importait de ménager l’ogre ottoman pour préserver les
précieuses voies commerciales, artères de la République. Toutefois, l’Épire et
le Magne, comme quelques îles, pouvaient servir de relais d’information,
élément précieux pour les Vénitiens, d’autant plus que la Sérénissime
accueillait la plus grande communauté d’exilés grecs d’Occident41. Les
réseaux intellectuels, religieux et familiaux entre les exilés vivant à Venise et
les Grecs des régions d’Épire, du Magne, voire au-delà, facilitaient les
rapports entre les populations balkaniques et la République, tout comme la
situation géographique de ces régions, proches de la mer et des possessions
vénitiennes. Malgré les tensions existantes, la coopération entre Venise et les
Grecs (Épirotes et Maïnotes) ne pouvait donc pas s’interrompre
brutalement.
2. Grecs et Vénitiens : une collaboration délicate, entre
nécessité politique et aspirations communes
Là aussi le livre de Michel Lesure serait une bonne référence.
Voir Brunehilde IMHAUS, Les minorités orientales de Venise du XIVème siècle au début du
XVIème
siècle : du particularisme à l'intégration ? », thèse d'état, vol. I-II, Université Toulouse II- Jean
Jaurès, 1987 ; Chryssa MALTEZOU, et al., I Greci durante la venetocrazia, Venise, istituto
ellenico du studi bizantini e postbizantini di Venezia, 2009 ; Heleni PORFYRIOU, « La
presenza greca : Rome e Venezia tra XV e XVI secolo», in Donatella Calabi et Paola Lanaro,
La città italiana e i luoghi degli stranieri XIV-XVIII secolo,Rome, 1998, p. 21-38.
40
41
172
Il Campiello – n° 1
Des liens anciens et étroits
La période suivant la bataille de Lépante marque une certaine
évolution dans les relations entre les Vénitiens et les Grecs d’Épire et du
Magne : la méfiance s’avérait réciproque. En effet, les Vénitiens voulaient
absolument éviter d’offrir un prétexte aux Ottomans pour les attaquer, et
avaient par conséquent adopté une attitude très prudente à leur égard42.
Selon un manuscrit italien inédit anonyme daté approximativement de 1572,
si une victoire militaire dans l'archipel grec et en Morée serait
stratégiquement très profitable aux chrétiens, ceux-ci devaient tenir compte
d'une difficulté notable : « […] les Grecs ont dit qu'ils ne se révolteraient pas
avant que la victoire soit certaine »43. La peur des représailles et la crainte de
se trouver livrés à eux-mêmes ne pouvaient manquer en effet de les faire
réfléchir avant de se lancer dans une révolte. Les exemples ne manquent
pas : le soulèvement lancé en 1611 à Ioannina par Dionysos le Philosophe,
ancien évêque d’origine épirote parti collecter des fonds à Venise avant de
lever une armée de paysans faiblement équipés, se solde par une répression
sanglante : les Grecs sont expulsés des murs de la citadelle, leurs meneurs
exécutés, et un monastère ayant abrité Dionysos rasé et remplacé par une
mosquée une fois ses moines mis à mort44. C’est ce type de menaces qui
dissuaderait les Grecs, selon l'auteur anonyme, de participer aux opérations
contre l’occupant, au moins dans un premier temps. Nicolo Suriano,
provéditeur de l’armée, dans sa relation datée de 1583, illustre l’inhospitalité
des Maïnotes à Porto delle Quaglie (Porto Kagio) vis-à-vis des vaisseaux
vénitiens du fait de la présence des galères turques dans la région45. Or, le
traité turco-vénitien de 1573, ainsi que l’attitude ambigüe de la Sérénissime
vis-à-vis des populations grecques, n’était pas pour améliorer les relations.
Vladimir LAMANSKI, op. cit., p. 800.
Trandafir G. DJUVARA, Cent projets de partage de la Turquie (1281-1913), Paris, Librairie
Félix Alcan, 1914, p. 116.
44 José M. FLORISTAN IMIZCOZ, José M., « Felipe II y la empresa de Grecia tras
Lepanto (1571 -1578) », Erytheia, n. 15, 1994, p. 155-190, p.2.
45 Vladimir LAMANSKI, op. cit., p. 602.
42
43
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
173
Néanmoins, il est important de souligner que la collaboration entre
ces peuples et Venise remontait à bien avant. De nombreux Grecs,
notamment issus de régions sous domination vénitienne ou à proximité de
celles-ci, furent employés tout au long des XVIe-XVIIe siècles (et au-delà) au
sein des flottes et des armées de la République. Nicolo Suriano n’hésite pas
ainsi à qualifier les gréco-albanais employés comme soldats de personnes
« de valeur » et « de bonne foi »46. De plus, des représentants étaient tout de
même envoyés à Venise afin d’obtenir une aide financière, comme le fit
l’archevêque Athanase dans un premier temps (vers 1596) ; non seulement la
République constituait une puissance non négligeable, mais celle-ci
partageait également des liens historiques avec les Grecs, ne serait-ce que par
la présence d’une grande communauté d’exilés grecs en son sein, dont
notamment de nombreux Épirotes47. La Sérénissime était également
intervenue lors de certaines révoltes, notamment autour de la période de la
bataille de Lépante. Une révolte maïnote avait inquiété les Ottomans en
1568, qui avaient par conséquent édifié une forteresse à Porto Kagio afin de
renforcer la surveillance de ces populations locales turbulentes. Les
Vénitiens reprirent la forteresse aux Ottomans en 1570, évènement
accompagné d’un soulèvement maïnote contre la domination turque. Une
carte illustrant cette bataille fut éditée par le Vénitien Giovanni Francesco
Camocio, cartographe, éditeur et imprimeur vénitien entre 1571 et 1574,
puis rééditée par le biais d’une imprimerie grecque48.
Ibid., p. 565.
Voir Lidia COTOVANU, « Autours des attaches épirotes du futur prince de Moldavie
Constantin Duca », in Cristian LUCA et Ionel CÂNDEA, Studia Varia in Honorem, Bucarest,
Editura academiei rômane, Muzul Brailei editura Istros, 2009, p. 465-488 et Alain
DUCELIER, Bernard DOUMERC, Brünehilde IMHAUS, Jean De MICELI, Les chemins de
l’exil bouleversements de l’Est europén et migrations vers l’Ouest a la fin du Moyen âe, Paris, Armand
Colin, 1992.
48 Giovanni Francesco CAMOCIO, Isole famose porti, fortezze, e terre maritime sottoposte alla
Ser.ma Sig.ria di Venetia, ad altri Principi Christiani, et al Sig.or Turco, novamente poste in luce,
Venise,
alla
libraria
del
segno
di
S.Marco,
1574,
[en
ligne]
http://eng.travelogues.gr/item.php?view=45684 (consulté 03/09/2015).
46
47
174
Il Campiello – n° 1
Le même Camocio illustre le siège de la ville de Margariti, en Épire,
effectué par une armée vénitienne en 157149. Cette campagne menée dans la
Chimarra par les troupes de la Sérénissime en 1570-1571 fait l’objet d’une
autre illustration, figurant le siège de Soppoto (aujourd’hui Borshi) en 157050.
Un contingent albanais y est représenté combattant aux côtés des chrétiens
sous le commandement d’un Grec, Manoli Mormori, officier d’origine
crétoise au service de la Sérénissime qui allait ensuite lui confier cette
garnison, et dont la famille, originaire de Nauplie, avait essaimé de l’Épire à
Candie. Une version antérieure de cette gravure était même plus explicite :
l’expédition vénitienne, non contente de comprendre un détachement grécoalbanais, fait suite aux négociations menées avec les populations
chimarriotes pour les faire revenir dans le giron de la Sérénissime, montrant
bien la volonté affichée alors par Venise de contribuer aux soulèvements
dans la région, en accord avec l’esprit de croisade qui semble régner pour
l’occasion51. Cette volonté est pourtant bel et bien de façade : lorsque les
Albanais, l’année suivante, tentèrent de provoquer un soulèvement plus
général, ils obtinrent de Venise la promesse d’un renfort de 6 000 hommes
ainsi que des otages en garantie, mais n’eurent, une fois leur révolte
ouvertement lancée, pratiquement aucun soutien réel. Ils subirent alors une
vigoureuse répression des troupes ottomanes, en marche vers le Nord pour
reconquérir les cités perdues en 1570, à commencer par Soppoto, où ils font
prisonnier Mormori.
Ce durcissement des rapports entre Grecs et Vénitiens au tournant
des XVIe-XVIIe siècles n’empêche pas le maintien de relations suivies tout
au long de cette période. Venise reste l’un des principaux centres de
Giovanni Francesco CAMOCIO, Isole famose porti, fortezze, e terre maritime sottoposte alla
Ser.ma Sig.ria di Venetia, ad altri Principi Christiani, et al Sig.or Turco, novamente poste in luce,
Venise,
alla
libraria
del
segno
di
S.Marco,
1574,
[en
ligne]
http://eng.travelogues.gr/item.php?view=45657 (consulté 03/09/2015).
50 Ibid., http://eng.travelogues.gr/item.php?view=45680 (consulté 03/09/2015).
51 Giovanni Francesco CAMOCIO, Fortezza di Soppoto, Venise, libraria del segno di S.
Marco, [en ligne] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8494686c/f1.zoom (consulté
03/09/2015);
Ibid.,
[en
ligne]
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550004938/f1.item.zoom (consulté 03/09/2015).
49
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
175
diffusion des ouvrages grecs, issus de tous les territoires balkaniques et des
îles helléniques, du fait de l’importance de la communauté grecque. Cela
permet un véritable transfert d’une littérature portant sur la lutte contre le
Turc en Occident mais surtout à travers les Balkans, qu’il s’agisse de projets
de révoltes ou d’appels à la croisade. Un grand nombre de ces exilés grecs
était d’origine épirote. À titre d’exemple, les Glykis, originaires d’Ioannina,
auraient réussi à acquérir, par le biais de liens d'affiliation, une situation
économique et politique favorable, via notamment la création d'une
imprimerie grecque à Venise par Nicolas Glykis et la mise en place
d’alliances matrimoniales avec la famille des Doukas qui dirigeait en
Moldavie52. Le frère de Nicolas, Léondaris, était demeuré à Ioannina afin
d'assurer la diffusion des ouvrages que son frère éditait. Nicolas, qui
bénéficiait ainsi d'un réseau s'étendant de la République de Venise à la
Moldavie en passant par la Grèce, avait accès à un grand marché pour son
imprimerie. Certes, il s'agit d'une période chronologique un peu plus tardive
(deuxième moitié du XVIIe siècle), dépassant le strict cadre de cette étude.
Toutefois, elle nous permet de démontrer le maintien de réseaux
d’informations et d’idées diffusées depuis Venise et qui transitaient par
l’Épire ; à titre d’exemple, l’imprimerie Glykis édita deux chroniques portant
sur la révolte du voïvode valaque Michel le Brave contre le pouvoir ottoman
vers la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, à laquelle des Grecs avaient
participé53.
De plus, une grande méfiance existait entre Vénitiens et Grecs à
cette période, mais on constate au sein des documents officiels, relazioni et
dispacci, un discours plus nuancé à l’égard des populations grecques. Les
communications des bayles et des ambassadeurs vénitiens résidents à
Constantinople, d’ordre plutôt général, offrent cependant des informations
sur l’Empire ottoman. Leurs auteurs n’hésitent pas à souligner, parfois de
manière précise, l’état lamentable des populations chrétiennes dans les
territoires sous domination turque, à commencer par les Grecs, évoquant la
Lidia COTOVANU, op. cit., p. 472.
Il s’agit des chroniques de Matthieu de Myre et de Stavrinos le Vestiar. Voir LEGRAND,
Émile, Recueil de poèmes historiques en grec vulgaire relatifs à la Turquie et aux principautés danubiennes,
Paris, E. Leroux, 1877, p. 16.
52
53
176
Il Campiello – n° 1
possibilité pour celles-ci de se révolter contre l’autorité ottomane et de se
joindre aux puissances chrétiennes en lutte contre la Porte, marquant
l’intérêt que les Hellènes pouvaient présenter pour les Vénitiens.
Des aspirations communes, un ennemi commun : vers une possible alliance ?
De nombreux récits et témoignages soulignent l’existence de
soulèvements, réels ou encore à l’état de projets, parmi les populations
grecques désireuses de recouvrer leur liberté. L'une des principales causes
avancées par les bayles vénitiens serait l’état de servitude et de pauvreté
auquel ils seraient réduits et voudraient pouvoir échapper. En effet, les
Grecs sont décrits de manière générale comme une population
véritablement asservie par les Turcs, si ce n’est anéantie par ces derniers.
Dans sa relation, de manière assez classique, le Vénitien Octavo Bon fait une
description plutôt générale de l'empire ottoman, accordant une attention
particulière aux possessions turques en Europe et aux populations
chrétiennes vivant sous son emprise. Il insiste sur l'extrême pauvreté de ces
populations, écrasées par les guerres depuis des années, qu'il décrit comme
étant « pauvres et détruites », « totalement désespérées », et déplorant le sort
de leurs enfants victimes d’enlèvements. Ce bayle de Constantinople
souligne même le risque de conversion de ces populations qui, sans l'aide des
princes chrétiens, ne trouveraient pas d'autre remède à leurs souffrances54.
Son discours s'inscrit dans une grande tradition rhétorique (les Lamenti)
visant à présenter une image dramatique du sort des populations soumises
aux Ottomans, permettant de démontrer par l’occasion leur désespoir et la
possibilité d'obtenir leur aide. Son propos est partagé par le bayle Octavo
Sapienca : selon lui, les Grecs, entre autres les Maïnotes, espéraient être
sauvés de l'oppression turque et de la servitude55. Son avis est confirmé par
plusieurs témoins, dont Giovanni Corraro, bayle vénitien à Constantinople
en 1578, qui affirmait ni plus ni moins que la moitié des chrétiens de la
Luigi FIRPO, op. cit., p. 489.
Octavo SAPIANCA, Nuevo tratado de Turquia : con una descipcion [sic] del sitio y ciudad de
Constantinopla, costumbres del gran Turco, de su modo de gouierno ... martyrios de algunos martyres, y de
otras cosas notables, Madrid, Alonso Martin (éd.), 1622, p. 61-62.
54
55
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
177
partie européenne de l'Empire ottoman priaient continuellement Dieu afin
d'être libérés de la servitude et de la misère dans laquelle ils se trouvaient56.
Certains bayles assuraient qu’un vent de révolte soufflait sur les Balkans en
proie à ces conditions déplorables, et qu’il serait aisé pour Venise de l’attiser,
notamment parmi les populations gréco-albanaises et moréotes. Federico
Seneca décrit par exemple l’état lamentable et l’assujettissement des Hellènes
sous la tyrannie des Turcs, au point, dit-il, que les anciens Grecs ne se
reconnaitraient pas eux-mêmes. Une expédition militaire pourrait selon lui
être montée avec une grande facilité, du fait du profond désir de révolte de
ces populations57.
C’est également le cas du bayle vénitien Matteo Zane dans sa lettre
adressée au Sénat en 1594, quand il affirme, en parlant du peuple grec
assujetti aux Turcs, que le désespoir l’incitait à la rébellion58. Si certains de
ces envoyés de la Sérénissime associaient ce désir de révolte à la tyrannie
turque, insupportable pour les populations, d’autres, plus réfléchis, mettaient
plutôt l’accent sur la cupidité des autorités locales et la conjoncture
économique difficile. Le Vénitien Lorenzo Bernardo, dans un rapport daté
de 1590, porte ainsi une attention particulière au comportement des Turcs
sur l'ensemble des populations soumises, qu'il juge lui aussi tyrannique et
cruel :
« Ce grand empire est habité de diverses nations. Les deux tiers de la partie en
Europe sont habités par des chrétiens, Grecs, Albanais, Sclavons, Hongrois et
Bulgares […] toutes cependant bien qu’elles soient de diverses sectes chrétiennes
sont très mécontentes de la domination turque. Car elles sont consumées et
détruites par de grandes cruautés.»59
ASV, Collegio, Relazioni, b. 5, 1578, Relatione del Clarissimo messer Giovanni Corraro
del baylazo di Costantinopoli : « [...] tutto quello possiede in Europa è tutto habitato da
Christiani i quali altro non bramano né d'altro pregano continuamente il Signor Dio che di
esser un giorno liberati dalla servitù et molta miseria nella quale si ritrovano. ».
57 Luigi FIRPO, op. cit., p. 315 : « Et credo che, si li Greci delli antiqui tempi ritornassero a
vederle, non le riconosceriano : a tanto è devenuta per la tirannide la loro deiettione [...] ».
58 Ibid., p. 393-394 : « [...] come dicono ora nella guerra d'Ungheria dalli rassiani, popoli
greci, sudditi turcheschi, di confine, che per disperazione s'inducono a ribellione. ».
59 Maria Pia PEDANIS-FABRIS, Relazioni di ambasciatori veneti al senato- Constantinopoli :
relazioni inedite (1512-1789), Turin, Bottega d'Erasmo, 1996, p. 316-317.
56
178
Il Campiello – n° 1
La volonté de la République de Venise n’était pas
nécessairement, on l’a vu, de faire la guerre contre les Ottomans, désireuse
qu’elle était de protéger ses possessions au Levant ainsi que le privilège
d’envoyer un bayle permanent à Constantinople. Pour autant, la menace
perpétuelle que représentait la Porte pour les territoires de l’empire vénitien
était également une réalité bien tangible dont il fallait tenir compte, et le
recours à la force pour les protéger ne pouvait être exclu. Certains
représentants officiels de la Sérénissime n’ont pas manqué de réfléchir à des
itinéraires maritimes et terrestres pour les armées de la République, voire à
des plans de lutte plus généraux contre l’empire ottoman. Certes, l'ensemble
des projets de dépeçage de l’empire ottoman n’incluait pas la participation
des peuples levantins à la curée. Néanmoins, les terres grecques constituaient
une position stratégique, permettant de frapper l'Empire ottoman à la fois
par la voie maritime et par la voie terrestre, ce qui explique que la
participation de leurs habitants à leur projet était envisagée par un grand
nombre de Latins. Les mouvements de révolte pouvant naître dans certaines
régions ne pouvaient que favoriser de telles prévisions.
Une grande partie de la relation datée de 1590 de Giovanni Moro,
porte sur les moyens de lutter contre le Turc60. Contrairement à ses
contemporains, l’auteur fait preuve d'un certain réalisme quant à la
possibilité d'une participation des populations levantines à une mobilisation
chrétienne. En effet, plutôt que d’assurer comme certains l’engagement des
Grecs, il souligne simplement que ceux-ci ne représenteraient pas forcément
une menace pour les armées catholiques, tout en émettant quelques réserves.
Selon lui, malgré les nombreuses possessions ottomanes en Europe, et par
conséquent un grand nombre de sujets, la Porte ne pourrait se fier aux
populations chrétiennes dans le cas où il y aurait une confrontation d’une
expédition occidentale avec l'armée turque :
« Mais pour arriver à une connaissance particulière des forces de guerre, la
principale considération est le nombre de sujets ; si leur nombre correspondait à la
grandeur du pays, il inspirerait à lui seul la frayeur; mais au-delà du fait que le pays
60
Ibid., p. 434 et suiv.
Laliberté de Gagne – Les Grecs d’Épire et du Magne
179
se trouve dans plusieurs lieux, comme je l'ai dit, peu habité, et dans certains lieux
déserts, les villages en Europe et aussi dans l'Asie étant habités en grande partie par
des Grecs, et en Afrique par des Maures, il est possible de dire, que concernant les
besoins de l’armée, le nombre des sujets est encore plus réduit car les Turcs ne se
servent pas de ceux-là. »61
Il souligne également le dommage provoqué par la division des
chrétiens, insistant sur le profit qu’en retirent les Turcs, donnant à son
discours certaines connotations en lien avec l’idée de croisade62.
Il est tout de même symptomatique que d’alliés potentiels, les Grecs
deviennent une menace probable dans le cadre d’une intervention militaire
contre l’ogre ottoman. Si Giovanni Moro prend la peine de formuler un avis
rassurant sur l’attitude des chrétiens levantins en cas d’offensive catholique,
c’est bien que la Sérénissime s’inquiète de l’éventuelle opposition qu’elle
pourrait rencontrer parmi ces populations en territoire ennemi. Entre la
répugnance traditionnelle des autorités vénitiennes à offrir la confiance, les
évolutions récentes de leurs relations avec elles et les éventuelles frictions qui
ont pu apparaître dans les territoires frontaliers des possessions de la
République, on comprend que ces collaborateurs potentiels puissent être
suspects aux yeux du Sénat. Ces relations étaient d’autant plus ambiguës du
fait des divergences religieuses dans la région balkanique, et ceci dès le XVe
siècle, mais peu d’études ont abordé à ce jour le sujet63.
Conclusion
Ainsi, le regard des Vénitiens sur les Grecs d’Épire et du Magne se
révèle contrasté ; s’ils semblent en général plutôt soupçonneux et méfiants
vis-à-vis de ces populations grecques, tantôt du fait d’un préjugé enraciné,
tantôt à cause d’un contexte politique tendu, une collaboration n’est pas
écartée face au pouvoir ottoman, ennemi commun des chrétiens. Il est
Luigi FIRPO, op. cit., p. 338.
Ibid., p. 364- 365.
63 Bernard DOUMERC, « La révolte des Kladiotes : défense de la foi ou guerre de
libération en Morée vénitienne à la fin du XVe siècle », p.2.
61
62
180
Il Campiello – n° 1
important de souligner le caractère très généraliste des sources officielles
lorsqu’il s’agit d’évoquer les populations grecques : les Vénitiens avaient
parfois du mal à distinguer les populations autochtones, notamment les
Grecs des Albanais, tous deux étant des peuples guerriers organisés en
familles, vivant au sein des montagnes, et potentiels alliés ou ennemis. Une
chose est évidente, les Vénitiens mentionnent de manière très claire la
volonté des Épirotes et des Maïnotes de se libérer du joug turc par le biais
de soulèvements, et leur désir d’obtenir une aide chrétienne. Si ce désir de
liberté s’exprime clairement dans les sources, la possibilité d’une coopération
ne l’est pas nécessairement. Le discours des Vénitiens illustre bien la position
délicate de la Sérénissime en Méditerranée, acculée entre un pouvoir
ottoman très menaçant et la concurrence des autres puissances chrétiennes
au Levant et dans les Balkans. De ce fait, les propos que la République tient
sur les Grecs sont révélateurs d’un certain pragmatisme, voire
d’opportunisme, et témoignent de sa stratégie politique (tortueuse) en
Méditerranée. Les bayles de Constantinople, dans leurs lettres, soulignent
régulièrement l’intérêt que Venise pouvait tirer profit du vent de révolte qui
soufflait sur les Balkans pour mener une offensive contre le pouvoir
ottoman. Il est intéressant de noter que la Sérénissime s’empara de la Morée
lors de la sixième guerre turco-vénitienne de 1684-1699 (aussi connue
précisément sous le nom de guerre de Morée). Si les Grecs d’Épire, et
notamment de la Chimarra, se révoltèrent contre le pouvoir turc, aidés par
les Vénitiens, de nombreux gréco-albanais se joignirent aussi à l’armée
commandée par le pirate maïnote Limberakis Gerakaris64 pour le compte des
Ottomans contre la République. Bien que les événements donnent raison à
Giovanni Moro quant à la menace représentée par les Hellènes, l’utilisation
des soulèvements épirotes par les Vénitiens illustre bien ici la possibilité
d’une coopération qui pouvait s’avérer utile à la Sérénissime, désireuse de
sauver son empire.
Ancien serviteur de Venise, il devient pirate avant de se faire emprisonné par les
Ottomans. Voir Apostolos E. VACALOPOULOS, Origins of the Greek Nation, NewBrunswick, New Jersey, Rutgers University Press, 1970.
64
RECENSIONS
Gilles BERTRAND, Histoire du carnaval
de Venise. XIe-XXIe siècles, Paris,
Pygmalion, 2013, 364 p., 23,90 €.
Gilles Bertrand, membre de l’Institut,
professeur d’Histoire moderne à
l’Université Pierre-Mendès-France de
Grenoble, est spécialiste du voyage en
Europe au XVIIIe siècle, ainsi que de la
fête et du masque à Venise. Son Histoire
du carnaval de Venise s’inscrit donc dans la
lignée de ces thèmes de recherche, en
proposant une histoire de ce moment
marquant de la vie vénitienne de ses
débuts, à la fin du XIe siècle, à nos jours.
Le carnaval – une période festive
d’une dizaine de jours avant le Carême –
est mentionné pour la première fois dans
les chroniques et les lois vénitiennes à
partir de 1094. Aujourd’hui organisé et
encadré par la Mairie de Venise, le
carnaval
est
un
phénomène
mondialement connu, qui attire tous les
ans un très grand nombre de curieux, au
point que son symbole, le masque, est
devenu, au même titre que la Place SaintMarc ou la gondole, l’un des emblèmes
de la ville. Encore aujourd’hui, le
carnaval est associé à ce qui est vu
comme son « âge d’or », le XVIIIe siècle,
un siècle marqué par les éblouissantes
fêtes vénitiennes et leurs masques, qui
fascinaient l’Europe entière.
Pourtant, Gilles Bertrand pointe un
paradoxe : cette vision centrée sur le
XVIIIe siècle a été forgée au milieu du
XIXe siècle par des écrivains tels que
Théophile Gautier ou, plus tard, les
Autrichiens Hugo von Hofmannsthal ou
Arthur Schnitzler, avant d’être reprise –
c’est encore le cas aujourd’hui – par les
agences de promotion touristique. Or,
une telle vision est nécessairement
limitée car elle fait l’impasse sur les
importantes évolutions qu’a connu le
carnaval depuis le XIe siècle et elle ne
prend pas en compte la complexité du
phénomène. En effet, au XVIIIe siècle, le
carnaval ne se réduisait pas au leitmotiv
des fêtes et du plaisir ; étroitement
contrôlé par la République, il s’inscrivait
au contraire dans un contexte politique,
du fait de sa fonction de cohésion
civique. C’est pour éviter l’écueil d’une
vision univoque ou déformante que
Gilles Bertrand entend se placer dans la
lignée de la Storia della cultura veneta dirigée
par Girolamo Arnaldi et Manlio Pastore
Stocchi (1976-1986) dont les dix volumes
présentent une histoire de Venise fondée
sur une scansion chronologique.
Ainsi Gilles Bertrand propose-t-il six
grandes étapes permettant de mettre en
lumière les principales évolutions du
carnaval de Venise de ses premières
manifestations à sa recréation au début
des années 1980. Dans la première partie,
« Le carnaval, rituel civique et affaire
d’État (XIe – début XVIe siècle) », il
explore l’apparition du carnaval en
mettant l’accent sur sa dimension de
rituel civique, destiné à unir les Vénitiens
autour de la célébration de la puissance
de leur ville. Le carnaval de Venise aurait
acquis une physionomie propre au XIIIe
siècle lorsque, après la conquête du
Recensions
Levant, apparut l’habitude de se
masquer. On sait que les masques se
diffusèrent assez largement pour que soit
créée au début du XVe siècle une
profession spécifique de fabricants de
masques, les mascareri.
La seconde partie, « La fabrique du
carnaval baroque (XVIe – XVIIIe
siècle) », s’intéresse à la période baroque,
au cours de laquelle le carnaval, à travers
ses spectacles théâtraux et musicaux,
ainsi que ses divertissements, attirait à
Venise une foule d’étrangers. Avec le
développement du goût baroque, la
République organisa des fêtes grandioses,
alliant scénographies travaillées et
machineries aquatiques, allant jusqu’à
reproduire les fêtes du carnaval lorsque
les visites de souverains étrangers
survenaient en dehors de la période
prescrite. Gilles Bertrand montre que
cette image de fêtes splendides et
incessantes,
que
l’on
associe
traditionnellement au XVIIIe siècle,
existait déjà aux siècles précédents,
toujours dans une optique patriotique de
célébration de la ville elle-même.
La troisième partie, « Un carnaval
réglé : contrôler les plaisirs, protéger la
République » est consacrée à un aspect
méconnu, voire négligé, de l’histoire du
carnaval, son inscription dans un système
supervisé par la République. Gilles
Bertrand démontre que, contrairement
aux idées reçues, le carnaval de Venise ne
renversait pas l’ordre social, mais il
constituait au contraire un moyen de
canaliser les plaisirs des Vénitiens, ce qui
lui conférait une fonction de régulation
sociale. De nombreuses pages sont ainsi
consacrées aux masques, à leurs règles et
à leurs fonctions, ce qui permet à Gilles
183
Bertrand de réfuter de nombreux clichés,
à l’image de celui qui voit en l’usage du
masque à Venise la garantie de jouir d’un
pouvoir de critique ou d’insulte, voire de
dérision ou d’ironie. Au contraire, le
masque, en particulier l’emblématique
bauta, associée au tricorne et au tabarro,
garantissait une égalité dans l’apparence
qui prenait tout son sens dans une
oligarchie comme la République de
Venise : s’il donnait à celui qui le portait
la possibilité de se mettre hors d’atteinte
des regards indiscrets, le masque ne
servait pas à déchaîner les passions
refoulées des Vénitiens.
La quatrième partie, « Un mythe
destiné à exorciser l’angoisse (XVIIe –
XVIIIe siècle) » s’arrête sur la diffusion
des images du carnaval, à travers les
gravures, puis les vedute de Canaletto et
Guardi – qui comportent presque
toujours au moins un personnage
masqué – et enfin les scènes de la vie
vénitienne de Pietro Longhi et les dessins
des Tiepolo père et fils. C’est la diffusion
très large, à l’échelle européenne, de ces
représentations du carnaval qui contribua
à forger une vision mythique de la ville
de Venise au XVIIIe siècle, laquelle
alimenta par la suite celle des
Romantiques et des écrivains de la
seconde moitié du XIXe siècle. Gilles
Bertrand
montre
également
que
l’obsession
des
masques
est
principalement le fait des étrangers, au
point qu’elle constitue un topos de la
littérature de voyage sur Venise. Par
ailleurs, de telles images de la vie à
Venise étaient également un moyen pour
les Vénitiens eux-mêmes d’exorciser
leurs propres inquiétudes.
184
Les deux dernières parties, « Le long
traumatisme de la chute de la
République » (mai 1797-début XXe
siècle »
et
« Une
tentative
de
réenchantement (des années 1920 à
aujourd’hui) » étudient le carnaval après
la chute de la République. Dans une
Venise privée de sa souveraineté
politique, le carnaval disparut peu à peu,
le calendrier des réjouissances publiques
étant désormais dicté par la puissance
dominante, l’Autriche, sans aucun lien
avec l’histoire vénitienne. Pourtant, au
même moment, il devint un véritable
stéréotype dans la littérature européenne,
en premier lieu grâce aux Romantiques
qui associèrent les fêtes et les plaisirs du
carnaval au déclin de Venise. En
explorant les écrits des frères Goncourt
ou de Théophile Gautier consacrée au
carnaval de Venise, Gilles Bertrand
montre l’ampleur que connut, au XIXe
siècle, la diffusion du cliché d’une Venise
focalisée sur les fêtes et les plaisirs du
XVIIIe siècle : or cette vision a forgé un
imaginaire qui survit encore aujourd’hui.
Enfin, Gilles Bertrand analyse la lente
renaissance du carnaval de Venise au
XXe siècle, qui commença avec des
tentatives de récupération sous le
fascisme. Alors que son esprit survivait
dans les fêtes privées, le carnaval fut
rétabli officiellement dans l’espace public
vénitien en 1980. Organisé par la Mairie
de Venise, qui détermine chaque année
un thème autour duquel la manifestation
doit être centrée, le carnaval attire de
nouveau à Venise des milliers de
touristes costumés, pour la plupart
étrangers. Pourtant, tel qu’il existe
aujourd’hui, il résulte d’une vision
déformée qui n’a plus grand-chose à voir
Il Campiello – n° 1
avec ce qu’était le carnaval à l’époque de
sa
splendeur.
Néanmoins,
paradoxalement, il reste l’une des vitrines
de la ville de la Venise, et l’importance –
économique et symbolique – qu’il revêt
aujourd’hui dans la vie vénitienne montre
qu’il est devenu l’un des éléments
marquants du mythe de Venise, en dépit
des clichés et des idées reçues,
patiemment réfutés par Gilles Bertrand.
Marguerite Bordry – Université ParisSorbonne. Équipe Littérature et Culture
Italiennes (ELCI – EA 1496)
___
Anna CAROCCI, “Non si odono altri
canti”. Leonardo Giustinian nella Venezia del
Quattrocento. Con l'edizione delle canzonette
secondo il ms. Marciano It. IX 486, Roma,
Viella, 2014, 276 pp., 32 €.
Come ricorda opportunamente il
titolo di questo volume, i versi – cantati –
di Leonardo Giustinian (c. 1388-1446)
conobbero a Venezia un successo
fenomenale e duraturo, dalla loro
composizione nel Quattrocento fino alla
metà del secolo successivo. Graziose
canzonette in cui il poeta umanista
contaminò
di
delicati
dialettismi
veneziani un limpido toscano, furono
apprezzati dai dotti come dal popolo,
fino ad essere paradossalmente celebrati
dal Bembo nelle sue Prose della volgar
lingua. Cadde in seguito su di loro una
fitta nebbia che non riuscirono a
dissipare pienamente i ripetuti tentativi
dei filologi dell'Otto e del Novecento.
Infatti la stessa profusione dei testimoni
– almeno 53 manoscritti e 14 edizioni a
Recensions
stampa pubblicate dal 1472 al 1550,
secondo l'elenco steso da Anna Carocci –
propone un quantità di varianti a volte
difficilmente collazionabili. Così, dopo
l'edizione diplomatica di Wiese (1883), in
un po' più di un secolo si sono arenate la
tesi di una diffusione solo orale dei
componimenti durante la vita dell'autore
(Oberdorfer), quella di una doppia
lezione d'autore che presuppone
l'esistenza di un canzoniere (Billanovich),
o quella di un variare meccanico legato
alla diffusione orale (Pini). Conseguenza
non trascurabile del fallimento di questi
progetti di edizioni critiche, il lettore
desideroso di conoscere le vaghe
canzonette del patrizio è costretto a
recarsi in biblioteche specializzate per
sfogliare volumi più o meno antichi e più
o meno attendibili, come il Fiore della lirica
veneziana del Dazzi (1956) o la selezione
operata nel 1915 da Vittorio Locchi.
Possiamo quindi accogliere con
entusiasmo la pubblicazione recente della
monografia di Anna Carocci. Questo
lavoro è diviso in due parti: nella prima
metà del volume Carocci propone
un'efficace sintesi sulla vita, la poesia e i
generi praticati da Giustinian; nella
seconda metà la studiosa trascrive
l'integralità di uno dei più importanti
testimoni della tradizione giustinianea, il
manoscritto Marciano Italiano IX 486,
che contiene trentanove componimenti.
Il primo capitolo torna sulla
documentatissima biografia di Leonardo
Giustinian. Esponente di una delle più
importanti famiglie della Repubblica, è
un perfetto rappresentante dell'identità
multipla che implica questo status,
insieme «patrizio, uomo politico,
umanista, oratore, bibliofilo e mercante»
185
(p. 44). La sua educazione, dopo studi di
legge e filosofia a Padova, è umanista: a
Venezia diventa insieme a Francesco
Barbaro allievo di Guarino Veronese,
uno dei principali maestri della prima
generazione di veneziani cultori degli
studi classici. Ottimo ellenista, Giustinian
accoglie l'imperatore bizantino Giovanni
Paleologo al suo arrivo in laguna e
traduce tre delle vite di Plutarco. Non
per questo trascura la vita pubblica:
conosce un classico cursus honorum di
patrizio, che di cariche in Terraferma in
magistrature lagunari lo porta fino alle
soglie del dogato, quando diventa nel
1441 membro del Consiglio Ristretto che
consiglia il doge. In linea con la
tradizione veneziana, esercita inoltre la
professione di mercante e guida il figlio
Bernardo sulle sue orme con un
trattatello, le Regulae artificialis memoriae.
Com'è di regola sottolineare, un tale
profilo è a priori difficilmente
conciliabile con la figura del «poeta del
popolo» per eccellenza, alla quale Carocci
dedica il secondo capitolo della sua
monografia. Nelle lettere ai dotti amici
umanisti Giustinian non accenna mai alla
sua attività di poeta in volgare : si tratta
di un passatempo, che ruota attorno ad
un unico tema: «un amore che si vuole
conquistare o riconquistare, e di cui si
piange l'assenza» (p. 50). L'interesse
principale del capitolo è la ripresa da
parte di Carocci dell'analisi della tematica
amorosa fatta da Dazzi nel 1934
(Leonardo Giustinian, poeta popolare d'amore),
accogliendone alcune proposte ma
modernizzando e approfondendo un
testo per necessità alquanto invecchiato.
Infine il terzo capitolo – il quarto è
dedicato alla fortuna del poeta, alla quale
186
abbiamo già alluso in apertura – torna sul
rapporto fra testo e musica nell'opera di
Giustinian, e ipotizza una diffusione che
travalica il confine delle classi sociali, in
una Venezia quattrocentesca in cui le
barriere tra feste «popolari» e «private»
non sono ancora pienamente stabilite.
Per quanto riguarda l'edizione dei
testi, Carocci segue il metodo inaugurato
da Enzo Quaglio: «non si concentra su
un nucleo di testi caratterizzati dal fatto
di essere presenti in più di una silloge
importante, ma lavora su un testimone
per volta, prendendone in considerazione
tutte le canzonette nell'ordine in cui
appaiono» (p. 105). Gli interventi si
accontentano di sanare incongruenze
ortografiche o metriche, per cui
l'apparato è limitato alla lezione del
manoscritto Marciano. Ci è così
consentita la lettura di alcuni dei
componimenti più famosi del Giustinian.
In Amante, a sta fredura, un tipico
«contrasto» fra due innamorati che si
svolge durante una gelida notte di
carnevale, l'amante cerca di convincere la
sua bella ad aprirgli la porta, intimamente
deciso ad approfittare ad ogni costo
dell'occasione. I due scambiano battute
insieme feroci e delicate, che si
concludono con la vittoria dell'uomo. La
solita dolcezza delle giustiniane cede il
passo ad una spregiudicatezza che svela
la violenza del rapporto di seduzione, e
sfocerà in un vero e proprio stupro al
quale il protagonista si risolve in un a
parte:
Se entro da costei,
Ben serò pazo a perder tal bocone.
Io galderò con lei,
Avogador non temo ni presone.
Il Campiello – n° 1
La brama me torone
Dal mio longo desire.
Io l'aldo parire, el mio zoco è spazato.
(IX, 168-74)
Altre canzonette oppongono una
madre a una figlia, o cantano i dissidi
comuni fra amanti:
Lasso mi, cum la farò?
Mia dona è corozata,
Più non vedo el volto so,
Verso mi la sta turbata.
Meschinello, e' pianzerò.
(XII, 1-5)
In conclusione, possiamo vedere
nella monografia di Anna Carocci un
triplice pregio: quello, in primis, di
rilanciare lo studio della poesia d'amore
di Giustinian; quello di farlo con una
proposta metodologica che promette, ce
lo auguriamo, nuove pubblicazioni; ma
anche quello di permetterci una lettura
agevole dei testi, in un volume non
troppo costoso, di bella fattura e
filologicamente sicuro.
Fabien Coletti – Université Toulouse
Jean Jaurès / Università degli Studi di
Padova.
___
Ivan JABLONKA, L'histoire est une
littérature contemporaine. Manifeste pour les
sciences sociales, Paris, Seuil, 2014, 350 pp.,
21.50 €
À l'heure où l'on cherche à
s'affranchir des séparations nettes entres
sciences sociales et littérature, en vertu
Recensions
d'une pluridisciplinarité de plus en plus
invoquée dans le domaine de la
recherche, le livre d'Ivan Jablonka
L'histoire est une littérature contemporaine est
incontestablement
bienvenu
et
enrichissant. À la fois écrivain et
professeur d'histoire, l'auteur de l’Histoire
des grands-parents que je n'ai pas eus place
l'accent, tout au long de son livre, sur la
vocation narrative commune à l'histoire
et à la littérature, en invitant le chercheur
à écrire d'une manière plus libre et
sensible et à ne pas sacrifier la vérité au
profit de la beauté.
Tout en s'inscrivant dans la lignée des
travaux de Judith Lyon-Caen, Dinah
Ribard, mais aussi d'Antoine Lilti - ayant
analysé de près le rapport entre littérature
et histoire en montrant que l'une ne va
pas sans l'autre - l'étude de Jablonka
reformule à nouveau la vexata quaestio du
"compagnonnage difficile" entre ces
disciplines voisines. Le postulat qui les
hante depuis longtemps est le suivant :
d'un côté, les sciences sociales n'ont pas
de portée littéraire ; de l'autre, la
littérature
ne
produit
pas
de
connaissance. Rythmé en trois parties («
la grande séparation», « le raisonnement
historique », « littérature et sciences
sociales »), le livre possède une
cohérence interne qui met en valeur le
message principal : renouveler l'écriture
des sciences sociales en se donnant
librement de nouvelles règles.
En effet, la préoccupation de
Jablonka ne demeure pas seulement dans
la démonstration de l'osmose entre les
sciences sociales et la littérature mais
également dans le besoin de trouver un
point de contact entre épistémologie et
esthétique, méthode et texte. Lorsqu'il
187
affirme que « l'histoire est moins un objet
qu'une méthode », la référence est à la
manière de penser, à l'aventure
intellectuelle de l'historien. Il en ressort
une analyse passionnante fondée sur des
sources
antiques,
modernes
et
contemporaines, recherchant les origines,
la nature et l’évolution de leur rapport.
L'auteur explore le lien entre sciences
sociales et littérature à partir d'Hérodote,
Thucydide, Polybe, Lucien de Samosate
et Cicéron entre autres, la manière dont
la « grande séparation » s'élabore dans
leurs textes il y a vingt-cinq siècles ;
ensuite c'est le tour de l'âge classique et
des Lumières, l'époque du roman
historique de Walter Scott, la méthode
naturaliste de Zola et la démarche
documentaire dont les écrivains réalistes
se servent. La référence constante à
Pierre Bayle, philosophe du XVIIe siècle,
n'est pas anodine : en effet, l'auteur du
Dictionnaire historique et critique (1697) est
représentatif de ce que Jablonka définit
comme une « technique littéraire de la
véridiction », consistant à purger
l'histoire de ses erreurs, s'en remettant
toujours aux documents afin d'en tirer les
preuves. Le livre entier abonde de
références et de multiples exemples,
constituant ainsi un répertoire très utile
pour tout chercheur désirant se pencher
sur cette question.
Ainsi
Jablonka
parvient
à
déconstruire, d'une manière agile et
agréable à lire, le lieu commun selon
lequel les sciences sociales n'ont aucune
portée littéraire tout comme la littérature
ne débouche sur aucun discours de
vérité. Au fur et à mesure que l'on se
laisse transporter par son analyse, on
perçoit le paradoxe, voire l'incohérence
188
du divorce entre l'histoire et la littérature.
Comme il l'affirme à plusieurs reprises,
rapprocher la littérature et l'histoire ne
signifie pas nier son but d'objectivité, de
sorte que « la narration n'est donc pas le
carcan de l'histoire, son mal nécessaire ;
elle constitue au contraire l'une de ses
plus
puissantes
ressources
épistémologiques » (p. 139).
Retrouver les traces des hommes
signifie aussi se mettre à leur place, en
essayant de comprendre les raisons
intrinsèques des faits : en ce sens l'auteur
fait un constant appel à la capacité de cosentir, à une attitude d'écoute et de
réceptivité ; c'est à ce moment là, que
l'histoire devient une littérature dans la
mesure où elle est recherche, enquête et
dévoilement.
Autre point remarquable : le livre
s'adresse constamment au chercheur, en
tenant compte des
difficultés
rencontrées par celui-ci, notamment les
contraintes de l'écriture. Car, déjà au
XVIe siècle, la naissance de l'histoirescience s'accompagne de la nécessité d'un
style nu qui se perpétuera dans les
périodes à venir. Dans cette perspective,
les chapitres consacrés à la question
stylistique et à celle du « je » relèvent
d'une importance indéniable : Jablonka
met en garde contre la hantise de la
première personne, perçue pendant
longtemps comme une subjectivité
excessive. Selon lui le « moi » ne peut
qu'enrichir le travail de recherche, en
montrant l'implication du chercheur mais
également une modestie épistémique.
C'est pour cette raison qu'il conseille
d'embrasser un sujet qui nous touche
personnellement, une recherche motivée
par une quête personnelle : grâce à ceci,
Il Campiello – n° 1
la méthode devient vivante, se plongeant
dans la fiction pour enquêter, formuler
des hypothèses, ordonner des données
en explorant les possibilités multiples.
Lorsqu'on parvient aux derniers
pages, le titre s'éclaire tout seul. Bien
qu'au premier abord il puisse sembler
relever de la provocation, il n'en est rien
par la suite : l'histoire est une "littérature"
dans la mesure où elle se sert de la fiction
dans sa démarche de véridiction ;
"contemporaine" car elle ne comprend
pas seulement le passé mais elle aide
aussi à agir sur le présent dans le cadre
d'une représentation hic et nunc. L'appel à
l'utilité de la recherche en sciences
humaines est accompagné par l'espoir
d'un nouvel avenir de « postdisciplinarité », d'expérimentation et
d'échange. Finalement, dans une époque
difficile pour la recherche en sciences
humaines, Jablonka rappelle que le
chercheur représente un « bien public »
qui aide à comprendre le fonctionnement
de la société.
Azzurra
Mauro
–
Université
Toulouse Jean Jaurès / Università degli
Studi di Genova.
___
Claire JUDDE DE LARIVIERE, La
révolte des boules de neige. Murano face à
Venise, 1551, Paris, Fayard, coll.
L'épreuve de l'histoire, 2014, 360 pp.,
22 €.
Il 27 gennaio 1511 Vitale Vitturi,
Podestà di Murano, lascia la propria
carica. Durante la cerimonia di passaggio
dei poteri, viene duramente rimbrottato
Recensions
dalla folla che lo insulta e lo prende di
mira con palle di neve. Per essersi
attaccato a un rappresentante della
Repubblica, alcuni abitanti di Murano
vengono
convocati
dai
tribunali
veneziani. Quest'evento apparentemente
insignificante è il punto di partenza di
un'inchiesta condotta da Claire Judde de
Larivière sulla comunità di questa piccola
isola della laguna di Venezia, ai primi del
Cinquecento.
Una ricerca in corso sul popolo minuto
veneziano
189
Larivière. Infatti la studiosa svolge da più
anni un'indagine sul popolo degli
invisibili di Venezia, nel Quattro e nel
Cinquecento. Le sue ricerche si basano in
gran parte sulle fonti giudiziarie
veneziane, studiate ancora troppo poco,
nello scopo di conoscere meglio questo
popolo. L'approccio non è ovvio, perché
quest'ultimo non è dotato di una
coscienza collettiva: l'identità viene
invece definita in funzione dal mestiere,
dalla parrocchia, dalla famiglia e dalle reti
di amicizia.
La rivolta c'è stata?
Il metodo dell'autrice, chiaramente
presentato nell'introduzione, è triplice:
anzitutto, interrogarsi sugli attori della
rivolta, una folla di anonimi che ha
lasciato solo poche orme negli archivi.
Riflettere poi alla possibilità di scrivere la
storia del popolo minuto veneziano,
poiché non ha prodotto fonti specifiche,
e che esiste solo in opposizione ai ceti
superiori. La popolazione veneziana è
infatti costituita da tre gruppi sociali: se i
patrizi e i cittadini possiedono una
definizione giuridica, il popolo non è
dotato di uno statuto preciso. I suoi
membri vengono quindi caratterizzati
solo dalla non appartenenza ai due primi.
Infine, ultima ambizione dell'autrice, «
ripoliticizzare » la storia sociale, cioè
rendere alla massa degli anonimi una
reale capacità di azione all'interno della
società, e farla uscire dalla passività nella
quale è stata rinchiusa dagli storici.
Le tre problematiche si fondano sulla
più recente storiografia (per esempio i
lavori sullo spazio pubblico o l'influenza
dei Subaltern Studies) e si situano al centro
delle ricerche di Claire Judde de
Il titolo del libro è audace, e rimanda
ad un altro problema presentato
dall'autrice: le fonti lasciano pensare che
quel giorno non ci sia stata nessuna
rivolta.
D'altronde,
nelle
loro
testimonianze gli accusati tentano loro
stessi di minimizzare la gravità dei fatti.
Ma Claire Judde de Larivière vi legge
piuttosto la costruzione ideologica dei
ceti dominanti veneziani. Questi ultimi
cercano di nascondere ogni agitazione
interna per non compromettere il mito di
una Venezia Serenissima Repubblica. Nei
loro racconti i cronachisti veneziani, che
tutti appartengono all'élite, danno
un'immagine levigata della vita sociale e
politica veneziana, e ne attenuano le
tensioni. Ora, se viene integrata ai loro
racconti la contestazione di Vitale Vitturi,
rivelano «un raro momento di confronto
fra gli abitanti della laguna di Venezia e i
governanti». In parallelo, la riflessione
sulle fonti e i loro silenzi torna
incessantemente lungo i capitoli, e viene
a costituire una linea di ricerca
indipendente.
Bisogna
a
questo
190
proposito segnalare l'uso di una
documentazione in gran parte inedita,
specialmente per quanto riguarda
Murano, così come l'uso di fonti
giudiziarie, quando uomini e donne del
popolo prendono la parola per
testimoniare, illuminando per noi la
società dell'epoca.
Murano nell'ombra di Venezia
Un ultimo elemento va sottolineato:
la scelta dell'isola di Murano come luogo
di inchiesta. Infatti, l'impero veneziano
nel Mediterraneo e in Terraferma hanno,
fino ad oggi, maggiormente suscitato
l'interesse degli ricercatori che non la
stessa laguna di Venezia. Rare sono le
pubblicazioni su Murano che non siano
dedicate all'industria del vetro. Solo
Elisabeth Crouzet-Pavan aveva scelto nel
1995 di svolgere una ricerca sul tempo
lungo per sostrarre un'altra isola del
ducato, Torcello, al silenzio della
storiografia. Per quanto la riguarda,
Claire Judde de Larivière preferisce un
procedimento
di
microstoria
all'approccio multiscalare, analizzando la
comunità di Murano grazie all'alternare
del racconto del caso e uno studio sul
periodo lungo.
Il processo come apertura sulla società
muranese
Il primo degli otto capitoli dell'opera
stabilisce la geografia economica e sociale
di Murano all'inizio del Cinquecento,
seguita da un'analisi delle relazioni fra la
piccola isola e il centro dominante,
Venezia, lontano solo alcune centinaia di
metri. E' difficile studiare Murano senza
Il Campiello – n° 1
interessarsi alla sua imponente vicina;
consapevole di questo dato di fatto,
Claire Judde de Larivière interroga nel
suo secondo capitolo il rapporto fra
Murano e Venezia, interessandosi
all'influenza che quest'ultima esercita
sulla città del vetro.
Il terzo capitolo parte dal rito del
passaggio dei poteri fra il vecchio e il
nuovo podestà – il momento in cui
scoppia la rivolta – per illuminare
l'organizzazione sociale e politica
dell'isola. In quel preciso momento
l'insieme della società muranese è
presente e partecipa all'evento. L'autrice
studia poi i fattori esterni che
concorrono nella contestazione a Vitale
Vitturi: le guerre d'Italia costituiscono lo
scenario, la sommossa si svolge d'inverno
(avrebbe il popolo buttato sassi se la
cerimonia si fosse svolta d'estate?),
mentre la vita e la personalità dello
sfortunato
podestà
vengono
meticolosamente interrogate.
Dal quinto capitolo in poi, il caso e il
processo istruito dal governo veneziano
occupano il centro del racconto. Si tratta
di capire i meccanismi della giustizia
veneziana, il problema del mantenimento
dell'ordine e l'inchiesta svolta dai tre
giudici mandati da Venezia. L'autrice
descrive poi i diversi indagati e le loro
testimonianze per sciogliere la matassa
del caso, ma questo non è l'obbiettivo
principale di Claire Judde de Larivière:
data la natura stessa delle fonti, la verità
dell'accaduto
rimane
difficile
da
individuare. Al di là della conclusione del
processo, cerca di capire come i dettagli
ci informano sulla società muranese.
L'autrice si sofferma anche sul momento
stesso della rivolta, con un'attenzione ai
Recensions
gesti e alle emozioni di stampo
antropologico. Infine, l'ultimo capitolo
analizza la sentenza e il destino dei
protagonisti dopo il caso.
Oltre
l'apporto
storiografico
dell'opera, ci sembra importante
sottolineare la qualità dello stile
dell'autrice, fra l'altro le scelte operate per
rendere il libro acessibile a un pubblico
più largo di quello dei soli storici.
Potranno seguire una «bella» inchiesta
svolta sul modo narrativo, e rimarranno
col fiato sospeso fino alla fine: la
sentenza viene svelata solo nell'ultimo
capitolo. Le numerose descrizioni e
citazioni di fonti (tradotte in francese
dall'autrice) così come il rinvio delle note
alla fine dell'opera rendono il testo una
piacevole lettura, completata da una
bibliografia recente e commentata, che
sarà apprezzata dai non specialisti di
storiografia veneziana, compresi gli
studenti.
In conclusione il libro di Claire Judde
de Larivière si distingue grazie
all'originalità della tematica scela, e
dall'approccio influenzato dalla più
recente storiografia. Costituisce un
efficace stato dell'arte sulle ricerche che si
interessano al popolo veneziano, e
permette al non specialista di iniziarsi alla
storiografia della Serenissima.
Altre letture consigliate:
Boucheron P., Offenstadt N., dir.,
2011, L’espace public au Moyen Âge, débats
autour de Jürgen Habermas, Paris : PUF, 380
pages.
Crouzet-Pavan E., 1995, La mort lente
de Torcello : histoire d’une cité disparue, Paris :
Fayard, 440 pages.
191
Judde de Larivière C., Salzberg R.M.,
2013, « ‘Le peuple est la cité’. L’idée de
popolo et la condition des popolani à
Venise (XVe-XVIe siècles) », Annales,
vol. 4, 1113-1140.
Offenstadt N., 2013, En place publique.
Jean de Gascogne, crieur au XVe siècle, Paris :
Stock, 262 pages.
Sébastien Mazou – Université
Toulouse Jean Jaurès / Università Ca’
Foscari di Venezia.
___
Emmanuelle PUJEAU, L’Europe et les
Turcs, la croisade de l’humaniste Paolo Giovio,
Toulouse, PUM, 2015, 504 pp. 27€.
La recente pubblicazione fatta dalle
Presses Universitaires du Midi e intitolata
L’Europe et les Turcs, la croisade de
l’humaniste Paolo Giovio, offre a un ampio
pubblico un accesso agli studi condotti
da Emmanuelle Pujeau nella sua tesi di
dottorato discussa nel 2006 su Paolo
Giovio et la question turque. Come viene
sottolineato dal cambiamento di titolo, la
ricerca si è allargata fino ad abbracciare,
dal punto di partenza dei numerosi scritti
di Giovio da lei molto ben conosciuti, la
questione più generale della figura dei
Turchi nella cultura umanistica. Nel suo
studio l’autrice combina quindi approcci
letterari e storici nel soffermarsi in
particolare su alcuni temi riguardanti la
letteratura sui Turchi, soprattutto di
natura politica, che si sviluppò nel
Cinquecento e in cui si distinsero i lavori
di Giovio.
Il lavoro di Emanuelle Pujeau, perciò,
si inserisce nell’attuale ripresa d’interesse
192
degli studiosi per l’ampio corpus
umanistico
riguardante
i
Turchi,
paragonabile
per
quantità
alla
contemporanea letteratura relativa alle
grandi scoperte, la cui originalità era
rimasta a lungo trascurata sotto il
pretesto che fosse solo una reminiscenza
medievale.
Le “concezioni umanistiche” sono
appunto l’oggetto del suo primo capitolo,
in cui la studiosa dimostra come i lettori
e
gli
autori
del
Cinquecento
condividessero valori comuni che
consentissero loro l’uso di termini
intellegibili a tutti. Fra questi, ad esempio,
il concetto di “Europa” era usato da
Giovio come l’equivalente geografico
della cristianità latina senza bisogno di
alcuna glossa, un punto in cui
Emmanuelle Pujeau individua un
precedente all'avvio secentesco di questa
nozione. Secondo l’autrice l’accessibilità
a questi valori condivisi valeva anche per
l’idea di crociata, i cui principi si
estendevano anche agli avversari del papa
– come viene illustrato anche da
Erasmo – o per il concetto di libertas
italiae, già valorizzato da Zimmermann,
che si sviluppava nei diversi Stati italiani
di fronte alla doppia minaccia francese ed
imperiale. Queste comunità di significati
vengono messe in evidenza da l’autrice
attraverso una serie di paragoni tra
diversi scritti contemporanei che
reinseriscono l’opera di Giovio, e
soprattutto il suo Commentario delle cose de
Turchi, nel suo universo intellettuale ma
anche politico. Dimostra ad esempio
l’importanza delle crociate tardive
nell’ideologia e nella retorica del potere
del Cinquecento, un tema anche studiato
durante i seminari tenuti all’Università di
Il Campiello – n° 1
Tolosa, dove l’autrice compì il suo
dottorato, dal 2007 in poi. Appare quindi
ovvio che il Commentario, senza essere di
natura propriamente bellicosa, fosse
soprattutto un’opera politica, scritta
inizialmente in italiano con lo scopo di
promuovere la crociata presso un ampio
pubblico e non un opera puramente
scientifica
come
suggerirebbe
la
traduzione posteriore in latino.
Il progetto di crociata concepito da
Giovio è l’oggetto del secondo capitolo,
basato in particolare sul Consiglio di
Monsignor Giovio intorno al modo di far
l’impresa contra infideli. L’autrice ci ricorda
il carattere fortemente materiale dei
consigli dati dal vescovo di Nocera, che
prevedevano
ogni
aspetto
del
finanziamento e dell’organizzazione della
sperata crociata, fino, ad esempio, al
divieto di bestemmia fra i soldati.
Nell’opera di Giovio vengono anche
esaminate le strade più adatte per
attaccare l’impero di Solimano, benché
nell’ultimo capitolo Pujeau dimostri
come il concetto di crociata in
quell’epoca finì per essere ridotto a
quello di crociata difensiva, ossia come
dovere di tutti i principi cristiani alla
protezione dei territori di confine.
L’autrice nota anche che le strategie
proposte da Giovio corrispondevano ai
piani generalmente proposti dai militari
riguardanti
l’avanzata
dell’esercito
ottomano in un contesto di successo
della letteratura poliorcetica. Ma il
vantaggio di Giovio consisteva in una
conoscenza maggiore di questo stesso
esercito, illustrata da Pujeau per mezzo di
un paragone fra la struttura delle armate
descritta dallo storico Colin Imber e
quella spiegata dallo stesso Giovio.
Recensions
L’opera di Giovio, in quanto migliore
conoscitore delle ‘Cose dei Turchi’,
appare dunque come una chiave
essenziale nel capire le percezioni
europee di fronte all’impero di Solimano,
così come l’organizzazione politica dei
principi cristiani.
Le concezione di Giovio relative agli
Stati cristiani vengono dunque trattate
nel terzo e ultimo capitolo attraverso lo
studio dei suoi “campioni”, cioè le
potenze politiche suscettibili di guidare la
crociata tanto desiderata. Carlo V, col
suo partito degli imperiali, viene
naturalmente menzionato per primo e il
suo titolo prestigioso garantirebbe inoltre
che, durante la crociata, gli fosse riservata
la strada della Morea, considerata più
prestigiosa. Il caso del re di Francia è più
ambiguo, data non solo la discesa recente
e traumatica dei Francesi in Italia, ma
anche il patto concluso da Francesco I
con Solimano, eventi che rendevano i
Francesi una potenziale minaccia per la
Respublica Christiana . L’ultima potenza
considerata è certamente la Repubblica
veneziana, dove Giovio, avendo studiato
medicina a Padova, aveva sviluppato
numerosi contatti, come Pietro Bembo.
Nonostante
un
atteggiamento
generalmente pacifico di Venezia verso
gli Ottomani, la Repubblica, non avendo
mai compiuto un’alleanza militare con
loro, rimaneva un alleato su cui Giovio si
soffermava a lungo. Le descrizioni dei
rapporti con Venezia si ricollegano alla
parte del primo capitolo dedicata allo
studio delle fonti usate, ma di rado
esplicitamente nominate, da parte di
Giovio. Quest’analisi ricorda anche il
lavoro di Géraud Poumarède, in quanto
quest’ultimo nel suo libro sulle crociate
193
tardive rivela l’esistenza di un “crogiolo
veneziano” essenziale a ogni conoscenza
sui Turchi. Infine, quest’ultimo capitolo
esamina anche una crociata più
personale: quella condotta dallo stesso
Giovio per affermarsi come un esperto
indiscutibile sulla questione turca
nell’ambito
letterario
umanistico,
un’impresa
letteraria
destinata
a
procurarsi appoggi politici al di fuori del
protettore fedele, Cosimo de’ Medici.
Ogni capitolo di quest’opera viene
accompagnato da un caso di studio
approfondito riguardante eventi famosi
dove le specificità di Giovio appaiono
ben chiare. Nell’analisi di questi episodi
Pujeau riprende alcune ricerche già da lei
pubblicate sotto forma di articoli, come
ad esempio l’assedio di Rodi, a lungo
evocato nel primo capitolo, già
considerato dal punto di vista delle fonti.
Sulla battaglia di Prevesa si concentra il
secondo capitolo, dove sono confrontati
gli scritti di più autori contemporanei
riguardanti soprattutto i ritratti dei
protagonisti belligeranti. Andrea Doria,
Vincenzo Capello o Barbarossa vengono
esaminati a lungo attraverso diversi
ritratti secondo un metodo che ricorda
l’accento messo dallo stesso Giovio sui
ritratti, ad esempio nel suo Elogia Virorum
bellica virtute illustrium. Infine nel terzo
capitolo l’analisi si focalizza più
brevemente sul cosiddetto affare del
Rincone (1451), che mette in luce la
fragilità della Respublica Christiana.
L’approccio
mischia
dunque
letteratura e storia politica. L’analisi
lessicale spesso concorre a sostenere
l’argomentazione
o
a
introdurre
interessanti sfumature che disegnano una
percezione degli Ottomani tutt’altro che
194
monolitica. Fra timore e fascinazione, la
distanza sembra ridotta quando Giovio
descrive un esercito efficace e credente, il
che pone le basi di una paura veneziana e
poi europea di fronte all’ubbidienza
percepita come totale degli Ottomani nei
confronti del loro sultano. Per quanto
riguarda la storia culturale e in particolare
la storia delle percezioni, questa cautela
verso i testi è molto istruttiva.
Conoscitrice di lettere classiche, l’autrice
arricchisce anche l’analisi letteraria con
ipotesi pertinenti riguardanti il sostratto
culturale di alcune descrizioni di Giovio.
Ad esempio le descrizioni militari
vengono paragonate a quelle del De Bello
Gallico. Ciononostante, è meno sicura
l’attribuzione agli stessi testi classici di
un’influenza diretta sugli attori ottomani,
sia delle strategie militari di Cesare, sia
della politica di Filippo di Macedonia.
Anche se le loro opere e azioni erano
conosciute a Istanbul, la questione
dell’umanesimo ottomano e di una sua
influenza nei campi politici e militari è
ancora dibattuta. Nello stesso modo i
paragoni fra testi europei e ottomani, ad
esempio con le Ghazavat-Name,
avrebbero più senso in uno studio
politico degli eventi narrati, mentre
nell’ambito di una storia culturale questi
confronti sono meno pertinenti. Eppure
questi limiti rimangono trascurabili in
uno studio la cui principale forza rimane
la capacità di aprire, attraverso parecchi
testi «a finestra», come lo stesso Giovio
affermava di scrivere, una finestra solida
verso la letteratura italiana ed europea in
un periodo turbato dai pericoli politici.
Pauline Guéna – CRM.
Il Campiello – n° 1
___
Courtney QUAINTANCE, Textual
Masculinity and the Exchange of Women in
Renaissance Venice, Toronto / Buffalo /
Baltimore, University of Toronto Press,
2015, 259 pp., 70$.
La
pubblicazione
di
Textual
Masculinity si iscrive in una stagione felice
per gli studi sulla letteratura veneziana
anticlassicista, che sia popolare o erotica,
qualche mese dopo quella di Ephemeral
City di Rosa Salzberg (dedicato alle
«cheap prints», lo abbiamo recensito qui).
Essendo i due testi rielaborazioni di tesi
di dottorato, possiamo solo augurare che
venga completato questo quadro della
ricerca recente con la pubblicazione del
lavoro di Daniella Rossi sul volume
inedito di poesie erotiche di Domenico
Venier e Benetto Corner, che si trova
anche al centro degli interessi di
Courtney Quaintance.
La tesi principale della studiosa
americana ha il pregio della chiarezza e
può facilmente essere così riassunta: i
testi erotici del Rinascimento veneto
sono discorsi su corpi femminili che
vengono scambiati – stampati o
manoscritti – all'interno di una ristretta
cerchia di nobiluomini e contribuiscono
alla definizione della loro identità di
genere e di classe. Quaintance propone
così un doppio approccio: un'analisi
dell'identità maschile del tempo, sempre
ansiosa ma sempre trionfante, e una
lettura di quello che i testi ci dicono
sull'essere donna nel Rinascimento.
Il primo capitolo è dedicato agli
albori della letteratura pornografica
veneziana, con la lettura di due poemetti
Recensions
di Lorenzo Venier (1510-1550), membro
di una delle più importanti famiglie
veneziane nonché fedele amico di Pietro
Aretino. Venier compone all'inizio degli
anni 1530 la Puttana Errante e il Trentuno
della Zaffetta, che per Quaintance
definiscono il topos della prostituta: il
primo costituisce una parodia di
romanzo cavalleresco che si chiude con il
trionfo della sua protagonista, la famosa
Elena Ballarina, durante il sacco di
Roma, mentre il secondo narra lo stupro
di gruppo – il cosiddetto «trentuno» –
letterariamente subito dalla cortigiana
Angela del Moro, detta la Zaffetta.
L'autrice si interessa soprattutto alla
tonalità comica con la quale vengono
descritte scene di un'efferata violenza
sessuale. Dimostra così la funzione
primaria di questa violenza, dentro e
fuori dal testo: lo sviluppo di una
sociabilità maschile a scapito di un corpo
di donna.
Il legame fra l'Aretino e un patrizio
come Lorenzo Venier appare, infatti,
come tutt'altro che casuale. Il poligrafo,
approdato in laguna nel 1527, seppe
presto procacciarsi il patrocinio culturale
e civile della classe dirigente e frequenta
la cerchia riunito attorno al fratello di
Lorenzo, Domenico (1517-1582), a cui
sono dedicati i tre capitoli centrali del
libro di Quaintance. L'informale
accademia Venier di Santa Maria
Formosa, attiva dagli anni 1540, è priva
dei minuti e dei riti che caratterizzano le
più tarde adunanze di letterati; costituisce
nondimeno un luogo privilegiato di
scambi testuali e funge da acceleratore di
promozione sociale per uomini, come il
giovane organista e letterato vicentino
Girolamo Parabosco o lo stesso Aretino,
195
che non appartengono alla nobiltà
veneta. Quaintance mostra come gli
autori che frequentano l'accademia la
rappresentano come uno spazio di
uomini soli, nel quale vengono scambiati
discorsi sulle donne con l'unico scopo di
fare valere un virtuosismo retorico. Ma
dietro a quest'immagine pubblica –
concretizzata nei Diporti del Parabosco o
nella pubblicazione delle antologie
intitolate Rime diverse di molti eccellentissimi
autori – si nasconde una fitta letteratura
privata scritta in dialetto. Quaintance
sottolinea lo statuto paradossale della
lingua veneziana: praticata da buffoni e
canterini, è disprezzata dai «middle class
umanists» come Lodovico Dolce che la
percepiscono come umile e provinciale,
ma è invece lautamente utilizzata dai
poeti patrizi, come segno distintivo per
eccellenza della loro identità di classe. E
infatti se a lungo Domenico Venier fu
conosciuto come cultore di un
petrarchismo raffinato e tecnicista, da
qualche decennio è stata rivelata la sua
produzione erotica dialettale, che i copisti
spesso attribuivano al nipote Maffio
(1550-1586),
figlio
di
Lorenzo.
Parzialmente suo è uno dei testi più
affascinanti del Rinascimento veneto,
purtroppo ancora inedito e conservato
alla British Library: un libro manoscritto
lungo più di duecento carte composto a
quattro mani dal Venier e dall'amico
Benetto Corner a proposito della loro
amante Elena Artusi. Quaintance
propone una lettura del codice che mette
in risalto il carattere omosociale – se non
omoerotico – del carteggio poetico fra i
due patrizi: più che di un romanzo
d'amore si tratta del racconto di
un'amicizia maschile che si fonda sulla
196
descrizione di un corpo femminile, talora
esaltato e talora vilipeso.
Nel quarto capitolo, Quaintance
ricostruisce il percorso di poesie del
manoscritto inglese in tre antologie: il Ms
It. IX 173 della Marciana, la più grande
raccolta di poesia veneziana del
Cinquecento stesa di pugno del poeta
Giovanni Querini (1567-1610); la
Caravana (1565), stampa che raccoglie
vari testi veneziani privi di attribuzione;
infine i Versi alla venitiana (1613)
conosciuti per contenere numerose
poesie di Maffio Venier – o a lui
attribuite. In un lungo panorama delle
varianti testuali dimostra che se nei
manoscritti l'identità degli autori è una
componente essenziale del discorso,
sparisce del tutto quando i versi vengono
presentati al più largo pubblico dei
consumatori di stampe. I poeti patrizi
costruiscono così una doppia immagine:
quella semi-privata del «gentlemen's
club» dell'accademia, in cui la poesia
erotica serve a rafforzare i legami di
amicizia maschile, e quella pubblica,
fortemente limitata dalla nascente
Controriforma e dall'onere delle cariche
politiche.
Infine l'ultimo capitolo cerca di
confrontare queste strategie maschili con
quelle usate da due poetesse vicine alla
cerchia di Venier, Gaspara Stampa (c.
1523-1554) e Veronica Franco (15461591). Quaintance rovescia l'immagine di
una Venezia intesa come luogo
privilegiato di libertà femminile e illustra
le reticenze che ostacolano la carriera
poetica delle due donne rispetto a quella,
per esempio, della cortigiana romana
Tullia d'Aragona. Mentre Stampa cerca di
sfruttare le strategie classiche di
Il Campiello – n° 1
collaborazione letteraria – fra l'altro
radunando testi per celebrare la memoria
del suo nobile amante Collaltino di
Collalto – viene perseguita se non da
un'avvilente riputazione di cortigiana,
almeno dal permanere di un'ambiguità
morale di cui si farà portavoce anche
Benedetto Croce. Veronica Franco
invece, cortigiana di mestiere, è costretta
a letterariamente sbandierare le sue doti
sessuali, ma riesce a capovolgere il
rapporto con un cliente-amante come
Marco Venier richiedendo come
pagamento una collaborazione poetica.
Possiamo, in conclusione, rilevare un
solo limite al libro di Quaintance, di cui
certo non vogliamo accusare la stessa
studiosa, ma piuttosto lo stadio ambiguo
di una ricerca che troppo poco ha saputo
elargire i suoi risultati oltre la cerchia
degli addetti ai lavori. Dal punto di vista
del corpus infatti, Textual Masculinity è
lievemente problematico: per chi ha letto
i testi affrontati dalla monografia, le
pagine della studiosa americana non
portano sostanziali novità; per chi non li
ha letti invece rimarrà un senso di
frustrazione, in quanto sono pagine e
versi molto difficilmente reperibili, se
non addirittura introvabili fuori da
Venezia. Vengono così indicate due
strade da proseguire in futuri studi: da
una parte la pubblicazione di testi citati
da tutti ma illegibili fuori dalle rare
biblioteche
che
li
custodiscono
(esemplare il caso della Caravana), e
dall'altra un lavoro di catalogazione dei
numerosi inediti nascosti fra le carte della
Marciana o di altre biblioteche.
Aspettando questi sviluppi, il lavoro di
Quaintance si configura quindi – oltre
alla vigorosa tesi che difende – come
Recensions
197
un'ottima introduzione a una letteratura
erotica che è ancora lontana dall'aver
svelato tutti i suoi tesori.
Fabien Coletti – Université Toulouse
- Jean Jaurès / Università degli Studi di
Padova.
___
Rosa SALZBERG, Ephemeral City:
Cheap Print and Urban Culture in
Renaissance
Venice,
Manchester,
Manchester University Press, 2014, 199
pp., 75 £ (circa 100 €).
Prima di aprire quest'appassionante
volume sulle cosiddette «stampe
popolari» della Venezia rinascimentale, ci
tocca purtroppo segnalare col prezzo di
questo libro un limite grave - ovviamente
indipendente dalla volontà dell'autrice,
ma ironicamente in linea con i suoi
interessi scientifici – legato a deplorevoli
abitudini di certe case editrici,
particolarmente anglo-sassoni. In tempi
in cui cospicui sforzi economici vengono
richiesti da parte delle istituzioni,
riducendo di fatto il numero di
acquisizioni librarie, e in cui la figura del
ricercatore
si
sta
sempre
più
precarizzando, vendere monografie di
dimensioni contenute a prezzi che
superano i cento euro è un abuso di
posizione dominante, oltre che un freno
al progresso della ricerca.
Del tutto diverso è l'oggetto di studio
qui preso in considerazione, le «cheap
prints» veneziane, certamente un termine
più adatto a descrivere questa produzione
che l'italiano «stampa popolare» (su
questo tema cf. per esempio Chiara
Lastraioli, Pasquinate, grillate, pelate ed
altro Cinquecento minore, Manziana,
Vecchiarelli, 2012). Rosa Salzberg, che
insegna la Storia dell'Italia moderna
all'Università di Warwick, rielabora con
queste pagine la sua tesi di dottorato
(The Dissemination of Cheap Print in
Sixteenth Century Venice, University of
London, 2008), debitamente aggiornata e
aumentata da ricerche parzialmente
pubblicate in una serie di articoli.
In introduzione Salzberg sottolinea i
vari paradossi che accompagnano quegli
opuscoli: legati al mondo elitario delle
parole stampate, si affermarono come un
potente strumento di communicazione di
massa; numerosissimi già dai primi tempi
della storia dell'editoria, la loro natura
effimera li rese invisibili per lo studioso
di fronte alla schiacciante supremazia
concettuale del libro; infine, prodotti per
eccellenza di una tecnologia nuova, il
loro uso rimase indissolubilmente legato
ad altre forme di comunicazione, prima
di tutto alla recitazione orale che
accompagnava spesso la loro vendita. A
Venezia, città che produce all'inizio del
Cinquecento il 65% della carta stampata
italiana, si ritrovano così al centro di una
triplice interazione, fra il potere laico ed
ecclesiastico che alternativamente li
utilizza o li censura, un'industria che ne
fa una fonte di guadagno e un popolo
che li ricerca con crescente desiderio.
Nel primo capitolo Salzberg cerca di
definire il suo oggetto di studio e si
sofferma più genericamente sulle
consequenze dello sviluppo della stampa.
Mostra come la proliferazione dei «cheap
prints» sia stata accolta con sentimenti
constrastanti,
generando
profonde
ansietà nei depositari tradizionali della
198
cultura. Infatti, con la diffusione di
stampe poco costose si allarga il
pubblico, cambia il rapporto fra scritto,
lettore e sapere; di conseguenza, il
sistema medievale basato sullo scambio
di testi (manoscritti e poi stampati) fra
dotti si sente minacciato dall'irruenza del
mercato. Lontana dalla figura di un Aldo
Manuzio, Salzberg descrive una folla di
piccoli stampatori, a volte tutto tranne
che letterati, con il guadagno come unica
ambizione. Particolarmente interessante
a questo proposito risulta il corto elenco
di astuzie impiegate per allettare il lettore:
titoli ricercati che nascondono la povertà
dei contenuti, insistenza sul nome di un
autore o di un saltimbanco conosciuti sul
frontispizio di un'opera altrui...
Nel secondo capitolo Salzberg
delinea una geografia delle botteghe di
cartolai, stampatori, e venditori di libri:
principalmente concentrati fra Rialto e
San Marco, nelle costose Mercerie o nella
variegata parrocchia di San Moisè, quei
negozi godono di una grande visibilità e
contribuiscono a ridefinire il paesaggio
urbano della Venezia del Cinquecento. A
volte dipendenti di queste botteghe, a
volte proprietari di un carro stabile o di
un semplice cestino, i venditori ambulanti
distribuiscono notizie, canzoni, poemetti
o consigli medicali, insieme a prodotti di
uso corrente come profumi o saponi.
Questo
modo
di
diffusione
è
intimamente legato al mondo dei
ciarlatani: i saltimbanchi di Rialto o di
San Marco vendevano opuscoli che
potevano
essere
il
testo
della
rappresentazione appena eseguita, o
un'opera del tutto diversa, come il
buffone Zuan Polo che dopo i propri
spettacoli spacciava una sua parodia di
Il Campiello – n° 1
romanzo cavalleresco, mettendo così a
contatto con i testi anche chi non sapeva
leggere.
Nel terzo capitolo Salberg si
concentra su alcune figure di stampatori
di «cheap prints», con lo scopo di
sottolineare la mobilità – geografica,
professionale, sociale – inerente al
mestiere. Per esempio il ferrarese Nicolò
Zoppino, in una carriera che lo porta ad
esercitare la professione in una decina di
città del Nord Italia, riesce proprio grazie
alla sua attività di cantibanco ad
individuare le richieste del mercato. Altri,
che non disponevano del materiale per la
stampa e per cui la rappresentazione
pubblica era l'unica fonte di guadagno,
facevano realizzare fogli volanti da
editori diversi in ogni città che
attraversavano, per poi rivenderli sulla
piazza. Il contenuto delle stampe è
affrontato nel quarto capitolo: a metà
strada fra letteratura e rappresentazione,
fra importanti opere contemporanee e
oscuri poetastri, i testi venduti a poco
prezzo trasmettono al popolo delle
piazze un eco della più alta cultura
rinascimentale. La popolarità del Furioso
spinge i saltimbanchi a produrre una
serie di parodie o imitazioni di bassa
qualità; le più recenti notizie sugli eventi
bellici in corso vengono trascritte in versi
e cantati a un popolo avido di
informazioni, dando così alla luce i
lontani antenati dei nostri giornali; il
sapere tecnico o medico viene pure
volgarizzato in opuscoletti, creando un
mercato per le false ricette dei ciarlatani;
infine, la maggioranza dei fogli in
circolazione sono di tipo religioso:
indulgenze, preghiere e varie opere
devozionali erano gelosemente custodite
Recensions
dai clienti per i quali erano in qualche
modo investite da un potere magico ma
anche, a volte, sospette di eterodossia.
Infatti, dopo un primo periodo di
controllo durante la guerra della Lega di
Cambrai, i rischi sociali e religiosi della
diffusione in massa di stampe dal
contenuto non controllato allarmano già
dagli anni 1540 le autorità civili ed
ecclesiastiche. Nel 1543 il potente
Consiglio dei Dieci rende obbligatoria
l'ottenimento di un'autorizzazione di
stampa che teoricamente colpisce
qualsiasi scritto e affida il controllo alla
recente magistratura degli Esecutori
contro la Bestemmia. Nel 1549 i Dieci
esigono la creazione di una corporazione
degli stampatori e dei venditori di libri,
che faccia insieme da garante del
materiale stampato e da un valido
interlocutore per il governo veneziano; lo
stesso anno – cioè dieci anni prima
dell'indice paolino – nasce un primo
progetto, non realizzato, di indice dei
libri proibiti. Negli anni 1550 anche il
Santo Uffizio incomincia ad esaminare
gli stampatori che pubblicano storie
amorali e bastano probabilmente alcuni
processi per fare da avvertimento a tutta
la professione. Se alcuni di loro cercano
allora di sostrarsi alle regole con falsi
luoghi di stampa, il più sembra
lentamente
orientarsi
verso
una
produzione consona ai requisiti del
potere.
In conclusione Salzberg illustra
l'evoluzione che conobbe la diffusione
della stampa nella Venezia rinascimentale
con l'esempio di due crisi maggiori della
fine del Cinquecento e dell'inizio del
Seicento. Mentre alla fine del secolo XV
il pubblico che comprava libri non era
199
diverso da quello che, nel medioevo, si
procurava copie di manoscritti, una crisi
come quella della peste del 1575-7 vede
la circolazione di un'immensa quantità di
stampe di ogni tipo, diventate un comune
bene di consumo. Qualche decennio
dopo, la polemica sull'Interdetto del
1606-7 dà il via ad una produzione di
«cheap prints» ancora più ampia, che il
governo veneziano rinuncia a controllare:
ormai incapace di arginare il fiume di
carta, si deve accontentare di rispondere
con proprie opere di propaganda.
L'unico rimpianto che può avere il
lettore di quest'agile ricostruzione,
specialmente dopo essere stato allettato
dalla riproduzione di alcuni frontispizi di
«cheap prints», è l'assenza di un
appendice che vada oltre la semplice
bibliografia e presenti sintetiche schede
individuali. Un piccolo catalogo,
insomma, che possa avviare ricerche
mirate alla sostituzione di un lavoro oggi
ancora
fondamentale
come
la
Bibliografia delle stampe popolari italiane
del Segarizzi (1913), limitato al fondo
della biblioteca Marciana.
Fabien Coletti – Université Toulouse
Jean Jaurès / Università degli Studi di
Padova.
___
Marino SANUDO, Itinerario per la
Terraferma veneziana, Edizione critica e
commento a cura di Gian Maria Varanini
con saggi di Alfredo Buonopane,
Antonio Ciaralli, Michael Knapton, John
Law, Gian Maria Varanini, Roma, Viella,
2014, 684 pp., 50 €.
200
Pour tout historien s’intéressant à la
République de Venise à la Renaissance,
l’œuvre de Marino Sanudo il Giovane
(1466-1536) se révèle incontournable. La
période 1400-1550 représente une
période de production intense de récits
historiques écrits par des membres de
l’élite vénitienne. L’un d’eux, Marino
Sanudo, se démarque surtout par les
cinquante-deux volumes de ses Diarii,
véritable récit quotidien des Guerres
d’Italie entre 1496 et 1533. Parmi les
autres textes du chroniqueur, on note
son Itinerario per la Terraferma
veneziana. Un travail collectif dirigé par
Gian Maria Varanini, professore ordinario à
l’université de Vérone, en propose une
nouvelle édition.
Jeune vénitien de 17 ans, Marino
Sanudo accompagne entre le 15 avril et le
5 octobre 1483 son cousin Marco
Sanudo, membre des Auditori Nuovi, pour
une inspection du Stato da Terra vénitien.
Le récit tiré de ce voyage couvrant
l’ensemble de la Terre ferme, nous livre
ainsi une description très riche des lieux
visités, qu’il s’agisse de grandes cités
comme Padoue ou Vérone ou de lieux
d’importance moindre.
Le parcours
réalisé par les Auditori Nuovi est
considérable : plusieurs centaines de
kilomètres à cheval ou en bateau et pas
moins de cinquante-sept cités et dix-sept
provinces traversées. Mais de leur
mission, Sanudo n’en souffle pas un mot.
Son récit comporte en réalité une
description minutieuse des territoires
visités. Sanudo explique comment ces
lieux sont passés sous la domination
vénitienne. Si les zones rurales et les
paysages ne sont pas ignorés du
chroniqueur, ce sont les cités qui
Il Campiello – n° 1
reçoivent la plus grande attention. Il
évoque la vie quotidienne des habitants,
décrit les palais et forteresses des
gouverneurs vénitiens, donne les noms et
les salaires de ces derniers, etc.
L’architecture des villes concentre une
part importante de son attention,
notamment les ponts, les tours et les
murs.
Le jeune noble ne se contente pas de
dresser un tableau des possessions
terrestres
vénitiennes,
il
aborde
également un enjeu crucial pour la
République en 1483 : le conflit qui
l’oppose à la ville de Ferrare depuis plus
d’un an. Cette dernière est d’ailleurs
l’objet d’une description, comme si elle
faisait partie du Dominio vénitien. Sanudo
rencontre condottieres et commissaires
vénitiens, observe la construction des
nouveaux bastions destinés à répondre
aux défis lancés par le développement de
l’artillerie et assiste même à des combats
mais sans en donner de véritables
descriptions. De même, des soldats on
ne connaît guère que leur nombre, leurs
armes et parfois leurs soldes.
Par ses descriptions minutieuses,
Sanudo sous-entend, sans l’écrire
clairement, l’hétérogénéité de la Terre
ferme
vénitienne
et
l’adaptation
vénitienne aux réalités locales. Il montre
par exemple la place particulière du
Frioul dans le Stato da Terra. Une
première lecture donne l’impression
d’être en présence du récit exalté d’un
jeune patricien mais un regard plus
attentif permet de faire apparaître les
enjeux du texte. La culture humaniste de
Sanudo apparaît clairement.
Vénitien membre de l’élite dirigeante,
Marino Sanudo ne manque jamais une
Recensions
occasion de mettre en valeur sa propre
famille et livre toujours des descriptions
dithyrambiques des lieux visités en
insistant sur la richesse des cités et des
territoires, sur la qualité de leurs
fortifications, etc. On notera quelques
erreurs commises par le chroniqueur
dans ses commentaires historiques des
lieux mentionnés. Par exemple, le
capitaine général Bartolomeo Colleoni
meurt en 1475 et non pas en 1470
comme Sanudo l’avance dans son texte.
Il faut également prendre en compte que
le chroniqueur a retravaillé sa source
plusieurs fois et semble l’avoir laissé
inachevée. On connaît mal le but
éditorial de Sanudo mais il fait parfois
référence à d’hypothétiques lecteurs.
Toujours est-il que son œuvre n’est pas
imprimée avant sa redécouverte au XIXe
siècle.
On doit à l’historien britannique
Randown Brown la mise à jour d’un
manuscrit à Padoue dont il tire une
édition en 1847. Un autre exemplaire,
fragmentaire, découvert à la Biblioteca
Nazionale Marciana fut édité par Rinaldo
Fulin dans l’Archivio Veneto en 1881.
Michael Knapton considère cette édition
comme moins rigoureuse et moins
aboutie que la précédente de Brown. Un
autre fragment de cet Itinerario, copié
dans un autre manuscrit de la Marciana,
avait déjà été édité à Venise en 1853 sous
le titre Descrizione della patria del Friuli. Si
l’on excepte quelques éditions partielles
au XXe siècle, on doit attendre 2008 pour
une nouvelle publication, collective, du
texte. Celle-ci offre une version originale
du texte et en regard une traduction en
italien
parfois
approximative
selon Michael Knapton. En revanche on
201
doit lui reconnaître la présence de
centaines d’illustrations dont beaucoup
de cartes de la Terre ferme vénitienne.
Une nouvelle édition scientifique
demeurait donc nécessaire. Celle-ci
dirigée par Gian Maria Varanini offre au
lecteur les deux versions du texte (celle
de Padoue et celle de la Marciana),
soigneusement transcrites, annotées et
complétées par un riche appareil critique.
L’introduction
réalisée
par
deux
historiens britannique spécialistes du
Stato da Terra vénitien à la Renaissance,
Michael Knapton et John Law, offre une
synthèse sur la Terre ferme, une
biographie de Marino Sanudo et situe ce
texte dans l’œuvre du chroniqueur.
L’ouvrage comporte également un
glossaire, un répertoire des patriciens
vénitiens cités dans le texte, une
bibliographie et un index des noms et
des lieux.
L’édition de l’Itinerario per la Terraferma
veneziana de Marino Sanudo dirigée par
Gian Maria Varanini se révèle un ouvrage
d’une exceptionnelle qualité et dont
l’utilité sera grande pour les chercheurs.
Outre la mise à disposition d’un texte
soigneusement édité et d’un appareil
critique d’une grande rigueur, l’ouvrage
apporte aux historiens de précieuses
notices sur Marino Sanudo et sur
l’historiographie de la Terre ferme
vénitienne au XVe siècle. Ce travail se
situe dans un mouvement de réédition de
plusieurs textes de Sanudo (Vite dei Dogi
en plusieurs étapes dans les années 90 et
De origine, situ et magistratibus urbis Venetae
en 2011), nous pouvons donc espérer
qu’il s’étendra aux autres œuvres de
Marino
Sanudo
(notamment
ses
202
Commentarii della guerra di Ferrara et sa
Spedizione Di Carlo VIII in Italia).
Il Campiello – n° 1
Sébastien
Mazou – Université
Toulouse - Jean Jaurès / Università Ca’
Foscari di Venezia.
Table des matières – Il Campiello – I (2016)
Fabien COLETTI, Azzurra MAURO, Sébastien MAZOU
INTRODUCTION
INTRODUZIONE
4
8
SECTION MIXTE
Stefano PEZZE
Tra il Leone e la Vipera. Guidotto Prestinari, poeta di confine
13
Massimiliano SIMONE
Tra animato e inanimato. Figure di eroine nella Venezia Incognita
40
SECTION LITTERATURE
Valentina MANCA
Da donna di piacere a donna di lettere: la retorica epistolare al servizio del
discorso proto-femminista di Veronica Franco
63
Claudio CHIANCONE
Une histoire d’émancipation féminine dans la Venise du 18e siècle :
Fiorenza Ravagnin, mécène et collectionneuse
88
Juliette LE GALL
L’écriture vénitienne chez Henri de Régnier et le « premier Marinetti »
108
204
Il Campiello – n° 1
SECTION HISTOIRE
Jérémy FOURNET
L’île de Crète : colonie d’exploitation et nœud stratégique du réseau
vénitien en mer Égée
123
Alexandra LALIBERTE DE GAGNE
Entre défiance et collaboration : les Grecs d’Épire et du Magne
aux XVIe-XVIIe siècles au regard des sources vénitiennes
159
RECENSIONS
182
205
Il Campiello
Revue électronique jeunes chercheurs d’études vénitiennes
NUMERO 1 – 2016
http://blogs.univ-tlse2.fr/il-campiello/
Les propositions d’article (400 mots, pour un article de 7 000 mots maximum) ou de
recensions (1 000 mots) peuvent être envoyées à [email protected]. Les langues
acceptées sont le français, l’italien et l’anglais. Les normes pour les articles peuvent être
trouvées sur le site de la revue, tout comme la liste des recensions déjà en projet.
Le proposte di articolo (400 parole, per un articolo di 7 000 parole) o di recensioni
(1 000 parole) possono essere mandate a [email protected]. Si accettano articoli
in francese, italiano o inglese. Le norme per gli autori così come le recensioni già previste
sono elencate sul sito della rivista.
Directeur de publication
Fabien COLETTI
Comité de rédaction
Fabien COLETTI – Azzurra MAURO – Sébastien MAZOU
Avec la précieuse collaboration d’Éric FERRANTE
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